Monnaie Facebook : Et pour quelques Libra de plus

Rappel des faits 

Mi-juin 2019, Facebook annoncait le lancement de sa future crypto-monnaie LIBRA, laquelle devrait être gérée depuis Genève.

Pour ce projet, Facebook s’est associé à vingt-sept opérateurs digitaux ou financiers internationaux, notamment Uber, eBay, Visa, PayPal, ou encore Mastercard pour n’en citer que quelqu’uns.

Sitôt l’annonce faite, de nombreux commentateurs et politiciens se sont exprimés pour dénoncer le risque de dérive, la privatisation de la monnaie, l’utopie d’une monnaie globale ou encore pour d’ores et déjà annoncer la future résistance farouche des Etats à ce nouvel acteur.

Il y a certainement un peu de vrai dans tout cela mais les articles et opinions sortis à ce jour font l’impasse sur deux enjeux majeurs de cette possible nouvelle crypto-monnaie.

 

La taxe sur les transactions, par les privés

Cheval de bataille de plusieurs brillants économistes, dont Marc Chesney, professeur de finance de l’Université de Zurich, la taxe sur les transactions financières est une utopie de gauche pour les uns et une solution miracle pour les autres.

Discutée depuis longtemps, sans toutefois être vraiment prise au sérieux par les gouvernements, la Suisse en premier lieu, cette taxe alternative, ou ce complément aux impôts actuels semblait voué à être ignoré par les Etats.

C’était sans compter sur Facebook. Une rapide étude du concept et des partenaires (VISA, MASTERCARD, PAYPAL) indique clairement que le modèle d’affaire, et de rentabilité, du LIBRA sera celui du trafic des paiements.

Autre indice, le LIBRA fonctionne sur une blockchain fermé.

Sur la blockchain du BITCOIN par exemple, laquelle est ouverte, ce sont les participants au réseau qui fournissent la puissance de calcul pour valider les transactions, validation qui donne droit à une rémunération (ce qu’on appelle le minage). En d’autres termes, lors de chaque transaction, une petite taxe est prélevée pour assurer la validation de celle-ci.

Dans le cas du LIBRA c’est Facebook uniquement qui validera les transactions et donc qui empochera la taxe de transaction.

Ainsi, à chaque fois que quelqu’un achètera quelque chose n’importe où dans le monde avec du LIBRA, Facebook sera en mesure de prélever une commission sur la transaction, commission presque imperceptible pour le consommateur mais qui sera perçue directement par Facebook.

En d’autres termes, avec le LIBRA, le consortium formé autour de Facebook sera en mesure de lever une taxe sur l’ensemble des transactions faite en LIBRA dans le monde, là où les États ne peuvent taxer, par le biais de la TVA, que dans leur périmètre fiscal national.

 

Vers un nouveau soft-power de la crypto-monnaie

L’argument phare des opposants précoces au LIBRA est que les Etats ne laisseront pas faire.

Certes. Mais si j’étais Donald TRUMP je laisserais faire.

A l’heure où le Dollar est remis en cause dans les échanges internationaux, le LIBRA est une occasion stratégique sans précédent.

En effet, pour qu’une crypto-monnaie soit adoptée et surtout utilisable, il lui faut notamment pourvoir la convertir en monnaie fiduciaire. En claire, convertir ses LIBRA en francs suisses, en Euro ou en Dollars.

Et c’est là que la stratégie se dévoile.

Pour permettre cette conversion, Facebook devra opérer comme un agent de change, ce qui suppose une licence de type bancaire pour opérer.

Or, cette licence lui sera conféré probablement en premier lieu par les autorités américaines pour du change LIBRA/USD.

Imaginons maintenant que le LIBRA soit largement adopté, notamment dans les pays qui connaissent une instabilité politique et monétaire, c’est bien les Etats-Unis qui, au final, pourront surveiller les transactions et si nécessaire bloquer les transactions en LIBRA ou leur conversion selon les circonstances.

Ceci d’autant plus que l’utilisateur du LIBRA, au contraire du BITCOIN, sera parfaitement identifiable par son compte Facebook, qui parions le sera obligatoire pour utiliser la monnaie.

Nous verrons peut être dans le futur des personnes interdites de paiement en LIBRA ou qui verront leur compte en LIBRA bloqué par le gouvernent américain par le biais de cette identification.

Pour l’heure, le Congrès américain a demandé un moratoire sur le lancement du LIBRA, le temps d’en comprendre les enjeux et les risques. Il est probable que l’avantage stratégique du LIBRA pèsera lourd dans la balance.

Il y a fort à parier que les mois à venir Facebook demandera une licence pour changer sa monnaie et que les États-Unis la lui accorderont.

 

Un pied de nez à Genève

Facebook l’a annoncé, le LIBRA sera géré depuis Genève par une association à but non lucratif !

Les revenus issus des transactions, eux, seront sans aucun doute encaissés dûment par une société dont on ne connaitra peut être jamais le nom ou la situation.

 

Bon baiser de Suisse, et de Genève, siège du LIBRA

 

Alexis Pfefferlé

Alexis Pfefferlé est associé fondateur d’Heptagone Digital Risk Management & Security Sàrl à Genève. Juriste de formation, titulaire du brevet d'avocat, il change d'orientation en 2011 pour intégrer le monde du renseignement d'affaires dans lequel il est actif depuis. Engagé sur les questions politiques relatives au renseignement et à la sécurité, conférencier occasionnel, il enseigne également le cadre légal des activités de renseignement à Genève.

6 réponses à “Monnaie Facebook : Et pour quelques Libra de plus

  1. Excusez moi mais il y a un point que je ne compends pas. Si cette association qui gérera le Libra est située en Suisse, et si l’organisation Libra se permet de prélever des émoluments sur toutes les transactions faites en Libra, c’est auprès des autorités suisses (la FINMA je suppose) que cette association devrait solliciter une licence bancaire. Il me semble évident également que ladite entité devra être considérée comme un contribuable genevois et suisse, c’est donc à dire s’acquitter des impôts genevois et fédéraux sur les émoluments prélevés et sur ses bénéfices.

    Non?

    1. La logique le voudrait. En réalité, l’association sera probablement une vitrine de la technologie LIBRA tandis que les opérations (serveurs, change, validation) seront effectués par une société commerciale située à l’étranger.

  2. Les chinois, les russes, les indiens et bla sont d’accord, bien sûr?
    Ou c’est comme avec la 5G, le dernier baroud des US avant la prochaine crise menant à WWIII?

    1. On peut partir du principe que russes et chinois interdiront le LIBRA purement et simplement. Facebook l’est déjà presque d’ailleurs. C’est plutôt un enjeu pour l’Europe qui consomme beaucoup de produits en ligne, l’Afrique et pour tous les pays destabilisés dont les habitants cherchent une alternative à une monnaie faible et où l’Etat n’est pas en mesure d’effectuer un contrôle efficace sur ces nouvelles technologies.

      1. hummmm, dans votre jolie sarabande de logos, je ne suis même pas sûr que Vodaphone soit encore européen, mais admettons!
        merci de votre réponse 🙂

  3. La taxe qui sera la plus douloureuse est celle de l’information.

    Quand Facebook a permis aux gens de se connecter et d’échanger de l’information, il l’a fait gratuitement, parce que ce qui l’intéressait c’était nos données, qui, comme on a pu le constater par la suite, valent de l’or.

    Quand Facebook permettra aux gens d’échanger de la valeur, il le fera “presque” gratuitement (comparativement aux services bancaires actuels, et c’est bien la stratégie décrite dans le white paper), parce que ce qui l’intéresse ce sont nos données. Et vous connaissez la suite.

    C’est dommage.

    Il semble que nous soyons trop peu à nous sentir mal à l’aise d’une situation de surveillance totale, et toutes les limitations des possibilités humaines, industrielles, créatives, qui s’en suivent.

    P.s : ouvrons le pari qu’un des leviers les plus efficaces de la rhétorique de Libra sur l’opinion publique (au moins dans nos sphères sociales), sera l’entrée en jeu de la fondation “Women’s world banking”. Donner l’accès aux services bancaires à des femmes du tiers-monde… Pour leur émancipation.

    Merci pour votre article.

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