Nouvelle loi anti-terroriste : un canard boiteux mais révélateur de l’inefficacité helvétique

Le 14 janvier dernier, les jeunes Verts, la Jeunesse socialiste, les jeunes Vert’libéraux et le Parti pirate ont déposé à la Chancellerie fédérale 142 800 signatures contre la nouvelle loi sur le terrorisme.

Ceci fait, nous voterons le 13 juin 2021 sur ce référendum.

Au cœur du débat, l’autonomie et le pouvoir de décision très large que la loi offrirait à la police fédérale (Fed Pol) dans ses efforts de lutte contre le terrorisme et les extrémismes violents.

Sont particulièrement visées par les critiques de tout bord, la nouvelle définition de l’« activité terroriste», qui n’exige plus la perspective d’un crime ainsi que certains articles du projet de loi (art. 23ss Loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme) qui donneraient à la police fédérale un pouvoir étendu pour désigner des « terroristes potentiels » et décider de mesures préventives à leur encontre sans contrôle judiciaire significatif, c’est-à-dire sans validation préalable de la mesure de contrainte, par exemple une assignation à domicile ou une interdiction de contact, par un juge.

Pour rappel, dans le cadre d’une instruction de la police cantonale, les mesures de contraintes sont ordonnées par le Ministère public et les mesures de privation de liberté par le Tribunal des mesures de contrainte.

Ce débat n’est pas sans rappeler celui, encore récent, sur la Loi sur le renseignement (LRens), lequel avait donné lieu à des négociations tout aussi acharnées sous la Coupole et à un référendum finalement perdu par les opposants.

Cette opposition farouche d’une partie de la classe politique au projet de la LRens avait abouti à la mise en place de cautèles strictes à l’activité du Service de Renseignement (SRC), à l’introduction de procédures administratives et judiciaires très lourdes autour des mesures à disposition du Service et à l’absence de tout pouvoir dit « de police » au sein du SRC. En clair, dès que le SRC dispose de soupçons forts ou fondés envers un sujet d’enquête, il doit transmettre le dossier au Ministère Public de la Confédération qui va charger Fed Pol de la suite de l’enquête et des mesures de contrainte.

Ces restrictions nous ont conduit à avoir un Service de renseignement avec des moyens étendus mais aucun pouvoir de police et à une Police fédérale sans les moyens du service de renseignement, mais avec un rôle de police.

Ce partage des pouvoirs fonctionne sur le papier et dans la tête de certains politiciens mais dans la lutte contre le terrorisme et les extrémismes violents notamment, cette manière de faire ne fonctionne pas, et encore moins lorsqu’on y ajoute les impératifs liés à la nécessaire coopération internationale dans ces matières.

Le résultat de cette schizophrénie est ce projet de Loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme sur lequel nous voterons et qui tend fondamentalement à accorder à la Police fédérale les pouvoirs qui ont été refusés au Service de renseignement pour les mêmes tâches.

A l’inverse, ne devrait-on pas accorder plutôt des pouvoirs de police au Service de renseignement ?

La question est ouverte dans l’attente du résultat du 13 juin prochain.

Quel que soit le résultat de la votation et sans se prononcer ici sur le bien-fondé des arguments du législateur et des référendaires, il semble clair qu’une nouvelle réflexion sur l’appareil sécuritaire au niveau fédéral doit être rapidement menée.

En tant que citoyen, j’espère voir particulièrement les partis de « gauche » prendrent part à ce débat, non dans un perpétuel esprit d’opposition, mais avec une approche constructive dont le premier objectif doit être l’efficacité et la cohérence du système.

 

 

 

Alexis Pfefferlé

Alexis Pfefferlé est associé fondateur d’Heptagone Digital Risk Management & Security Sàrl à Genève. Juriste de formation, titulaire du brevet d'avocat, il change d'orientation en 2011 pour intégrer le monde du renseignement d'affaires dans lequel il est actif depuis. Engagé sur les questions politiques relatives au renseignement et à la sécurité, conférencier occasionnel, il enseigne également le cadre légal des activités de renseignement à Genève.

3 réponses à “Nouvelle loi anti-terroriste : un canard boiteux mais révélateur de l’inefficacité helvétique

  1. “… mais avec une approche constructive dont le premier objectif doit être l’efficacité et la cohérence du système.”

    On peut sans autre faire ce reproche à tous les partis et sans boule de cristal, voir où notre démocratie va s’échouer, entre fédéralisme, covid, intérêts antagonistes, etc!

    Il suffit de voir que notre justice ne reconnait pas les e-mails, que les cantons envoient leurs données par fax à l’OFSP et bla,
    Pour arrêter de croire qu’il n’y en a point comme.

    Les politiciens vivent hors sol, comme les tomates chinoises et sans plus-value 🤣

  2. Félicitations Alexis pour cette synthèse très pertinente et surtout très pédagogique quant aux enjeux.
    Ton article est très clair !
    Espérons qu’il stimule des perspectives et des prises de position éclairées de tous bords.

  3. Il n’appartient ni à la police, ni aux services de renseignement, d’exercer la tâche régalienne de dire le droit et de prononcer les limitations des droits fondamentaux au sens de l’art. 36 de la Constitution. Cette mission appartient, de par la volonté du législateur, et du peuple, dans un Etat de droit, aux tribunaux. Pour le reste, la police peut prendre les premières mesures, mais elle doit ensuite se soumettre à l’autorité du ministère public, respectivement des tribunaux. Pour régler tout cela, il y a un code de procédure pénale. Le méconnaître, en mésuser ou s’y soustraire ne résoudra pas le problème du terrorisme, ni n’améliorera notre sécurité. Il faut chercher la motivation profonde du terrorisme. C’est aussi une tâche des services de renseignement. Il faudra ensuite s’efforcer d’y trouver des réponses, la tâche n’est pas simple, elle nous concerne tous.

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