Lundi 27 juin 2022, le Service de renseignement de la Confédération présentait son traditionnel rapport annuel « La sécurité de la Suisse 2022 ».
Panorama des menaces pour la Suisse, des enjeux internationaux et des activités du Service, c’était également le premier rapport de l’institution sous l’ère de son nouveau directeur, Monsieur Christian Dussey.
Si la lecture est dense, elle est néanmoins intéressante et couvre de manière assez exhaustive le spectre des menaces auxquelles fait face la Suisse.
Deux thèmes abordés en conférence de presse à Berne lors de la présentation du rapport ont toutefois le mérite de faire émerger la question délicate et toujours partiellement pendante de la mission et du rôle du Service de renseignement de la Confédération dans l’appareil politique et sécuritaire de la Suisse.
Conflit en Ukraine, savoir ou réagir
En premier lieu, l’incontournable conflit en Ukraine que le Service de renseignement de la Confédération aurait anticipé « dès novembre 2021 dans un rapport au Conseil fédéral qui décrivait les Russes comme se préparant à « une confrontation militaire » puis dans un rapport datant de mi-janvier qui mentionnait la « probabilité élevée » d’une attaque russe après les Jeux olympiques d’hiver de Pékin[1] ».
Cette analyse correcte de la situation à l’hiver 2021 est à mettre au crédit de l’institution.
Mais quid de l’usage politique de ces rapports ?
On rappellera ici qu’un service de renseignement, quel qu’il soit, a pour mission générale de fournir de l’information et des options au politique.
On comprend donc qu’en janvier 2022 au plus tard, le Conseil Fédéral était informé de la probabilité très élevée d’un conflit en Ukraine et qu’aucune mesure publique pro-active de défense des personnels et des intérêts économiques suisses en Ukraine n’a été prise. Aucune communication aux entreprises suisses actives en Ukraine, pas de communication sur d’éventuelles évacuations à l’Est, pas de réserves extraordinaires de pétrole et de gaz, pas de réserve de grains, pas de procédures en place au Seco.
Visiblement, nous avons fait le choix stratégique de se faire surprendre comme le reste du monde.
Au-delà de la petite touche d’ironie, cette question de la conversion de l’information stratégique en actions politiques par le gouvernement mériterait une analyse critique et un peu plus d’initiative de la part de l’exécutif.
La mission du Service en Suisse
En second lieu s’impose le besoin urgent de clarification de la mission du Service sur le territoire suisse. A cet égard, l’indignation des politiques suite à la fusillade entre motards à Genève le mois dernier est un bon révélateur du paradoxe actuel. Dans la presse, les élus PLR s’indignaient du fait que FEDPOL et le SRC ne surveillaient pas ces groupes, ce à quoi le Service ne pouvait que répondre que cette surveillance n’était actuellement pas de son ressort. En parallèle, ce sont les élus Verts qui s’indignaient, eux aussi, du fait que des militants du parti et certaines réunions avait fait l’objet d’une surveillance et de rapports. Le parti invoquait « l’affaire des fiches » 2.0 et le fait « que la société civile pacifique est largement observée, alors que le service de renseignement devrait plutôt s’occuper de ses véritables missions »[2].
Finalement, les partis de gauche appellent à mieux surveiller les extrémismes de droite et la droite à mieux surveiller l’extrémisme de gauche.
Quelle mission, quelles compétences et quels outils
Tiraillé entre les visions politiques et la répartition des compétences entre les organes de sécurité (FedPol, PolCant) de l’Etat, le Service de renseignement de la Confédération cherche sa voie et sa mission, difficilement.
Ce Service, dont chacun semble redouter qu’il devienne un outil de surveillance de masse de l’Etat, une sorte de nouvelle police politique, est paradoxalement le Service le plus politisé et le plus soumis aux influences politiques alors qu’il devrait être au contraire un outil apolitique et jouir d’une grande indépendance pour être garant de la sécurité de l’Etat dans la durée et indépendamment de la configuration politique de la Coupole.
Depuis l’entrée en vigueur de la LRens en 2015, l’on n’a cessé de renforcer l’arsenal de la police fédérale et des polices cantonales avec les outils dévolus au SRC pour éviter soigneusement d’empoigner le sujet clivant de sa mission, de ses compétences et des moyens adéquats à sa disposition.
Un peu de courage politique et de clarté seraient les bienvenus.
[1] https://www.letemps.ch/suisse/chef-estime-espions-suisses-ont-bien-anticipe-lagression-russe-ukraine
[2] https://verts.ch/nouvelles/les-vert-e-s-dans-le-viseur-du-service-de-renseignement#k4
“Cette question de la conversion de l’information stratégique en actions politiques par le gouvernement mériterait une analyse critique et un peu plus d’initiative de la part de l’exécutif”
Entièrement d’accord… Mais comment ? Les pénuries énergétiques et l’effondrement de la biodiversité sont bien présents et connus depuis de nombreuses années, mais comment agir quand les partis élus eux-mêmes refusent de prendre la mesure de ces problèmes?
Cela devrait être apolitique mais dans les faits cela fait longtemps que nous avons troqué la réalité scientifique pour des vérités subjectives… les faits ne sont pas (plus) décorrélés de la politique, impossible dans ces conditions de donner le champ libre à une organisation, même en considérant qu’elle a l’intérêt général comme objectif.
“Cette analyse correcte de la situation à l’hiver 2021 est à mettre au crédit de l’institution et de son nouveau directeur.”
Il faut donner crédit une analyse de l’hiver 2021 au gars qui a débuté ses fonctions en avril 2022 ? 🤔🤫
Bien vu. Cela mérite une légère modification.
Bonjour Monsieur,
Très intéressante intervention.
“devrait être au contraire un outil apolitique”
Un service de renseignement a pour vocation de servir un pays, ses citoyens et donc l’Etat qui mène ce pays.
Il me paraît fort douteux qu’un Etat, entité toujours imprégnée de politique, ne dirige pas son service de renseignement avec des orientations politiques, franches ou déguisées.
C’est consubstantiel à la ” chaîne de commandement”, si vous me permettez cette expression, qui existe entre les intérêts de l’Etat et son service de renseignement.
Une certaine ( et relative ) indépendance est accordée sporadiquement à des unités clandestines et opérationnelles sur territoires étrangers. Indépendance de moyens et de méthodes,pas d’orientation.
Et encore, essentiellement pour servir de fusible à l’Etat et ses agissements, et protéger cet État d’implications inavouables.
Mais je rejoins votre sentiment sur ce qui devrait être, malheureusement convaincu que ça ne sera jamais un jour.
Cher Monsieur,
Merci pour votre intervention. En effet, il y a et il y aura toujours un aspect politique dans l’activité d’un service de renseignement. Ce qui est par contre dommageable, et c’est le cas en Suisse, ce sont les interventions partisanes dans les missions et les cautèles imposées au Service. Ce qui doit guider l’action, c’est en premier lieu l’analyse de la menace, analyse qui doit être la moins dogmatique et la plus indépendante possible. Si l’on regarde par exemple les chiffres de l’extrémisme en Suisse, notamment sur fond de politique d’extrême gauche / droite, ils justifient une surveillance de ces milieux, quand bien même les partis politiques plus ou moins proches, l’estime nécessaire ou pas. C’est dans ce sens qu’une indépendance plus marquée et une plus grande discrétion seraient souhaitables.
Merci pour votre réponse.
Je partage votre analyse.
Mais ce serait envisager une refonte profonde des doctrines de l’appareil de renseignement que de les séparer des interventions partisanes. Et le problème est le même dans tous les pays.
Les services suivent les objectifs du pays mais aussi les tendances que donnent les dirigeants des services, dont l’indépendance d’esprit n’est pas toujours à la hauteur de la mission. Être non partisan demande une hauteur de vue, une capacité à défendre ses opinions et un esprit critique qui ne sont que rarement supportés par les dirigeants d’un État, prescripteurs des Services. D’où une soumission partisane de fait.
Collision entre les objectifs légitimes et le mélange convictions politiques/ambitions.
L’analyse de la menace et l’analyse de la réponse à fournir sont trop dépendantes d’intérêts privés.
Que pensez-vous du fait que la préposé à la transparence, chargé des plaintes contre le SRC ne sera plus soumis à un contrôle de sécurité préalablement à son élection ?
https://www.admin.ch/opc/fr/federal-gazette/2022/345.pdf
(p.9 : Le contrôle de sécurité relatif aux personnes est désormais réglé dans la LSI. L’art. 29, al. 4, LSI énumère les fonctions qui ne sont pas soumises à un contrôle de sécurité. L’objectif de cette disposition est d’exempter de ce contrôle notamment des personnes (membres du Conseil fédéral et chancelier de la Confédération, juges auprès d’un tribunal de la Confédération, procureur général de la Confédération, membres de l’Autorité de surveillance du Ministère public de la Confédération, général) qui sont élues par l’Assemblée fédérale (Chambres réunies). L’Assemblée fédérale (Chambres réunies) étant désormais l’organe d’élection du préposé, la fonction de «chef du Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence» est ajoutée à la liste de l’art. 29, al. 4, LSI (let. ebis). Le préposé sera ainsi traité de la même manière que les autres personnes qui sont élues par l’Assemblée fédérale (Chambres réunies). L’élection publique par l’Assemblée fédérale (Chambres réunies) sert aussi en quelque sorte de substitut au contrôle de sécurité (notamment grâce à l’audition par les groupes parlementaires ou à la couverture médiatique du processus). “)
Comme il existe des motifs de refus au sens de la LRens et que l’avis du préposé est une recommandation, cela ne me choque pas plus que cela. Je trouve par contre plus inquiétant que les membres de la commission de surveillance du SRC ne le soit pas.
Le problème n’est pas ses décisions; mais le fait qu’il a un accès quasi total à toutes les info les plus confidentielles de l’Etat…
Le chef du contrôle fédéral des finances a par exemple traîné toute sa carrière son ressentiment contre l’armée qui l’a condamné pour objection de conscience…
Les membres de la commission de surveillance sont soumis à un contrôle de sécurité (ils sont nommés et non pas élus).
J’espère que ce n’est pas lui qui a formé les analystes du SRC !
https://m.youtube.com/watch?v=JncUhzBFumA
Notre armée se discrédite à chacun de ses mots. Mais bon, vive la liberté d’expression.
Intéressants échanges. Merci pour ces réflexions.
Excellent article. Au sujet de l’Ukraine; si le SRC savait, cela veut dire que les autres services homologues de l’Occident le savaient aussi, et par conséquent tous les dirigeants européens le savaient, tous, et n’avaient rien entrepris de sérieux pour empêcher cette guerre. Il y a juste les peuples européens ordinaires qui ne pouvaient pas le savoir ni le deviner. Mais en définitif ce ne sont que des peuples, ils n’ont rien à dire quand il s’agit d’un enjeu existentiel. Staline laissait la lumière de son bureau allumée pour faire croire aux moscovites qu’il bossait la nuit, alors qu’il se reposait chez lui. Aujourd’hui nos dirigeants ne font même pas semblant de veiller sur nos intérêts et de protéger notre avenir, leurs mépris est manifeste, total et sans limite.