Migration; une politique pour l’Italie ?

Le destin de l’Italie, pour des raisons géographiques, est d’être le principal tremplin vers l’Europe d’un mouvement de population irrégulier provenant principalement d’Afrique, mais aussi du Moyen-Orient. Si certains de ces arrivants sont techniquement des réfugiés, c’est-à-dire qu’ils ont fui la guerre ou les persécutions, ils viennent de pays de transit où ils ne sont pas persécutés et bénéficient donc de l’asile. Ainsi, l’Italie est aujourd’hui confrontée à une combinaison de deux mouvements : d’une part, les migrants illégaux et, d’autre part, les réfugiés qui ne sont pas persécutésmais veulent émigrer, même illégalement.

Un avenir difficile

Sur la base des projections actuelles, on estime qu’au cours des 25 prochaines années, la population totale de l’Afrique subsaharienne, d’où proviennent actuellement la plupart des migrants, passera de 1 à 2 milliards d’habitants. Quant à la population totale de l’Afrique du Nord, elle passera de 210 à 350 millions.

Parallèlement, et au cours de la même période, la population combinée des trois pays du Moyen-Orient d’où proviennent la plupart des immigrants clandestins qui viennent en Europe, à savoir la Syrie, l’Irak et l’Afghanistan, sera passée d’un total de 93 millions à quelque 147 millions.

Étant donné que la combinaison de considérations économiques, sociales et sécuritaires qui alimente le mouvement n’est pas susceptible de changer dans un avenir prévisible, l’attrait de l’Europe en tant que destination pour les migrants clandestins perdurera. Et la pression démographique qui alimente le mouvement ne montre aucun signe d’affaiblissement.

Le résultat final est que l’Italie peut s’attendre à être confrontée à un taux d’arrivée de 100 000 à 200 000 migrants illégaux par an dans un avenir prévisible.

Trois questions

Cet afflux soulève trois questions. Tout d’abord, il s’agit d’une violation de la loi italienne dans la mesure où un immigrant illégal est une personne qui cherche à imposer sa présence dans un pays qui n’est pas le sien, en violation de la législation de ce pays. Ainsi, par principe, aucun pays fondé sur l’État de droit ne devrait tolérer une violation de sa législation.

Deuxièmement, elle impose un stress social à la société italienne et, bien que la nature et l’intensité de ce stress puissent être débattues, ses proportions sont telles qu’il est perturbateur et ouvert aux excès de la politisation politique.

Troisièmement, il s’agit d’une source de tension dans les relations entre l’Italie et l’Europe. Cela concerne non seulement des pays comme la Pologne, la Hongrie ou la République tchèque qui refusent totalement d’accueillir des migrants du tiers monde, mais aussi des pays comme l’Allemagne et la France qui attendent de l’Italie qu’elle garde ceux qui débarquent sur ses côtes.

Sur la base de ces raisons substantielles de traiter la question et en partant de l’hypothèse que l’Italie est sérieuse dans sa volonté de le faire, il y a deux réalités que Rome ne peut pas ignorer ;

L’Italie est seule

Tout d’abord, en termes de gestion des migrations, l’Italie est seule. Certes, elle est la huitième économie mondiale, mais sur le plan politique, elle n’est tout simplement pas prise au sérieux et ne doit pas s’attendre à un soutien substantiel de la part des autres pays européens. Concrètement, cela signifie que l’Italie doit à la fois définir sa propre politique et la mettre en œuvre.

Deuxièmement, chaque migrant clandestin qui débarque en Italie représente à la fois une invitation pour un autre migrant à emprunter la même route et une publicité pour les bandes criminelles qui organisent le trafic.

La conclusion incontournable de ce qui précède est que l’Italie doit prendre le problème en main. Dans cette perspective, la question de savoir si les migrants en danger en haute mer doivent être secourus ou non ne se pose même pas. Ne pas secourir des personnes en train de se noyer ne fait pas partie de notre culture. La question n’est donc pas de savoir s’il faut les sauver, mais où il faut les débarquer. Et la réponse est n’importe où, sauf en Italie.

Quoi faire ?

À cette fin, l’Italie devrait négocier avec des pays comme la Libye, l’Égypte, le Tchad, le Niger, le Mali, l’Irak ou le Kurdistan irakien la mise en place de centres de transit où tous les migrants illégaux qui débarquent en Italie seraient automatiquement relocalisés dans les heures qui suivent leur arrivée. La question de savoir qui doit gérer ces centres et comment est à négocier. Ce qui ne l’est pas, c’est que les conditions doivent être humaines, que les migrants qui souhaitent demander le statut de réfugié doivent avoir la possibilité de le faire et qu’une assistance doit être fournie à ceux qui doivent être rapatriés. Parallèlement, l’Italie devrait suspendre l’application des conventions sur les réfugiés et refuser à tous les arrivants illégaux par la mer le droit de demander le statut de réfugié.

La volonté politique, lorsqu’elle existe, ne peut se substituer au financement. Il est vrai que la mise en place et le fonctionnement de tels centres de transit ne seront pas bon marché et nécessiteront des subventions non seulement pour les centres eux-mêmes, mais aussi pour des contributions périphériques afin d’inciter les gouvernements concernés à accepter leur présence. Le financement européen d’une telle entreprise devrait être assuré, mais il faudrait aussi réaffecter les ressources. L’Italie consacre actuellement quelque 6 milliards d’euros à l’aide étrangère. Réaffecter une partie de ces ressources à la dissuasion de l’immigration clandestine ne devrait pas être une entreprise impossible.

En fin de compte, si elle est gérée avec compétence, détermination et intelligence politique, l’entreprise est gérable. Et en dissuadant les migrants illégaux de prendre des risques injustifiés, elle pourrait aussi sauver des vies.

On peut rêver

Une seule question reste donc en suspens. Quelles sont les chances que l’Italie prenne le taureau par les cornes et fasse cavalier seul ? La réponse va bien au-delà de la question des migrations. Elle en va du fonctionnement meme de l’Etat italien. Affaire à suivre…

Alexandre Casella

Diplômé de la Sorbonne, docteur en Sciences Politiques, ancien correspondant de guerre au Vietnam, Alexandre Casella a écrit pour les plus grands quotidiens et a passé 20 au HCR toujours en première ligne de Hanoi a Beirut et de Bangkok à Tirana.

9 réponses à “Migration; une politique pour l’Italie ?

  1. L’Union européenne a déjà acquis du terrain dans le désert libyen pour y installer un hotspot.

    Cela a toutefois capoté, car les Etats UE ont compris qu’ouvrir un centre en Afrique attirerait des millions de personnes chaque année pour y voir leur demande d’asile/d’immigration examinée et que ces personnes destabiliseraient le pays d’accueil du hotspot.

    Le seul moyen:

    1.
    – se montrer intransigible avec l’exécution des décisions de renvoi;

    2.
    – renforcer les gardes-côte au Nord de l’Afrique pour qu’ils fassent les sauvetages + retour sur le port de départ.

    3.
    – Supprimer le protocole et revenir à la convention de Genève originale; le droit des réfugiés doit s’appliquer par continent. Point.

    Nous nous occupons des Ukrainiens; faut dire aux autres candidats à l’asile qu’ils doivent rester dans les pays limitrophes.

    D’ailleurs, avec la fermeture des voies d’accès à cause du Covid, on n’a pas vu une hausse des morts d’opposants politiques, de militants lgbt, etc en Afrique. Preuve que l’asile en Europe ne sauve pas des vies, mais ouvre exclusivement une voie d’immigration économique (sous des prétextes humanitaires).

  2. L’Italie pourrait… l’Italie devrait… il faudrait que l’Italie… Il me semble qu’à part les quelques pays d’Europe que vous mentionnez (à l’est, sûr que les migrants de toute sorte sont rejetés et stigmatisés depuis bien avant la IIe G.M. ; quant à la France, on n’a pas vu son président et ses ministres entreprendre quoi que ce soit d’autre qu’un renforcement de plus en plus musclé de l’Etat d’urgence. Et puis, vous oubliez la Suisse!) Vous n’ignorez certainement pas le rôle de l’OTAN dans la régulation ou la “stabilisation” d’une migration susceptible d’attiser la haine et d’en appeler à la force? Ni de l’opportunité du conflit encore un peu plus à l’est pour discriminer les types de migrants – l’Afrique n’étant à vos yeux qu’un continent homogène, indistinct, producteur non des matières premières indispensables à la fabrication de vos outils numériques et autres jouets, certaines pour plus de 50% de la production mondiale, mais délibérément responsable de submerger l’Europe de faux réfugiés… Qui est responsable de la guerre civile au Soudan? Ses habitants? Qui esclavagise et maltraite les travailleurs des mines, dont des enfants? Uniquement des chefferies de pays africains? etc. Votre article coïncide pour partie avec le retrait des blogs tel que le quotidien Le Temps l’a décidé aujourd’hui. Si on avait attendu encore quelques jours, vous rejoigniez la cohorte des Blogueurs Neyrinck, Brisson & al. avides de dresser des murs et des barbelés. À qui j’ai suggéré de se calmer un peu à l’aide de l’argument suivant: en 2030, selon les meilleurs démographes (cf. un article du Temps, d’ailleurs; référence suit), les populations sub-sahariennes représenteront le même pourcentage de la population mondiale d’avant la colonisation! Un “petit” livre en édition de poche pour observer que rien n’a changé depuis le commerce de l’ivoire et la Conférence de Berlin? Joseph Conrad, Un avant-poste du progrès. Bonne lecture!

  3. Source de l’info et chiffres ci-dessus: Etienne Dubuis, Le Temps, 13 novembre 2008: L’inéluctable recul de l’homme blanc. Pardon pour l’orthographe de son nom, j’aurais dû écrire M. Neirynck.

  4. Chère et Cher blogueur du Temps,

    J’apprends comme vous que la plateforme va fermer.

    Même si nous ne pouvons guère agir sur cette décision, il me semble capital de demander au journal de maintenir une archive en ligne.

    En effet, s’il est possible de déplacer un blog techniquement, il reste très délicat d’effacer une archive qui sert d’outils pour notre communauté, nos articles pouvant être cités par ailleurs.
    Mes articles circulent notamment dans des communautés en santé mentale, et aucun référencement ne pourrait aujourd’hui leur permettre une visibilité équivalente via un moteur de recherche.

    Il serait dans mon cas insensé que les articles publiés depuis plusieurs années soient déplacés sur une autre plateforme.

    C’est très important de demander au Temps de maintenir une archive visible et consultable.
    Je propose de rédiger un courrier à plusieurs pour faire une demande groupée dans ce sens.

    Bien à vous
    Caroline Bernard
    Démesurer
    https://blogs.letemps.ch/caroline-bernard/
    Me contacter [email protected]

  5. “refuser à tous les arrivants illégaux par la mer le droit de demander le statut de réfugié”, en voilà une belle idée. Dommage qu’elle ne corresponde pas à la doxa boboïsante et islamo-compatible du Temps qui préfère éliminer les voix discordantes du débat.

  6. Excellent article M. Casella.
    En effet, les migrants illégaux recueillis en mer doivent être débarqués dans des ports africains et conduits dans des centres de transits, tout cela financé par des fonds européens.
    L’Italie, comme l’Espagne ou la Grèce sont très exposées et peu soutenues par l’Occident de l’Europe. Prenons exemple sur l’Est européen.
    Si l’Europe ne sort pas de son angélisme et ne se défend pas, elle sera submergée et disparaîtra à terme !

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