Lettre au Secrétaire Général de l’ONU Antonio Guterre

Monsieur,

Cela fait maintenant 17 ans que vous occupez un poste de haut rang au sein du système des Nations unies, d’abord en tant que Haut-Commissaire pour les réfugiés et, depuis 2017, en tant que Secrétaire Général de l’organisation. Au cours de ces 17 années, vous avez scrupuleusement respecté la règle non écrite numéro un qui s’applique à tous les fonctionnaires internationaux qui souhaitent mener une carrière réussie : “ne marchez pas sur les plates bandes des états membres”.

Certes, au fil des ans, vous avez dénoncé les taux d’intérêt élevés payés par les pays africains sur leur dette, mis en garde contre les provocations au Moyen-Orient, protesté contre la mortalité infantile dans les pays pauvres, promu les droits des femmes, déploré le nombre de réfugiés créés par la crise en Ukraine et souligné les effets du changement climatique. En d’autres termes, vous avez dit tout ce qu’il fallait dire, accessoirement sans aucun effet.

Vous terminez actuellement votre deuxième et dernier mandat en tant que Secrétaire Général des Nations unies, ce qui signifie que vous n’avez rien à perdre en termes de perspectives de carrière. Le moment est donc peut-être venu pour vous, Monsieur, de descendre de votre pupitre.

Une guerre est en cours en Ukraine. Non seulement son coût humain est insupportable mais ses conséquences ont atteint une dimension mondiale. Confrontée au plus grand conflit depuis la fin de la seconde guerre mondiale, votre organisation, l’ONU, est politique, est absente. Certes, vous avez participé à un accord concernant un transport de  céréales mais cela n’a pas eu d’incidence sur l’ensemble du conflit et, pendant ce temps, la guerre continue.

Actuellement, les belligérantes et leurs alliés affirment qu’ils n’exigent rien de moins que la “victoire”, quelle que soit leur définition de cette “victoire”. C’est au mieux une affirmation creuse. En fin de compte, compte tenu des moyens dont disposent les deux parties, l’avenir ne réserve guère plus qu’un compromis ou une escalade nucléaire potentielle.

Le moment est donc venu pour vous de vous lever, de trouver votre voix et de mettre carrément un plan sur la table. Non seulement il doit s’agir de votre plan personnel, mais il doit être présenté directement à l’Assemblée Générale, sans passer par le Conseil de Sécurité où il échouerait inévitablement.

Le plan, ou plus précisément votre plan, doit comprendre les éléments fondamentaux suivants :

D’abord un cessez-le-feu immédiat et total.

Deuxièmement, le Donbass devrait être placé sous l’administration des Nations Unies pour une période de 10 ans. Cette administration devrait être renforcée par une forte composante de troupes de maintien de la paix de l’ONU provenant de pays disposant d’armées efficaces et modernes, comme la Corée du Sud, le Japon, la Chine, l’Inde, la Turquie, Israël, etc.

Troisièmement, au cours de cette période de dix ans, un effort de reconstruction majeur sera entrepris, et tous les anciens habitants de la région seront autorisés à y retourner librement.

Quatrièmement, à la clôture de la période de 10 ans, une série de référendums sera organisée pour permettre à la population de décider à quel pays elle souhaite appartenir.

Cinquièmement, la Crimée devrait être reconnue comme faisant partie de l’Ukraine, qui offrirait à la Russie un bail pour une période de 99 ans, susceptible d’être renouvelé.

Sixièmement, ce processus devrait être accompagné d’une levée progressive des sanctions.

Monsieur le Secrétaire général, les guerres se terminent généralement soit par la victoire de l’une des parties, soit par une négociation. Actuellement, toutes les parties à la guerre en Ukraine sont en mode “victoire”. Or il  vous incombe de présenter une  alternative. Certes il est difficile de quantifier vos chances de succès. Mais au moins vous aurez essayé.

Alexander Casella

Alexandre Casella

Diplômé de la Sorbonne, docteur en Sciences Politiques, ancien correspondant de guerre au Vietnam, Alexandre Casella a écrit pour les plus grands quotidiens et a passé 20 au HCR toujours en première ligne de Hanoi a Beirut et de Bangkok à Tirana.

12 réponses à “Lettre au Secrétaire Général de l’ONU Antonio Guterre

  1. Je demande à chaque lecteur de ce blog de replonger dans l’oeuvre d’Albert Cohen, tout y est scrupuleusement exposé et rien n’a changé !

  2. C’est une proposition raisonnable , mais qui ne peut pas satisfaire Poutine pour ce qui concerne la Crimée. Il faut reprendre les accords de Minsk comme préalable.
    Après il ne faut pas avoir trop d’illusions, car sans une Ukraine neutre (et peut-être aussi une Pologne neutre), il n’y aura pas de paix. Et aussi probablement, l’OTAN ne devrait pas avoir de frontière directe avec la Russie !

  3. Une fois voté, il se passe quoi ? Tout simplement rien. L’ONU n’a aucun pouvoir. L’époque où l’ONU aidait à terminer les conflits, c’est terminé. L’ONU ne sert plus à rien, les États hors occident, s’en moque. On est revenu au temps où l’Etat prime sur tout y compris sur ses voisins.
    L’ONU ne fonctionne que pour un litige entre occidentaux, c’est tout, même le Mali c’est trop.

    Le secrétaire général, c’est le capitaine du Titanic. Il parle dans le vide, que ce soit pour ce conflit, pour le climat ( sujet de préoccupation qu’ occidentale), ou pour les droits de l’homme.

    Une lettre ouverte à un secrétaire qui parle dans le vide…Pourquoi pas demander au pape…

    L’assemblée a vu beaucoup de pays s’abstenir de voter contre l’agression, ou est sa crédibilité ?

    J’ajoute, Poutine ne veut pas le Donbass, mais l’Ukraine. A l’école, les enfants apprennent que l’Ukraine fait partie de la Russie. Même le patriarche de Moscou soutient la guerre.
    L’accord de Minsk a servit à gagner du temps pour se renforcer militairement. Le problème n’a jamais été le Donbass, c’est l’annexion de l’Ukraine qui en est le but.
    Le problème est identique avec Taiwan. Poutine veut l’Ukraine comme la Chine veut Taiwan.

    En résumé, la fin de la guerre, ce n’est pas pour demain. Au mieux, il y a une pause de quelques années. L’ONU est à l’agonie et ne sert que pour l’humanitaire ou la santé. Les dictatures et autocraties se sont émancipés de la morale onusienne.

    Il n’y a pas de solution. Le seul espoir, c’est la disparition de Poutine, parce qu’au pire la guerre continue.

  4. Merci pour ce propos réaliste et sans concession. Malgré toutes les critiques qui lui sont adressées, y compris par certain commentateur de ce blog, l’ONU ne reste-t-elle pas l’une des rares plateformes où la discussion entre parties en conflit est encore possible? Si les pouvoirs du Conseil de Sécurité sont limités par le droit de veto des cinq membres qui le détiennent, en revanche l’Assemblée générale ne permet-elle pas à tous ses membres d’y faire leurs doléances? N’est-ce pas l’AG qui a condamné à la quasi unanimité l’agression russe de l’Ukraine?

    L’ONU ne peut intervenir, et en particulier envoyer ses Casques Bleus sur le terrain que si un cessez-le-feu a été conclu au préalable. Comme vous le rappelez avec raison, celui-ci est donc la condition indispensable, avec application immédiate et totale, à toute tentative de règlement négocié. L’étape logique suivante serait en effet de mettre le Donbass sous protectorat de l’ONU avec troupes de maintien de la paix et – pourquoi pas? – aussi celles de la Suisse.

    Vos troisième et quatrième points ne posent pas de problème, à mon avis. J’ai toutefois des réserves concernant votre cinquième condition, selon laquelle “la Crimée devrait être reconnue comme faisant partie de l’Ukraine”. Dans l’idéal et tout simplement du point de vue du droit, tous les territoires occupés aujourd’hui par la Russie en Ukraine devraient être restitués à celle-ci eu égard à sa déclaration d’indépendance de 1991. Est-il besoin de rappeler que tant le Donbass que la Crimée ont alors voté en faveur de cette indépendance? Mais compte tenu des liens historiques, politiques et culturels de la Crimée en particulier avec l’ancien empire russe, dont Poutine est obsédé jusqu’à céder à ce que les psychiatres appellent “délire de représentation” (ou délire systémique) de restituer les limites, ce ne soit plus facile à dire qu’à faire. Et il y a peu de chances que la Russie accepte de lâcher Sebastopol, se privant ainsi de son ouverture sur la mer Noire.

    Dans sa vision biaisée et caricaturale de l’histoire, telle qu’il l’a exposée dans son discours du 21 février 2022 pour justifier son intervention illégale et criminelle en Ukrakine, vision réfutée dans leur quasi unanimité par les historiens, y compris par la Société suisse d’histoire, Poutine, plus doué pour les concours de judo que d’histoire, a montré qu’il ne reculerait devant rien pour atteindre ses objectifs – au demeurant toujours aussi flous et irrationnels qu’au début. Dans de telles conditions, plutôt que critiquer l’ONU par des propos passéistes comme on peut en lire dans certains commentaires – après tout, même Antonio Guttierez est allé à Kiev -, ne doit-on pas au contraire tout faire pour soutenir la seule organisation garante de la paix?

    1. @MB, qui que vous soyez derrière votre anonymat, vous rêvez doucement. Si l’ONU, à l’origine, fut créée pour apporter la paix à l’issue de la deuxième guerre mondiale, elle est restée en réalité la création d’une communauté dite internationale mais en fait contrôlée exclusivement par les puissances occidentales et les velléités hégémoniques des Etats-Unis. Les pays restés à sa marge, et ils sont les plus nombreux, n’en veulent plus. Elle n’est plus qu’une coquille vide en voie de disparition. Ouvrez donc les yeux !

  5. Félicitations Monsieur Casella. Enfin un responsable de blog qui ne se contente pas de bêler: “pêêêêê, pêêêê” (comme sur un blog voisin) sans jamais rien proposer de concret et réaliste pour y arriver, mais qui fait des suggestions intéressantes pour sortir de cette crise qui menace à tout moment de dégénérer. Avec des compromis qui ne permettraient à aucun des belligérants de crier victoire, mais ne constitueraient pas non plus une capitulation aux diktats de l’autre partie. Suggestions sans doue malheureusement trop raisonnables pour être acceptées par les deux parties au conflit dans la situation actuelle. Tant que Poutine gardera l’illusion qu’il finira par atteindre ses objectifs (comme il l’a encore répété récemment, la disparition pure et simple de l’Ukraine en tant que nation libre et indépendante, … en attendant la suite!), ce que les démocraties occidentales ne peuvent évidemment accepter, il est illusoire d’espérer une sortie négociée de cette guerre (oups: “opération militaire spéciale”, pardon).

  6. Bravo! poser un plan de paix sur la table est bien mieux que répéter que la guerre s’éternise et qu’il faut en prendre son parti. Cela dit, le simple fait de décrire les conditions d’une paix vraisemblable en souligne l’extrême difficulté. Et l’impuissance de l’ONU dans les circonstances présentes remet en mémoire celle de la SDN en son temps …

  7. Monsieur Casella, je vous ai fait parvenir mon dernier message en réponse au commentaire de M. B. J. Wohlend avec, par erreur, les initiales “L.S.” au lieu de “MB”. Vous serait-il encore possible de rectifier cette faute de frappe, dont je vous prie de m’excuser?

    D’avance, merci.

    MB

  8. Bonjour Monsieur,

    Il est bien intéressant de vous lire et de voir ainsi des propositions concrètes.
    Et non des affirmations assénées comme vérités qui ,elles, ne vont jamais jusqu’à poser des solutions potentielles.

    “Non seulement il doit s’agir de votre plan personnel, mais il doit être présenté directement à l’Assemblée Générale, sans passer par le Conseil de Sécurité”, dites-vous..

    Comment ce contournement du Conseil de Sécurité peut-il être mis en oeuvre ?
    En fait, même si l’on misait sur une volonté du Secrétaire Général et sur un projet qu’il présenterait, comment peut-il techniquement le rendre audible auprès de l’ONU ?

    Vous remerciant pour vos propos constructifs,

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