Larmes de crocodile

Qui connaît de Dakota du Sud? Cet Etat des Grandes Plaines, entre Missouri et Collines Noires, est avant tout connu pour les statues géantes du Mont Rushmore, son gaz de schiste, ses tornades et un épisode des aventures du héros de bande dessinée Lucky Luke. Mais il a su développer un charme bien caché que de grandes familles fortunées, américaines ou étrangères, ont appris à apprécier depuis fort longtemps, le "dynasty trust".

Comme les trusts des autres juridictions, la version locale permet à ses bénéficiaires de minimiser leur facture fiscale (sinon de la faire disparaître). Mais elle a un atout supplémentaire: les familles peuvent les contrôler elles-mêmes sans passer par un trustee bancaire. Elles peuvent aussi réaffecter l'usage de la fortune du trust, ce qui n'est en principe pas possible ailleurs.

Cette formule est fort appréciée, notamment par la famille Pritzker, héritière du promoteur ayant créé le fameux "Prix Nobel d'architecture". Ou encore les héritiers Dillon, de l'ex-banque d'affaires Dillon Read, intégrée aujourd'hui dans UBS. Ou encore la famille Carlson, qui détient une part importante des hôtels Radisson et des restaurants TGI Friday. Etc. En tout, les trusts du Dakota du Sud concentrent une fortune de 121 milliards de dollars. Plus étonnant encore, raconte l'agence Bloomberg: cette fortune a triplé depuis 2010. Juste après l'effondrement d'un certain secret bancaire suisse. Une somme qui a encore pratiquement doublé en un an à 225 milliards!

Le Dakota du Sud n'est certainement pas le seul Etat fédéré des USA à jouer de l'opacité fiscale pour attirer les grandes fortunes de la planète. Mais il gagne à être bien plus discret que ces places fortes de la fraude que sont la Floride, le Nevada, le Wyoming ou encore l'Arizona, telles que les a décrite une autre dépêche de l'agence Bloomberg en janvier dernier, et qui font des Etats-Unis le dernier paradis fiscal à la mode, faute de réciprocité dans l'échange d'informations, situation que dénonce l'ONG Tax Justice Network.

Mais croyez-vous sincèrement que le gouvernement américain va intervenir pour mettre fin à ce nouveau scandale? Qu'il va pieusement s'aligner sur les normes de l'OCDE, qui prévoient l'échange automatique d'informations réciproque entre Etats souverains? Qu'après avoir fait plier la Suisse, le Luxembourg et la Terre entière (sauf la Chine, n'exagérons rien), ils donneront à leur tour suite aux pressions des autres pays?

Les parlementaires américains manifestent une nouvelle prise de conscience, estime la patronne de la diplomatie financière du Liechtenstein, selon "Le Temps". Disons que s'il ne fallait que des réunions internationales pour leur ouvrir les yeux, nous vivrions dans un univers de bisounours. Hélas, cela fait fort longtemps que le rôle des Etats-Unis dans la fraude fiscale internationale est au centre de l'une de ces batailles sans merci qui  font rage dans le "Beltway", le petit monde de parlementaires, hauts fonctionnaires et lobbyistes de Washington.

En 2012, en pleine campagne présidentielle, Heather Lowe, de l'ONG  Global Financial Integrity, au centre de la capitale américaine, nous racontait ses espoirs de voir la énième tentative du sénateur démocrate Carl Levin venir (enfin) à bout de la forteresse. Las, Carl Levin s'est retiré deux ans plus tard. Depuis lors, le Congrès est dominé par les républicains, un parti peu enclin à céder aux autres pays. Et si leurs couleurs sont effectivement portées par Donald Trump, on n'imagine guère les Etats-Unis répondre favorablement aux sollicitations des autres pays pour se conformer aux règles internationales.

Sans tomber dans une excessive grossièreté, c'est plutôt une sonore expression commençant par un sec f…  off que le monde devrait d'entendre.

Impuissance

En abaissant son principal taux d'intérêt directeur à 0% jeudi 10 mars, la Banque centrale européenne (BCE) est à la porte d'un pays que les Suisses, les Japonais, les Danois et les Suédois connaissent bien, celui des taux d'intérêt négatifs. Celui où l'épargnant paye pour épargner, où l'emprunteur est (parfois) rémunéré pour emprunter. Un pays paradoxal qui n'est pas un paradis car peuplé de comptes d'épargne qui ne rapportent rien, de prix qui baissent, d'inquiétudes accrues sur le financement des systèmes de retraite, etc.

Au-delà de ces contingences, la BCE met crûment en lumière l'impuissance des banques centrales des pays développés à faire redémarrer la machine économique. L'institution européenne, comme la Fed américaine, la Banque du Japon et quelques autres avant elle, fait de son mieux pour injecter le maximum de fonds dans l'économie afin de la faire – enfin! – repartir après de longues années de crise et de récession. L'argent gratuit, c'est le meilleur incitateur pour pousser les gens à emprunter, à acheter et à investir. Pour les y pousser encore davantage, la BCE, comme la Fed, la Banque du Japon et quelques autres, distribue de l'argent gratuit à toutes les banques commerciales, à charge pour elles de le faire passer dans le reste de l'économie.

Malheureusement, ce beau schéma fonctionne très mal. L'argent n'est que peu transmis. Les banques commerciales en gardent une part pour elles-mêmes afin d'élever leurs fonds propres. Elles en placent une partie auprès… des banques centrales. Et une dernière auprès de leurs clients. Les plus gros de ces derniers se gardent bien de l'investir car ils ne lisent que des nouvelles déprimantes autour d'eux: baisse de la croissance chinoise, crise au Brésil, déstabilisation de l'Union européenne à cause de la crise migratoire et du risque d'une sortie du Royaume-Uni (Brexit), etc.

En janvier, l'hebdomadaire de référence The Economist avait suggestivement titré sa couverture "Out of ammo" ("Plus de mun'") pour souligner l'impasse dans laquelle s'étaient fourvoyées les banques centrales. A tel point qu'aujourd'hui les économistes lancent de nouvelles idées, plus folles les unes que les autres: faire de la relance budgétaire, quitte à reporter sur des Etats déjà très endettés le fardeau que les banques centrales et l'économie réelle n'arrivent plus à assumer; distribuer directement au gens l'argent créé ex nihilo par les banques centrales, afin qu'ils se mettent à acheter davantage, ce qui aurait pour effet de relancer la croissance économique.

Mais on se dirige vers une tendance beaucoup plus coercitive, celle qui contraint les gens à vider leurs comptes d'épargne et à tout dépenser. Cet instrument, ce sont les taux d'intérêt négatifs. Pas bêtes, les épargnants choisissent, plutôt que d'acheter des objets dont ils n'ont pas besoin, de convertir leur épargne en gros billets de banque. La circulation des coupures de 1000 francs a explosé en Suisse ces trois dernières années! Et donc, pour les forcer à dépense, quand même, cet argent, les Etats cherchent toujours plus à interdire l'usage des gros billets, à les retirer de la circulation (la discussion est en cours pour le billet de 500 euros).

Les mesures coercitives ne pourront toutefois guère que freiner le grippage toujours plus important du système. Avec plusieurs issues possibles: la disparition de la valeur de l'argent dès le jour où il sera évident que les fortunes monstrueuses créées par les banques centrales ne correspondent plus du tout à la valeur réelle des actifs. Certains milieux financiers et académiques redoutent déjà une inflation "ketchup", surgissant d'un coup de la bouteille à force d'agiter cette dernière. Ou le grippage définitif du système, le jour où il sera évident que la chaîne de création de valeur courant des banques centrales au grand public via les banques commerciales ne fonctionne définitivement plus. Dans les deux cas, la  tempête, comme l'écrit Patrick Arthus dans son dernier livre ("La folie des banques centrales") sera sans commune mesure avec ce que l'on a connu jusqu'ici.

Déflation des actifs

C'est l'un des grands mystères nés des suites de la crise financière de 2008 et de celle des dettes souveraines en 2011: pourquoi, en dépit des tonnes de liquidités déversées sur le système financier par les banques centrales, n'a-t-on pas encore subi d'inflation? C'est même le contraire qui se manifeste aujourd'hui dans les pays développés, une baisse des prix des produits à la consommation. La hausse des cours s'était déplacée vers l'immobilier, les actions, les obligations et les matières premières. Jusqu'à l'automne 2014.

Depuis lors, c'est à un effondrement lent, mais constant qu'assiste, médusée, la planète finance. D'abord, le pétrole, suivi des autres matières premières comme les métaux. Puis, dès l'été 2015, les actions. L'immobilier hésite encore, tiraillé entre des niveaux de valorisation encore attractifs dans certains pays, qui tirent les prix vers le haut, et les mesures contre l'excès de crédit prises dans d'autres contrées (comme la Suisse). Les obligations résistent, soutenues par les taux d'intérêt négatifs et par la recherche de valeurs "sûres".

Combien de temps ces "valeurs refuge" résisteront-elles? Cela est un mystère encore plus grand que celui de la chute des valeurs bancaires sur les marchés boursiers de cette mi-février. Mais le mouvement entamé voici 18 mois semble dicté par une logique profonde, celle d'une vaste déflation: une chute de valeur provoquée par la révision à la baisse de toutes les attentes de profits futurs de la part des agents économiques. Pour faire simple, ils croyaient l'ère des profits rapides revenue après la secousse des crises de 2008 et de 2011. Ces attentes sont aujourd'hui déçues.

Ce n'est pas le schéma classique de l'explosion de la bulle financière. Pour la simple raison que la hausse des cours des années 2012 à 2014 ne s'est pas construite sur le crédit, contrairement à celle des subprime, mais sur l'apport constant de nouvelles liquidités produites par les banques centrales pour relancer la machine économique. Or, ces dernières montrent qu'elles n'ont plus la même bonne volonté qu'avant. La Fed a relevé d'un quart de point ses taux d'intérêt et dit qu'elle va continuer. La Banque du Japon a emboîté le pas à la BNS et aux banques nationales suédoise et danoise en instaurant des taux négatifs. Dans les deux cas leur message est clair: le temps des indulgences est terminé.

Or la conjoncture, sur laquelle se fondent tous les espoirs d'augmentation des profits, ne se montre pas à la hauteur des attentes. Est-ce faute à un manque persistant de tonus? Ou à des attentes irréalistes? Le fait est que tous les efforts monétaires n'ont pas produit les effets escomptés, d'où la révision à la baisse, massive des valeurs.

Et ce n'est peut-être que la première étape. Des peuples appauvris et privés d'espoir peuvent prendre les pires de décisions, comme celles de s'enfermer derrière des frontières toujours plus hautes. En ce début 2016, le constat est vraiment très pessimiste.

Pourquoi l’Europe plaît tant aux Chinois

Lorsqu’on lui demande ce qu’il connaît de l’Europe, M. Ren Jianxin répond qu’il apprécie particulièrement la gastronomie, le foot, l’histoire, la culture du vieux continent… où sa société ChemChina est en train de s’offrir de beaux fleurons: les pneus italiens Pirelli, les machines allemandes KrausMaffei, et maintenant le chimique bâlois Syngenta. Tout cela pour 50 milliards de francs.

Ce bel exploit, pour une firme créée en 2004 seulement. Certes, son chiffre d’affaires de 48 milliards de francs et le statut d’entreprise d’Etat aident puissamment à cette marche vers l’Ouest. Mais du point de vue chinois, d’autres raisons que l’amour du patrimoine européen et la conquête de nouveaux marchés peuvent expliquer cette offensive.

Elles s’appellent dé-dollarisation de l’économie et prise de distance avec les Etats-Unis.

La Chine s’est longtemps calée sur le modèle américain pour guider son fulgurant développement économique, et cela depuis le voyage historique de Deng Xiaoping aux Etats-Unis en 1979, lequel avait servi de prélude à l’ouverture économique de la République populaire. La valeur extérieure du renminbi, la monnaie chinoise, est déterminée par la banque centrale par rapport au dollar. Ce taux est assuré par les gigantesques réserves de devises de la République populaire, lesquelles sont aussi libellées en billets verts et placées avant tout en bons du Trésor américain.

Du coup, les entreprises chinoises qui ont cherché à s’internationaliser ont d’abord visé des entreprises américaines, suscitant des résistances croissantes en Amérique du Nord face à la criante de la prise de contrôle d’actifs stratégiques par Pékin.

La Chine tente aussi de prendre des parts sur les autres marchés mondiaux. Cette stratégie l’a amenée à occuper de vastes marchés en Amérique latine et en Afrique et de prendre le contrôle de maintes sources de matières premières nécessaires à son industrie.

Toutefois, la Chine reste encore trop liée au dollar américain à son goût. Or, elle tente de prendre ses distances avec la monnaie américaine. Pour des raisons d’indépendance nationale et pour mieux asseoir le rôle international de sa propre monnaie, l’un de ses grands objectifs stratégiques. C’est ainsi qu’elle a négocié des accords bilatéraux permettant le négoce du renminbi avec plusieurs pays, dont la Suisse, et qu’elle est parvenue à faire admettre sa devise comme monnaie de référence au Fonds monétaire international (FMI), une forme de consécration internationale.

Mais la vraie prise de distance avec les Etats-Unis et leur tout-puissant dollar, c’est d’investir dans des régions qui ne sont pas dominées par le billet vert. Le Japon bien sûr. Mais surtout l’Europe, la plus grande économie au monde si l’on additionne tous les pays de l’UE. Et quoi de plus rapide que de racheter des groupes industriels bien établis comme Syngenta? Ren Jianxin apprécie certainement beaucoup le foot européen. Mais il aime probablement plus encore les flux d’euros et de francs suisses qui vont se diriger vers son pays.

Faim dans le monde et spéculateurs

Un petit mot, quand même, sur l’initiative populaire “Pas de spéculation sur les denrées alimentaires” sur laquelle le peuple doit se prononcer le 28 février. Son intitulé est simple: interdiction d’investir dans des instruments financiers se rapportant à des matières premières agricoles. Cette interdiction ne s’étend pas qu’aux banques mais à tous les corps de métier touchant de près ou de loin à la finance.

Chacun l’a compris: en interdisant à l’industrie financière de toucher aux options, futures, swaps et tous ces autres outils aux noms exotiques, on la prive d’outils de travail essentiels dans tous les autres domaines. Le calcul est simple: tous les acteurs quitteront la Suisse, ne laissant derrière eux que les guichets pour les opérations courantes et les bancomats. Ce sera un carnage pour l’économie et pour l’emploi.

Mais accédons maintenant brièvement à la question des valeurs morales: quoi de plus noble que de lutter contre la faim dans le monde? Inutile de développer, tout le monde est d’accord. Le problème, c’est que les moyens de lutte ne passent pas nécessairement par une interdiction de la spéculation.

Celle-ci est une médaille à deux faces. Il y a la haïssable, celle qui conduit à l’explosion de certains prix, à la raréfaction artificielle de produits de première nécessité, affamant des populations entières. Et il y a celle qui protège les agriculteurs contre des variations indésirables de cours, les commerçants honnêtes contre les chutes de production, les populations contre des variations trop fortes des prix de la nourriture.

Bref, la réponse n’est pas simple et comme toujours, elle doit être nuancée. Elle passe certes par un renforcement de la régulation, un domaine où la Suisse n'avance  surtout pas plus vite que les autres pays. Un autre, c’est l’éthique. Plus les acteurs des marchés auront conscience des conséquences de leurs actes, plus ils hésiteront à faire le mal.

Au final, comme nous sommes dans l’univers brutal des marchés, la solution passe par une élévation du coût de la spéculation. Plus celle-ci est chère, moins on l’emploie à des fins indésirables. C’est précisément dans ce but que doit se renforcer la réglementation financière. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire et c’est précisément pourquoi la réglementation avance au rythme de l’escargot. toutefois, mieux vaut cela qu'une interdiction aveugle. Donc, à la question de l'initiative, une seule réponse: non.

Des valeurs “sûres” mais pas tant que cela

Dans le bouillon boursier et pétrolier de ce début d’année quelques valeurs auraient dû émerger. Des valeurs d’excellente réputation ou qui se prétendent telles: l’or et le Bitcoin. La première, pour son rôle traditionnel de refuge durant les phases de crise. La seconde, certes beaucoup plus spéculative, mais censée remplacer les monnaies de papier traditionnelles.

Toutes deux se renforcent. L’or approche les 1100 dollars l’once en cette fin de mois de janvier après s’être approché dangereusement de la barre des 1000 l’automne dernier. Le second est sorti à la fin de l’an dernier de la longue période de stagnation autour de 250 dollars le Bitcoin qu’il a connue en 2015 et a franchi le niveau de 400.

A y regarder de plus près, ces évolutions ne sont pas si réjouissantes que cela. L’or a mis beaucoup de temps à réagir à la faiblesses des bourses, puis à leurs chutes. La crise a débuté fin août après le krach chinois du 24 du même mois. Depuis lors, l’indice SMI des grandes valeurs suisses a perdu près de 15%. Or, le métal jaune n’a cesser de baisser qu’à la mi-décembre, quatre mois après! Son gain reste modeste depuis lors: 5% environ. La hausse des taux d’intérêt aux Etats-Unis exerce une puissante concurrence. Elle attire les capitaux à la recherche de rendements dans des actifs libellés en dollars et non pas en or, qui,comme chacun le sait, ne verse aucun dividende.

Le Bitcoin a certes réagi plus tôt mais il connaît des mouvements de yoyo qui témoignent bien de la défiance qu’il continue de susciter dans le marché. Défiance alimentée encore par une déclaration de Mike Hearn, l’un de ses pères, assurant que cette cryptomonnaie est vouée à l’échec! Certes, Hearn a rejoint les grandes banques, qui tentent d’appliquer le blockchain, la technologie du Bitcoin, à leur profit. Mais soyons honnêtes: peut-on davantage employer cette devise pour ses achats quotidiens qu’il y a deux ans? Marginalement, tout au plus. Son utilisation reste confidentielle.

La hausse de l’or depuis six semaines, du Bitcoin depuis trois mois, ne marquent donc pas la renaissance de deux réserves traditionnelles de valeur. Tout au plus traduit-elle le désarroi des marchés, à la recherche de nouveaux équilibres.

Les meilleurs agents du fisc américain

Encore quelques banques, et pas des moindres, ont réussi à s'extraire du guêpier américain dans lequel des années d'insouciance et d'arrogance les avait fourrées. Julius Bär, troisième gérant de fortune du pays, s'en tire moyennant une pénalité de 547,3 millions de dollars, une fois et demie son bénéfice net 2014. Lombard Odier, deuxième banque privée suisse, obtient l'absolution moyennant le paiement de 99,8 millions de dollars, près de 80% de son résultat 2014.

La facture devient vraiment élevée pour les banques suisses: Les 75 établissements en catégorie 2 (dont Lombard Odier) – qui n'étaient pas sûre de ne rien avoir à se reprocher mais ne faisaient pas encore l'objet de poursuites américaines – doivent verser plus de 1,1 milliard de francs à Washington. Ce qui n'est finalement pas grand-chose au vu de la fortune que doivent céder les banques de la catégorie 1 (dont Julius Bär) – qui font l'objet de poursuites aux Etats-Unis – laquelle dépasse, si l'on inclut l'amende de 780 millions honorée par UBS en 2009, les 4,6 milliards!

En tout, ce sont donc plus de 5,7 milliards de dollars (même somme en francs) concédée par la place financière suisse à l'administration et à la justice américaines. Et ce n'est pas fini: près d'une vingtaine de banques de catégorie 2, et un peu moins d'une dizaine de banques de catégorie 1 doivent encore finaliser leurs discussions avec Washington.

A combien risque de s'élever l'amende finale? risquons une règle de trois. Les 75 banques de la catégorie 2 ont payé individuellement en moyenne 15 millions de dollars. Si l'on multiplie cette somme par 20 banques restantes, l'on arrive à 300 millions de dollars, portant le total des amendes payées par la bonne centaine de banques de cette catégorie à 1,4 milliard. La catégorie 1 est évidemment beaucoup plus aléatoire à déterminer. Mais poursuivons avec notre règle de trois: En moyenne, chacune des cinq banques (y compris UBS) a honoré 923 millions. Multiplié par 9 (le nombre d'établissements restants), l'on arrive au montant fantastique de 8,3 milliards! Le résultat final sera sans doute bien inférieur. Si l'on exclut UBS et Credit Suisse du calcul, le total devrait plutôt avoisiner 3 milliards de dollars (340 millions payé par chaque banque en moyenne, multiplié par 9).

L'un dans l'autre, le total final pourrait donc avoisiner 9 milliards de dollars: 1,4 milliard pour les banques de la catégorie 1 et 7,6 pour les autres. Et l'on n'inclut même pas les amendes payées, ou à payer dans les autres pays comme la France (où UBS a dû payer une caution de 6 milliards d'euros) et l'Allemagne.

Ce sont donc des années de profits tirés de l'exploitation de l'évasion fiscale qui se trouvent ainsi balayés. Combien? Hasardons un calcul de coin de table.

Les fortunes américaines (déclarées ou non) gérées par les banques suisses déjà sanctionnées avoisinaient 63 milliards de dollars: 30 milliards dans les 75 banques de la catégorie 2 et une trentaine dans celle des autres catégories. Le total final sera certainement bien plus élevé. La marge opérationnelle de ces banques avoisinait officiellement 1% de la masse sous gestion, mais s'élevait plutôt (soyons conservateurs) 2% puisque les fonds non-déclarés étaient nettement plus rémunérateurs que ceux qui étaient déclarés. Elle pouvait atteindre 4%! Si l'on garde le chiffre de 2%, les profits annuels bruts tirés par les banques sanctionnées sur les fortunes américaines déposées chez elles atteignaient donc 1,2 milliard.

Le total des pénalités déjà annoncées représente donc 4 ans et trois trimestres de profits opérationnels des banques de gestion de fortune, que ces bénéfices aient été tirées d'avoirs américains déclarés ou non. Le Trésor américain peut donc se réjouir: il a capturé près de 5 ans de marge bancaire suisse. Et ces dernières, qui ont, en plus, livré des milliers de noms de clients et de leurs propres salariés à Washington, peuvent ainsi se targuer d'avoir vraiment bien  oeuvré pour combler le trou des finances publiques d'outre-Atlantique. Quel beau boulot.

Mauvais présages pour 2016

Elle semblait prometteuse, cette année 2015, pour les marchés boursiers. Le lancement du quantitative easing européen en janvier et le renforcement de la croissance américaine promettaient des indices en hausse, alimentant les craintes de krach. A tout bien regarder, ni l’un ni l’autre ne s’est produit. Les marchés n’ont pas chuté, fors la Chine le 24 août. Et les indices terminent l’année là où ils l’ont commencée, moyennant quelques variations minimes, même si le printemps européen paraissait prometteur.

Attention, danger. Ce genre de phase d’hésitation peut certes annoncer une vigoureuse reprise des marchés, soutenue par la reprise de la croissance en Europe et sa poursuite aux Etats-Unis. Elle peut aussi anticiper un effondrement.

Les signes avant-coureurs de l’inquiétude des marchés sont discrets mais le site Zero Hedge en a identifié deux. Les banques se sont soudainement moins fait confiance ces derniers jours, ce qui s’est traduit par une brusque tension du TED Spread, qui mesure l’écart entre les taux d’actifs sans risque américains (les bons du Trésor) et les taux du marché interbancaire. Qu’est-ce qui peut donc alimenter cette nouvelle nervosité?

Le second indicateur est peut-être encore plus alarmant: jamais les investisseurs professionnels n’avaient autant parié sur une baisse prochaine des cours boursiers. Les traders sur les titres composant l’indice SP 100, qui rassemble les 100 plus grandes sociétés américaines (plus restreint donc que le SP 500, qui en rassemble 500), vendent 3,3 fois plus d’options à la vente (options “put”) que d’options à l’achat (options “call”). Un niveau extrêmement élevé. En moyenne, ce ratio tourne plutôt aux alentours de 2.

Va-t-on vers un krach en début d’année 2016, comme en 2000? Cette année-là, les indices s’étaient brusquement effondrés début janvier avant de se redresser en février, pour partir à nouveau vers le bas en mars. C’était ce que l’on a appelé la fin de la bulle des dot-coms, alimentée à la fois par l’enthousiasme liée à la découverte de myriades d’applications liées aux technologies de l’information et des taux d’intérêt historiquement bas (déjà).

Certes, les marchés ne vivent plus le même enthousiasme. Mais les valorisations sont devenues si extrêmes que le krach chinois du 24 août les a sérieusement ébranlées. N’était-ce que le début du côté obscur des forces destructrices des marchés? Peut-être pas. Mais les les signaux faibles ne plaident pas pour l’optimisme.

Les super pouvoirs de la BNS

Depuis la fin du cours plancher, les voix se multiplient pour exiger une limitation des pouvoirs des dirigeants de la Banque nationale. Que trois personnes seulement puissent prendre une décision aussi lourde de conséquences, surtout au pays du consensus et du compromis, cela ne passe pas. Et pourtant, une initiative populaire exige maintenant juste le contraire. A tort.

L'initiative dite "pour une monnaie pleine" veut conférer à la BNS les pleins pouvoirs en matière de création de monnaie. Les banques commerciales n'auraient plus la faculté, contrairement à aujourd'hui, d'accorder des crédits ex-nihilo, pour autant qu'elles jouissent d'une situation saine. Elles se transformeraient en simples agents redistributeurs de moyens de paiements générés par une instance monopolistique, la BNS.

Cette idée est défendue par tous ceux qui ont été choqués de la légèreté avec laquelle les banques commerciales s'étaient lancées dans une bulle de crédit dans les années 2000, laquelle a abouti, on le sait, à la crise financière de 2008 et ses lourdes conséquences. Ces mêmes personnes estiment que les mesures prises depuis lors par le FMI, le Comité de Bâle pour le contrôle bancaire et les gendarmes financiers internationaux, comme le relèvement des fonds propres minimaux, l'interdiction d'activités de courtage en nom propre ou les procédures de démantèlement en cas de faillite, ne leur suffisent pas.

Il est bien clair que les banques commerciales continuent de présenter des risques élevés pour l'économie mondiale. Mais leur retirer tous les pouvoirs de création de monnaie pour les conférer à une instance unique ne va pas dans le sens d'une meilleure protection contre les crises futures. La concentration des pouvoirs fait poser un risque au moins aussi élevé, celui que l'instance en question se trompe dans ses calculs et ses prévisions et que l'économie entière en paie les conséquences, soit par de l'hyperinflation en cas d'offre excédentaire de monnaie, soit par récession dans le cas de figure contraire. Et dans toutes les situations, la création de monnaie manquerait de souplesse pour répondre aux inévitables accélérations et ralentissements de la marche des affaires.

La direction de la BNS est déjà trop concentrée, trop critiquée pour se voir offrir des prérogatives aussi énormes. Avant de réformer le système du crédit, revoyons les procédures de prises de décision de la banque centrale, pour lui conférer plus de crédibilité et de transparence.

Les gains économiques des migrants

Si Angela Merkel a étonné la planète entière en ouvrant les frontières de l’Allemagne aux migrants, si son geste a été largement salué comme la réponse de Berlin à une démographie allemande difficile, un autre pays européen se félicite de sa générosité, la Suède.

Le royaume scandinave, on le sait, a accueilli des réfugiés plus que n’importe quel autre pays européen ces dernières années, si l’on mesure cet accueil par rapport à la population totale. Certes, les Suédois ne craignent pas les étrangers. Ils se montre traditionnellement ouverts.

Mais la Suède sait ce qu’elle va en retirer. Une nouvelle jeunesse, des forces nouvelles qui vont alimenter son économie, créer des emplois, de la valeur. Ces nouveaux venus, il faut les loger. Or, le pays manque de toits. Il faudra donc en construire, vite et massivement. Les migrants vont aussi consommer. Les supermarchés, les vendeurs de voitures, de matériel électronique s’en réjouissent déjà. Ils vont, enfin, chercher un emploi. Les entreprises suédoises, qui connaissent déjà une forte demande, seront trop heureuses de les leur en offrir.

Dans l’ensemble, cela devrait fortement contribuer à la croissance économique, déjà soutenue. Aux quelque 3% actuels, ajoutez entre 0,5% et 1% supplémentaire! Cerise sur le gâteau, cette accélération de la croissance économique devrait générer de l’inflation, que cherche désespérément à stimuler la banque centrale, sans grands résultats: +0,2%.

Bien sûr, la Suède, comme l’Allemagne, a annoncé le rétablissement du contrôle à ses frontières. Elle est juste débordée, ses infrastructures d’accueil sont saturées. Mais il faut relativiser cette mesure: Débarquant à l’aéroport de Stockholm, on ne voit pas le moindre douanier. Naturellement, l'intégration ne va pas se passer sans difficultés et coûtera cher à l'Etat, qui envisage déjà de diminuer certaines dépenses publiques pour éviter un recours excessif à l'endettement. Mais on ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs.

De plus, le pays a compris que cette immigration, certes surprenante par sa soudaineté et son caractère massif, est une immense chance. L’occasion de relancer notre vieux continent, fatigué de son vieillissement, et qui peine à se relever de la dernière crise. En accueillant massivement les migrants, la Suède investit dans son avenir.