La Turquie n'est pas seulement en train de dire adieu à la démocratie, suite à la reprise en main vigoureuse de son président Recep Tayip Erdogan dès l'échec du coup d'Etat du 15 juillet. Elle peut aussi faire une croix sur sa prospérité économique, exemplaire ces dix dernières années. L'hebdomadaire The Economist estime que "le plus grand succès de M. Erdogan – l'économie – est devenue son point faible. (…) Le pays a besoin d'investissements étrangers. Il doit donc démontrer aux investisseurs qu'il est stable. Avec M. Erdogan agissant comme un sultan vengeur, cette démonstration sera difficile."
Le parallèle avec la Russie de Vladimir Poutine est connu, tant la personnalité des deux hommes forts est évidente. On peut aussi le tirer avec le Venezuela de Hugo Chávez et son successeur Nicolás Maduro. Autant d'hommes forts parvenus démocratiquement au pouvoir, qui s'y sont maintenus au fil des réélections, qui ont assis leur légitimité populaire en remettant de l'ordre dans l'économie, assurant une certaine prospérité, avant de ruiner leurs efforts par des décisions autocratiques et absurdes. Le Venezuela est aujourd'hui en ruines, la Russie en récession, et la Turquie est en voie de prendre le même chemin.
Le propre de l'économie est de se développer dans un cadre libéral où les règles sont clairement établies et où les mécanismes de règlement des conflits sont éprouvés. D'où le succès des pays connaissant le "rule of law" et des système judiciaires indépendants. Ces prérequis sont d'autant plus importants que les investissements sont le fait d'étrangers toujours attentifs au risque de se voir empêcher de réaliser leurs plans d'affaires suite à des décisions arbitraires, et même de se voir confisquer leurs profits pour les mêmes raisons.
Ce "règne de la loi" étaient les promesses de MM. Poutine et Chávez au début de leurs mandats, le premier remettant de l'ordre dans son pays, le second luttant contre la corruption. Erdogan a lui aussi atteint cet objectif en donnant une direction claire vers un développement économique soutenu. Les investissements dans les infrastructures turques, la stabilisation de la monnaie et des comptes publics ont permis la croissance soutenue de ce pays, supérieure à 5% par an, entre 2003 et 2011, où le revenu par tête a bondi de plus de 45%.
Une croissance alimentée par des investissements étrangers (15 milliards de dollars par an) plus que par le tourisme (2 milliards de dollars par an), deux ingrédients qui se basent sur la confiance des acteurs extérieurs envers l'économie domestique, sa stabilité, son respect des lois et des procédures judiciaires. Or, le tourisme est déjà en baisse. Les investissements étrangers directs pourraient suivre la même tendance.
Erdogan court le risque de se faire prendre au piège de l'absence de contre-pouvoirs, comme Poutine, comme Chávez avant lui: Tel investissement ne lui plaît pas ou renforce un adversaire? Il s'arrange pour le faire capoter, érodant la confiance que son pays peut inspirer aux investisseurs. Telle décision de la banque centrale peut lui déplaire car elle ne correspond pas à son projet? Il peut la neutraliser. C'est ce que Chávez a fait avant lui au Venezuela, conduisant à l'hyperinflation et à la généralisation du marché noir.
La démocratie, les droits de l'Homme sont assurément les premières victimes du "contre-coup d'Etat" du 15 juillet en Turquie. L'économie arrive juste derrière. Avec le risque de voir grossir les colonnes de travailleurs turcs à la recherche d'emplois et de perspectives en Europe.