Souvenirs et perspectives du Musée Bolo

Vendredi 25 mai, le Conseil communal de Bussigny a voté un crédit pour le concours d’architecture qui pourrait aboutir à la construction du nouveau Musée Bolo. Quelle que soit la forme que prendra ce projet, c’est un moment clé ; un moment où les idées, issues de l’enthousiasme qui entoure nos activités depuis plus de vingt ans, se concrétisent. Avant de me lancer dans cette nouvelle aventure avec toute ma passion pour l’histoire du numérique, j’ai eu envie de regarder un peu en arrière, d’écrire en quelque sorte mes mémoires… et je ne parle pas des mémoires qu’on trouve dans nos ordinateurs.


Le Musée Bolo n’a cessé d’évoluer depuis le début de ma collection d’ordinateurs, en 1995. L’exposition permanente, installée à l’EPFL en 2002, puis la création de la fondation Mémoires Informatiques et l’inauguration d’une exposition grand public en 2011, attestent d’une évolution continue. L’image du musée devient internationale : ces derniers mois, j’ai été invité à parler de nos projets à Paris et Turin, et nous avons des contacts avec les musées et collections du monde entier. Le Musée Bolo est souvent considéré comme une référence dans le domaine de la sauvegarde du patrimoine informatique. En parallèle, l’association des amis du musées, créée en 2001, est de plus en plus active et multiplie les projets et événements autour de la collection.

L’ordinateur est-il vraiment sur le point de disparaître ?

Mais nous ne nous arrêterons pas là. Avec Disparition programmée, l’exposition actuelle, nous avons voulu parler à tous, petits et grands, et montrer l’importance de l’informatique dans la société. Dans la continuité, le nouveau musée se basera sur la collection (l’une des plus riches d’Europe) pour raconter le passé, le présent et le futur du numérique, et expliquer comment l’ordinateur a profondément transformé, pour le meilleur et pour le pire, tous les aspects de notre vie quotidienne. La Municipalité de Bussigny et l’équipe du Musée Bolo ont la chance de pouvoir compter sur le soutien de Marc Atallah, directeur de la Maison d’Ailleurs, qui a élaboré pour nous un concept muséographique innovant. L’EPFL, partenaire historique du musée, fait partie de l’aventure et François Marthaler, ancien conseiller d’Etat vaudois, apporte un immense soutien au niveau politique et pour le suivi du projet.

Nous sommes conscients que de nombreuses étapes doivent encore être franchies avant l’inauguration du nouveau bâtiment prévu dans le quartier Bussigny-Ouest, et que le financement est un réel défi. Mais les idées sont bonnes, les bases (collection, musée actuel, activités de l’association) sont solides, les partenaires sont enthousiastes. C’est à nous d’expliquer à la population toute l’originalité du projet, ainsi que son potentiel pour la commune et la région. Au travail‌‌‌‌‌‌‌‌ !

Les prémices

Assez parlé du futur du musée, il est temps de vous raconter son histoire. Elle commence en 1995 avec un Apple IIe trouvé dans la rue, prêt à être mis au rebut, alors que j’étais étudiant en informatique à l’EPFL. Étonnamment, je me souviens parfaitement du lieu et du fait que j’avais, une fois la machine branchée, immédiatement commencé à programmer en Basic un ensemble de Mandelbrot. La collection a d’abord grandi lentement, ce n’était pas ma priorité. Mais, alors que mon intérêt pour l’histoire de l’informatique se précisait, alors que je découvrais toute la richesse de cette extraordinaire évolution, la collection a rapidement pris de l’ampleur et est devenue mon hobby principal, le projet d’une vie.

Lorsque je parle de cette période avec ma femme, elle aime à me rappeler que j’avais neuf ordinateurs anciens lorsque je l’ai rencontrée en 1996. Elle a donc vécu toutes les étapes du Musée Bolo, les bons et les moins bons moments, et elle est toujours à mes côtés. Quel courage !

Premier local de stockage en février 1999. Vide !

La rencontre avec le professeur Jean-Daniel Nicoud, également en 1996, a été décisive. Ayant suivi l’école à Genève durant les années 1980, je n’avais jamais entendu parler des Smaky. Le professeur Nicoud m’a raconté cette histoire et m’a remis une dizaine d’ordinateurs, doublant ainsi la taille de ma collection. Il fallait trouver une solution pour le stockage. La première exposition a été installée dans une pièce inutilisée de la maison de mes parents, à Collex-Bossy, et j’ai pu aussi participer à un premier événement autour des BBS. Je me souviens que le maire du village avait visité mon premier « musée » et que j’en étais très fier.

La vie d’une collection

A partir de là, c’est l’explosion. Début 1999, je prends la décision de louer un local de stockage de 100 m2 pour y installer la collection. Il me semblait immense ; il a suffi de deux ans pour qu’il déborde. A l’appel de Robin Chytil, collaborateur chez Silicon Graphics, et avec l’aide de la toute nouvelle Association aBCM (l’association des amis du musée), j’ai la chance de pouvoir sauver un grand nombre d’ordinateurs de la prestigieuse marque lors de la fermeture du centre de production européen, à Cortaillod. C’est le coup de grâce, il faut plus de place. Mon employeur d’alors, ELCA Informatique SA, propose généreusement de me mettre à disposition un nouvel espace, plus grand, à l’avenue Ruchonnet.

Dans son laboratoire, Ginette Roland raconte l’histoire de la station scientifique du Jungfraujoch

La chasse aux ordinateurs historiques est ouverte, parfois dans des lieux improbables. Le plus haut d’entre eux : la station de recherche scientifique du Jungfraujoch, à 3’450 m d’altitude. Ce sont deux scientifiques belges, Ginette Roland et Luc Delbouille, qui nous ont ouvert les portes de cet endroit merveilleux où, depuis les années 1950, on utilise des ordinateurs pour étudier le rayonnement solaire. Le rapatriement de quelques tonnes de matériel par le train, à travers la montagne, a été une aventure mémorable. Ce contact nous a aussi emmené à Liège, où nous avons notamment sauvé le plus ancien ordinateur complet du musée, un Hewlett-Packard 2116 de 1966. Comme pour d’autres voyages en Europe en vue de ramener des grandes collections, le passage de la frontière a été un peu stressant. Les douaniers nous ont toujours laissé passer ; parfois, il est vrai, avec un air interloqué.

Certains donateurs connaissent la valeur de ce qu’ils nous proposent, d’autres non. Je me souviens d’un employé des Hôpitaux universitaires de Genève qui m’appelle un jour et me parle sans grande conviction d’un ordinateur bleu. Mon sang ne fait qu’un tour, et deux heures plus tard le musée possède son premier IMSAI 8080, un micro-ordinateur rare et emblématique de 1975. A l’opposé, j’ai passé une journée entière à Lyon avec le propriétaire du premier magasin d’informatique de la ville, ouvert dans les années 1970. Il cherchait réellement à préserver son histoire et était heureux de trouver une institution capable de le faire.

Arrivée du Cray 2 au Musée Bolo

Les écoles de la région ont aussi un patrimoine à sauver. L’EPFL, bien sûr : l’École a vu passer de nombreux superordinateurs et c’est en ses murs que le Smaky a été développé (le laboratoire de micro-informatique, le LAMI, était situé un étage au-dessus du local occupé aujourd’hui par le Musée Bolo). Le déplacement du Cray 2, d’un poids de deux tonnes, a été un grand moment. De nombreux objets historiques ont été récupérés à la HEIG-VD à Yverdon et notre extraordinaire Connection Machine vient de l’Université de Genève.

Les rencontres

Une collection c’est des objets, naturellement, mais c’est aussi des rencontres. Les premières rencontres importantes ont permis la création, en 2001, de l’Association aBCM. L’un des membres du premier comité, Edouard Forler, a travaillé avec moi pour mettre sur pied la première exposition permanente à l’EPFL. Sur l’initiative du professeur Roger Hersch, qui trouvait dommage d’avoir un espace inutilisé à côté de son laboratoire, nous avons présenté le projet aux responsables de la Faculté d’Informatique et Communications qui semblaient absorbés par autre chose… C’était le 11 septembre 2001. Le premier Musée Bolo a été inauguré en fanfare le 19 juin 2002.

Présentation à Vinton Cerf de l’ordinateur suisse Smaky 6

En 2009, nous avons été invités par Laurent Haug à présenter quelques unes de nos machines lors de la conférence Lift, à Genève. Un événement particulièrement riche en rencontres, puisque nous avons pu faire découvrir les Smaky au « père » d’Internet, Vinton Cerf, et c’est là que nous avons croisé Bruno Bonnell, fondateur d’Infogrames, pour la première fois. Plus tard, ce pionnier de l’industrie vidéoludique française nous a fait don de sa fantastique collection de jeux vidéo, aujourd’hui étudiée en particulier par l’UNIL GameLab.

Pour les 20 ans du Web, nous avons eu un contact avec son co-inventeur Robert Cailliau, qui avait besoin d’un adaptateur spécial pour connecter le NeXT Cube historique de Tim Berners Lee à un projecteur vidéo. L’Association aBCM a relevé le défi avec brio, puis a même été mandatée par le CERN pour sauver les données du disque dur de la machine. Nous avons également eu la chance de rencontrer d’autres pionniers comme Charles Blanc, qui avait acheté pour l’EPUL (ancien nom de l’EPFL) son premier ordinateur en 1956, Peter Toth, concepteur du premier ordinateur suisse commercialisé et Niklaus Wirth, inventeur du langage Pascal qui nous a fait l’amitié de devenir membre fondateur de la fondation Mémoires Informatiques.

J’ai fait la connaissance en 2004 de la première journaliste spécialisée en informatique de Suisse, Marielle Stamm. A partir de là et pendant près de 15 ans, elle a travaillé dur pour faire avancer le Musée Bolo : elle a notamment eu un rôle primordial pour la mise en place de l’exposition Disparition programmée et a co-écrit avec moi le livre éponyme.

Rencontre à Paris avec les associations françaises

Entre passionnés, on se comprend. Les contacts entre collectionneurs ont été multiples et ce dès le début de la collection. D’abord du côté francophone (Philippe Dubois et MO5.COM, le Club 8-bit, le forum Silicium), puis un peu partout dans le monde et plus récemment avec tous les collectionneurs suisses. Ma rencontre avec Svetozar Nilović, directeur du très dynamique musée Peek&Poke à Rijeka, en Croatie, m’a permis de découvrir un pays que je ne connaissais pas, ainsi que l’histoire complexe de la micro-informatique en ex-Yougoslavie.

L’équipe

L’Association aBCM est née en 2001 et a toujours été très active. Mais ces derniers temps, c’est l’effervescence. Organisation d’événements, projets divers et variés, rangements et récupérations de matériel pour la collection : l’équipe, issue en grande partie de la génération née dans les années 1980 et qui voit régulièrement de nouveaux membres la rejoindre, n’a pas le temps de s’ennuyer. Elle se retrouve au minimum une fois par semaine, le mardi soir, mais aussi de plus en plus souvent en journée et le week-end.

L’équipe du projet Pomme One, réplique de l’Apple I

En 2014, alors que les originaux du premier ordinateur Apple se vendaient aux enchères à plusieurs centaines de milliers de dollars, l’association s’est mis en tête d’en créer une réplique à l’identique. Le projet Pomme One a démarré, un projet qui ne consiste pas seulement en la réalisation de la copie, mais aussi de nombreux éléments annexes comme un clavier monté touche par touche et un boîtier transparent en plexiglass. Souvent, l’équipe répare des machines pour des démonstrations de matériel ancien en fonctionnement : récemment, c’est la Sega Fish Life du fonds Bruno Bonnell, un aquarium virtuel rarissime de l’an 2000, qui est rallumée. Encore plus fort, la remise en fonction du super-ordinateur Blue Gene/P, d’une consommation de 25 kW, utilisé à l’EPFL jusqu’en 2013 et offert au musée par IBM.

En contact avec Logitech et son fondateur Daniel Borel depuis plusieurs années, nous avons eu la chance d’accueillir en 2016 et 2017 une exposition temporaire pour fêter les 35 ans de la société suisse. L’association collabore aussi avec entreprises ou des particuliers pour récupérer des données sur des supports obsolètes, un travail qui pourrait devenir une source de revenus du futur musée. Nous avons par ailleurs régulièrement des demandes de la part d’artistes pour des projets de photos, d’expositions ou de films. Un groupe de musique a même utilisé un Macintosh Plus de 1986, configuré par nos soins, lors d’un concert.

Pong et Tetris sur Game Boy à la Maison d’Ailleurs lors du festival Numerik Games

Mais l’activité la plus visible de l’Association aBCM est l’organisation d’événements. Historiquement, c’est la Nuit des musées de Lausanne et Pully, fin septembre, qui est la manifestation phare du Musée Bolo. Lors de notre première participation, en 2004 déjà, nous avions été invité à l’« after » dans la gare du LEB à Lausanne : un grand moment, où nous avions fini à 4h du matin, un peu stressés pour le matériel à la vue des derniers fêtards titubants désirant faire une dernière partie de Pong, la bière à la main. Nous avons collaboré plusieurs fois avec le Musée de la Communication à Berne et, depuis 2014, nous participons au festival Numerik Games à Yverdon, invités par la Maison d’Ailleurs. Nous prêtons aussi régulièrement des objets à d’autres musées (Musée historique de Lausanne, Musée de la Main, Musée de la Communication).

Le Musée Bolo demain

Que de chemin parcouru. C’est assez fou de m’imaginer en 1995, dans mon appartement d’étudiant avec une dizaine d’ordinateurs autour de moi. C’est un véritable travail d’équipe. Je remercie ici tous nos partenaires, les donateurs, les bénévoles et l’Association aBCM pour les nombreux projets déjà réalisés.

Et je suis impatient de construire avec eux un musée moderne, grand public et interactif qui sublimera les collections pour raconter l’aventure de la société numérique.

Vous désirez nous aider ? Merci ! Toute forme de soutien est la bienvenue, contactez-nous !

 

Yves Bolognini

Ingénieur EPFL, Yves Bolognini se passionne pour l'histoire de l’informatique depuis plus de vingt ans. D’abord collectionneur, il fonde en 2002 le Musée Bolo, première exposition permanente du genre en Suisse. Il est le président de la fondation Mémoires Informatiques, qui travaille avec une association d'amis pour sauver un patrimoine précieux et raconter la révolution numérique.