Pour que deux et deux ne fassent jamais cinq

Pourquoi l’initiative contre le F-35 est une absurdité démocratique

Jeudi, le Conseil des Etats a adopté le crédit d’engagement pour l’acquisition des futurs avions de combat de l’armée suisse. Aurait-il mieux fait d’attendre que le peuple vote sur l’initiative populaire « contre le F-35 », comme le souhaitait la gauche ? Non, et c’est une évidence.

Disons-le tout de suite : ma préférence personnelle n’allait pas au F-35A. Comme de nombreux citoyens et avec mes modestes connaissances en aéronautique, j’avais tendance à préférer l’un des concurrents. Je pourrais donc – en méconnaissance de cause – combattre cet achat au nom de mon appréciation politico-stratégique de la chose.

Mais là n’est pas la question : le peuple a (déjà) voté. Il a donné au Conseil fédéral la mission de « renouveler les moyens de protection de l’espace aérien par l’acquisition de nouveaux avions de combat » d’ici à « la fin de l’année 2030 ». De plus, le texte soumis au vote prévoyait noir sur blanc que le choix de l’avion se ferait « dans le cadre d’un programme d’armement », donc sans nouvelle votation populaire.

Prétendre le contraire et tenter de revenir en arrière n’est pas un acte démocratique, mais bien la négation d’une décision populaire consécutive à un débat intense et minutieux. Les avions concurrents étaient connus des citoyens, qui ont accepté en connaissance de cause de laisser le choix au gouvernement, mieux placé pour prendre une telle décision.

Les instruments démocratiques bafoués

Avec leur initiative populaire, le GSsA et la gauche jouent un jeu dangereux et malmènent l’esprit de notre démocratie directe. D’un point de vue légal, il est clair que ce texte ne peut avoir aucune influence sur l’achat des avions de combat (le dépôt d’une initiative pour contrer cet arrêté fédéral simple est un bricolage de mauvaise facture).

En revanche – et c’est là le but évident des initiants – il offre une tribune inespérée pour dénoncer une prétendue précipitation de l’armée et prédisposer l’opinion publique à traiter négativement les évolutions de ce dossier. Cette attitude de mauvais perdant est tout à fait inacceptable vis-à-vis du fonctionnement de nos institutions démocratiques.

Des calculs politiques, des coûts publics ?

Les partisans de l’initiative auront du mal à convaincre l’électeur averti que l’armée va trop vite ou qu’elle saute les étapes. Ce qui ne pourra en revanche pas être dissimulé, c’est le coût des mesures dilatoires employées à outrance.

D’une part, l’offre faite à la Suisse expire en mars 2023. Si les manœuvres des antimilitaristes devaient aboutir, rien ne garantit que nous pourrions bénéficier d’une autre proposition aussi avantageuse – il faudrait potentiellement réduire les prestations ou augmenter les coûts, ce qui irait à l’encontre de la volonté populaire.

D’autre part, rappelons-nous que, conséquemment au refus du Gripen, la Suisse a déjà dû moderniser ses F/A-18 pour 450 millions. Les coûts de mise à niveau augmentent au fur et à mesure que les appareils prennent de l’âge et d’éventuelles solutions de rechange pour pallier de nouveaux retards politiques coûteraient d’autant plus cher.

Il y a un temps pour tout. Maintenant, c’est le temps de la sécurité

Aujourd’hui, il est plus que jamais temps de combler une lacune sécuritaire tout à fait intolérable dans l’environnement géopolitique actuel. Car le retard, ici, ne se compte pas seulement en millions : une mauvaise appréciation de la menace pourrait avoir des conséquences funestes et, en la matière, les certitudes de la gauche sont déjà nombreuses à avoir été démenties par la réalité.

A l’image de Fabien Fivaz, pour qui les obusiers blindés « ne servent à rien » car datant « d’une époque où la guerre se faisait sur terre »[1], de Lisa Mazzone, selon qui « les attaques d’aujourd’hui ne sont pas les mêmes qu’hier et le nombre d’hommes ne fait plus la différence »[2] ou encore de Pierre-Alain Fridez, qui qualifie de logique du passé la « défense d’un territoire au moyen de matériel lourd, des lance-mines, des chars et des avions de combat »[3].

A l’approche d’un choix stratégique pour la Suisse et en l’absence d’une quelconque justification démocratique plaidant pour un nouveau vote, rappelons les paroles pleines de sens du général Douglas MacArthur : les batailles perdues se résument en deux mots – trop tard.

[1] Débat au Conseil national, 08.06.2021, https://www.parlament.ch/de/ratsbetrieb/amtliches-bulletin/amtliches-bulletin-die-verhandlungen?SubjectId=53136#votum9

[2] RTS, 23.03.2017, https://www.youtube.com/watch?v=iWzzFjLFz00

[3] Le Monde, 28.09.2020, https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/09/28/les-suisses-acceptent-du-bout-des-levres-l-acquisition-de-nouveaux-avions-de-combat_6053880_3234.html

 

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