Le prisonnier qui voulait être avocat. Il en avait (presque) tous les moyens

Vasilis Dimakis, 39 ans, a été emprisonné dans les années 2000 pour des vols à la kalachnikov. En 2016, il s’est rappelé aux médias après avoir repris l’école post-obligatoire qu’il avait laissé tomber près de vingt ans auparavant. Il s’est révélé un étudiant brillant, passant son bac avec une moyenne excellente de 19.9 (sur 20). Dans la foulée, il s’est présenté aux examens nationaux d’admission aux universités, souhaitant poursuivre des études de droit. Il sort deuxième du classement national. Les portes de l’une des meilleures facultés s’ouvrent alors à lui, celle de l’Université capodistrienne d’Athènes. Il est même transféré de l’établissement Agios Stephanos de Patras à la prison de Korydallos au Nord du Pirée, afin de pouvoir accéder aux cours.

Le parcours scolaire entamé par Dimakis en prison est le fruit d’une longue lutte qui a vu de nombreux prisonniers se mobiliser pour accéder à des formations. Cette possibilité leur a enfin été octroyée en 2014 à la suite du cas Romanos-Kostaris. Si la loi a été changée, les moyens et les ressources nécessaires manquent pour sa mise en pratique. Dans l’établissement de Patras, par exemple, il a fallu que des enseignants s’engagent bénévolement afin que ces nouvelles possibilités légales se concrétisent.

La machine s’enraye 

Le 14 mars dernier Vasilis Dimakis a entamé une grève de la faim, il aurait perdu déjà 8 % de son poids. A la suite de son admission en faculté de droit, il avait pourtant reçu une lettre signée de la main même du ministre de la Justice, le félicitant. En octobre 2017, après avoir adressé sa demande de congé partiel au comité de la prison (dans lequel siège, à ma connaissance, le procureur du district, le directeur de la prison et un travailleur social) pour assister aux cours muni d’un bracelet électronique, il a essuyé un refus sur la base de motifs dont la validité reste à démontrer. A deux reprises, il a soumis de nouvelles demandes. Les autorités pénitentiaires ont tour à tour prétendu qu’il n’avait pas passé le quota minimum d’épreuves propédeutiques (ce que ses résultats contredisent), qu’il allait suivre des cours théoriques ne nécessitant pas une présence régulière, et que la prison de Korydallos offrait toutes les garanties pour qu’il puisse suivre à distance son cursus. Or, la seule prestation qu’offre cette prison est un accès durant une heure hebdomadaire à un poste informatique. Pas plus, même pas d’accès à un lieu d’étude avec tables et chaises.

Vasilis Dimakis attendait que la Cour de Justice du Pirée se prononce sur son recours cette semaine. La décision était attendue mercredi, mais il semblerait que ses membres étaient occupés à des affaires « plus urgentes ». En conséquence, rien ne se passera durant le week-end pascal. Les magistrats pourront allumer des bougies et annoncer la résurrection du Christ, le droit est avec eux : le nouveau code de procédure pénale leur donne toute latitude pour mettre un terme à la grève de la faim en nourrissant Dimakis de force.

© Théophile Bloudanis (Ile de Léros, 2018)

Métamorphose

Pâques est un moment cardinal dans la liturgie orthodoxe. En célébrant la Passion du Christ puis sa résurrection, le culte orthodoxe invite à s’intéresser à la métamorphose, autre notion clé que l’on retrouve dans le nom de nombreuses églises, et de lieux-dits, aussi. Elle décrit le processus par lequel un homme tend à révéler sa nature divine, si l’on est croyant, ou simplement humaine, si on l’est un peu moins. Vasilis Dimakis incarnerait une déclinaison actuelle de cette figure, et ce d’autant plus qu’il lutte depuis longtemps pour améliorer le sort de ses codétenus qui ont exprimé leur soutien à son égard.

©Théophile Bloudanis

C’est pourtant à une autre métamorphose que l’on assiste : si la possibilité légale de se former en prison et, surtout, sa concrétisation doivent beaucoup à l’engagement d’enseignants sur leur temps privé et, avant cela, aux longues revendications de détenus puis au travail fourni par les candidats dans des conditions hostiles, il semblerait que le démontage de l’ensemble de ces efforts soit le fait de quelques structures publiques et de leurs représentants. Aujourd’hui, 6 avril, Vasilis Dimakis a annoncé faire également la grève de la soif.

Yannis Papadaniel

Yannis Papadaniel est anthropologue, titulaire d'un doctorat obtenu à l'Université de Lausanne et à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales de Paris. Il est spécialiste de questions liées à la santé et à la médecine. (Photo: Olivier Maire) Il est responsable santé à la Fédération romande des consommateurs (les opinions exprimées ici ne l'engagent toutefois que lui)

Une réponse à “Le prisonnier qui voulait être avocat. Il en avait (presque) tous les moyens

  1. Bon. La “rédemption” derrière les barreaux d’un délinquant “grave” est une question qui fera encore couler beaucoup d’encre sous toutes les latitudes, entre Korydallos et Alcatraz. Il paraît difficile d’avoir une position tranchée sur le sujet… Ceci posé, j’ai essazé de me documenter sur le cas précis, et il apparaît vraiment que la bureaucratie hellénique (ainsi que la pire Justice pour le moins d’Europe) aient concocté là un de ces petits chefs-d’oeuvre dont elles ont seules le secret… Espérons pour lui un dénouement favorable. Quant à la fête de pâques en Grèce… tu en poses très justement les principes théoriques. Malheureusement elle a évolué durant les 50 dernières années de la même manière que le pays, se transformant en un mauvais théâtre d’hypocrisie, entre la “p’tite bougie” que l’Armée de l’air va chercher à Jérusalem puis distribue par hélico dans tout le pays (qui paye?), les simagrées du vendredi saint et la “grande bouffe” du dimanche. La religion orthodoxe, encore très spirituelle durant les années 60, s’est muée en une superstition à géometrie variable entretenue par un clergé composé d’une majorité de ripoux et d’opportunistes…

Les commentaires sont clos.