Les tragiques secousses de l’Histoire

Le terrifiant séisme qui a frappé la Syrie et la Turquie nous renvoie à l’extrême fragilité de la condition humaine tous continents confondus, tout comme Voltaire en 1755 qui fut profondément marqué par le tragique tremblement de terre de Lisbonne, dont il fit un poème philosophique: le célèbre Poème sur le désastre de Lisbonne.

Voltaire fut marqué particulièrement par l’aspect arbitraire du destin des victimes.

Aujourd’hui, si nous savons que la tectonique des plaques est «responsable» des séismes, nous n’en sommes pas moins frappés par le caractère aléatoire de la survie dans de telles circonstances. Cela, forcément, nous renvoie à la notion de chance ou de malchance individuelle, mais aussi à celle de la fatalité et enfin à celle des responsabilités.

L’examen de conscience des élites

Lisbonne fut frappée si durement le 1ernovembre 1755 (on pense aujourd’hui qu’il y eut plus de 50’000 morts) que cela déclencha, à une époque où la sismologie n’existait pas et où les connaissances en matière de géologie étaient quasi nulles, de très nombreuses questions sur le rôle divin, mais aussi sur les responsabilités des pouvoirs en place et sur les modes de construction des bâtiments.

Le premier ministre portugais Sebastaio de Melo, futur Marquis de Pombal, fut d’une efficacité exceptionnelle pour l’époque, tant pour l’aide aux survivants que pour la rapidité et l’innovation dans la reconstruction.

D’origine non aristocratique, il critiqua les élites en place, qu’il considérait comme corrompues et incapables. On le considère aujourd’hui comme un des initiateurs de la sismologie.

La naissance des constructions anti-sismiques

 En effet il comprit que la reconstruction devait impérativement obéir à de nouvelles mesures: il engagea des architectes et des ingénieurs pour inventer des maisons plus résistantes aux tremblements de terre. Il lança également une enquête auprès des populations et s’interrogea sur le rôle des animaux comme sentinelles.

Ainsi naquit la «cage pombaline » dont la charpente de bois, structurée symétriquement, avait pour but de répartir les forces sismiques pour les absorber sans destruction du bâtiment.

Le Japon est, on le sait,  actuellement le pays le plus avancé en ingénierie anti-sismique. Grâce à ses investissements, le nombre de victimes des séismes parfois violents qui le frappent sont drastiquement limitées. Cela implique bien sûr un contrôle très strict de la part des autorités sur les chantiers.

La colère

Comment ne pas être en colère aujourd’hui devant la vénalité sans limite des promoteurs turcs, qui ont construit des bâtiments de béton non conforme, sur des terrains sablonneux, terriblement propices à la propagation des ondes sismiques et qui ont ainsi sacrifié sans aucun scrupule des centaines, des milliers de personnes?

Comment ne pas s’indigner devant l’incurie des politiques et des pouvoirs publics censés les contrôler?

L’arbitraire dont parlait Voltaire n’a plus aujourd’hui l’excuse de l’ignorance, et cela accroît encore la cruauté du sort tragique réservé aux victimes.

Tous concernés

Nous ne pouvons être indifférents au sort terrible des Syriens et des Turcs. Nous ne devrions pas non plus oublier que les séismes sont une donnée qui n’épargne personne, nulle part.

Haïti n’a toujours pas pu se relever après le séisme de 2010 qui fit 250’000 morts et 1,2 millions de sans abris.

Le Portugal vit son destin totalement modifié tant économiquement que internationalement après 1755.

Nous devrions nous rappeler aussi que Bâle, pôle suisse de la chimie en plein tissu urbain, fut également en 1356 le théâtre d’un séisme qui fit 300 morts. Il fut ressenti en France et en Allemagne. Il sert aujourd’hui de «référence» risque pour la résistance des centrales nucléaires construites dans la région.

Conclusion

Aujourd’hui comme au cours de l’Histoire, ces terribles catastrophes nous renvoient à des enjeux scientifiques, certes, mais aussi de gouvernance, de lutte contre la corruption, contre la négligence criminelle, et à tous les enjeux des inégalités et de la pauvreté.

Garder les pieds sur Terre lorsqu’elle s’ouvre sous les pas est hélas bien difficile…

https://lepetitjournal.com/lisbonne/a-voir-a-faire/lisbonne-la-baixa-pombalina-du-marquis-de-pombal-90916

Image par Tumisu de Pixabay

Véronique Dreyfuss-Pagano

Spécialisée dans les domaines de communication inter-humaine, de proxémie et de développement durable, Véronique Dreyfuss Pagano est professeur de géographie et de littérature. Mettre la pensée systémique au service de la résolution de problèmes complexes dans les sciences humaines est l'une de ses activités.

13 réponses à “Les tragiques secousses de l’Histoire

  1. Chère Madame, merci pour cette mise en abîme historique très intéressante et de rendre hommage au Marquis de Pombal, ce visionnaire des Lumières, personnage important à son époque.

  2. Comme tout le monde, j’avais entendu parler du tremblement de terre de Lisbonne mais jamais du Marquis de Pombal. Quel homme remarquable. Il est un extraordinaire organisateur, un humaniste et un précurseur scientifique. La sismologie n’existait pas mais il comprenait qu’une telle catastrophe n’était ni d’origine divine, ni d’ordre maléfique et que seule la raison pouvait apporter une réponse adéquate. Le cataclysme turco-syrien fera peut-être surgir une personnalité de cette dimension qui saura entraîner ces deux pays dans une reconstruction calme et raisonnée.

    1. Merci pour votre commentaire! Oui .., en tout cas on aimerait penser que les contextes ambiants , et les tragédies fassent moins de victimes. Bonne journée

  3. Comme vous le rappelez, le tremblement de terre de 1346 à Bâle, d’une magnitude de 6,6, a fait quelques 300 morts. Si un tremblement de terre de magnitude égale devait se produire aujourd’hui à Bâle, selon un scénario élaboré par le Service Sismologique Suisse (SSS) et l’Ecole Polytechnique Fédérale de Zurich (EPFZ) * il aurait pour conséquences pas moins de 1000 à 6000 morts, 60 000 personnes blessées à différents degrés, 1 600 000 personnes sans domicile à court terme, 50% des bâtiments endommagés et 50 à 100 milliards de CHF de dégâts matériels.

    Pourquoi une telle différence alors que, selon l’étude du SSS et de l’EPFZ, beaucoup de maisons se sont effondrées l’après-midi de la secousse, le 22 octobre 1346 à Bâle, puis plusieurs foyers d’incendie, difficiles à maîtriser, se sont déclarés en raison des toitures de bardeaux ou de paille, ainsi que des foyers ouverts et des poêles? Réponse (toujours selon la même étude): “malgré l’intensité du séisme et le degré de destruction, relativement peu de personnes périrent, car beaucoup se tenaient à l’extérieur de leur habitation.”

    Faut-il en déduire qu’avec la manie actuelle de privilégier le maintien à domcile (pas seulement pour les personnes âgées), on a perdu l’habitude de vivre en plein air et qu’il est beaucoup plus dangereux de rester chez soi?

    De plus, quand on sait que les bâtiments locatifs de 2 à 5 étages, qui font la grande majorité du parc immobilier suisse, datent de plus de cinquante ans, leur durée moyenne de vie, et ne correspondent donc plus aux normes para-sismiques actuelles, que se passerait-il dans le cas d’un séisme important?

    Quant aux mesures de prévention en cas de catastrophe naturelle imprévisible, ne se résument-elles pas à peau de chagrin quand la plupart des locataires ne sauraient même pas comment manipuler l’extincteur
    de leur étage en cas d’incendie, faute d’en avoir été informés par leur gérance ou le service du feu?

    A croire que, comme au temps du tremblement de terre de Lisbonne, tout va pour le mieux, et même de mieux en mieux dans le meilleur des mondes possibles pour les Candide contemporains.

    * “Que s’est-il passé à Bâle en 1356 ?”, Service Sismologique Suisse/EPFZ (http://www.seismo.ethz.ch/fr/knowledge/earthquake-country-switzerland/historical-earthquakes/basel-1356/index.html)).

    1. Merci beaucoup pour ces informations qui vont bien dans le sens de ce que je suggérais à la fin de mon billet … En tant que géographe, j’ai toujours été surprise et préoccupée par le maintien d’une industrie potentiellement si dangereuse dans un tissu urbain si densément peuplé et présentant des risques sismiques attestés.
      Le risque d’une catastrophe majeure de type Seveso à Bâle n’est pas du tout impossible hélas… mais jamais voire rarement évoqué. Les populations de la région peu ou pas du tout préparées , ainsi que vous le soulignez. Insouciance, ignorance, négligence? Un peu tout cela à la fois.

      Il y a peu de Suisses qui ont entendu parler du tremblement de terre de Bâle. Et les échelles de temps géologiques n’ont rien à voir avec la mémoire humaine, si courte!

      Merci pour le lien très intéressant! 🙂
      Bonne journée

  4. Sincèrement merci pour cet article intelligent et documenté. J’ignorais tout du marquis de Pombal. Si seulement ceux qui en ce moment redoublent d’armement et de bellicisme acharné à peu de distance de ce terrible séisme pouvaient réfléchir à la notion d’aléatoire!

    1. Contente de vous avoir fait découvrir cet homme en effet en avance sur son temps dans plusieurs domaines ( il affranchit les esclaves portugais par exemple). Le lien en bas de mon article vous intéressera je pense.

      Hélas… la “fatalité” n’est pas la même selon les lieux et les régimes.
      Merci pour votre commentaire!

  5. C’est intéressant, je ne connaissais pas cet aspect de l’action du marquis de Pombal pour prévenir les tremblements de terre. Ce n’est pas souvent qu’on nous entretient de ce grand personnage. Etes-vous d’origine portugaise ?

    1. Bonsoir, non je ne suis pas du tout d’origine portugaise. Mais je suis géographe et j’ai donné des cours sur les séismes et cherché, par intérêt personnel pour illustrer mes cours, des précédents historiques.

      Et comme j’avais lu Candide de Voltaire ,dans lequel il parle du tremblement de terre de Lisbonne ,j’ai fait quelques recherches à ce propos.
      Le marquis de Pombal.est un homme très remarquable à plusieurs titres .
      Merci pour votre commentaire !😊

  6. Dans son “Poème sur le désastre de Lisbonne” Voltaire pose la question de la volonté divine face à la souffrance infligée aux hommes. De nos jours la question se déplace évidemment, même si certains islamistes fous ont tenté de lier le tremblement de terre aux exactions des “femmes impudiques” (sic). Aujourd’hui, c’est la question de la corruption, des malversations présentes dans certains régimes dictatoriaux comme la Turquie qui se pose. Dans son poème, Voltaire s’en prend aux “philosophes optimistes” qui tentent de trouver une cause positive à ce désastre. Sans aller jusque là bien sûr, on pourrait souhaiter que cette horreur fasse éclater au grand jour les responsabilités flagrantes des actuels gouvernements turc et syrien et nous en délivre.

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