Besoin de lumières

L’humain préhistorique anxieux qui sommeille en nous s’exprime fortement quand la luminosité décline et notre désir accru de lumière nous renvoie à des besoins archaïques, existentiels, spirituels, symboliques et politiques.

Si l’on y réfléchit, la quête de lumières (dans tous les sens du terme) traverse toutes les cultures et toutes les époques et nous apparaît comme fondamentale, pour ne pas dire vitale… Tous ces aspects sont étroitement entremêlés.

En ces périodes si tragiquement troublées par la guerre pas loin, et où l’on craint chez soi d’éventuelles coupures temporaires de courant, on mesure avec difficulté et effroi ce que cela doit être d’être privés en permanence d’électricité, d’être dans le froid et le noir, et l’on perçoit davantage la funeste association entre obscurité, obscurantisme et barbarie.

Toutes nos villes illuminent leurs rues et leurs façades, Amsterdam, Lyon et tant d’autres proposent des Fêtes des Lumières, sorte de conjuration collective bienfaisante qui nous rassure et nous redonne de l’élan. Il est difficile d’y renoncer totalement car ces illuminations ont des racines archaïques très profondes :

Fêtes des lumière: une manifestation transculturelle

De très nombreuses religions ou cultes valorisent la lumière comme expression du divin. Chez les Hébreux par exemple, on célèbre la Fête des Lumières appelée Hanoucca (cette année le 18 décembre). On allume alors chaque jour un nouvelle bougie de la hanoukkiah, le fameux chandelier pour rappeler le “miracle de la lampe à huile” qui brûla sept jours d’affilée en soutien divin dans la lutte de résistance du judaïsme à la tentative forcée d’assimilation hellénistique.

L’hindouisme fête Diwali, (octobre-novembre selon les années), qui signifie en sanskrit « chaîne des lumières » , célèbre pendant 5 jours le nouveau départ, le triomphe de la lumière sur l’obscurité, du bien sur le mal.

Le christianisme allume des cierges et des bougies et fête la naissance de Jésus, né sous une étoile-guide qui éclaire. Dans la Genèse (1 :3) « Que la lumière soit, et la lumière fut » est la première parole de Dieu dans le récit de la création du monde.

La fête perse de la nuit de Yalda se célébre en Iran, Afghanistan et Tadjikistan: on allume des feux  dans les campagnes pour symboliser la victoire de la lumière sur l’obscurité.

Sainte-Lucie, le 13 décembre, en Scandinavie, commémore le martyre de Lucie de Syracuse punie pour avoir nourri les Chrétiens qui se cachaient dans les catacombes romaines. Elle célèbre donc elle aussi la résistance, le réconfort par la lumière, la nourriture et la solidarité collective.

Pour ne citer brièvement que celles-ci…

Esprits éclairés et lucidité: encore et toujours du boulot!

Le 18e siècle, ou Siècle des Lumières, promouvait notamment les connaissances partagées via par exemple l‘Encyclopédie de Diderot, et la lutte contre l’obscurantisme, les abus de pouvoir et les superstitions.

Que ceux qui pensent que cet acquis est définitif, que l’éclairage de nos cerveaux est suffisant, devraient se rappeler qu’il est hélas lui aussi susceptible de subir des coupures de courant et que certaines expressions telles que: « plus ébloui qu’éclairé » ou « n’a pas la lumière à tous les étages » peuvent toujours nous concerner si nous n’y prenons pas garde. Etre «clairvoyant» (le français est une belle langue!) ou lucide (de lux, la lumière en latin) demande, comme pour les ampoules du «Eurêka!» des chercheurs , beaucoup d’énergie mentale. L’avantage c’est qu’elle n’accélère pas le réchauffement climatique…à dépenser sans modération donc!

Lueurs d’espoir et illuminations

« Voir la lumière au bout du tunnel », c’est espérer, espérer la paix, espérer la démocratie restaurée, espérer ne pas tomber dans la tentation de la nuit barbare et de la régression mortifère. Et avancer…, plutôt que de reculer, ce qui est déjà agir.

C’est aussi accepter parfois d’être illuminé, de rêver au-delà de l’immédiatement réalisable, puisque: « Bienheureux les fêlés car ils laisseront passer la lumière… »*.

Et j’ajoute que l’on peut toujours et encore souhaiter voir la Liberté éclairer le Monde ….C’est bientôt Noël non?

Bonnes fêtes à vous ! Tous mes vœux.

 

 

 

*citation attribuée à divers auteurs, Audouard, Audiard, Groucho Marx … le mystère reste entier…

 

 

Véronique Dreyfuss-Pagano

Spécialisée dans les domaines de communication inter-humaine, de proxémie et de développement durable, Véronique Dreyfuss Pagano est professeur de géographie et de littérature. Mettre la pensée systémique au service de la résolution de problèmes complexes dans les sciences humaines est l'une de ses activités.

9 réponses à “Besoin de lumières

  1. Toujours aussi intéressant et magnifiquement recherché et écrit !
    Merci beaucoup Madame Dreyfuss-Pagano et meilleurs voeux à vous !

  2. Je me souviens d’un proverbe que mon institutrice aimait bien citer: “Il vaut mieux allumer une bougie que maudire les ténèbres.”

  3. “Etre «clairvoyant» (le français est une belle langue!) ou lucide (de lux, la lumière en latin) demande, comme pour les ampoules du «Eurêka!» des chercheurs , beaucoup d’énergie mentale. L’avantage c’est qu’elle n’accélère pas le réchauffement climatique…à dépenser sans modération donc!”

    Tout à fait d’accord, d’autant plus que cette énergie-là, qui non seulement ne contribue pas au réchauffement climatique mais ne produit ni cholestérol ni bactéries, n’est pas (encore) cotée à Wall Street où l’Oeil de la Providence imprimé sur le billet de un dollar illumine le monde de ses rayons, inspiré par le credo “In Go(l)d We Trust”.

    Cet oeil providentiel cher aux franc-maçons, de Thomas Jefferson à Franklin D. Roosevelt et sa cour d'”Illuminati”, inspiré du mythe égyptien du combat entre Horus et Seth, ne figure-t-il pas aussi au début de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen? Ce colossal monument de morne ennui propre aux “Lumières” a-t-il empêché les Encyclopédistes de contribuer à faire mettre sous couvre-feu la “Splendor Solis” du roi-soleil avant que celui-ci n’en perde sa tête photophore sur l’échafaud?

    Bonnes et lumineuses fêtes de fin d’année, avec ou sans coupures de courant, à toutes et à tous.

  4. Merci pour ce beau texte… lumineux. A l’heure où l’obscurantisme gagne du terrain, il est bon de rappeler certaines choses. Et espérons que l’Université de Genève restera fidèle à sa devise :”Post tenebras lux”…

    1. “…espérons que l’Université de Genève restera fidèle à sa devise :”Post tenebras lux”…”

      …hélas, avec ses problèmes de gouvernance interne et de harcèlement sexuel, c’est plutôt “Post lucem tenebrae” à l’Alma Mater ces temps-ci, non?

      Meilleurs voeux quand même.

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