Molière super star!

Janvier 2022 marque l’ouverture, partout dans le monde et en France en particulier, de l’Année Molière, en célébration, ô combien méritée, de Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, né en janvier 1622.

Une idole à toutes les époques                                               

Cumulant avec génie toutes les fonctions, immense auteur, metteur en scène novateur, directeur de troupe, comédien, il a su traverser les siècles et les cultures et sa biographie continue d’attiser aujourd’hui encore la curiosité et les polémiques.

En effet, sa vie telle que décrite dans ses biographies, présenterait nombre d’inventions fantaisistes posthumes , puisqu’en réalité nous n’avons que peu de traces tangibles de sa vie privée et aucun manuscrit autographe semble-t-il, ce qui a permis tous les délires a posteriori.

Les rumeurs…

Certains ont notamment affirmé (sans aucune preuve) qu’il s’était fait aider pour écrire ses pièces en vers par Corneille ou que Louis XIV aurait écrit sous son nom …. Comme pour toutes les célébrités, moins on en sait vraiment et plus cela excite l’imaginaire collectif.

Indémodable

Comment expliquer ce succès qui en fait l’auteur de théâtre de langue française (et Dieu sait qu’il a de la concurrence dans ce domaine) le plus lu, traduit et joué au monde encore aujourd’hui ?

Bien sûr les programmes scolaires, qui n’ont jamais cessé de le «mettre à l’affiche », ont très largement contribué à la diffusion, génération après génération, de son œuvre.

Mais ceci constitue plutôt une preuve supplémentaire, une conséquence naturelle de son génie qu’une cause de sa notoriété.

Le maître de la nature humaine

Observateur profond de ses contemporains, il a su dépasser dans ses portraits l’anecdote pure et a créé définitivement une typologie des travers humains. S’adaptant à chaque profil par un registre qui serve au mieux son propos, il passe du comique au sarcasme, de la critique politique à peine déguisée à l’émotion plus grave. Ainsi Don Juan, pour nous spectateurs modernes, est éclairé par ce que nous savons aujourd’hui grâce à Freud par exemple.

Dès lors, nous pouvons transposer ses pièces dans notre époque (et les metteurs en scène le font très souvent), les situations et les personnages restent toujours d’actualité.

Pas politiquement correct!

L’idéaliste orgueilleux et réactionnaire Misanthrope, si nostalgique du « monde d’avant », le prétentieux mais grossièrement naïf nouveau riche du Bourgeois Gentilhomme, le révoltant Tartuffe, sinistre incarnation de l’hypocrisie cléricale, ou encore ces « Précieuses ridicules » qui confondent pathétiquement être et paraître, toutes et tous , et ils sont beaucoup plus nombreux que mes quelques exemples, incarnent définitivement les principaux travers humains.

Il fallait oser les présenter ainsi à la cour et à la censure royale ! Molière était, n’en doutons pas, un homme courageux. Et, habile à déjouer les pièges de la censure, il n’en disait pas moins ce qu’il avait à dire. De son côté La Fontaine faisait, quant à lui, parler des animaux pour mieux s’en protéger. Il est lui aussi indémodable.

Comme Shakespeare, Molière touche à ce qui caractérise le plus l’âme humaine, son goût pour le pouvoir, son désir d’amour, sa peur de la mort, sa fascination pour l’argent ou sa quête existentielle de sécurité ou de certitudes.

Si l’on garde les Pieds sur Terre c’est aussi grâce à Molière! Il sait si bien se moquer de nous!

 PS. C’est aussi l’occasion d’aller à la Comédie française ou à Versailles par exemple: pièces et expositions lui rendent hommage. Ou de revoir le magnifique long métrage d’Ariane Mnouchkine: Molière ou la vie d’un honnête homme (1978).

Véronique Dreyfuss-Pagano

Spécialisée dans les domaines de communication inter-humaine, de proxémie et de développement durable, Véronique Dreyfuss Pagano est professeur de géographie et de littérature. Mettre la pensée systémique au service de la résolution de problèmes complexes dans les sciences humaines est l'une de ses activités.

12 réponses à “Molière super star!

  1. “Puisque le ciel nous fait la grâce que , depuis tant de siècles , on demeure infatué de nous , ne désabuons point les hommes , profitons de leur sottise le plus doucement que nous pourrontet soyons de concert auprés des malades pour nous attribuer les heureux succés de la maladie , et rejeter sur la nature toutes les bévues de notre art . ” Molière ( L’Amour medecin , acte 3 scene première ) Génial ce Molère et toujours pertinent … Ce 14 janvier 2022 il fête ses 400 ans …. ? Quelle est la citation la plus belle de Molière ? La plus belle citation de Molière est : ” A force de sagesse, on peut être blâmable.” … Permettez le lien d’un tableau pour montrer l ‘imtemporalité de Molière … Bisous … Je vous serre contre mon coeur …
    Serge , Montpellier , Occitanie , France , le 18 janvier 2022 . ( soleil presque printanier )

    http://www.galerie-com.com/oeuvre/-la-fourberie-des-labos-…-2021-et-2022…-moliere-/471919/

  2. Sacha Guitry, à qui un critique demandait “Quoi de nouveau cette saison au théâtre?”, répondit :”Molière”…

  3. Il y a quelques années, je suis passé par Versailles. Le soir tombé, lorsque les lourdes grilles du château replongèrent la majestueuse bâtisse dans sa calme dignité et que les dizaines de milliers de visiteurs eurent quitté les lieux, j’improvisai un pique-nique mi-urbain, mi-champêtre au pied de la statue équestre de Louis XIV. Enfin, j’avais “Versailles” pour moi tout seul. Des policiers en patrouille me regardèrent d’un oeil goguenard, en pensant que je ne manquais ni d’orgueil, ni d’imagination enfantine (ou infantile) pour m’installer tout seul, dans l’ombre puissante du grand roi. Véronique Dreyfuss-Pagano nous rappelle, bien à propos, qu’un autre homme déployait son génie à Versailles; c’est Molière. Molière le magnifique. Donc, lors de mon prochain passage dans cette ville que j’aime bien, je chercherai une statue à lui dédiée et je lirai, dans sa lumière, quelques vers de son oeuvre immortelle.

    1. Il n’y a pas d’âge pour s’émerveiller ou pour s’enthousiasmer, cela n’a rien de puéril… Merci pour ce partage de souvenir. Bonne soirée!

  4. En tous cas, une chose est sûre, c’est que Molière n’est pas compatible avec l’idéologie woke, féministe, les gender studies, etc., ni avec la cancel culture.

    Si ces idéologies l’emportaient, il faudrait linterdire l’oeuvre de Molière (ainsi que celle de Corneille, Racine, Shakespeare, Virgile, Ovide, bref toute notre culture en bloc).

    On verra qui gagnera de cette idéologies ou de la littérature.

  5. Je ne prends pas toujours le temps de vous écrire un commentaire et pourtant, c’est toujours une joie de vous lire ! Je prends également note de vos recommendations pour une prochaine visite à Paris, quelles belles idées, merci beaucoup. Célébrons toutes ces personnes ayant façonné la littérature ainsi que celles qui continuent à le faire, nous leur devons beaucoup. Que cela soit lors du “Livre sur les quais” à Morges ou cette année à Paris grâce à vos recommendations, toutes les occasions sont bonnes 🙂

    1. Merci à vous pour ce mot si encourageant!:) Et oui, comme vous le soulignez, toutes les occasions sont bonnes pour de belles découvertes ou des relectures! La magnifique exposition sur Marcel Proust au Musée Carnavalet à Paris m’a d’ailleurs donné envie de relire Proust encore une fois! En effet, nous sommes très chanceuses d’aimer les livres ….ce sont de merveilleux compagnons d’existence.

  6. “…j’avais eu, Sire, la pensée que je ne rendrais pas un petit service à tous les honnêtes gens de votre royaume, si je faisais une comédie qui décriât les hypocrites, et mit en vue, comme il faut, toutes les grimaces étudiées de ces gens de bien à outrance, toutes les friponneries couvertes de ces faux-monnayeurs en dévotion, qui veulent attraper les hommes avec un zèle contrefait et une charité sophistiquée.”

    Oui, du courage il en a fallu, à Jean-Baptiste Poquelin, “valet et tapissier du Roi” (comme dit son acte posthume), pour écrire son “Premier Placet” (été 1664) à Louis XIV après l’interdiction de “Tartuffe” par celui-ci. Pourtant d’abord favorable à la pièce le souverain aurait été influencé par l’archevêque de Paris et pourfendeur de jansénistes, Hardouin de Péréfixe. Comme Racine dans ses préfaces et la Fontaine, adaptateur des fables d’Esope pour mieux contourner la censure, Molière pèse chacun de ses mots pour s’assurer les faveurs du Roi, son protecteur, ou, tout au moins, pour ne pas risquer de mettre l’autorité royale et la Cour mal à l’aise. Car en dénonçant les tartuffe, bigots et calotins de son temps, Molière fait-il autre chose que de mettre en question l’autorité de l’Eglise toute puissante en un temps où les bûchers de l’Inquisition échauffent encore les imaginations?

    Comment comprendre la révolution française sans retourner aux auteurs qui ont, souvent au péril de leur vie, mis en cause les travers de la noblesse et du clergé? Tout enseignant d’histoire ne devrait-il pas conseiller à ses élèves, s’ils veulent comprendre 1789 et ses conséquences, de lire d’abord Molière, Racine et la Fontaine, entre autres? Comme pour comprendre notre temps, où les Tartuffe, Sganarelle, George Dandin, Juan Tenorio, Alceste, Bélise et Trissotin, Magdelon et Cathos se croisent tous les jours et même plus que jamais dans les rues, au travail, en vacances dans les media ou aux études – que ce soit en version intégriste, écologiste, protectrice des animaux ou veganomane?

    Ariane Mnouchkine, dont vous rappelez le film remarquable, l’a bien compris, quand elle a mis en scène en 1995 un “Tartuffe” méditerranéen où les barbes des imams intégristes remplacent les soutanes et calots des curés et où les Panulphe égorgeurs manient la Kalchnikov en guise de goupillon. On peut en lire des comptes-rendus ici: “Le Tartuffe”, théâtre de guerre contre tous les fondamentalismes, Le Monde, 7 novembre 1995 (https://www.lemonde.fr/archives/article/1995/11/07/le-tartuffe-theatre-de-guerre-contre-tous-les-fondamentalismes_3890384_1819218.html);
    Guy Bruit, “Le Tartuffe” (compte-rendu), Persée, Raison présente, 1996, pp. 124-129
    (https://www.persee.frdocraipr_0033-9075_1996_num_120_1_3373_t1_0124_0000_1).

    Merci pour votre beau billet.

    1. Un grand merci pour ce commentaire si riche d’informations et qui complète parfaitement mon petit billet! Et merci aussi pour la référence du Tartuffe adapté par Ariane Mnouchkine et que je ne connaissais pas. Il y aurait en effet encore mille choses à ajouter, et c’est d’ailleurs aussi ce qui fait la grandeur de Molière l’Indémodable.
      Bonne soirée et merci pour votre lecture fidèle.

Les commentaires sont clos.