L’eau manque depuis avril : perspective économique.

25 juillet : 24Heures titre« Canicule. Après la nuit tropicale, la journée a été très chaude avec des records historiques. En Suisse romande, la palme est revenue à Payerne et Genève avec 36,1 degrés ».

Au 2 août, environ des quatre-cinquième des départements français sont concernés par l’ alerte sécheresse, et les restrictions s’intensifient.

Effet annexe du manque d’eau, quand sécheresse et canicule se combinent, des centrales nucléaires ralentissent leur activité, la température de l’eau des fleuves étant un paramètre de refroidissement du réacteur.

Restrictions depuis avril dans une région arrosée

Dès le 10 avril, France 3 annonçait : « Sécheresse : des restrictions d’eau très précoces. Le Nord est en alerte sécheresse. Du jamais vu pour un début de printemps. Les particuliers et les industriels sont appelés à limiter leur consommation d’eau. »

La préfecture du Nord avait mis en place une série de mesures de restrictions pour l’usage de l’eau.

 

Je revois la bande annonce de « Bienvenue chez les Ch’tis » : Philippe, Kad Merad, muté contre son gré dans le Nord, conduit de nuit en écoutant Jacques Brel.

Quand il passe le panneau « Bienvenue dans la région Nord-Pas de Calais », une pluie drue s’abat sur son véhicule.

Le fait que l’eau manque dès le printemps signifie que le réchauffement touche dorénavant les régions réputées pour être arrosées en toutes saisons. C’est préoccupant.

 

La reconstitution des nappes phréatiques s’effectue principalement en automne et en hiver. Au printemps, l’activité végétale absorbe une bonne partie des précipitations ce qui n’alimente pas les réserves. Aussi, à volume égal, un printemps pluvieux ne serait pas venu « compenser » l’absence de précipitations hivernales.

C’est pourquoi le préfet avait annoncé que le train de mesures de restrictions d’avril, valables jusqu’au 30 juin, était le premier, une manière de préparer les esprits.

L’eau bien non substituable

Quand j’enseigne l’économie, j’introduis les notions d’offre, de demande, d’élasticité et l’éventuelle substituabilité des biens entre eux.

Si le prix d’un bien monte, selon le bien, la demande d’un bien substituable prend la relève.

Typiquement, si le prix des transports publics monte, les automobilistes reprennent leur véhicule individuel. Et si le prix des pommes prend l’ascenseur, les ménages consomment plus de poires.

 

Généralement, la tarification de l’eau est basse, sans effet de progressivité lié au volume, ou à la quantité disponible. Le signal prix n’incite pas à limiter sa consommation.

 

Or l’eau n’est pas substituable. Les agriculteurs ne vont pas arroser avec du vin blanc, les industriels ne vont pas faire tourner leurs usines avec des bières, et les ménages ne vont pas se laver avec du lait.

En même temps, les agriculteurs veulent arroser leurs champs et faire boire leurs bêtes, les industriels assurer leur production et les ménages continuer à laver leur linge.

L’été étant chaud, l’ensemble des animaux a aussi soif. Quant aux hôtels… ils détestent ne pas pouvoir ajuster le niveau d’eau de la piscine au fur et à mesure de son évaporation.

 

Autrement dit, quand on a besoin d’eau, illusoire de chercher des biens de substitution.

La demande étant en croissance quand l’offre est plus faible, la situation peut donc se dégrader rapidement et intensément.

Cette évidence est rappelée dans le document cantonal de mars 2016, intitulé « Adaptation aux changements climatiques État des lieux du canton de Vaud ».

Au paragraphe abordant les conflits potentiels majeurs, la « Répartition des usages de la ressource en eau » est identifiée:

Le défi le plus évident concerne la répartition des usages de la ressource en eau et touche en particulier les domaines de l’agriculture, de l’énergie, de la biodiversité, de la gestion des eaux et du tourisme.

 

Une prise en compte réelle mais lente des pouvoirs publics

Environnement Magazine annonce : « le 12 avril dernier, six acteurs de la gestion de l’eau et de la ville en Auvergne-Rhône-Alpes ont signé les principes de l’Association internationale de l’eau (IWA), s’engageant ainsi pour des Territoires Eau-responsables. »

Cette initiative des pouvoirs publics est indispensable pour « élaborer et mettre en œuvre une stratégie d’eau urbaine durable ».

 

En Suisse, on peut lire l’analyse de la sècheresse de 2018 sur le site de l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage -le WSL-on peut lire l’analyse de la sècheresse de 2018 :

 

« En 2018, l’Europe centrale et septentrionale – et donc aussi la Suisse – ont subi une des sécheresses les plus marquées des dernières décennies. Après l’extrême sécheresse de l’été 2018, le WSL mène 13 brèves analyses dans le but d’améliorer la gestion de la sécheresse.

Lors de l’été 2018, les débits de certains cours d’eau et les niveaux des lacs ont atteint des minima encore jamais mesurés, et à la fin de l’année, les nappes phréatiques au nord des Alpes ne s’étaient pas encore reconstituées. Dans le secteur agricole, la sécheresse a entraîné des pertes de récoltes importantes. »

 

Dans les prises en compte ci-dessus, il y aura un groupe de travail, recommandations, planification et définition des priorités, puis calendrier politique pour une mise en œuvre, à moyen terme…

Sans même aborder la nécessaire coordination entre les acteurs des cantons concernés et de la région Auvergne-Rhône Alpes, le moyen terme signifie, au mieux, de premières réalisations dans 5 ans, et bien plus pour les investissements importants.

Dans le canton de Vaud, les chutes de neige de février a sauvé la saison de ski, ce qui a fait oublier le faible niveau global des précipitations automnales, à court terme. Cependant ces précipitations n’ont pas été suffisantes pour les nappes phréatiques.

 

Toujours dans le document cantonal dédié aux enjeux du réchauffement climatique, le chapitre abordant les ressources est assez sévère :

« Un frein majeur à la réalisation de mesures d’adaptation réside dans le manque de ressources, aussi bien humaines que financières. Dans plusieurs domaines, le nombre d’équivalents pleins-temps alloués est actuellement insuffisant pour faire face aux nécessités liées aux changements climatiques. C’est le cas pour l’agriculture, la gestion de la biodiversité, la gestion des eaux (sauf eau potable),l’énergie, la santé, le tourisme. Cela signifie, dans les conditions actuelles, que la problématique de l’adaptation aux changements climatiques au sein de ces entités ne peut être traitée qu’au détriment d’autres dossiers. »

La description de la situation n’est pas rassurante même si, depuis 2016, les ressources humaines ont été un peu renforcées.

Le lac Léman, source d’eau ?

Qu’en est-il des nappes locales ? Le niveau de celle de Nyon par exemple est bas.

La présence du lac Léman nous donne l’impression d’être à l’abri des restrictions, voire d’une réflexion autour de l’eau.

Pourtant, l’an dernier, les vaches vaudoises, aux besoins quotidiens de 80 à 100 l, ont eu soif. Les réservoirs des alpages n’ont pas suffi.

Même à 30 km à vol d’oiseau du lac, l’eau n’a pu être remontée.

Ainsi, certains bovins vaudois et valaisans ont été abreuvés en alpage par les hélicoptères de l’armée. Cette solution, certes pragmatique, ne peut que demeurer exceptionnelle, en raison de ses coûts disproportionnés.

Cette anecdote prouve que l’anticipation des effets d’une sècheresse brutale est perfectible.

La gestion de l’eau est moins simple qu’il n’y parait : l’eau du lac est « directement » impropre à l’arrosage ou à la consommation.

La gestion technique est complexe pour « remonter » de très grandes quantités d’eau d’un endroit à un autre.

Les systèmes de pompage ont-ils la capacité suffisante ?

Peut-on facilement augmenter leurs capacités pendant une période de plusieurs semaines pour l’ensemble des demandes ? Si toute la Côte pompe en même temps, qu’advient-il ?

Comment « remonter » l’eau vers les alpages ou vers les villages en hauteur ?

Anticipation nécessaire

Ces sujets sont à traiter à froid pour mettre à niveau les systèmes avant les crises.

Comprenons bien que les besoins sont là, aigus, potentiellement catastrophiques dans certains secteurs économiques qui auront tous de bonnes raisons de réclamer des mesures d’aide exceptionnelles à des coûts disproportionnés :

  • agriculture,
  • forêts,
  • pêche,
  • tourisme, etc.

La feuille de route cantonale consacrée au changement climatique, adoptée en novembre dernier impose de réduire notre impact sur le réchauffement, de nous adapter à ses effets indésirables et de documenter le tout.

Insistons sur le fait que ce plan d’action vise à préparer une situation future qui sera dégradée par rapport à ce que nous vivons aujourd’hui.

Plus vite nous changerons nos habitudes pour cette denrée rare, moins difficile sera l’adaptation.

L’urgence climatique a été déclarée au Grand Conseil vaudois tout récemment, une excellente occasion de demander au Conseil d’État d’engager les ressources appropriées nécessaires. Le temps joue contre nous.

 

Référence :

https://www.vd.ch/themes/environnement/climat/etat-des-lieux-cantonal/

Valérie Mausner Leger

Candidate au Conseil national. Titulaire d’un diplôme d’HEC et au bénéfice d’un Master en systèmes d’information., Valérie Mausner Leger conseille les communes romandes pour leur politique déchets. Conseillère communale à Nyon, elle a co-fondé l’association Demain la Côte qui promeut l’agriculture urbaine, les énergies renouvelables et la consommation sobre.

10 réponses à “L’eau manque depuis avril : perspective économique.

  1. Votre liste non exhaustive est intéressante. L’eau est en quantité suffisante sur cette planète et appartient à tous, mais elle est mal répartie, c’est un aspect du problème. Vous parlez de RH, mais l’ajustement de notre vie économique sera tout aussi important et probablement graduellement. Sinon l’equation avancée avec raison sera difficile à résoudre. Pas impossible.

    1. Je vous remercie de votre commentaire.Les ajustements de notre vie économique s’imposeront. En attendant, la valeur “partage” et les notions de bien commun devront retrouver un sens pour beaucoup. La remise en question est …devant nous.

  2. Bravo chère Valérie d’aborder ce thème.

    Le mythe du “Château d’eau de l’Europe” est encore bien ancré, mais comme il faut des lustres pour se remettre en question, seules des femmes peuvent avoir cette perception.

    En revanche, j’aime beaucoup moins votre illustration. La vendange flétrie donne une excellente récolte et c’est pas Yquem qui va me contredire 🙂

    1. J’ignore si le fait d’être une femme me facilite la remise en question. En tous cas, la remise en question est nécessaire.

      Le clin d’oeil de la vigne est pour la Fête des Vignerons : les pertes agricoles concernent notamment les pommes qui seront plus petites et touchées, donc refusées par les distributeurs.

      C’est un point sur lequel nous devrons aussi travailler : accepter fruits et légumes de moindre calibre ou de forme bizarre pour éviter l’énorme gaspillage alimentaire.

      Belle soirée

  3. Comme vous n’avez semble t il pas reçu mon commentaire, je me permets de la résumer: de l’eau il y en a suffisamment sur notre planète bleue, plutôt salée (océans) que douce et potable (glaciers, acquifères, sources, rivières, lacs, pluie).
    Le problème de l’eau potable est sa répartition (inégale) et son usage (correcte et incorrecte….). L’equation sous jacente à vos propos va être complexe à résoudre, mais pas impossible; de mon point de vue, il suffit de mettre plus de femmes dans les instances législatives pour que les décisions deviennent plus adéquates. J’en suis convaincu. Courage.

    1. J’ai répondu …. Merci pour l’encouragement des femmes dans les instances politiques.

      Les sociologues ont établi que pour que les décisions soient prises aussi en fonction des sujets/visions/regards féminins, l’assemblée devait comporter 35% de femmes.
      Bel objectif pour les échéances électorales qui arrivent.

  4. Merci Valérie pour cet article super bien documenté.
    Étant originaire du Nord et des Ardennes, il est vrai que mes souvenirs de vacances ont peu à voir avec la sécheresse…à part en 76, bien sûr.
    Dans ce domaine comme dans d’autres, la réalité dépasse les prévisions.

    1. Merci. Ce matin, Météo France a sorti ce matin la liste par ville des records battus. J’ai du relire certains noms! Comme nous l’avons perçu, “juillet 2019 est le mois le plus chaud jamais mesuré dans le monde”, dixit le groupe européen Copernicus.
      Rappelons peut-être que le GIEC a pris des hypothèses “conservatrices” pour éviter de se faire traiter de gourous alarmistes.Il se pourrait donc que certains scénarios pêchent, hélas, …par optimisme. Ce serait une fort mauvaise nouvelle.

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