The kids are not alright : ce que la discrimination fait aux jeunes des minorités sexuelles et de genre

“I’ll be hurt either way. Isn’t it better to be who I am ?”[1], assène le personnage d’Eric, interprété par Ncuti Gatwa, dans la première saison de la série pour ados Sex Education. Dans cette scène, Eric est en train de surmonter le traumatisme d’une agression homophobe qui l’a poussé, pendant un temps, à se censurer et se cacher, par peur des répercussions potentielles. Que ce soit à l’écran ou dans la vraie vie, les discriminations constituent encore un risque important pour la santé physique et mentale des jeunes LGBTIQ+. En Suisse, les jeunes des minorités sexuelles et de genre présentent des taux de suicide, de dépression et d’anxiété plus élevés que leurs pairs hétérosexuel.le.s et/ou cisgenres. Comment expliquer ce phénomène révélateur d’inégalités sociales profondes ? Comment en parler de manière sensible et responsable, sans renforcer des préjugés dangereux pour les concerné.e.x.s ? Et, surtout, comment agir ? Joséphine Gut, stagiaire à STOP SUICIDE et étudiante en Master en Etudes genre, propose quelques pistes de réflexion.

[1]Je serai blessé de toute façon, Autant être ouvertement qui je suis, non ?

 

Prévenir le suicide chez les groupes à risques

Il est nécessaire de parler du suicide, si l’on veut espérer l’enrayer. Depuis vingt ans, STOP SUICIDE porte ce message : ce n’est jamais en ignorant ou en invisibilisant les souffrances des jeunes que ceux-ci ont pu être efficacement pris en charge, soutenus et soignés. Le risque suicidaire doit être abordé et déstigmatisé activement afin de permettre aux personnes qui y sont confrontées d’accéder aux ressources qui leur permettront de s’en sortir, ainsi qu’aux causes structurelles sous-jacentes d’être identifiées et combattues. En effet, si le passage à l’acte est individuel, le contexte socio-culturel, ainsi que la nature et la qualité des politiques de prévention et de prise en charge des jeunes en situation de crise, ont également leur rôle à jouer. C’est-à-dire : des éléments extérieurs à l’individu constituent des facteurs de protection (diminuant le risque suicidaire) ou des facteurs de risque (contribuant à rendre certaines personnes plus vulnérables). Au cours de la dernière décennie, de nombreuses recherches ont permis de démontrer l’existence de facteurs de risque touchant spécifiquement les jeunes des minorités sexuelles (dont l’orientation sexuelle est autre qu’hétérosexuelle) et de genre (dont l’identité de genre ne correspond pas exclusivement au sexe qui leur a été assigné à la naissance).

Ces études, qui rendent compte de taux de suicide, de dépression et de troubles anxieux plus élevés parmi les jeunes non-hétérosexuel.le.s et/ou trans*, dénoncent un état de fait inacceptable, qui nécessite l’intervention d’acteurs publics et privés. Elles sont tout à fait capitales dans l’ajustement des programmes de sensibilisation et de prévention du suicide chez les jeunes. De même, elles peuvent servir à alarmer les écoles et les hôpitaux, lieux où les jeunes des minorités sexuelles et de genre disent faire face à de nombreuses discriminations (1) et à rappeler que ces institutions doivent assurer l’égalité des chances à tous les élèves, et l’égalité de traitement à tous les patients. Dans toute la Suisse, des associations se sont saisies de ce problème social et proposent des groupes de parole pour les jeunes des minorités sexuelles et de genre (c.f liste des associations en fin d’article). A Genève, Le Refuge propose une permanence pour les jeunes en crise.

Mais si ces statistiques peuvent servir à alerter les instances publiques et à légitimer les actions des associations engagées pour les jeunes des minorités sexuelles et de genre et/ou la santé mentale des jeunes, elles doivent être soigneusement contextualisées, expliquées, encadrées – au risque, sinon, de finir par causer plus de mal que de bien.

 

Image :amnestylgbtqunil (instagram)

L’importance d’un traitement réfléchi et responsable de la sursuicidalité des jeunes des minorités sexuelles et de genre

En Suisse, les jeunes non-hétérosexuel.le.s ont 2 à 5 fois plus de risque de se suicider que leurs pairs hétérosexuel.le.s (2). Et c’est avant d’atteindre vingt ans que l’écrasante majorité des premières tentatives de suicide ont lieu (2). La santé mentale des jeunes trans* reste largement non-documentée en Suisse, mais les associations spécialisées rapportent être régulièrement confrontées à des personnes en crise (retrouvez notre précédent article à ce sujet ici).

Ce sont des données alarmantes et douloureuses, révélatrices d’une société qui malmène encore et toujours les minorités sexuelles et de genre. Ce sont également des chiffres sensibles à traiter : les amalgames et liens de causalité houleux sont à éviter. La médecine et la psychiatre ont, notamment, un long historique de pathologisation des orientations sexuelles et identités de genre non-normatives, qui ont longtemps été considérées comme des maladies mentales à soigner, des afflictions, des déviances, sources directes des taux de suicide et de dépression plus élevés (3). Et s’il est devenu moins fréquent aujourd’hui d’entendre ces conceptions stigmatisantes, ce sont des croyances erronées qui sont loin d’avoir complètement disparues de notre imaginaire collectif.

C’est pour cela qu’il est nécessaire, quand on parle des jeunes des minorités sexuelles et de genre comme des “groupes à risque” en matière de santé mentale, de spécifier clairement et explicitement que ce n’est jamais leur orientation sexuelle ou leur identité de genre en tant que telles qui sont à la source de souffrances psychiques statistiquement plus élevées. Autrement, on risque :

  • de simplifier les tentatives de suicide, toujours multifactorielles et complexes, à l’expression d’une seule et unique cause. Or, c’est l’expression d’une idée reçue sur le suicide qui nuit aux efforts de prévention et d’accompagnement des personnes concernées. Expliquer la tentative de suicide d’une jeune personne par une cause uniquement, comme des difficultés liées à l’acceptation de son orientation sexuelle ou de son identité de genre, c’est la réduire à une seule facette de son identité pourtant riche et complexe (4), passer sous silences les autres problématiques auxquelles elle peut être confrontée et, de ce fait, courir le risque de ne pas la soutenir de manière adéquate dans son processus de reconstruction.
  • de (re)produire un narratif qui fait du risque suicidaire et de la dépression une fatalité pour les personnes des minorités sexuelles et de genre (4). Cela participe de la stigmatisation de ces groupes, en renforçant la légitimité de certains stéréotypes – on peut notamment citer le cliché du “style de vie homosexuel” qui serait particulièrement décadent, rythmé par l’abus de substances, les maladies sexuellement transmissibles et les relations multiples instables, qui mèneraient inévitablement à une fin tragique prématurée, ou du moins à de graves problèmes de santé mentale (3). Ces stéréotypes peuvent également impacter directement les personnes concernées, notamment en structurant la manière dont iels se perçoivent et se représentent leur vie en tant que personne LGBTIQ+. Ils finissent parfois par fonctionner comme de véritables prophéties autoréalisatrices (4).

Je me souviens encore aujourd’hui du choc que cela a représenté pour moi, la première fois que j’ai été confrontée à ces statistiques : j’étais tout juste adolescente, et en plein questionnement autour de mon orientation sexuelle, je n’avais au final que très peu d’informations “concrètes” ou de modèles identificatoires, dans la mesure où aucun adulte autour de moi était visiblement non-hétérosexuel, qu’il n’y avait pas eu de sensibilisations à ces thématiques dans le cadre scolaire et que les représentations dans les médias restaient encore rares et souvent unidimensionnelles. Une des premières choses que j’ai donc “appris” sur ce que cela voulait dire, d’être une femme bisexuelle, était que j’avais un plus grand risque de me suicider, de subir de multiples épisodes dépressifs et de finir seule. Comme ces données n’étaient ni expliquées en détails, ni contextualisées, cela m’a fait l’effet d’une condamnation, d’une sentence inéluctable. Et j’ai pris un temps considérable à me débarrasser complètement de l’idée que mon orientation sexuelle était une épée de Damoclès, une promesse d’une vie émotionnelle et relationnelle nécessairement douloureuse et torturée. Je sais que je ne suis pas la seule. Il est temps que l’introduction aux grands questionnements identitaires de l’adolescence se fasse de manière plus positive et empouvoirante pour tou.te.x.s. (Joséphine Gut)

  • de passer à côté des causes structurelles des taux de suicide, de dépression et d’anxiété plus élevés parmi les minorités (sexuelles et de genre, notamment). Si les jeunes des minorités sexuelles et de genre souffrent, ce n’est pas parce qu’iels sont gays, lesbiennes, bisexuel.le.s, pansexuel.le.s, trans*… mais à cause des discriminations homophobes et transphobes. Ce qui pose problème, ce n’est pas qui iels sont, mais le fait que nous vivons dans une société qui nie, autorise, reproduit, et parfois même encourage l’intolérance, l’ignorance et l’agressivité à leur égard (5). S’il est ainsi important d’aider les jeunes concernés à développer des outils de résilience personnelle, des changements sociaux, culturels et politiques significatifs sont indispensables.

    Image : mattxiv (instagram)

 

“Pour l’amour de nos jeunes…” (5) : identifier et combattre les discriminations

Les recherches menées sur la santé mentale des jeunes des minorités sexuelles et de genre au cours de la dernière décennie ont permis de cerner les facteurs de risque prévalents: il s’agit du harcèlement (scolaire, particulièrement) et de la stigmatisation. Si leurs effets sont multiples et ne touchent pas tous les jeunes de la même manière ou avec la même intensité, les violences physiques et l’isolement en sont des conséquences possibles, ainsi que de forts sentiments de honte, de peur et d’anxiété (5, 6, 7 et 8) – tous contribuent à la prévalence de symptômes dépressifs et d’envies suicidaires parmi les jeunes concernés. Michel Dorais soulève que ces facteurs de risque sont accentués lorsque les institutions scolaires et médicales manquent à leur devoir d’information, d’encadrement et d’accompagnement : “les jeunes LGBT sont mal outillés pour faire face aux problèmes d’intolérance (…) le tiers des jeunes interrogés n’ont jamais entendu parler d’homosexualité (autrement que négativement) à l’école. Pas étonnant dès lors que la moitié des jeunes interrogés aient eu honte d’être LGBT et aient connu une ou plusieurs périodes dépressives en rapport avec leur orientation sexuelle et les réactions qu’elle suscite” (6).

Si ces recherches font état des effets désastreux sur la santé mentale d’un environnement personnel et institutionnel intolérant et/ou mal informé, elles soulignent également que l’acceptation et le soutien des proches et des institutions constituent, à l’inverse, un facteur de protection majeur (7, 8). Quand l’intolérance et les discriminations diminuent, leurs effets néfastes sur les jeunes des minorités sexuelles et de genre font de même. Mais ce n’est pas un combat qu’iels devraient avoir à mener seul.e.x.s. Nous ne pouvons plus nous dédouaner, en tant que collectivité, de nos responsabilités : l’intolérance, l’homophobie et la transphobie font partie du passé et du présent de la Suisse, et elles ont des conséquences réelles, tangibles et délétères.

 

Des solutions peuvent être apportées par :

  • La valorisation et le développement des associations qui viennent actuellement en aide aux jeunes qui traversent une crise, en proposant de nombreuses ressources, dont des groupes de parole (c.f liste de contacts en fin d’article).
  • La participation de personnes et d’associations concernées lors de prises de décision pouvant avoir un impact sur les jeunes des minorités sexuelles et de genre, et la prise en compte attentive des revendications que ces dernier.ère.x.s ont déjà émis.
  • Le développement de représentations plus diversifiées et positives de personnes non-hétérosexuelles et non-cisgenres, et la promotion de narratifs empouvoirants qui ne font pas du suicide une fatalité, ni des souffrances psychiques des jeunes des minorités sexuelles et de genre une étape nécessaire et attendue de leur adolescence.
  • Des actions visant à combattre les discriminations et l’intolérance tant au niveau individuel que structurel. Il est important de s’interroger sur les représentations que nous avons nous-mêmes en tête, et les idées reçues auxquelles nous adhérons parfois sans même nous en rendre compte, car celles-ci ont des conséquences sur la manière dont nous interagissons avec les personnes concernées (9). De même, les comportements et attitudes discriminantes ne doivent pas être banalisés, mais dénoncés et discutés. Il est capital d’agir proactivement pour mettre fin aux discriminations : en oeuvrant pour que les mentalités et les représentations sociales changent, mais également en assurant l’égalité des droits dans la loi. À l’occasion de la journée du souvenir trans*, le 20 novembre passé, une liste de revendications à été publiée par un collectif genevois avec l’objectif de souligner les discriminations légales auxquelles font face les personnes trans* en Suisse, et de proposer des solutions concrètes. Egalement au coeur de l’actualité : l’extension de la loi anti-discrimination à l’orientation sexuelle. Cette initiative, sur laquelle nous seront amené.e.x.s à voter ce dimanche, n’est évidemment pas une solution miracle à tous les facteurs de risque présentés ci-dessus et n’intègre pas les discriminations liées à l’identité de genre. Il n’en reste pas moins que c’est une étape importante à ne par rater : dans les mots de Zineb Baaziz, militante pour Amnesty International et étudiante au Master en Economie Politique, “Voter OUI permettra de protéger la vie des personnes homosexuelles et bisexuelles au quotidien sur le territoire suisse”. (10)

Sources :

  1. Enquête LGBTIQ+ en Suisse 2019 : Rapport final – Disponible en allemand, français, anglais et italien.
  2. Häusermann, M. (2014) L’impact de l’hétérosexisme et de l’homophobie sur la santé et la qualité de vie des jeunes gays, lesbiennes et bisexuel-les en Suisse. Le droit de l’enfant et de l’adolescent à son orientation sexuelle et à son identité de genre, mai 2014. Editeur : Institut universitaire Kurt Bösch. p. 9, et Descuves, A. & Berrut, S. (2013), La santé des femmes qui aiment les femmes
  3. Pugnière, J. M. (2011) L’orientation sexuelle, facteur de suicide et de conduites à risque chez les adolescents et les jeunes adultes ? : l’influence de l’homophobie et de la victimation homophobe en milieu scolaire. Psychologie. Université Toulouse le Mirail – Toulouse II.
  4. Cover, R. (2012). Introduction : Queer Youth Suicide, Vulnerability and Unliveable Lives in Queer Youth Suicide, Culture and Identity, pp. 1-17.
  5. Goguen, Y. (2015). Pour l’amour de nos jeunes : le droit d’être libre de discrimination et de violence à caractère homophobe et transphobe à l’école. Revue de l’Université de Moncton, 46 (1-2), pp. 201-228.
  6. Dorais, M. (2015). De la honte à la fierté : Contexte et résultats d’une enquête québécoise menée auprès de 259 jeunes LGBT âgés de 14 à 21 ans, Québéc Studies 60, 23-34.
  7. d’Arnicelli, H. & Sellerte, S. (2019) Quand l’hétéronormativité fait mal in Manuel indocile de sciences sociales, Fondation Copernic, pp. 805-809.
  8. Geoffroy, M. & Chamerbland, L. (2015). Discrimination des minorités sexuelles et de genre au travail : quelles implications pour la santé mentale ?, Santé mentale au Québec 40 (3), pp. 145-172.
  9. R. Bize, E. Volkmar, S. Berrut, D. Medico, H. Balthasar, P. Bodenmann, H. J. Makadon (2011), Vers un Accès à des soins de qualité pour les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres, Revue Médicale.
  10. Baaziz, Z. (2020). Votons OUI le 9 février pour une société plus égalitaire, Amnesty International Youth.

Les références citées sont disponibles sur demande à [email protected]

 

Autres références utiles :

Enquêtes populationnelles sur la victimisation et la délinquance chez les jeunes dans les cantons de Vaud et Zurich, Les jeunes non-exclusivement hétérosexuel.le.s : populations davantage exposées ? Raisons de santé (2018)

Brochure sur les droits des personnes LGBT (2018), publiée par l’université de Genève et disponible en ligne.

Alessandrin, A. (2019). Comprendre les transidentités in Manuel indocile de sciences sociales, Fondation Copernic, pp. 810-820.

Medico, D. & Zufferey, A. (2018). Un futur pour les enfants et les jeunes transgenres : que savons-nous sur les besoins et les solutions ?, Rev Med Suisse n°14, pp. 1765-9.

Parini, L. & Lloren, A. (2017). Discriminations envers les homosexuel·le·s dans le monde du travail en Suisse. Travail, genre et sociétés, 38(2), pp. 151-169.

 

Contacts utiles :

Tél 147

Ligne d’aide et conseils pour les jeunes, confidentielle et gratuite, 24h/7j

 

Groupes Jeunes LGBTIQ+ :

Genève

TOTEM

[email protected]

 

Vaud

VOGAY

[email protected]

 

Fribourg

Sarigai

[email protected]

 

Neuchâtel

Togayther

[email protected]

 

Valais

Alpagai

[email protected]

 

 

Autres associations LGBTIQ+ :

Epicène – Association pour l’égalité trans*

[email protected]

 

Fondation Agnodice – Jeunes Trans*

[email protected]

 

Dialogai – Association gay

[email protected]

 

Dr. Gay – Site d’information pour la santé sexuelle des hommes qui ont du sexe avec des hommes

 

InterAction – Association pour les personnes intersexes

[email protected]

 

Lestime – Association lesbienne

[email protected]

 

Les Klamydias – Association pour la santé sexuelle des Femmes qui ont du sexe avec des femmes

[email protected]

 

Le Refuge – Centre d’acceuil pour jeunes LGBT en difficulté

[email protected]

 

360 – Magazine d’information LGBT suisse

[email protected]

 

Transgender Network – Groupes de discussion tous âges

[email protected]

STOP SUICIDE

En 2000, un jeune collégien genevois se suicide. Face à cette tragédie des étudiant.e.x.s organisent une marche silencieuse et décident à l’issue de celle-ci de fonder l’association STOP SUICIDE. En réaction au silence institutionnel et au manque d’action pour prévenir le suicide des jeunes, ils et elles se sont donné.e.x.s pour mission de parler et faire parler du suicide.