Le temps de la politique

Coronavirus : La sécurisation anti-migration ?

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et celui du Conseil européen, Charles Michel, après leur rencontre avec le président Erdogan, le 9 mars 2020. (Olivier Hoslet - EPA/Keystone)

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et celui du Conseil européen, Charles Michel, après leur rencontre avec le président Erdogan, le 9 mars 2020. (Olivier Hoslet - EPA/Keystone)

Une corrélation n’est pas une causalité : la première observe un parallélisme entre deux événements, la seconde les faits découler l’un de l’autre. Le biais le plus courant consiste à faire passer une corrélation pour une causalité et c’est exactement ce qui semble se produire entre « crise sanitaire » et « crise migratoire ». Alors que, simplement, elles se présentent simultanément, des extrémistes nationalistes instrumentalisent la crise du coronavirus pour lui trouver une cause dans la migration et ainsi justifier la fermeture des frontières ainsi que le rejet drastique des réfugiés sur le continent européen. En effet, depuis que le président turc Recep Tayyip Erdogan a réouvert ses frontières à des fins stratégico-politiques, les discours à caractère xénophobe tentent une nouvelle main basse sur les citoyens européens en alimentant la propagande anti-migration au robinet des angoisses suscités par la pandémie du coronavirus. Sans surprise, cette logique argumentative navigue en plein paradoxe  puisque, à l’heure actuelle et d’après les experts, les personnes infectées par le virus Covid-19 se trouvent davantage sur le Vieux contient qu’en Afrique ou Moyen Orient.  Pourtant, l’ex-ministre italien Matteo Salvini n’a pas hésité à se servir de cette « crise sanitaire » pour critiquer l’arrivée des migrants sur les côtes italiennes. D’après lui, les demandeurs d’asile représentent un risque épidémique pour la nation italienne et incomberait par conséquent au gouvernement de Guiseppe Conte d’être encore plus intransigeant sur ce sujet. De même, le premier ministre nationaliste hongrois Viktor Orban a étiqueté ces migrants comme étant les boucs émissaires de la propagation du coronavirus en Hongrie et a ordonné la fermeture de camps de transit pour demandeurs d’asile à la frontière serbe.

Face à ce nouvel obstacle, les réfugiés qui tentent de passer par la Grèce se trouvent doublement frappés, non seulement par la politique migratoire de l’Union européenne, mais également par la politique sanitaire dont ils font collatéralement les frais. Quelles sont les conséquences de ces politiques ?

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Ce mardi 17 mars, le ministère grec des migrations a décidé le confinement des camps des demandeurs d’asile, décision qui touche environ 40’000 réfugiés. Cette mesure de quarantaine – certes nécessaire pour vaincre la propagation du virus – détériore davantage encore les conditions de vie de ces personnes déplacées, en aggravant sévèrement l’extrême surpeuplement de ces camps. C’est le cas notamment à Lesbos, où un camp de réfugiés construit de base pour accueillir environ 3000 personnes, « accueille » actuellement 18’000 demandeurs d’asile. Selon Jean Ziegler, rapporteur spécial de l’ONU, ces personnes sont « entassées dans des conditions inhumaines, en violation des principes les plus élémentaires des droits de l’homme ».

À cela s’ajoute désormais l’arrivée de coronavirus, qui risque non seulement d’accroitre le sentiment d’abandon de ces réfugiés bloqués dans les camps, mais aussi d’accélérer significativement la propagation du virus. En effet, les infrastructures de sécurité qui permettraient d’endiguer le coronavirus sont mise en échec proportionnellement au raidissement de la politique migratoire et de la situation à la frontière turque. Face à cette réalité, l’ONG Médecins sans frontières (MSF) en a solennellement appelé au gouvernement grec afin qu’on ordonne l’évacuation de l’ensemble des camps pour empêcher la diffusion du virus. Le Dr Michael J. Ryan, directeur exécutif de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), préconise trois actions pour, si possible, éviter un désastre humain : « it’s camp design ; it’s space ; it’s hygiene ». En d’autres termes, il faut créer plus d’espaces, garantir une meilleure hygiène et avoir des structures sanitaires efficaces. Pourtant, ces propositions semblent être minimisées par la politique grecque et plus encore par celle de l’Union européenne. Pourquoi donc une pareille indifférence ?

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Malgré les dispositifs contraignants instaurés par FRONTEX pour empêcher le flux migratoire vers l’Europe et la présence de coronavirus, les réfugiés continuent à fuir leur pays pour des raisons essentiellement politiques et tentent de trouver la paix et la sécurité en traversant la mer Méditerranée (« Mer cimetière »). Plus que jamais et sans attendre, des mesures humanitaires et sanitaires doivent être mises en place. La responsabilité de l’Union européenne n’est pas d’augmenter la sécurité au détriment des réfugiés, mais plutôt avoir une politique sanitaire et migratoire en incluant l’ensemble des acteurs concernés, à savoir les citoyens européens et les réfugiés. De cette manière, la politique humanitaire – en accord avec la Convention des droits des réfugiés de 1951 – peut garantir la vie de ces demandeurs d’asile et mieux canaliser la propagation du virus mortifère. En réalité, si l’Union européenne ne prend la mesure de l’urgence et n’agit en conséquence, ce en sont pas simplement au prix de quelques vies humaines mais, comme le soulève Christine Jamet, directrice des opérations des MSF, « ça sera une hécatombe » !

Pour revenir sur ces discours extrémistes, il est important de souligner combien, derrière ces positions politiques, l’amalgame entre les notions de « sécurité sanitaire » et d’« immigration » politise et instrumentalise la pandémie due au coronavirus au profit d’une fermeture encore plus implacable des frontières de l’Europe. Ces déclarations extrémistes nous montrent que les questions relatives aux réfugiés, si elles sont parfois thématisées comme des problèmes sociaux, elles deviennent une sorte, par le biais causal, de paradigme global ; et peu importe si les statistiques les plus sérieuses nous prouvent le contraire, à savoir qu’il y a aucune causalité démontrable entre la présence de réfugiés sur un territoire donné et le taux de criminalité, de délinquance ou de chômage ; il n’y en a pas davantage entre la présence des réfugiés en Europe et l’éventuelle propagation du coronavirus. Cette sécurisation relative à l’anti-migration est simplement le résultat de discours politiques stratégiquement conçus. Ces rhétoriques simplistes nient l’objectivité de la complexité sociale et parallèlement créent des amalgames susceptibles d’être faussement diffusés dans l’opinion publique.

Références :

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