Les réfugiés climatiques : les oubliés ou les négligés ?

La crise écologique déséquilibre fortement plusieurs domaines au sein de nos sociétés. Un des impacts dans ce dérèglement climatique est la migration. D’après la Banque mondiale, l’aggravation des effets du changement climatique pourrait pousser plus de 140 à 250 millions de personnes à se déplacer à l’intérieur de leur propre pays, ou à émigrer, d’ici 2050. Selon UNHCR au cours de la dernière décennie, les événements météorologiques ont déclenché en moyenne 21,5 millions de nouveaux déplacements chaque année, à savoir plus de deux fois plus que les migrations causées par d’autres facteurs. Autrement dit, les événements climatiques sont (et seront) la raison principale de la migration locale et mondiale indépendamment de la nature et la gravité de changements climatiques. Pourtant, il n’existe aujourd’hui aucune disposition juridique à l’échelle internationale pour reconnaitre les réfugiés climatiques dans le cadre d’une procédure d’asile. La raison principale est la suivante : le critère « climat » ne figure pas dans la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Pour rappel, ce traité international assure une protection uniquement à l’égard des « réfugiés politiques », c’est-à-dire celles et ceux qui subissent des persécutions ciblées pour des raisons politiques, religieuses ou d’appartenance à un groupe social.

Alors qu’en 2021 on fête les 70 ans de cette Convention internationale et que les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) continuent d’alarmer au sujet de l’impact climatique sur la migration, qu’en est-il réellement de la protection et la reconnaissance à l’égard des réfugiés climatiques ? Quelles sont les réflexions politiques et juridiques qui tentent de répondre à ce phénomène unique dans notre histoire ?  

La causalité entre le changement climatique et la migration ne peut être contestée et plusieurs experts du domaine en font le constat. Cette causalité se traduit fortement dans les pays en développement par notamment la sécheresse, la salinisation, l’érosion, la toxicité du sol et l’eau-air, la montée des eaux, etc. Ces phénomènes, causés en grande partie par les activités humaines, obligent les populations généralement du Sud à émigrer.

 

Tout d’abord, il est important de mentionner qu’il existe un débat d’ordre politico-juridique sur la qualification employée entre : « réfugié climatique », « migrant climatique / environnemental » et/ou « personne déplacée ». En résumé sans rentrer dans l’analyse discursive approfondie, les États occidentaux qui sont réfractaires à l’accueil des réfugiés, écartent stratégiquement de formuler l’appellation de « réfugié climatique ». Ces derniers valorisent plutôt l’utilisation de « migrant climatique / environnemental » ou « personne déplacée », car précisément le mot « réfugié » est politisé et porte des caractéristiques juridiques bien définies. En effet, comme cela est mentionné dans la Convention de 1951, le « réfugié », sous-entendu « politique », est (relativement) reconnu dans le cadre d’une procédure d’asile. En opposition, les ONG entre autres telles qu’Amnesty International, et Human Right Watch (HRW), ainsi que certains acteurs universitaires et militants, analysent ce phénomène migratoire en employant le terme « réfugié climatique ». De manière générale, les réflexions défendues et soulignées par ces derniers, consistent de surmonter la logique de catégorisation entre le « bon » et « mauvais » réfugié basée sur l’unique de persécution individuelle codifiée par la Convention de 1951. Les différents motifs migratoires (politiques, économiques et écologiques) sont, de nos jours, étroitement interdépendants et s’articulent mutuellement. Par conséquent, il faudrait considérer la question migratoire comme un phénomène multifactoriel. Autrement dit, un raisonnement objectif qui consiste d’avoir une approche globale sans catégoriser de manière « essentialiste » les demandes d’asile.

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Sur un plan international, plusieurs discussions ont eu lieu. Le premier débat réflexif concernera l’addition d’un protocole à la Convention relative au statut des réfugiés de 1951. Contrairement aux États occidentaux, plusieurs pays africains ont été favorables en 2005 au colloque de Limoges (et à celui de 2006 aux Maldives). Il s’agissait de joindre une clarification et meilleure reconnaissance des réfugiés climatiques au traité international. À ce titre la spécialiste de la politique d’asile et d’immigration Christel Cournil indique que « le principal avantage d’un amendement de la Convention de Genève réside dans son application qui serait mise en œuvre facilement puisque les États parties de la Convention ont mis en place un système de reconnaissance déjà opérationnel » (Christel Cournil, 2010). Cependant, des réserves peuvent être émises. D’une part ce projet de loi risque fortement d’exclure les déplacés internes. D’autre part, les États industrialisés refusent catégoriquement d’accepter un tel changement. La raison est la suivante : les États du Nord craignent que le droit d’asile soit systématiquement octroyé aux ressortissants des continents africain et asiatique pour des raisons climatiques. En résumé, ces pays tentent de consolider leur politique anti-immigration en évitant un nouvel amendement à la Convention de 1951.  

 

Toujours dans une approche globale, une Convention internationale spécifique aux réfugiés climatiques a également été proposée par des quelques chercheurs universitaires (Véronique Magniny, Benoit Meyer et autres). Cette nouvelle Convention, qui dépasserait le traité de 1951, viserait à reconnaitre les réfugiés climatiques qui soient au niveau national ou international. L’objectif consisterait à adopter des règles préétablies et acceptées par l’ensemble des parties prenantes, dont le principe de « non-refoulement ». En fonction de la situation écologique du pays concerné, cette protection immeuble à l’égard d’un migrant peut éventuellement être durable ou temporaire. Toutefois, une telle disposition juridique à l’échelle internationale est difficile à concrétiser, car le consensus actuel entre différents États sur la politique d’asile demeure inexistant. Pour rappel, la majorité des États industrialisés sont dans une posture restrictive en contrôlant et en fermant davantage leurs frontières. Leur droit de souveraineté sur cette matière vient contrecarrer cette approche globale. Dès lors, cette proposition semble ambitieuse, voire utopique.

 

Face aux difficultés susmentionnées, certains experts, tels qu’Angela Williams, proposent la mise en place des normes juridiques à l’échelle régionale qui incluraient le facteur climatique. Le raisonnement derrière une Convention régionale s’explique de la manière suivante « Les États voisins d’un État affecté par les migrations environnementales ont souvent des cultures et des problèmes socio-économiques similaires permettant une meilleure communication » (Cournil, Mayer, 2014 : 119). C’est pourquoi une politique migratoire d’ordre bilatéral peut s’appliquer entre ces pays voisins concernés.  En raison de leur interdépendance mentionnée, les États ont meilleur temps de définir un cadre face aux migrations environnementales propres de leurs contextes spécifiques. Toutefois, une coopération régionale ne répondrait que partiellement au problème actuel. En effet, les réfugiés climatiques se trouvent généralement dans les pays en développement, et à ce jour, ces États ne disposent pas des moyens logistiques et économiques pour y faire face. Ainsi, la coopération exigée dans ces pays en développement en matière de migration doit être accompagnée dans un processus plus large. Ceci inclurait la responsabilité des pays industrialisés (États du Nord), et ce notamment au travers d’aides financières et/ou soutiens logistiques.

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Finalement, tous les États doivent trouver une solution pragmatique face à ces deux phénomènes fortement interdépendants que sont la migration et la crise écologique. D’après moi, le lien de causalité entre la migration et le changement climatique peut être atténué par des politiques publiques ayant approche pragmatique, humanitaire et écologiste. Elles se fonderaient sur le principe de la « solidarité commune, mais différenciée ». Ce principe si connu dans la réduction des émissions mondiales de gaz à effet de serre, se veut inclure la participation de toutes les parties prenantes – ici principalement tous les États – dans une politique environnementale internationale, mais dont les obligations et mesures (normes) seraient différenciées en fonction de l’industrialisation des pays. Par conséquent, les États développés qui sont à juste titre des grands pollueurs de la planète doivent participer activement à la protection des réfugiés climatiques à l’échelle internationale. Pour conclure, j’espère que le projet « initiative Nansen », dont le but premier est de parvenir à un consensus entre les États sur les principes et les éléments fondamentaux relatifs à la protection des personnes déplacées/réfugiées, permettra d’établir des réponses claires et humanitaires dans les années à venir. De surcroit, la décision historique, rendu par un organe de l’ONU chargé de la protection des droits humains, en faveur du réfugié climatique Ioane Teitiota (originaire des Kiribati) donnera une base réflexive et juridique aux prochaines décisions qui seront exprimées à ce sujet.

 

 

Pour aller plus loin :

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et celui du Conseil européen, Charles Michel, après leur rencontre avec le président Erdogan, le 9 mars 2020. (Olivier Hoslet - EPA/Keystone)

Coronavirus : La sécurisation anti-migration ?

Une corrélation n’est pas une causalité : la première observe un parallélisme entre deux événements, la seconde les faits découler l’un de l’autre. Le biais le plus courant consiste à faire passer une corrélation pour une causalité et c’est exactement ce qui semble se produire entre « crise sanitaire » et « crise migratoire ». Alors que, simplement, elles se présentent simultanément, des extrémistes nationalistes instrumentalisent la crise du coronavirus pour lui trouver une cause dans la migration et ainsi justifier la fermeture des frontières ainsi que le rejet drastique des réfugiés sur le continent européen. En effet, depuis que le président turc Recep Tayyip Erdogan a réouvert ses frontières à des fins stratégico-politiques, les discours à caractère xénophobe tentent une nouvelle main basse sur les citoyens européens en alimentant la propagande anti-migration au robinet des angoisses suscités par la pandémie du coronavirus. Sans surprise, cette logique argumentative navigue en plein paradoxe  puisque, à l’heure actuelle et d’après les experts, les personnes infectées par le virus Covid-19 se trouvent davantage sur le Vieux contient qu’en Afrique ou Moyen Orient.  Pourtant, l’ex-ministre italien Matteo Salvini n’a pas hésité à se servir de cette « crise sanitaire » pour critiquer l’arrivée des migrants sur les côtes italiennes. D’après lui, les demandeurs d’asile représentent un risque épidémique pour la nation italienne et incomberait par conséquent au gouvernement de Guiseppe Conte d’être encore plus intransigeant sur ce sujet. De même, le premier ministre nationaliste hongrois Viktor Orban a étiqueté ces migrants comme étant les boucs émissaires de la propagation du coronavirus en Hongrie et a ordonné la fermeture de camps de transit pour demandeurs d’asile à la frontière serbe.

Face à ce nouvel obstacle, les réfugiés qui tentent de passer par la Grèce se trouvent doublement frappés, non seulement par la politique migratoire de l’Union européenne, mais également par la politique sanitaire dont ils font collatéralement les frais. Quelles sont les conséquences de ces politiques ?

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Ce mardi 17 mars, le ministère grec des migrations a décidé le confinement des camps des demandeurs d’asile, décision qui touche environ 40’000 réfugiés. Cette mesure de quarantaine – certes nécessaire pour vaincre la propagation du virus – détériore davantage encore les conditions de vie de ces personnes déplacées, en aggravant sévèrement l’extrême surpeuplement de ces camps. C’est le cas notamment à Lesbos, où un camp de réfugiés construit de base pour accueillir environ 3000 personnes, « accueille » actuellement 18’000 demandeurs d’asile. Selon Jean Ziegler, rapporteur spécial de l’ONU, ces personnes sont « entassées dans des conditions inhumaines, en violation des principes les plus élémentaires des droits de l’homme ».

À cela s’ajoute désormais l’arrivée de coronavirus, qui risque non seulement d’accroitre le sentiment d’abandon de ces réfugiés bloqués dans les camps, mais aussi d’accélérer significativement la propagation du virus. En effet, les infrastructures de sécurité qui permettraient d’endiguer le coronavirus sont mise en échec proportionnellement au raidissement de la politique migratoire et de la situation à la frontière turque. Face à cette réalité, l’ONG Médecins sans frontières (MSF) en a solennellement appelé au gouvernement grec afin qu’on ordonne l’évacuation de l’ensemble des camps pour empêcher la diffusion du virus. Le Dr Michael J. Ryan, directeur exécutif de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), préconise trois actions pour, si possible, éviter un désastre humain : « it’s camp design ; it’s space ; it’s hygiene ». En d’autres termes, il faut créer plus d’espaces, garantir une meilleure hygiène et avoir des structures sanitaires efficaces. Pourtant, ces propositions semblent être minimisées par la politique grecque et plus encore par celle de l’Union européenne. Pourquoi donc une pareille indifférence ?

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Malgré les dispositifs contraignants instaurés par FRONTEX pour empêcher le flux migratoire vers l’Europe et la présence de coronavirus, les réfugiés continuent à fuir leur pays pour des raisons essentiellement politiques et tentent de trouver la paix et la sécurité en traversant la mer Méditerranée (« Mer cimetière »). Plus que jamais et sans attendre, des mesures humanitaires et sanitaires doivent être mises en place. La responsabilité de l’Union européenne n’est pas d’augmenter la sécurité au détriment des réfugiés, mais plutôt avoir une politique sanitaire et migratoire en incluant l’ensemble des acteurs concernés, à savoir les citoyens européens et les réfugiés. De cette manière, la politique humanitaire – en accord avec la Convention des droits des réfugiés de 1951 – peut garantir la vie de ces demandeurs d’asile et mieux canaliser la propagation du virus mortifère. En réalité, si l’Union européenne ne prend la mesure de l’urgence et n’agit en conséquence, ce en sont pas simplement au prix de quelques vies humaines mais, comme le soulève Christine Jamet, directrice des opérations des MSF, « ça sera une hécatombe » !

Pour revenir sur ces discours extrémistes, il est important de souligner combien, derrière ces positions politiques, l’amalgame entre les notions de « sécurité sanitaire » et d’« immigration » politise et instrumentalise la pandémie due au coronavirus au profit d’une fermeture encore plus implacable des frontières de l’Europe. Ces déclarations extrémistes nous montrent que les questions relatives aux réfugiés, si elles sont parfois thématisées comme des problèmes sociaux, elles deviennent une sorte, par le biais causal, de paradigme global ; et peu importe si les statistiques les plus sérieuses nous prouvent le contraire, à savoir qu’il y a aucune causalité démontrable entre la présence de réfugiés sur un territoire donné et le taux de criminalité, de délinquance ou de chômage ; il n’y en a pas davantage entre la présence des réfugiés en Europe et l’éventuelle propagation du coronavirus. Cette sécurisation relative à l’anti-migration est simplement le résultat de discours politiques stratégiquement conçus. Ces rhétoriques simplistes nient l’objectivité de la complexité sociale et parallèlement créent des amalgames susceptibles d’être faussement diffusés dans l’opinion publique.

Références :

Union européenne – Érythrée : projets de développement au détriment des droits de l’homme ?

EU Emergency Trust Fund for Africa (EUTF for Africa) a pour mission de subventionner des projets relatifs aux développements dans le continent africain. Derrière ce projet, les investisseurs étatiques européens ont un objectif : freiner les flux migratoires vers le Vieux Contient. En d’autres termes, les pays européens tentent de réduire l’arrivée des réfugié-e-s en accordant diverses aides, surtout financières, aux États du Sud afin que ces derniers puissent encourager, voire obliger, leurs citoyen-ne-s à rester dans leur pays. Ainsi, l’Union européenne vient d’accorder un montant à une hauteur de 60 millions d’euros au gouvernement Erythréen pour des projets de « réhabitation », à savoir des constructions routières entre l’Érythrée et l’Éthiopie. Toutefois, ceci pose un problème qu’on peut qualifier « effet pervers ». Il s’avère que cette aide économique est accordée au gouvernement érythréen alors que ce dernier est caractérisé comme un des pires régimes autoritaires du 21ème siècle.

Ceci soulève la question suivante : peut-on subventionner un État gouverné par un dictateur dont le principe des droits de l’homme est systématiquement bafoué et ignoré ? D’ailleurs à ce titre l’Union européenne est censée préserver et protéger les droits fondamentaux dans ses accords signés avec les États et les divers acteurs internationaux. Par définition, l’UE doit préconiser les valeurs des droits de l’homme et dénoncer les mécanismes politiques contraires au droit impératif.

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L’idée de réduction des flux migratoires par le biais d’investissements économiques mérite d’être questionnée. Cette stratégie peut se révéler pertinente pour un État qui cherche une certaine cohérence dans le développement économique et reconnaît le principe de bon usage d’une aide internationale. Or, en Érythrée, le gouvernement despotique raisonne de façon frauduleuse et n’hésite pas à renforcer sa position dictatoriale en utilisant ces subventions externes dans son propre intérêt. D’une certaine façon, ce gouvernement peut tactiquement détourner ces fonds à des fins purement stratégiques. Ceci se confirme par la convocation des conscrits hommes et femmes. Ces derniers sont forcés à travailler dans des chantiers planifiés par l’Union européenne sans être payés dignement par leur propre gouvernement. À ce titre, cette réalité d’asservissement est qualifiée par certaines ONG, telle qu’Amnesty International, d’« esclavagisme moderne ». Concrètement, un-e conscrit-e enrôlé-e par la force, touche un salaire misérable qui ne couvre pas le minimum vital en Érythrée. Parallèlement, cette subvention européenne contribue étroitement aux travaux forcés des enfants. Selon Sheila B. Keetharuth, rapporteuse des droits de l’homme de l’ONU (2018), des mineurs sont embrigadés dans le service militaire et participent activement dans des tâches inhumaines souhaitées par l’État central. Ce rapport peut s’avérer daté. Pourtant, la présence de mineurs dans le service militaire est toujours d’actualité, et par définition ils sont incorporés dans ces chantiers.

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Dans cette situation, la Suisse ne reste pas inactive. Certes, la Confédération participe à ce fonds européen, mais, elle a également signé un accord bilatéral sur le développement de formation professionnelle. Depuis 2017, cet accord administré par le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) et la Direction suisse au développement et de la coopération (DDC) vise deux objectifs étroitement complémentaires. D’une part, l’accord repose sur la volonté d’accroitre les compétences professionnelles de la population érythréenne, de sorte que ces derniers puissent accéder au marché professionnel. D’autre part, cet accord met l’accent sur l’importance d’une diplomatie politique et notamment sur les questions relatives à la migration. En d’autres termes, le DFAE espère gagner la confiance du dictateur Isaias Afewerki. Or, cette perspective suisse pose une ambiguïté. En effet, l’économie érythréenne est volontairement centralisée et fermée. C’est précisément cette condition économique souhaitée par le gouvernement qui contribue véritablement à la consolidation du régime répressif. Ainsi, le dictateur Isaias Afewerki a un meilleur contrôle sur le flux économique érythréen et peut, de ce fait, dominer ses citoyens. Par conséquent, le fond du problème n’est pas celui du manque de formation, comme prétendent le DFAE et la DDC, mais plutôt la structure économique isolationniste du pays. D’ailleurs, l’Université d’Asmara et certaines hautes écoles ont été intentionnellement fermées dans le but de restreindre les formations intellectuelles de sorte à empêcher le développement d’esprit critique chez les jeunes. En conclusion, ceci nous amène à questionner la pertinence du projet du DFAE et de la DDC. Peut-on réellement envisager un projet de développement dans un pays où le gouvernement contrôle l’économie de façon étroite et réduit les formations professionnelles et intellectuelles à des fins purement répressives ?  

Dans le fond, derrière cette politique migratoire européenne nous avons deux craintes intrinsèquement liées. La première est d’ordre politique. Depuis son virage vers le totalitarisme, le régime despotique érythréen a souvent profité des aides externes pour augmenter son pouvoir. Par conséquent, l’Union européenne doit savoir se montrer prudente quant à ses subventions. Elle doit avoir un meilleur contrôle sur l’usage qui est fait de ce montant colossal tout en appuyant sur le principe des droits de l’homme dans la gestion des politiques publiques érythréennes. Cet État ne montre aucune transparence sur ses dépenses. De plus, les rapports rédigés par le ministre de l’« Information » sont fallacieux et ne reposent systématiquement sur aucune preuve tangible. La deuxième crainte concerne l’image que ce pays véhicule. Aujourd’hui, l’Érythrée est vue comme un État souhaitant la paix. Ceci s’est davantage accentué suite au Prix Nobel accordé au Premier ministre éthiopien Aby Ahmed. Ainsi, cet État de la Corne de l’Afrique apparaît plus ouvert, ce qui peut délégitimer les causes politiques qui obligeraient la population à quitter le pays. Cela s’observe notamment du côté du Secrétariat d’État aux migrations (SEM). En se fondant sur le contexte diplomatique liant l’Érythrée et Éthiopie, ainsi que sur le contenu du projet susmentionné impliquant notre pays, ce bureau fédéral a décidé de radicalement changer ses critères d’accueil aux Érythréen-en-s. À ce titre, l’Organisation suisse d’aide aux réfugié-e-s (OSAR) demande à la DDC de ne pas être motiver ses actions par des intérêts de politique migratoire et de se montrer prudente face aux engagements signés par l’État érythréen.

Références :

L’ère écologique : qu’en est-il des « réfugiés climatiques » ?

Le changement climatique est devenu un enjeu capital dans l’ensemble de la société internationale. Les résultats des dernières élections européennes, puis fédérales, sont clairs : les Verts ont obtenu une victoire sans précédent dans l’arène politique. Cette grande vague écologiste, qualifiée d’ « historique », semble dorénavant inévitable dans le champ politique, ainsi qu’au niveau des réformes que ce dernier portera. En effet, les détenteurs du pouvoir ne peuvent nier volontairement la sensibilisation environnementaliste véhiculée par le grand public. Cependant, malgré les discours politiques écologisés, les questions relatives aux « réfugiés climatiques » s’avèrent être minimisées en Europe, y compris en Suisse. Pourquoi avons-nous ce constat ? Selon le dernier rapport spécialiste du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, plus de 280 millions de personnes dans le monde seront contraintes à s’exiler dans les 80 prochaines années. Un autre chiffre marquant est avancé par le chercheur François Gemenne qui a confirmé qu’environ 25 millions de personnes ont été déplacées en 2016 à cause du changement climatique — son impact se manifestant via les inondations, les tempêtes, les tremblements de terre, les sécheresses et autres catastrophes naturelles. En d’autres termes, le facteur « écologique » comme cause de migration est trois fois supérieur que les motifs économiques et politiques. Pour mieux comprendre cette problématique, il est intéressant dans un premier temps de souligner que la question des réfugiés climatiques ne date pas d’aujourd’hui. En effet, cette question existe depuis longtemps. Nous retracerons rapidement l’évolution historique de ce débat mêlant migration et environnement. Ensuite, nous verrons quelles sont les lacunes juridiques « justifiant » la non-acceptation des « réfugiés climatiques » considérés comme des « demandes d’asile illégitimes ».

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D’après le chercheur et professeur Etienne Piguet de l’Université de Neuchâtel et ses collègues Antoine Pécoud et Paul de Guchtenerie (tous deux membres d’UNESCO), les migrations environnementales sont souvent illustrées comme un phénomène récent. Néanmoins, selon leur recherche, le débat concernant la migration et l’environnement existait déjà bel et bien au 19ème siècle. En effet, nous avons des preuves et témoignages historiques qui confirment l’existence de flux migratoires majeurs suite à des catastrophes naturelles. Toutefois, au 20ème siècle, l’aspect écologique et/ou environnemental comme facteur explicatif du flux migratoire, a été minimisé pour plusieurs raisons. Nous relevons quatre facteurs principaux qui démontrent ceci. Premièrement, le progrès technologique a largement amené les chercheurs à se détacher de la nature, par conséquent de la vie humaine. Deuxièmement « l’explication des migrations par l’environnement a été progressivement rejetée pour son caractère déterministe, jugé scientifiquement dépassé » (Etienne Piguet, & al., 2011). Troisièmement, les causes économiques ont monopolisé la place du débat au détriment des autres facteurs, tels que l’environnement. Pour finir, comme le précise Emanuel Marx « ce sont les États qui font les réfugiés » (Emanuel Marx, 1990). Autrement dit, le débat sur la migration était développé autour des enjeux politiques. Vers la fin du 20ème et début 21ème siècle, les prévisions alarmistes sur le nombre de personnes qui seraient poussées à migrer pour des causes climatiques sensibilisent l’ensemble des acteurs gouvernementaux, en plus de la société civile. C’est dans ce contexte que nous observons en 1990 le premier rapport intergouvernemental de l’ONU sur le changement climatique et son impact sur la migration. Par la même occasion, la Conférence internationale sur la population et le développement, tenue au Caire, souligne qu’il faudrait « examiner les demandes d’immigration émanant de pays dont l’existence est menacée d’une manière imminente par le réchauffement de la planète et les changements climatiques à en juger par les données scientifiques disponibles ». Ces inputs provoquent d’une part une conscientisation par le grand public des enjeux de la situation, et d’autre part une mise à l’agenda de ces questions du côté des gouvernements étatiques. Aujourd’hui, énormément de conférences internationales sont organisées afin de trouver une solution face à la dégradation de notre planète et son impact sur les flux migratoires. La majorité des États reconnaissent cette réalité, mais aucun gouvernement ne semble être prêt à accorder un statut de réfugié (légal) à ces personnes déplacées. Pourquoi ?

Avec ces migrations, une question de définition — quant au type de réfugié dont il s’agit — semble créer un débat au sein de la discussion internationale, car elle ouvre une réflexion politico-juridique. À l’heure actuelle, la Convention de Genève de 1951 relative au statut international des réfugiés (signée par l’ensemble des États occidentaux), définit un réfugié comme étant une personne fuyant une persécution en raison de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques. Ainsi, cette définition très étroite nie complètement le facteur climatique. Par conséquent, une demande d’asile pour cause environnementale ne peut être reconnue juridiquement par les États occidentaux. Cette lacune juridique, voire « vide », entre en contradiction avec les principes des droits de l’homme, notamment en matière de la protection universelle. Partant de ce constat, en 1985, le Programme des Nations unies pour l’environnement (ONU) a apporté une première définition à ce qu’un réfugié environnemental dénote : « toute personne forcée de quitter son habitation traditionnelle d’une façon temporaire ou permanente à cause d’une dégradation nette de son environnement qui bouleverse son cadre de vie et déséquilibre sérieusement sa qualité de vie ». Malgré cette précision, aucune réforme tangible n’a été concrétisée en faveur de ces réfugiés environnementaux. Toutefois, depuis 2015 l’initiative Nansen (adoptée par 109 États) tente d’amener des solutions institutionnelles pour reprendre en amont le besoin de ces réfugiés. En résumé, ce processus consiste de parvenir à un consensus régional, voire international, sur les principes et les éléments fondamentaux relatifs à la protection des réfugiés. Un Agenda pour la protection est structuré en trois étapes : 1. la préparation en amont du déplacement 2. la protection et l’assistance pendant le déplacement 3. la transition vers des solutions à la suite de la catastrophe.

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Cependant, une analyse réflexive mérite d’être menée. Le risque consistant à catégoriser de manière assez simpliste les motifs explicatifs qui poussent les personnes à quitter leur pays existe. En effet, les États définissent quels sont les « bons » et « mauvais » migrants avec des critères spécifiques et souvent réducteurs. Actuellement, la majorité des États occidentaux légitiment les réfugiés politiques et refusent le droit d’asile aux réfugiés économiques. Or cette distinction nette s’avère généralement incohérente, voire même sans fondement empirique. Sur le terrain, comme dans certains États africains, les causes politiques sont étroitement liées à la sphère économique. Néanmoins, cette interdépendance structurée et structurante est (in)volontairement ignorée par les États européens, car cela leur permet de repousser certains demandeurs d’asile. De la même façon, les facteurs écologiques et économiques peuvent être liés. En conclusion, comme le précise François Gemenne, il est préférable d’avoir un raisonnement objectif en ayant une approche globale des flux migratoires sans catégoriser de manière essentialiste les demandes d’asile. La réalité est que l’ensemble des causes (politiques, économiques et écologiques) sont mutuellement articulées.

De part de sa politique migratoire très restrictive, actuellement la Suisse ne reconnaît pas les réfugiés climatiques. L’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) demande à la Suisse « […] la mise en œuvre d’une politique climatique efficace, de tenir compte du besoin de protection des personnes contraintes de quitter leur pays en cas de catastrophe naturelle ». Parallèlement cette organisation invite le Conseil fédéral à revoir sa politique d’octroi des visas humanitaires pour les personnes ayant été forcées à fuir leur pays pour des raisons climatiques.

Références :