Pendant tout le weekend des 28 et 29 août, Genève a marqué dignement et festivement un moment très fort pour la vie culturelle, et pour notre Cité en général : l’inauguration de la nouvelle Comédie, à la Gare des Eaux-Vives. Plus de 6’000 personnes ont ainsi profité des Portes ouvertes pour découvrir ce lieu appelé à devenir un lieu de vie créative, collective, participative, inclusive, et bien sûr une référence dans le paysage culturel régional, fédéral et international. Afin de marquer l’importance de ce moment, une première cérémonie de remise des clés a eu lieu en matinée, et l’inauguration officielle en fin de journée, en présence du Conseiller fédéral Alain Berset, notre ministre fédéral de la culture.
Avec ce texte, je voulais revenir sur les raisons pour lesquelles – au-delà de l’inauguration elle-même -, l’ouverture de ce lieu est si importante, en m’inspirant de mes deux discours du jour.
La présence du Conseiller fédéral Alain Berset pour marquer cette inauguration constituait certainement un signe fort de reconnaissance. Pour lui comme pour nous, c’était réjouissant de le rencontrer en sa qualité de Ministre fédéral de la culture, alors que nous avons plutôt l’habitude de le voir très souvent sur nos écrans et dans nos journaux en sa qualité de Ministre fédéral de la santé. Pour inverser une de ses phrases devenues célèbres, nous nous réjouissions en particulier ce soir-là de vivre cette inauguration aussi vite que nécessaire et aussi lentement que possible.
C’était l’occasion de le remercier pour son engagement conséquent et substantiel en faveur du domaine de la culture dans ce pays, afin de pouvoir faire face à la crise ; les aides fédérales sont intervenues rapidement et de manière substantielle.
Ce jour-là marquait la fin d’une longue épopée qui avait débuté en 1987, lorsque Matthias Langhoff a remis son fameux rapport, acte rebelle qui a fondé plus largement une démarche citoyenne offensive, acte décisif pour la genèse de cette nouvelle Comédie. Une épopée qui a même commencé il y a plus d’un siècle au Boulevard des Philosophes, quand des professionnel-le-s passionné-e-s ont insufflé une vie à ce théâtre de la Comédie, qui a su sortir de ses propres murs pour se fondre dans celle de la cité, pour donner un élan à notre ville, et ceci malgré ses limites et ses lacunes identifiées dès les premiers jours.
Cette inauguration a ouvert grand la porte à de nouvelles aventures et nous projette ainsi dans un futur de création, de rencontres et d’échanges. Il est bien sûr impossible de citer nommément toutes celles et tous ceux qui se sont investis dans ce projet. Mais nous pouvons et devons ressentir une vive gratitude envers notamment l’Association pour la nouvelle Comédie qui a su fédérer la profession, ainsi qu’à la Fondation d’art dramatique, en charge de la gouvernance de la Comédie et du Poche. On peut citer également les différents élu-e-s qui ont soutenu ce projet et bien sûr l’actuelle codirection de cette institution, Natacha Koutchoumov et Denis Maillefer, leur équipe, dans la foulée des directions précédentes, avec Anne Bisang puis Hervé Loichemol. Il est essentiel d’exprimer une vive reconnaissance envers toutes celles et tous ceux qui, à titre personnel ou collectif, ont participé à l’écriture de cette histoire. Ce sont elles et eux qui nous ont permis, par leur travail et leurs convictions, d’être aujourd’hui ici, sur la grande scène de ce théâtre du 21e siècle. Un théâtre qui aura participé à la naissance d’un nouveau quartier, un nouveau morceau de ville – certainement un petit miracle lorsqu’on sait à quel point il est compliqué de faire naître un équipement culturel et plus largement un projet urbanistique dans notre Cité !
Ce nouveau lieu phare pour Genève répond aux besoins des artistes. Plusieurs d’entre elles et eux ont d’ailleurs reçus un Prix suisse de théâtre et de danse durant ces dernières années. Genève peut en être fière.Il est d’ailleurs pertinent de relever l’œuvre de Sylvie Fleury inaugurée également ce même jour. Sylvie Fleury, lauréate du Grand Prix suisse d’art, a réalisé son propre Miracle qui s’affiche aujourd’hui dans le grand hall. Cette œuvre appartient aux deux Fonds d’art contemporain, celui de la Ville de Genève et celui du Canton. Ville, Canton, Confédération, tous réunis autour de cette œuvre ! Ce Miracle est donc de bon augure pour que la Comédie de Genève puisse devenir une véritable fabrique d’art.
Une fabrique d’art qui va accompagner l’effervescence de la scène culturelle genevoise et romande, si on songe à l’inauguration récente du Pavillon de la Danse, à celles prochaines du Château-Rouge à Annemasse puis du Théâtre de Carouge, ainsi que du futur Centre culturel de Châtelaine. Comme l’ont relevé les médias, si on pense aussi au Théâtre de Vidy en pleine rénovation ou au futur Théâtre du Jura, un vivier romand aussi riche mériterait une concertation entre collectivités publiques et une volonté conjointe de faire rayonner nos arts de la scène.
Plus de la moitié du budget de production de la Comédie est alloué à la création locale et ce merveilleux outil scénique offrira aux artistes d’excellentes conditions de travail, avec notamment la constitution d’un Ensemble, soit l’engagement d’artistes de manière permanente. Je soutiens cette expérience et la suivrai de près, car elle représente une option sérieuse pour contribuer à améliorer le statut professionnel des artistes et autres métiers de la scène. On peut d’ailleurs aussi relever les efforts de la Comédie avec les mesures mises en place ces derniers mois, en pleine pandémie, en faveur de la création locale. En effet, depuis l’automne dernier, la Comédie a déployé un important dispositif de soutien afin d’offrir aux artistes d’ici la possibilité de mener – dans le contexte difficile du COVID – des résidences de travail durant plusieurs semaines.
Autre mission de cette institution : ses démarches pour se positionner au cœur des réseaux artistiques européens, et assurer le rayonnement des artistes au-delà de nos frontières. Or cette politique porte déjà ses fruits puisque, cet été, nous avons vu des comédiens et des comédiennes d’ici ouvrir le Festival d’Avignon, avec le spectacle de Christiane Jatahy, Entre Chien et Loup. Enfin, la Comédie ouvre également la porte à des créations qui bouleversent les arts scéniques à l’étranger et que nous rêvions de voir à Genève.
Mais ce beau tableau ne serait pas complet sans une attention envers celles et ceux qui ne sont pas des habitué-e-s des théâtres. Et cette attention, cette ouverture grâce à des actions de médiation, est, pour moi, plus que jamais l’un des défis majeurs des politiques culturelles, avec une ferme volonté de sortir des intentions abstraites et de concrétiser des avancées. Nous pouvons donc nous réjouir de voir se déployer le Pont des arts – programme de médiation dédié aux habitant-e-s de notre région.
L’étendue des nouvelles missions de la Comédie et l’ambition de ce projet ont évidemment mené à une augmentation substantielle de son budget de fonctionnement ; je tiens à remercier le Conseil administratif et le Conseil municipal – et à travers eux, les citoyens et les citoyennes de la Ville de Genève – pour leur soutien. Car cette augmentation a été portée par la Ville de Genève seule, sans répercussions négatives sur les autres scènes et entités culturelles, comme je m’y étais engagé. Il a fallu convaincre, argumenter, cela n’a pas toujours été simple. Mais la reconnaissance de la place essentielle de la culture dans notre cité est la plus belle des récompenses. Et je suis convaincu que le Canton reviendra un jour, dans le cadre de la mise en œuvre de l’initiative 167 pour une politique culturelle cohérente et concertée, plébiscitée par le peuple genevois en mai 2019.
Plus encore, cet appui politique prouve l’ambition de notre municipalité vis-à-vis des arts de la scène. Il démontre également une reconnaissance vis-à-vis de toutes celles et ceux qui font la vie culturelle genevoise, trop souvent encore dans des conditions précaires. La culture, nous l’avons bien vu durant cette dernière année, a un rôle fondamental pour maintenir du lien, donner du sens, offrir un autre horizon. Et, si c’était nécessaire, les 18 mois que nous venons de vivre en ont apporté la preuve incontestable. Face à des certitudes, des évidences qui sont tombées, le monde de la culture a réagi, persévéré et innové. Et nous a réservé de belles surprises. La Comédie y a déjà participé et ne manquera pas de le faire dans les prochains mois et les prochaines années.
Pour conclure, j’aimerais revenir en 1987. Matthias Langhoff écrivait dans son rapport : « De par sa construction et son équipement, la Comédie des Philosophes est un des théâtres les plus curieux d’Europe. ». En 2021 et les suivantes, j’en suis convaincu, la nouvelle Comédie va devenir un des théâtres les plus vivants d’Europe. Alors, comme on le dit au théâtre, « Merde ! Merde ! Merde ! » à cette nouvelle institution, à cet incroyable outil, à cette formidable équipe et à tous les artistes qui y travailleront pour les prochaines années.