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Le bois dans la construction: avantages, défis, implications et ouvrages exemplaires

Le bois est un matériau de construction traditionnel utilisé depuis des siècles qui est aujourd’hui réévalué en tant qu’option viable pour les bâtiments modernes. Il s’agit d’une ressource renouvelable dont l’empreinte carbone est plus faible que celle d’autres matériaux de construction. Le bois est également un matériau polyvalent qui peut être utilisé pour la structure, l’isolation et les éléments de finition d’un bâtiment. Cependant, il est essentiel de comprendre les avantages et les défis liés à l’utilisation du bois dans la construction pour prendre des décisions éclairées. Sébastien Droz, responsable du service communication chez Lignum donne quelques éclairages.

Avantages et défis de l’utilisation du bois comme matériau de construction

Le premier avantage notable de l’utilisation du bois dans la construction réside dans sa capacité à stocker le carbone biogénique (carbone fixé par la plante suite à la photosynthèse à partir du CO2 présent dans l’air) que le bois absorbe pendant sa croissance ainsi que tout au long de sa durée de vie. Véritable puits de carbone, un mètre cube de bois permet de fixer une tonne de CO2. « Le bois capte non seulement mieux le CO2 que d’autres matériaux de construction et en plus en émet moins. », ajoute Sébastien Droz.

Aussi, plus la durée de vie du bâtiment est longue, plus l’avantage de l’utilisation du bois est important. Un bâtiment en bois vieux de soixante ans possède une empreinte carbone inférieure de 80 % à celle d’un bâtiment conventionnel, compte tenu des capacités de stockage du bois.

« On parle souvent des trois S lorsque l’on aborde la question du traitement du CO2 par le bois. Il s’agit de la séquestration, du stockage et de la substitution. », précise Sébastien Droz. Tout d’abord, le bois capte le CO2 avec la photosynthèse (séquestration), avant de le stocker. Puis, vient le troisième S – la substitution, ce qui signifie qu’en utilisant le bois, on substitue d’autres matériaux qui sont de forts émetteurs de CO2. « On permet ainsi d’économiser des émissions qui auraient eu lieu avec d’autres matériaux. » Le graphique ci-dessous permet de visualiser clairement les différences d’émission entre les matériaux de construction conventionnels et le bois.

Comparaison des émissions de CO2 par m3, selon les matériaux

comparaison-co2-materiauxSource

 

Construire en bois permet également d’accélérer d’un tiers le temps de construction, ce qui en fait une option compétitive. « Par exemple, une maison individuelle pour une famille peut être hors d’eau en trois ou quatre jours. », détaille Sébastien Droz. « On peut planifier très précisément les différentes étapes du chantier, grâce notamment aux éléments préfabriqués. » Bien que ce système puisse encore aujourd’hui souffrir d’une connotation quelque peu négative, cela permet de mieux anticiper les besoins. Les mentalités évoluent à ce sujet.

Le coût d’un ouvrage construit majoritairement en bois peut être plus élevé qu’un bâtiment en béton. Cependant, cet état de fait ne prend pas tous les paramètres nécessaires en compte. « Non, il n’est pas plus cher de construire en bois, contrairement aux idées reçues », affirme Sébastien Droz. Bien que la facture lors de la construction puisse parfois être plus élevée, le choix de ce matériau permet comme vu précédemment de gagner non seulement en temps de réalisation, mais également en efficacité énergétique, « ce qui rend finalement le choix du bois bien plus avantageux et qualitatif que d’autres matériaux ».

Enfin, un bâtiment en bois est tout autant résistant au feu qu’une tour en acier. La vitesse de combustion du bois étant en effet prévisible, alors que l’acier se déforme à 400 degrés Celsius et s’effondre. « Nous avons des données empiriques éprouvées à ce sujet. », confirme Sébastien Droz, qui ne font pas du bois une matière plus dangereuse que d’autres lorsqu’il est question de risques d’incendies.

Implications de l’utilisation du bois comme matériau de construction

Le bois comme matériau de construction comporte donc à la fois des avantages et quelques défis. Des paramètres tels que la provenance de celui-ci, la gestion des forêts dont il est issu ainsi que les éventuels soutiens et encouragements financiers sont des éléments à prendre en compte.

La provenance et le transport du bois sont des paramètres essentiels. Un bois produit localement aura toujours moins d’impact qu’un bois étranger. Cependant, si le bois provient de pays voisins et qu’il est transporté par les moyens les plus durables possibles, son impact peut être considéré comme moindre. Le bois est une ressource renouvelable, à condition que la forêt dont il est issu soit gérée de façon durable. « Est-ce que l’on ne va pas piller nos forêts, si l’on en augmente l’usage ? C’est une question qui revient souvent », explique Sébastien Droz. Il est important de rappeler que la situation de la Suisse n’est pas la même qu’ailleurs dans le monde. En Suisse, il pousse plus de bois que ce qui est utilisé. « Nous pourrions utiliser bien plus de bois local sans entamer les fonctions de la forêt. » – pour rappel, les fonctions de la forêt sont notamment le maintien de la biodiversité, la production d’eau potable, la protection contre les dangers naturels (notamment en zone montagneuse), et enfin, la fonction sociale et de détente aussi). Ceci s’explique par le fait que la forêt suisse est gérée de façon exemplaire. « Dans le jargon, on appelle la méthode de gestion des forêts appliquée en Suisse la forêt de jardinage. Il n’y a pas de surexploitation, on n’a pas le droit de couper plus que ce qui pousse. », précise Sébastien Droz.

Ceci permet au bois de pouvoir se régénérer à un rythme tout à fait soutenable, comme le montre le graphique ci-dessous.

Taux de régénération et utilisation du bois en Suisse

 

bois-suisseSource

 

Au vu de son utilisation, la Suisse sera cependant toujours importatrice de bois. « Bien que cette question revienne souvent, il n’existe pas de chiffres détaillant la part de bois local utilisé en Suisse qui s’élève à environ 60% », informe Sébastien Droz. Cependant, cela n’empêche pas les politiques publiques d’encourager de plus en plus l’utilisation du bois local. Le Canton de Vaud a notamment lancé au début du mois de mars 2023 un programme de subventionnement de l’utilisation du bois vaudois. « Une enveloppe de 1,5 million de francs a été débloquée sur trois ans pour soutenir les maîtres d’ouvrage qui utilisent du bois vaudois dans leur réalisation », détaille Sébastien Droz. Ainsi, un minimum de 20 mètres cubes de bois dans un projet permet d’obtenir une subvention de 10 % de la valeur du bois.

En conclusion, le bois comme matériau de construction comporte de nombreux avantages, tant environnementaux qu’opérationnels et même financiers. Il est à espérer que les programmes d’encouragement de son utilisation vont continuer à se multiplier afin de venir à bout des dernières idées reçues qui ralentissent encore l’essor de son utilisation.

Quelques exemples d’ouvrages en bois

 

La Tour de Malley, Prilly



 

Cité des Sciences, Yverdon-les-Bains


 

Raffeisen Arena, Porrentruy


 

Maison de l’environnement, Lausanne


 

 

Manon Mariller

Géographe

 

Liste des sources consultées et pistes pour aller plus loin

avenir

Avenir énergétique 2050 : possibilité d’évolution du système énergétique suisse.

L’Association des entreprises électriques suisses (AES) a publié en décembre 2022 l’étude « Avenir énergétique 2050 » qui tente de répondre à la question : à quoi pourrait ressembler l’approvisionnement énergétique de la Suisse d’ici 2050 – lorsque le pays est supposé avoir atteint la neutralité carbone ? Le rapport révèle notamment que sans une accélération massive du développement des énergies renouvelables et un échange étroit d’énergie avec l’Europe, la Suisse ne pourra pas atteindre ses objectifs énergétiques et climatiques actuels et futurs. Ce bref article présente une synthèse de l’étude, en mettant en avant les axes de travail et les solutions avancées.

Contexte de publication du rapport

L’étude « Avenir énergétique 2050 » est la ligne directrice pour la branche, la politique et la société. Cette recherche – menée par environ 70 collaboratrices et collaborateurs de la branche – examine les scénarios pouvant permettre de modifier le système énergétique suisse actuel ainsi que leurs impacts potentiels, en particulier en ce qui concerne les objectifs énergétiques et climatiques de la Suisse. L’étude démontre comment le système énergétique suisse peut évoluer avec l’aide de quatre scénarios réalistes basés sur deux dimensions générales. D’une part, l’acceptation de nouvelles infrastructures énergétiques (développement offensif VS défensif) affecte la transformation du système. D’autre part, l’intégration de la Suisse dans le marché de l’énergie européen, notamment par le biais d’accords avec l’Union européenne, est également un facteur d’influence (Suisse intégrée VS isolée).

Axes de travail et scénarios envisagés

Les quatre scénarios sont explicités dans le schéma suivant :

 

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Schéma présentant les quatre scénarios envisagés
(Source : www.strom.ch/fr/avenir-energetique-2050/telechargements)

 

La première dimension décrit la position de la Suisse par rapport à l’Europe énergétique. Les deux positions envisagées sont d’une part « isolée » et d’autre part « intégrée ». La position « isolée » implique que la Suisse n’est guère intégrée dans l’Europe de l’énergie et doit en grande partie s’approvisionner elle-même en électricité. Les capacités d’importation et d’exportation sont très limitées. L’échange de nouveaux agents énergétiques n’est possible que dans une mesure réduite. La position « intégrée » de la Suisse sous-tend pour sa part que le pays est totalement incorporé à l’Europe énergétique. Il peut donc échanger en grande quantité de l’électricité avec ses voisins. L’échange de nouveaux agents est donc possible à grande échelle.

La seconde dimension est la position – ou l’acceptation – nationale de nouvelles infrastructures énergétiques et technologies. Les deux postures envisagées sont « défensive » et « offensive ». La posture dite défensive prévoit un développement limité de la production d’électricité au moyen de technologies actuellement largement acceptées. Aucune mesure de grande ampleur ne peut être prise du côté de la demande. La posture offensive présage une acceptation nationale élevée de nouvelles infrastructures énergétiques, ce qui encourage le développement de la production d’électricité dans le pays au moyen de toutes les technologies disponibles. De même, des possibilités pour notamment piloter la consommation et la production sont mises en œuvre.

Principales conclusions du rapport

Le rapport se conclut par 12 constats principaux issus des quatre scénarios envisagés, dont voici une synthèse.

Accélérer le changement de paradigme énergétique pour atteindre les objectifs climatiques est primordial pour la Suisse. Les besoins en électricité augmentent, notamment pour remplacer les énergies fossiles dans les transports et le chauffage. Les scénarios envisagés impliquent une électrification complète pour atteindre la neutralité climatique. L’acceptation de nouvelles infrastructures énergétiques et l’intégration dans le marché européen de l’énergie sont des dimensions importantes pour transformer le système énergétique actuel. Le scénario « offensif-intégré » est le plus favorable en termes de coûts et de dépendance aux importations d’électricité. La réduction des importations d’énergie fossile pourrait représenter une économie annuelle de 1 à 5 milliards de francs suisses. L’hydroélectricité restera le pilier du système énergétique suisse, avec environ 35 TWh/an de production. Le photovoltaïque alpin et l’éolien apportent quant à eux une production électrique d’environ 2 TWh et 3 TWh, respectivement dans les scénarios « offensifs ». Pour renforcer la sécurité d’approvisionnement en hiver, il est possible d’ajouter environ 2 TWh de production d’électricité à partir de l’eau accumulée. Enfin, l’importation d’hydrogène vert via le réseau européen peut devenir un élément-clé de l’approvisionnement énergétique de la Suisse en hiver, en plus de l’hydroélectricité et du photovoltaïque. Cependant, la transformation du système énergétique suisse dépend non seulement de l’acceptation de nouvelles infrastructures énergétiques, mais aussi d’une étroite coopération énergétique avec l’Union européenne. La Suisse doit ainsi poursuivre ses efforts pour atteindre les objectifs énergétiques et climatiques fixés.

Conclusion

En définitive, le rapport mentionne des éléments déterminants, qui ne demandent « plus qu’à » être mis en œuvre, tant financièrement, techniquement que politiquement. En effet, que ce soit tant via une transformation du système actuel vers une électrification complète qu’une collaboration stable avec les pays voisins et donc l’Union européenne, cette étude fait office de feuille de route pour la planification énergétique cruciale actuelle et future. Cependant, il manque peut-être un regard plus critique et détaillé sur la façon dont l’énergie est actuellement consommée en Suisse, ainsi que sur la diminution des besoins en la matière.

 

 

Manon Mariller

Géographe

 

Liens consultés pour rédiger cet article et ressources utiles

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Approvisionnement électrique hivernal : la Suisse n’est pas indépendante.

En hiver, la Suisse n’est pas « électriquement » autonome. Notre production indigène ne suffit pas à couvrir nos besoins, alors nous en importons des pays voisins. En parallèle, la nécessaire transition énergétique, et plus récemment l’éclatement du conflit en Ukraine ont bousculé les choses. La Suisse vise alors plus d’indépendance énergétique et mise sur sa force hydraulique et son potentiel solaire. Mais elle oublie peut-être – et nous aussi – que l’efficience et la sobriété sont également de puissants leviers.

En matière d’approvisionnement électrique durant les mois d’hiver, la Suisse compte fortement sur les excédents de production de ses voisins, France et Allemagne en tête. Or, chacun vise la sortie des énergies fossiles, dans un contexte géopolitique tendu. « La Suisse et les pays européens sont en train de considérablement développer leur production d’électricité provenant des énergies renouvelables et d’arrêter en contrepartie les centrales au charbon et les centrales nucléaires. Cela se répercute également sur les flux d’électricité dans le réseau électrique européen et donc sur la sécurité du réseau et la sécurité de l’approvisionnement de la Suisse » mentionne un rapport de l’OFEN publié en octobre 2021. Ainsi, l’Allemagne (pour ne citer qu’elle) tente de s’affranchir du gaz venu de Russie en prolongeant le fonctionnement de certaines centrales nucléaires jusqu’au 15 avril 2023 (au lieu de fin 2022). Elle vient par ailleurs de signer un accord avec le Qatar pour un approvisionnement en gaz naturel liquéfié (GNL) pour les 15 prochaines années.

L’Europe est « sous pression énergétique ». La Suisse également. Intégrée au réseau électrique européen et au marché international, les prix dans notre pays sont étroitement liés à ceux pratiqués à l’extérieur de nos frontières.

En quoi les perturbations sur le marché du gaz nous impactent-t-elles ?

La Suisse ne possède pas de gisement de gaz et en importe pour produire de la chaleur. En 2021, près de 60% des bâtiments à usage d’habitation sont chauffés au mazout et au gaz. Nous en consommons également indirectement pour nos besoins électriques, puisque l’Allemagne, par exemple, a recours à des centrales à gaz pour produire de l’électricité. À ce sujet, l’Université de Genève (UNIGE) vient de mettre en ligne la plateforme horocarbon, qui permet de suivre la composition et les variations du mix électrique suisse. Alimenté par des données de production suisses et étrangères, ce compteur virtuel s’adresse autant à la population qu’aux scientifiques et à la sphère politique. Voilà ce que l’UNIGE publiait fin 2022 dans un communiqué. « Le 6 décembre 2022 à minuit, le compteur horocarbon indiquait que le mix électrique suisse se composait de près de 50% d’électricité importée. Cette énergie provenait à 65% d’Allemagne, à 17% d’Autriche et à 18% d’Italie. La majeure partie (49%) de l’électricité consommée était produite par le gaz. »

De l’eau et du soleil pour la Suisse

Avec ses 220 barrages, la Suisse possède la plus forte densité de tels ouvrages au monde. En outre, 682 centrales hydrauliques produisent environ deux tiers de l’électricité du pays. Elles sont, comme toutes les énergies renouvelables, sujettes aux variations météorologiques. Pour viser plus d’autonomie, notre pays a ainsi prévu d’augmenter massivement sa production renouvelable (hydraulique, solaire, éolien, etc.). Dans le cadre du développement solaire, les Chambres fédérales ont adopté fin septembre 2022 des mesures visant à faciliter la création de grandes installations photovoltaïques dans les Alpes. Le canton du Valais a sauté sur l’occasion et adopté les mesures visant à appliquer sur son territoire ces nouvelles dispositions fédérales. Le parlement valaisan vient d’accepter (en février 2023), en une seule lecture, un décret qui facilitera le déploiement de grandes installations solaires en milieu alpin, non sans amener de légitimes préoccupations, comme le souligne le journal Le Temps. « Afin d’accélérer le processus d’autorisation pour ces champs solaires alpins, l’exécutif valaisan pourra désormais statuer seul sur les dossiers, sans passer par la commission cantonale des constructions, qui octroie d’habitude les permis de construire situés hors zones à bâtir. L’effet suspensif en cas de recours sera par ailleurs levé, ce qui fait que ces projets ne seront pas bloqués en cas de contestation devant les tribunaux. » Une rapide décision qui fait grincer les dents, puisqu’elle ouvre une voie royale à certains gros projets, prévus notamment dans les montagnes valaisannes, – en dépit de leurs impacts potentiellement néfastes sur le paysage et la nature. Pro Natura et les Vert.e.s Valais exigeant un débat cantonal sur ces grandes installations dans les espaces alpins sauvages, ils ont annoncé un référendum. À noter que, dans ce contexte, les installations solaires flottantes sur des surfaces artificielles étaient déjà favorisées par l’ordonnance sur l’aménagement du territoire de juillet 2022 ainsi que par la plupart des ONG. Elles permettraient en effet de mutualiser les infrastructures existantes, tout en présentant un apport de production substantiel.

 

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ARNAUD ZUFFEREY

« Si on cherche à remplacer l’atome, c’est simple : visons l’efficience »

Selon l’ingénieur Arnaud Zufferey, la question de notre approvisionnement hivernal pourrait être largement résolue si nous visions « simplement » l’efficience et la sobriété. Il évoque également l’énorme potentiel des éoliennes et du solaire sur nos toits et façades. Un peu de bon sens au milieu de l’urgence.

Arnaud Zufferey, vous êtes ingénieur en informatique et avez travaillé durant de nombreuses années dans le domaine de l’énergie, notamment au service cantonal en Valais. Il y a deux ans, vous avez décidé de lancer le bureau Olika, pourquoi ?

J’ai un profil hybride qui n’entrait ni dans la case des services informatiques, ni dans celle des services de transition énergétique. Mon rôle n’était pas toujours bien compris, voire marginalisé. Alors j’ai décidé de capitaliser sur ce que je voyais plus comme une force qu’une faiblesse et je me suis lancé à mon compte.

Vous travaillez notamment avec la science des données. Auriez-vous un exemple concret de leur apport dans le monde de l’énergie ?

Dans mon travail, je combine effectivement les approches à la fois énergétiques et informatiques, en m’appuyant sur la data science, qui se situe au carrefour de l’énergie, de l’informatique, des statistiques et des maths. J’ai par exemple travaillé sur l’électrification d’un parc de bus et de camions. En utilisant les données de parcours, j’ai constaté une circulation très inégale : beaucoup de véhicules faisaient très peu de kilomètres et très peu en faisaient beaucoup. Mon client a donc pu prendre conscience de ces différences et planifier l’électrification de sa flotte en fonction.

Mais quand je dis que je fais de la data science pour l’énergie, beaucoup ne comprennent pas vraiment, même si la plupart saisit les avantages qui en découlent. Alors je parle plutôt d’analyses d’un parc automobile, mais pas de data science. Je dois dire que certains distributeurs d’énergie ont par ailleurs compris les enjeux et les bénéfices, comme Romande Energie qui a internalisé quelques profils du genre. Mais ça reste la minorité.

Vous utilisez volontiers le terme « Winterstrom » pour communiquer sur la question de nos importations électriques hivernales. Pourquoi ?

En 2019, l’OFEN a publié une étude qui s’appelait « Winterstrom Schweiz » et qui n’a jamais été traduite en français, alors qu’elle posait les bases de décisions prises aujourd’hui. Alors j’utilise ce mot avec ironie, parce que les décisions se prennent en Suisse allemande et les études sont souvent publiées en allemand, même lorsqu’il s’agit de thématiques importantes, comme l’adaptation de l’ordonnance sur l’énergie (OEne). Si vous n’êtes pas parfaitement bilingue, vous ne pouvez pas prendre position sur une base légale qui va dicter l’installation du solaire dans nos montagnes par exemple. Je pense aux projets comme Gondosolar ou Grengiols. Au niveau fédéral, on ouvre la voie à ces méga projets solaires en milieu alpin et au niveau cantonal, la loi a été votée en une seule session, sans référendum et elle est entrée en force. Du jamais vu ! Pour installer d’énormes centrales solaires alpines au sol, on sacrifie ainsi l’aménagement du territoire, la nature et le paysage, mais aussi l’agriculture et le tourisme. La guerre en Ukraine a éclaté et on a pris des décisions dans la précipitation, sans procéder à des analyses et sans ouvrir de discussions sur le sujet. On fait du patchwork dans l’urgence.

Pourtant, installer des centrales photovoltaïques en altitude est une excellente idée, puisque les panneaux en haute montagne produisent plus d’énergie en hiver que ceux installés en plaine. Alors comment concilier production d’énergie hivernale et préservation de la nature ?

Techniquement, le projet du Lac des Toules est aussi du solaire alpin, mais son impact sur la nature et le paysage est très limité. C’est une installation pionnière et extrêmement bien réalisée, sans oppositions et avec un très faible impact sur le paysage et la nature. C’est l’art de bien faire et de bien réfléchir. Toutefois, l’adaptation de l’adaptation de l’ordonnance sur l’énergie dont je parlais plus haut semble avoir été pensée non seulement pour favoriser les projets de très grandes installations solaires dans les alpages, mais également pour exclure les autres des mécanismes de facilitation d’autorisation.

 

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L’OFEN mentionne qu’en recouvrant de panneaux photovoltaïques nos toits et nos façades, nous pourrions produire 67 TWh/an. Vous ajoutez que c’est plus de trois fois ce dont nous avons besoin pour remplacer les centrales nucléaires.

Il y a effectivement les toitures et les façades des bâtiments, mais aussi les infrastructures comme les parois anti-bruit des autoroutes, les lacs artificiels, les cultures (agrivoltaïque) ou encore les décharges. Et il faut préciser que les estimations de l’OFEN ont été calculées avec d’anciens panneaux solaires, avec un rendement d’environ 17%, alors qu’aujourd’hui il grimpe à 20-22%. C’est donc une estimation minimale ; nous pourrions arriver à 80 TWh, de quoi largement couvrir notre consommation d’électricité (58,1 térawattheures en 2023, chiffres OFEN).

Vous évoquez également une alternative au « Winterstrom », c’est l’efficience énergétique. Expliquez-nous ?

Dans un rapport, là encore non traduit en français, l’OFEN parle de 25 à 40% d’énergie gaspillée en Suisse. Le document mentionne que si on utilisait tout le potentiel, on atteindrait 14 à 23 TWh, soit plus que le nucléaire qui fournit 19 TWh. Alors si on cherche à remplacer l’atome, c’est extrêmement simple : renforçons l’efficacité. Il y a un autre levier qui est la sobriété, avec des choses simples à faire, comme éteindre les enseignes et les vitrines ou encore couper certains systèmes. Mais ce message pourtant simple n’est ni entendu, ni compris. Je n’ai d’ailleurs trouvé aucun rapport en Suisse sur cette question essentielle qui touche au bon sens. Je pense à une autre source que sont les éoliennes et qui permettraient également de soutenir notre approvisionnement hivernal ; elles ont un énorme potentiel de production hivernale. Pourquoi en parle-t-on si peu ?

Quelle(s) question(s) se poser pour faire avancer les choses ?

Nous avons les mêmes leviers à tous les niveaux : sobriété, efficacité et renouvelable. Ces trois aspects, pris dans cet ordre, donnent toujours un fil cohérent aux réflexions et aux actions. Malheureusement, on prend les choses à l’envers, ce qui n’est pas soutenable et ne permet pas de résoudre la crise énergétique et climatique.

C’est quoi la morale de l’histoire ?

J’ai la sensation que depuis une vingtaine d’années, les choses s’étaient figées et que le conflit en Ukraine est venu tout bouleverser. Tout est remis en question et les accords de collaboration entre les pays sont tendus. Je me questionne beaucoup, non pas pour cet hiver, mais pour les dix prochains. Et ce n’est pas avec quelques grosses installations solaires alpines qu’on va résoudre la question de notre approvisionnement et de notre transition énergétique. Nous n’avons pas encore posé les bases fondamentales d’un débat sain et constructif. Nous avons pourtant toutes les pièces du puzzle, mais restons cloisonnés, par service, par département, chacun entreprenant des actions de son côté et sans personne au sommet pour dégager des pistes claires et des stratégies cohérentes. Et puis on confond vitesse et précipitation. Sous prétexte de devoir accélérer, on fait les choses un peu n’importe comment.

 

Joëlle Loretan

Rédactrice

biomasse

La Suisse et son potentiel biomasse

Qu’il s’agisse d’épluchures ménagères, d’engrais de ferme ou de bois, la biomasse contient une énergie précieuse exploitable sous forme d’électricité, de chaleur ou de carburant. « La valorisation de la biomasse se situe à cheval entre le traitement des déchets et la production d’énergie » illustre Yves Membrez de Biomasse Suisse. L’énergie issue de la biomasse est quant à elle renouvelable et neutre en CO2. « En Suisse, elle est en outre également durable, précise l’OFEN, car avant de produire de l’énergie, la matière organique est utilisée une première fois pour l’alimentation, humaine et animale, ou comme matériau de construction ».

Dans le cadre du programme d’encouragement Energie 2014-2021, financé à hauteur de 250 millions par la Confédération, la revue Diagonale (février 2022) de l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL) nous apprend que 1300 spécialistes, dont ceux du WSL, ont exploré les solutions techniques, sociétales et politiques en vue de la transition énergétique et d’une production d’énergie plus durable. Depuis de nombreuses années, l’Institut fédéral collecte des données et a ainsi développé des modèles de simulation pour évaluer la disponibilité de chacune des sources d’énergie renouvelable : la biomasse, l’eau, le vent et le soleil. Résultat : les substances organiques comme le bois, les produits de la fauche, le fumier et le lisier recèlent un trésor d’énergie. « La biomasse est un précieux substitut aux combustibles et carburants fossiles. Elle est de toute façon présente et peut être transformée en énergie de manière efficiente », explique Oliver Thees, chercheur en sciences forestières et économiste du WSL. La contribution énergétique des biomasses – ligneuses et non ligneuses – pourrait s’élever à 27 TWh d’énergie par an.

La biomasse, c’est quoi ?

Comme expliqué dans cette courte vidéo, la biomasse désigne tout ce qui se compose de matière organique renouvelable, telle que les déchets verts et les épluchures des zones d’habitation, les résidus de récoltes et les engrais de ferme en agriculture ou encore les déchets alimentaires de la restauration. Toutes ces matières peuvent être transformées en biogaz et permettent de produire de l’électricité, de la chaleur et du carburant pour la mobilité. Plus de 13’500 véhicules à gaz sont actuellement en circulation sur les routes Suisses selon l’association Suisse de l’Industrie gazière (ASIG), un chiffre encore relativement confidentiel, au vu des 6,4 millions de véhicules routiers à moteur immatriculés en Suisse.

En 2020, un cinquième de l’énergie renouvelable provenait de la biomasse selon SuisseEnergie. Et pour le petit clin d’œil, le site Futura science nous rappelle très justement que « la première forme d’exploitation de la biomasse est l’activité physique. La transformation des aliments en énergie musculaire a longtemps été l’une des principales sources d’énergies des économies, jusqu’à l’industrialisation ».

La biomasse sèche et humide

L’OFEN – entre autres – classe la biomasse en deux catégories :

  • La biomasse ligneuse sèche (bois de forêt, de récupération, etc.) : elle est la plus ancienne source d’énergie et représente le 85% de l’énergie provenant de la biomasse en Suisse. Elle est transformée en énergie par le biais de la combustion ou la gazéification.

Comment on obtient de l’énergie ?

La combustion consiste à brûler le bois pour la production de chaleur (traitement thermique), alors que la gazéification transforme la biomasse sèche en gaz de synthèse. Cette transformation thermochimique consiste à décomposer par la chaleur (plus de 1000°C) une biomasse sèche en présence d’un réactif gazeux (gaz carbonique, vapeur d’eau puis oxygène/air). Ce combustible, gaz de synthèse au mélange de monoxyde de carbone et d’hydrogène, peut alimenter un moteur thermique pour produire de l’électricité ; la chaleur résultant du processus peut également être valorisée dans un réseau le chauffage à distance. La production simultanée de chaleur et d’énergie s’appelle la cogénération.

La commune de Puidoux et Romande Energie ont misé sur cette approche avec une installation mise en service en 2018. La centrale couvre l’équivalent des besoins annuels en électricité de 1’500 ménages. La centrale Enerbois, fruit d’un partenariat entre Romande Energie et la scierie Zahnd (Rueyres) est également un exemple du genre. Plus grande centrale de biomasse de Suisse romande, elle génère 26.5 millions de kWh d’électricité par année – la consommation de plus de 7’500 ménages – en brûlant les sous-produits de la scierie Zahnd (écorces et plaquettes), alors que la chaleur est valorisée sur site pour les différents processus industriels. Avec la sciure de bois issue de la scierie (un autre sous-produit), Enerbois produit par ailleurs plus de 18’000 tonnes de pellets par an, de quoi chauffer environ 4’500 ménages.

 

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Enerbois, la plus grande installation biomasse de Suisse.
© Romande Energie.

 

  • La biomasse humide et peu ligneuse (biodéchets, lisier et fumier, résidus de récolte, boues d’épuration, etc.)

Le procédé biochimique appelé méthanisation (ou digestion anaérobie) permet de transformer la biomasse humide en biogaz, pour la production de chaleur et d’électricité. Les principaux producteurs de biogaz en Suisse à partir de biomasse humide sont les stations d’épuration (STEP).

 

Comment on obtient de l’énergie ?

La biomasse humide est transformée en gaz dans des digesteurs (grandes cuves) contenant des bactéries anaérobies (actives en l’absence d’oxygène). La charge organique est alors décomposée pour produire du gaz renouvelable (ou biogaz). Il peut être soit directement utilisé comme source d’énergie, soit utilisé dans des centrales de cogénération pour produire de l’électricité et de la chaleur. Il peut également être purifié avant d’être distribué dans le réseau de gaz et il est aussi transformable en biométhane pour servir de carburant. Toutefois, si la production de biogaz à partir de biomasse humide avait autrefois le vent en poupe, son développement ne s’est pas poursuivi de manière soutenue, comme l’explique Yves Membrez de Biomasse Suisse, directeur du bureau d’étude et de conseils EREP SA. Cet ingénieur civil est spécialisé dans le traitement et la valorisation des déchets et effluents organiques depuis plus de 40 ans. « Quand j’ai commencé mes activités dans les années 1980, la Suisse comptait environ 150 sites de production de biogaz agricoles. Mes collègues suisses allemands avaient l’habitude de dire que par rapport au nombre d’habitants, nous étions le pays industrialisé avec le plus grand nombre d’installations. Aujourd’hui il en reste environ 120. » Il précise que l’énergie est devenue ensuite très bon marché et que les agriculteurs, subissant de fortes pressions, avaient alors d’autres priorités que celle de développer des usines de production de biogaz sur leurs exploitations. « Il faudrait aujourd’hui une politique résolue et concertée pour que la biomasse prenne de l’ampleur, ce qui manque encore » ajoute-t-il.

 

Quand y en a plus, y en a encore

Le digestat : en effet, dans le cadre d’une fermentation anaérobie de la biomasse humide, tout ce qui n’est pas facilement décomposable se retrouvera à la sortie. C’est le digestat, que l’on trouve sous forme solide ou liquide. Riche en nutriments tels que l’azote, le phosphore et le potassium, il peut se composter ou servir d’engrais pour l’agriculture. En Suisse, environ 300 000 m3 de digestat liquide sont produits annuellement dans les installations de méthanisation. Cependant, toute la biomasse humide n’est pas valorisable, comme le précise Yves Membrez de Biomasse Suisse. « Les digestats qui viennent des boues d’épuration ne peuvent être utilisés dans l’agriculture. C’est interdit en Suisse pour des raisons qui remontent à la vache folle, mais aussi parce qu’on n’a pas encore de solutions pour supprimer les résidus médicamenteux présents dans les eaux usées – même si l’idéal serait de ne pas les y mettre. On peut toutefois épandre le digestat qui résulte des autres sources de biomasse humide. »

Le biochar : principalement produit à partir de résidus de bois, le biochar (ou charbon végétal) est un produit dérivé de la pyrolyse de la biomasse, soit la conversion thermique de la matière organique en l’absence d’oxygène. Il peut être utilisé entre autres pour améliorer la fertilité des sols, retenir l’eau et les nutriments, stimuler la croissance des plantes et réduire le recours aux engrais chimiques. Le biochar peut également contribuer à la séquestration du carbone dans les sols.

 

Joëlle Loretan

Rédactrice

merit order

Tarification de l’électricité, comment ça marche?

Le prix de l’électricité dépend de nombreux facteurs, indépendamment des coûts de production d’une filière en particulier. Appelé « merit order », le système qui fixe les tarifs du courant heure par heure s’inscrit dans une démarche globale, propre au marché européen, qui prend en compte les coûts de toutes les filières. Ainsi, même l’énergie provenant d’une infrastructure renouvelable est impactée au niveau de son prix par la valeur des hydrocarbures encore largement utilisés pour produire le courant dont on a besoin. Explications.

Cela n’aura échappé à personne, le prix de l’énergie s’est envolé. Une forte augmentation que l’on peut bien sûr directement corréler au conflit en Ukraine. En très forte hausse, le prix des hydrocarbures, conjugué à l’importante demande énergétique hivernale, engendre des coûts de production électrique de plus en plus élevés. En témoignent les centrales à charbon et à gaz qui gonflent la tarification du courant en suivant le principe du « merit order », rouvertes à la hâte suite à l’anticipation de la pénurie alors que l’Europe commençait à les fermer, tout comme les centrales nucléaires françaises dont le long redémarrage a fait passer l’Hexagone d’exportateur à importateur.

 

merit-order

Source : www.aceenergie.com

 

Pour mieux comprendre cette dynamique énergétique et économique complexe, Clarisse Martin, spécialiste en gestion de portefeuilles énergie chez Romande Energie, nous donne ses explications. Interview.

 

Le prix de l’électricité est déterminé quasiment en continu en suivant le principe du « merit order ». De quoi s’agit-il ?

Ce système élaboré depuis longtemps par les économistes permet de déterminer le prix de l’électricité ou encore celui de différentes matières premières. Seulement, la spécificité du marché de l’électricité repose sur le fait que le courant ne se stocke pas, ou du moins très peu. Contrairement aux matières premières, dont la possibilité de les stocker permet de déterminer un prix fixe sur une base quotidienne, l’électricité est en flux constant. Son prix varie donc d’heure en heure. Pour le déterminer, le principe du merit order consiste à prendre en compte les coûts variables liés à toutes les filières de production électrique. Pour simplifier, donnons un cas de figure schématique dans le marché des matières premières. Imaginons que le marché du pétrole soit occupé par deux producteurs seulement. L’un bénéficiant d’infrastructures de production efficientes et peu coûteuses, l’autre d’installations vétustes et chères à l’utilisation. Le prix du baril de pétrole va alors être déterminé par le coût de production le plus élevé, soit celui du producteur ayant une installation moins performante. Pour l’autre, cela lui permet de vendre sa production en faisant une grande marge. Et pour le producteur à l’installation vétuste, ce système plutôt solidaire l’incite à investir pour moderniser son installation et réaliser une meilleure marge.

Comment se transpose cette dynamique dans le cas du marché de l’électricité ?

De la même manière, il s’agit de prendre en compte les coûts variables de toutes les filières impliquées dans la production d’électricité. Et cet exercice est répété chaque heure, en prenant en compte le moment durant lequel va être consommé le courant. Ainsi, dans le contexte actuel, avec des centrales à charbon et à gaz qui produisent du courant à un coût élevé, en grande partie en raison de l’envolée du prix des hydrocarbures, c’est tout le marché de l’électricité qui se voit impacté à la hausse.

Qu’en est-il des coûts liés à l’exploitation d’infrastructures de production renouvelables ?

Le photovoltaïque, l’éolien et l’hydraulique bénéficient de coûts de production faibles. Contrairement aux hydrocarbures, dont les prix oscillent selon les dynamiques géopolitiques et économiques, le soleil, le vent et l’eau ne coûtent rien en tant que « matières premières ». Économiquement parlant, l’exploitation d’infrastructures renouvelables repose donc essentiellement sur l’investissement de départ nécessaire à la construction des installations et leurs faibles coûts de maintenance et d’entretien.

La période actuelle est donc particulièrement favorable aux producteurs d’énergie renouvelable ?

En effet. Leurs coûts de production sont faibles en comparaison avec ceux des filières qui dépendent du prix des hydrocarbures alors que, comme expliqué, le prix de l’électricité se calcule sur la base du courant le plus cher à produire. Les filières durables font donc actuellement de grands bénéfices. Pour ne pas trop dérégler le système, et continuer à favoriser une approche plutôt solidaire, les autorités européennes ont tout de même fixé un seuil de revente maximum du courant à 180 € le mégawattheure pour les filières durables. Ainsi, avec un prix de l’électricité qui oscillait aux alentours de 300 € le mégawattheure, ces filières remboursent 120 € à la politique énergétique européenne. Ce bouclier tarifaire permet notamment de soutenir les industries touchées de plein fouet par l’augmentation du prix de l’énergie.

Cet écart entre la rentabilité des producteurs durables et les exploitations coûteuses risque-t-il de pousser les filières productrices polluantes à améliorer leur rendement dans l’optique d’accroître leur marge ?

Pas vraiment dans le sens où ces filières, même si elles parvenaient à être plus efficientes, dépendent toujours du prix des hydrocarbures d’une part, mais aussi des certificats de CO2 qu’elles doivent acheter pour compenser leurs émissions de carbone.

Et qu’en est-il du nucléaire ?

Les grandes centrales françaises qui ont été fermées accentuent la dépendance du marché aux coûts de production élevés des autres filières, à savoir celles du gaz et du charbon. Les plans de relance entrepris par l’Hexagone vont prendre du temps et la donne actuelle a ainsi fait passer le pays d’exportateur à importateur. En termes de coûts de production, la filière nucléaire représente le deuxième segment le plus compétitif après les exploitations renouvelables qui rassemblent le solaire, l’éolien et l’hydraulique.

Pour revenir à la mécanique du merit order, ce système ne constitue-t-il pas une forme d’injustice économique pour des pays disposant de grandes infrastructures durables, comme la Suisse avec l’hydraulique par exemple ?

Le système du merit order est majoritairement apprécié lorsque les prix de l’énergie sont bas, et critiqué lorsqu’ils grimpent. Il reste cependant le système le plus solidaire que l’on ait pu mettre en place. Et le plus fonctionnel également, puisqu’il permet de se mettre d’accord sur un prix de l’électricité déterminé heure par heure. Pour un pays comme la Suisse, dont la force hydraulique constitue un point fort tant en termes énergétiques qu’économiques, il faut garder à l’esprit que le marché reste européen. On ne peut donc pas faire sans. En même temps, les atouts écologiques et financiers des filières durables restent limités puisque ce type d’exploitations ne peut pas absorber la totalité de la demande énergétique. Sans parler des aléas météorologiques avec lesquels il faut composer. Ce que l’on peut dire en revanche, c’est que le système du merit order peut parfois engendrer un effet un peu pervers. À savoir le fait que certains producteurs peuvent être tentés de maintenir des filières énergétiques polluantes coûteuses, tant économiquement que durablement, pour garder une certaine pression sur les prix globaux et les pousser ainsi à la hausse.

Enfin, que dire des prévisions pour l’année prochaine, jusqu’à quand devrait durer cette situation de cherté de l’énergie ?

Difficile de le prédire avec exactitude. Mais le conflit actuel ne donne que peu de signes d’accalmie, ce qui devrait malheureusement continuer à peser sur notre système énergétique. Au niveau saisonnier, nous devrions tout de même voir une légère baisse des tarifs en été en raison de la diminution de la demande et de l’augmentation du courant produit de manière durable.

 

Thomas Pfefferlé

Journaliste innovation

champs

Production alimentaire, quel impact environnemental ?

Produits localement, importés, cultivés biologiquement… les méthodes utilisées pour produire nos biens alimentaires jouent un rôle considérable en termes d’impacts sur l’environnement. Il en va de même pour la provenance avec, contrairement à ce que l’on pourrait penser, des phénomènes d’efficience à prendre en compte qui questionnent même les atouts durables de certaines filières de production locales par rapport à des denrées importées. Décryptage.

À l’échelle globale, la production alimentaire constitue depuis des décennies une problématique environnementale croissante. Pour donner d’emblée un indicateur clé, 80% de la déforestation mondiale est liée à l’agriculture intensive. Outre ce fait, la nuisance écologique de la production alimentaire est exacerbée par deux facteurs principaux : la croissance démographique et la mondialisation. Pour le résumer en une phrase, nourrir les huit milliards d’êtres humains que compte notre planète avec des méthodes et processus industriels globalisés à l’extrême génère une pollution des plus significatives, sans parler des problèmes de gaspillage, d’insécurité alimentaire, de malnutrition et même de famine. Pour quantifier la donne actuelle, rappelons que l’agriculture et l’élevage sont responsables de 20 à 30 % des émissions globales de gaz à effet de serre.

Concernant le gaspillage, notons également qu’environ un tiers de la production alimentaire est jeté, soit plus ou moins un milliard de tonnes par année dans le monde. Une problématique qui se produit tout au long de la chaîne de production et de distribution alimentaire, avec une responsabilité répartie proportionnellement entre les producteurs (39 %), les supermarchés (5 %), la restauration (14 %) et les ménages (42 %). La Suisse figure par ailleurs sur le podium des pays les plus producteurs de déchets par habitant en Europe.

Le paradoxe de la globalisation

Si les faits et chiffres démontrent clairement que les causes de la pollution engendrée par la production alimentaire sont liées en grande partie à un système globalisé et rationalisé à l’extrême, il reste que ce sont bien les prémices de ce même système qui ont permis de sécuriser l’alimentation de nombreuses populations durant l’après-guerre. Et dans le contexte de croissance démographique actuel, avec une population mondiale estimée par les Nations Unies à près de dix milliards de personnes d’ici à 2050, comment opérer une refonte du système de production permettant de conjuguer sécurité alimentaire et bonnes pratiques écologiques sans passer par le maintien des circuits mondialisés déjà en place ?

Pour Charlotte de La Baume, cofondatrice de l’entreprise Beelong, spécialisée dans le conseil et la formation en matière d’alimentation respectueuse de l’environnement auprès de collectivités publiques, de restaurateurs et d’acteurs de l’agroalimentaire, les méthodes de production et les régimes alimentaires constituent les problèmes auxquels il faut s’attaquer en priorité.

« De nombreux facteurs entrent en compte lorsque l’on aborde cette thématique. On entend aussi énormément d’informations plus ou moins véridiques quant à la nature du problème, notamment en raison des discours politiques et économiques qui influencent sa perception auprès du grand public. Mais le premier facteur à considérer, avant la provenance ou encore l’impact lié par exemple aux emballages, concerne bien les modes de production utilisés par l’industrie agricole. C’est là que le plus gros des impacts sur les ressources et sur l’environnement en général est engendré, comme la pollution des sols et des eaux souterraines, l’épuisement des ressources naturelles et énergétiques ou encore l’appauvrissement de la biodiversité. »

Protéines animales, le gouffre énergétique

Avant de s’intéresser de plus près aux multiples dimensions qui interviennent dans la problématique de la pollution alimentaire, il convient donc de revoir les fondements du système de production en vigueur actuellement. Rationalisée à l’extrême, la culture intensive nuit en effet à l’environnement dans de larges proportions. Si la méthode permet de maximiser les rendements dans un premier temps, elle engendre pourtant une baisse d’efficacité après quelques années seulement en raison de l’épuisement des ressources.

« La culture intensive nécessite l’utilisation de plus de produits chimiques et privilégie en outre un labourage profond et régulier de la terre, ce qui détruit les micro-organismes présents dans le sol et qui contribuent considérablement à sa fertilité et à sa structure. »

impact-alimentation

Parmi les pratiques industrielles intensives ayant une forte nuisance environnementale, mentionnons la culture céréalière servant à nourrir le bétail. Pour faire simple, le fait de consommer des protéines animales de manière trop régulière nécessite la mobilisation de gigantesques ressources pour nourrir les animaux que nous finissons par manger. Outre les ressources énergétiques et naturelles – rappelons que, selon le Water Footprint Network, 15’000 litres d’eau seraient nécessaires pour produire un kilo de viande de bœuf – il s’agit aussi de considérer les ressources spatiales dédiées à ces cultures.

« Et c’est un point fondamental, car ces surfaces, si elles étaient consacrées à des cultures destinées à la consommation humaine, pourraient permettre de changer la donne, notamment en matière de sécurité alimentaire », ajoute Charlotte de La Baume.

Suisses mauvais élèves

L’herbe consommée par les animaux en Suisse vient en grande partie du pâturage qui ne peut pas être exploité autrement, pour des cultures par exemple. Autre point problématique : le grain, majoritairement importé, que l’on donne en complément aux animaux et qui nécessite également d’importantes surfaces bloquées pour sa culture. Ce qui explique que pour réduire l’empreinte environnementale de son alimentation, le premier réflexe à avoir devrait consister à réduire sa consommation de protéines animales. « Surtout qu’en Suisse, la population s’avère très carnivore avec une moyenne par habitant de neuf repas hebdomadaires contenant des produits carnés. On est bien au-dessus des trois fois par semaine maximum, comme le recommande l’OMS. »

Si les Suisses mangent donc trop de viande, les restaurateurs ne sont pas en reste en ce qui concerne le poisson. Car dans nos restaurants, les neuf poissons proposés le plus souvent dans les menus figurent tous dans le top dix des espèces les plus menacées. « On ne peut pas forcément leur en vouloir car, pour la plupart, ils ne sont tout simplement pas au courant », souligne la cofondatrice de Beelong. « Un manque de connaissance et d’information que nous nous efforçons d’ailleurs de combler en proposant des formations ainsi que des calculateurs, autant aux acteurs de la restauration collective qu’aux principaux groupes de l’agroalimentaire. Globalement, on sent tout de même que cette problématique éveille de plus en plus les consciences et que la branche se responsabilise. »

Quelques valeurs sûres

Notons également que la provenance joue évidemment un rôle dans l’impact environnemental de nos denrées alimentaires. Si le local est intéressant, du moment que les produits soient de saison, il faut aussi savoir que tous les produits importés ne sont pas forcément très problématiques. Surtout en considérant l’efficience et la centralisation des opérations qui sont déployées dans la chaîne de distribution. Le mode de transport utilisé est en revanche à considérer attentivement. La route et les voies maritimes étant bien sûr moins polluantes que l’avion. Comment savoir de quelle manière nos produits importés ont été acheminés ? C’est simple. Plus les produits sont frais et issus d’exploitations éloignées géographiquement, plus il y a de chances qu’ils aient été importés par avion. Le cas typique : les kiwis de Nouvelle-Zélande. Cultivés à l’autre bout du monde mais pourtant vendus frais dans les étalages de nos supermarchés, ils sont importés massivement par avion puisque, par voie maritime puis routière, le produit ne serait tout simplement plus frais.

Enfin, pour favoriser une alimentation respectueuse de l’environnement, il s’agit également de porter attention aux différents labels qui garantissent des modes de production vertueux. En Suisse, les labels Bio Suisse, Bourgeon Bio Suisse et Demeter constituent des valeurs sûres en matière de qualité environnementale des méthodes de production utilisées. À noter également, les différents labels biologiques propres aux chaînes de distribution comme ceux proposés par Coop ou encore Migros s’avèrent aussi fiables puisqu’ils se basent en fait sur les mèmes critères que ceux de l’Ordonnance sur l’agriculture biologique Suisse.

En matière de prix, si les produits issus de l’agriculture biologique sont encore légèrement plus chers puisque leur mode de production s’avère moins optimal que les cultures intensives, il reste possible de rattraper ce coût en changeant ses habitudes alimentaires. À nouveau, et on ne le rappellera peut-être jamais assez, diminuer les apports protéiques d’origine animale dans son assiette en les remplaçant par exemple par des sources végétales permettra de s’y retrouver financièrement, tout en contribuant à réduire son impact sur la planète.

 

Thomas Pfefferlé

Journaliste innovation

ville

Tous nos besoins à portée de pieds : bienvenue dans la ville du quart d’heure

Offrir aux habitantes et habitants des villes, mais aussi des villages, la possibilité de pratiquer la majorité de leurs activités quotidiennes à proximité de chez eux, c’est l’objectif de la ville du quart d’heure. C’est l’habitant qui est à nouveau au cœur de cet urbanisme de proximité. Est-ce un nouveau concept ou une manière de présenter de façon très communicable pour le grand public ce vers quoi tendent les urbanistes actuels ? Voyons plutôt.

Réduire les trajets et mutualiser les espaces

Réfléchissez à vos activités régulières et aux déplacements qu’elles engendrent : vous rendre à votre travail, amener vos enfants à l’école ou à leur cours de théâtre, aller faire vos courses, vous rendre à votre salle de sport, aller boire un café, écouter un concert, nager, conduire votre tante chez son médecin, vous rendre à votre cours d’anglais – la liste est longue. Selon l’Office fédéral de la statistique, la population suisse passe chaque jour 90 minutes dans les transports – en moyenne 45 minutes à se déplacer pour ses loisirs, 17 minutes pour son travail, 13 minutes pour ses achats et le reste pour d’autres activités. La majorité de ces trajets se font en voiture (72%) ; viennent ensuite le train (12%), puis les déplacements piétons (5%), et enfin en bus (3%) – (autres 5%). En Suisse toujours, la mobilité est responsable de 33% de la consommation d’énergie et émet 39% du CO2. C’est donc un domaine sur lequel nous avons un grand potentiel d’action : et c’est sur l’un de ces constats de base qu’est né le concept de la ville du quart d’heure. En effet, si la majorité des activités que nous pratiquons régulièrement se trouvait à environ 15 minutes à pied ou à 5 minutes à vélo de chez soi, et si ces trajets étaient agréables, cela réduirait considérablement le temps passé sur les routes ou le rail, en plus de contribuer à les désaturer.

Le concept de la ville du quart d’heure tel qu’imaginé par son co-créateur Carlos Moreno, professeur associé à l’Institut d’administration des entreprises de Paris-Sorbonne, c’est une ville qui a plusieurs centres dont chacun offre à ses habitants ce qui est essentiel à son quotidien : faire des courses, travailler, s’amuser, se cultiver, faire du sport, se soigner, etc. Pour pouvoir offrir toutes ces activités dans un périmètre existant souvent déjà construit, l’une des solutions proposées est de partager les locaux et infrastructures existants. Les écoles pourraient ainsi servir à des cours de musique le soir, les discothèques devenir une salle de sports en journée, les cours d’écoles offrir un espace de jeux ou de rencontre supplémentaire le week-end, les bibliothèques des espaces de coworking, les bâtiments publics devenir des lieux d’exposition, etc. Selon Carlos Moreno : plutôt qu’offrir des infrastructures pour aller plus vite et plus loin, il vaudrait mieux utiliser les ressources disponibles à proximité, évitant ainsi des déplacements inutiles.

Mais pour que ce périmètre du quart d’heure fonctionne, il faut qu’il soit attractif, non seulement en termes d’activités proposées, mais aussi en termes d’espaces publics mis à disposition. Les habitants doivent avoir envie d’y passer du temps et d’y créer une vie sociale. Il s’agit donc d’améliorer les espaces publics, de végétaliser, de les rendre agréables pour toutes et tous. Il est également important d’impliquer la population dans la conception de leur centre, d’entendre leurs besoins et leurs envies.

L’exemple de Paris

Anne Hidalgo, maire de Paris, , a lancé le projet de ville du quart d’heure en 2020 et plusieurs mesures ont été planifiées dans ce cadre :

  • Ouvrir les cours d’école au reste du quartier et les végétaliser en « cours oasis » ;
  • Piétonniser des rues à proximité des écoles ;
  • Offrir des lieux qui accueillent des activités de grandes institutions culturelles parisiennes et des acteurs culturels de chaque arrondissement ;
  • Mettre en place des « kiosques citoyens » où les habitants peuvent se rencontrer, s’entraider, demander des conseils, avoir accès à des associations ;
  • Renforcer le maillage des commerces et services de proximité ;
  • Favoriser la production locale et/ou les circuits courts avec le label « Fabriqué à Paris ».

QUESTIONS À YVES BONARD, URBANISTE FSU, RESPONSABLE DE L’UNITÉ « PROJETS URBAINS » AU SERVICE D’URBANISME DE LA VILLE DE LAUSANNE.

 

yves bonard

Yves Bonard, que pensez-vous du concept de ville du quart d’heure ? Qu’est-ce qui vous plaît dans ce concept ?

La ville du quart d’heure est avant tout un slogan efficace pour résumer une stratégie urbanistique pas si aisée à mettre en œuvre. C’est un modèle idéal simple et facile à communiquer, pour répondre à la question clé : « Quelle ville voulons-nous ? ». Dans les villes qui s’étalent depuis plusieurs décennies, il y a un véritable enjeu à redonner de la valeur à la proximité. Ce modèle marque une rupture avec le celui de la ville fonctionnaliste, dans laquelle chaque espace est spécialisé et qui repose sur la mobilité individuelle motorisée : des grands quartiers de bureaux, des grands centres commerciaux périphériques, des quartiers purement résidentiels, etc. La ville du quart d’heure peut offrir de nombreux avantages : réduire les déplacements pendulaires, diversifier les quartiers pour leur donner davantage de qualité et d’attractivité, favoriser les interactions sociales, économiques et culturelles et renforcer l’attachement des gens à leur quartier. À noter qu’en Suisse, compte tenu de l’échelle maitrisée des villes et agglomérations, la ville du quart d’heure est déjà une réalité pour bon nombre de personnes.

Et quelles sont vos critiques de ce modèle ?

Sa mise en œuvre est un peu utopique et se heurte à des difficultés concrètes. Il ne tient par exemple pas compte du fonctionnement désormais largement globalisé de nos sociétés : de nombreuses marchandises et services reposent en effet sur des échanges à distance (commerce en ligne p.ex.). De plus, dès que l’on s’éloigne des quartiers relativement denses, dans les espaces périurbains, les espaces ruraux ou alpins par exemple, il est très difficile de faire vivre économiquement certains commerces ou services.

Concrètement, dans une administration, quels sont vos outils pour favoriser cet urbanisme de proximité ?

À Lausanne par exemple, nous venons de réviser notre plan directeur communal qui définit comment chaque quartier pourra se développer dans les 15 prochaines années. Cet outil nous permet de favoriser cet urbanisme de proximité en identifiant en amont quels sont les manques par quartier et en développant des équipements publics de qualité dans chacun des quartiers (parcs, écoles, infrastructures sportives, espaces publics attractifs, etc.). Cet outil urbanistique permet également de favoriser l’offre commerciale par sa règlementation. Pour favoriser l’installation de commerces dans certains périmètres critiques en termes de rentabilité, les commerces d’utilité publique représentent une piste intéressante.

Puisque la moitié des déplacements sont dus aux loisirs, quelle a été votre réflexion concernant cet enjeu ?

Il s’agit tout d’abord de comprendre de quels loisirs nous parlons. S’il s’agit d’une pratique sportive, nous pouvons favoriser l’implantation d’équipements sportifs au cœur des différents quartiers (salle de gym, piscines, parcours extérieurs, etc.). S’il s’agit d’avoir accès à la nature, nous avons la chance à Lausanne d’être au contact direct de grandes entités naturelles très attractives : les rives du lac, le massif forestier de Sauvabelin, le Chalet à Gobet. Il s’agit de favoriser l’accès à ces lieux de détente en transports publics et d’offrir plus de lieux de baignade aménagés par exemple. Pour les loisirs éloignés des centres urbains (en montagne p.ex), il est nécessaire d’offrir des alternatives à la voiture individuelle, en proposant notamment des déplacements facilités en transports publics.

Et quels potentiels d’amélioration voyez-vous encore pour une ville qui réponde aux enjeux actuels ?

Comme le prône la ville du quart d’heure, l’espace public en milieu urbain est un espace précieux sur lequel trop de place est encore dévolu à la voiture. Il doit être mieux partagé pour permettre la plantation d’arbres par exemple, essentiels à la qualité de vie des habitants, permettre plus de déplacements agréables pour les piétons et les cyclistes, favoriser les rencontres, etc. La ville de demain doit réduire drastiquement ses émissions carbone et s’adapter aux multiples effets du changement climatique. Mais face à ce défi, nous devons veiller aux conséquences sociales, afin que cette transition n’augmente pas les inégalités présentes en milieu urbain, mais au contraire vienne les corriger.

 

Hélène Monod

Rédactrice

transports publics

Que se passe-t-il quand on rend les transports publics gratuits ?

Alors que les débats sur la mobilité durable se concentrent sur le type de véhicules à favoriser sur nos routes, la vraie question semble ailleurs. Car c’est surtout en parvenant à opérer un pivot massif vers les transports en commun que l’on pourrait engendrer un effet de levier décisif. Dans certains pays, les autorités ont franchi le pas en optant pour la gratuité des transports publics. Quels impacts génère ce modèle ? Est-il applicable en Suisse ? Explications.

Symbole de liberté et de prospérité économique, la voiture individuelle incarne désormais une dimension bien plus problématique. La nécessité d’opérer une transition écologique de toute urgence implique de revoir les fondamentaux de notre fonctionnement sociétal et, parmi eux, notre mobilité. Qu’elles soient à essence, électriques ou encore hybrides, nos voitures et leur utilisation individuelle constituent toujours un réel problème. Car même si certaines initiatives encourageantes voient le jour, comme le co-voiturage ou encore les flottes de véhicules partagés mis à disposition des usagers, l’utilisation de la voiture en Suisse reste extrêmement individualisée. Pour donner un ordre d’idée, les véhicules des Helvètes ont transporté 1,62 passager en moyenne en 2019. Un gâchis énergétique qui, quelles que soient les performances écologiques des moteurs développés actuellement par l’industrie automobile, ne semble pas prêt de diminuer sans parvenir à opérer une transition massive vers les transports publics.

Dans ce cadre, inciter la population à utiliser davantage les transports en commun peut s’avérer décisif. Parmi les options envisageables par les autorités, celle de la gratuité a déjà décidé plusieurs pays, dont l’Estonie ou encore le Luxembourg. Similaire à la Suisse sur de nombreux aspects économiques, géographiques et sociétaux, le Luxembourg est devenu le premier pays au monde à supprimer les tarifs appliqués aux utilisateurs des transports publics en 2020.

Quel impact ?

Au Luxembourg, les autorités se disent convaincues de la pertinence de leur positionnement novateur. La démarche a-t-elle permis de doper le nombre d’utilisateurs des transports publics de manière significative ? Pas si facile à dire, notamment à cause de la pandémie qui est intervenue durant la même période, faussant les habitudes et données liées aux déplacements. Si le Luxembourg n’a ainsi pas été en mesure de quantifier directement les effets de cette mesure, les chiffres correspondant à la période du déconfinement souligneraient une augmentation de l’utilisation des transports publics.

 

transports publics gratuits

 

Avec 200’000 frontaliers venant travailler au Luxembourg chaque jour, le plan de mobilité des autorités a clairement pour objectif de changer les habitudes des voyageurs. Parallèlement à la gratuité, d’importants efforts sont ainsi déployés pour améliorer la ponctualité et la qualité des transports dans le but d’inciter les gens à délaisser leur voiture. Ce qui peut paraître évident. Pourtant, dans les faits, plus de personnes dans les transports publics ne signifie pas forcément moins d’automobilistes. À Tallinn, malgré le positionnement précurseur de la capitale estonienne en matière de mobilité, les statistiques indiquent même une augmentation de la proportion d’utilisation de la voiture.

Un constat que partage également Vincent Kaufmann, professeur à l’EPFL et Directeur Scientifique du Forum Vies Mobiles – Institut de recherches et d’expérimentations créé par la SNCF. « Il s’agit aussi et surtout de s’interroger sur l’objectif recherché lorsque l’on évoque cette question de gratuité des transports publics. S’il est vrai que la démarche permet d’augmenter le nombre d’usagers dans les bus, les trams et les trains, elle ne permet en effet pas d’agir sur le nombre d’automobilistes. En gros, ceux qui aiment utiliser leur véhicule privé continuent à le faire. Ce qui pose alors une autre question, à savoir qui sont les nouveaux usagers que l’on attire dans les transports publics ? S’il s’avère que ces personnes sont celles qui se déplaçaient auparavant à vélo ou à pied, a-t-on vraiment amélioré les choses ? »

Et en Suisse ?

Sous nos latitudes, notons déjà que le cadre légal ne facilite pas l’instauration d’une telle démarche. « Il est en effet inscrit dans la constitution que les usagers doivent participer financièrement à l’utilisation des transports publics », rappelle Vincent Kaufmann. « Un motif notamment invoqué par les autorités lors du refus des différentes initiatives menées en faveur de la gratuité à Genève ou Fribourg par exemple. »

Autre aspect à prendre en compte : la balance économique entre les coûts absorbés par l’État, via nos impôts, et ceux pris en charge par les voyageurs directement. « Cette balance est d’environ 50% en Suisse. Ce qui veut dire que lorsqu’un utilisateur achète son billet, il paie plus ou moins la moitié du coût total de l’utilisation du transport. Pour l’État, assumer la totalité de ce coût n’est simplement pas possible. En France ou en Allemagne, où des initiatives de gratuité ont aussi été menées localement, les transports en commun sont davantage subventionnés. La donne est donc très différente, avec une balance d’environ 75% – 25% sur de nombreux réseaux de transports publics. Pour l’État, assumer les 25% restant de ces coûts s’avère donc beaucoup plus réaliste et permet même de s’y retrouver financièrement puisque certains frais disparaissent, comme ceux liés à l’entretien des distributeurs ou aux salaires des contrôleurs. »

Modèle persistant

Difficile donc d’imaginer de manière réaliste l’instauration de la gratuité des transports publics en Suisse. À la rigidité du cadre légal et économique, s’ajoute aussi un aspect psychologique fort. « Malgré tout l’argumentaire avancé en faveur des transports publics, et aussi performants qu’ils puissent être, la voiture représente encore un confort indéniable pour l’utilisateur. Dans notre société, l’automobile constitue une possession privée, dans laquelle le voyageur bénéficie de son propre espace protégé. Ce que l’on ne retrouve pas dans les transports en commun. »

Le professeur de l’EPFL ajoute encore que, suite à des calculs et modèles esquissés de manière informelle avec un collègue mathématicien, le levier incitatif décisif qui permettrait de changer les habitudes en matière de transport consisterait à rétribuer les voyageurs prêts à délaisser leur véhicule pour les transports en commun. « Ce qui est évidemment intenable. En revanche, de manière plus réaliste, adopter une politique plus fine et nuancée pourrait s’avérer pertinent. Si la gratuité pour tous n’est pas réaliste, ni forcément souhaitable, l’envisager pour les ménages en difficulté ou pour les personnes en situation de précarité, pour qui la mobilité constitue un handicap social et économique, aurait peut-être plus de sens. »

 

Thomas Pfefferlé

Journaliste innovation

maison-ecologique

Tour de Suisse des maisons écologiques (part. 2)

De nombreux architectes, entrepreneurs et propriétaires s’impliquent pour concrétiser des projets immobiliers durables. Nous vous proposons un petit tour d’horizon en Suisse pour partir à la découverte de logements qui se distinguent du point de vue écologique.

Bâtir son logement, quel beau projet. Et quel projet encore plus beau si l’on parvient à combiner la construction de son nid avec les impératifs durables qui s’imposent à notre époque. En Suisse, plusieurs maisons se distinguent par l’emploi de matériaux écologiques, l’élaboration de systèmes d’isolation novateurs ou encore l’utilisation d’énergies renouvelables locales pour tendre vers l’autonomie. Tout au long de cette série, on vous emmène pour un petit tour de Suisse afin de vous faire découvrir des maisons inspirantes et leurs concepteurs, voire leurs habitants.

Châtillon (FR)

C’est une maison qui reflète le calme et la paix de la nature environnante. Construite sur les hauteurs du lac de Neuchâtel, à Châtillon, cette villa représente surtout un engagement concret puisqu’elle n’est autre que celle de l’ingénieur spécialisé en énergies renouvelables Marc Muller. Une maison qui incarne donc les réflexions engagées et les prises de position fortes de l’ingénieur en matière de transition ou de décroissance. Le message est d’autant plus fort que la villa tient une promesse de départ loin d’être anodine : démontrer la possibilité d’habiter dignement tout en étant complètement autonome. De fait, le logement n’est pas raccordé au réseau électrique ni au réseau d’eau. Un projet de taille, qui démarre en 2015.

S’il est ingénieur, Marc Muller est aussi autodidacte quand il s’agit de concrétiser les plans et calculs de son projet d’habitat. « J’ai en effet pris part à toute la construction de ma maison, en faisant autant des travaux de maçonnerie que d’installation sanitaire mais aussi de menuiserie. Dès le départ, ma démarche a consisté à utiliser les atouts naturels de l’environnement dans lequel allait se trouver ma maison. »

Architecture organique

Une vision architecturale durable qui contraste avec les approches technologiques développées globalement. Exemple : profiter des dispositions naturelles du terrain en utilisant la végétation tel un store. Durant la chaude saison, le feuillage fourni qui entoure l’ouvrage permet de filtrer le rayonnement solaire. Et en hiver, à l’inverse, la végétation dénudée optimise le passage des rayons sur les baies vitrées du logement, contribuant ainsi à le chauffer. Pour optimiser l’efficience de ce chauffage naturel et limiter au maximum les déperditions de chaleur, une isolation de 60 centimètres d’épaisseur de paille a été installée. Les fenêtres sont par ailleurs constituées d’un triple vitrage. À l’intérieur, un poêle à bois vient compléter le système, en participant au chauffage de l’eau sanitaire durant les mois les plus froids de l’année.

La toiture compte en outre des panneaux photovoltaïques assurant une puissance de 12 kW. Le courant alimente les appareils ménagers et contribue aussi au chauffage de l’eau sanitaire. Enfin, un système de batteries est également présent, permettant à la famille de recharger ses véhicules et vélos électriques. Le surplus restant est récupéré dans des batteries au lithium de récupération (2ème vie).

Simplicité, circularité et autonomie

Construite sur une ossature en bois issu des forêts des préalpes fribourgeoises, la maison comporte des murs d’une composition plutôt unique. En effet, ils sont en partie composés de la terre issue des travaux d’excavation entrepris sur le terrain pour construire une piscine naturelle. Et oui, pour Marc Muller l’idée de base a toujours consisté à ne faire aucun compromis sur le confort.

 

piscine-maison-ecologique

 

Pour les murs, notons encore qu’à la terre d’excavation sur site ont été ajoutés du sable et de la paille. Une composition naturelle et durable enveloppe ainsi la maison, conçue sans murs porteurs intérieurs. Une configuration pensée dans l’optique de laisser une grande liberté à la famille – et aux futurs habitants dans le siècle à venir – dans l’agencement du lieu et son évolution dans le temps.

Autre astuce architecturale des plus ingénieuses, récupérer une ressource naturelle si précieuse : l’eau de pluie. « J’ai imaginé un système de collecte et de stockage intégré sur le toit. Muni d’un filtre, il offre la possibilité de fournir l’ensemble de l’eau potable qui coule dans nos robinets. » Au total, le dispositif permet de stocker 6000 litres d’eau de pluie.

Une configuration dont l’ingéniosité et la simplicité se traduisent par des performances des plus significatives, tant sur le plan économique qu’en termes de confort. La maison autarcique de Marc Muller fournit en effet par elle-même l’énergie nécessaire au chauffage, à la mobilité et à l’approvisionnement en eau potable de la famille, sans oublier l’arrosage du jardin au sein duquel un potager est soigneusement entretenu. Côté finances, le projet constitue également une réussite exemplaire puisque les charges mensuelles ne dépassent pas 50 francs, montant qui sert à acheter le bois de chauffage uniquement.

Le concepteur

Pour Marc Muller, le déclic durable et environnemental se produit en 2002, lors d’un séjour personnel au sein d’une ferme au Canada. « C’est à ce moment que j’ai pris conscience de mon attachement à la nature, tout en réalisant qu’il était parfaitement possible de conjuguer confort, ou qualité de vie, et développement durable. »

Suite à ce séjour, il se lance dans les énergies renouvelables. Objectif : contribuer à mettre en œuvre la transition écologique et énergétique au sein des collectivités, des entreprises et de diverses organisations. Ingénieur, il s’intéresse avant tout aux facteurs psychologiques et décisionnels qui peuvent intervenir dans une perspective de changement et d’adaptation. Une vision affinée lors d’un périple entrepris en 2009 durant lequel il réalise un tour du monde de deux années à bord d’une voiture électrique-solaire construite pour l’occasion par des écoles d’ingénieurs. Il traverse alors quatre continents à la seule force de l’énergie solaire afin d’aller à la rencontre des acteurs de la transition écologique aux quatre coins du globe. Son créneau principal : revenir massivement aux métiers et savoir-faire pratiques.

« La réussite de la transition énergétique dépend en grande partie de notre capacité à former très rapidement un grand nombre de professionnels dans les métiers de la construction, de l’agriculture et de l’énergie. Il nous faut parvenir à opérer un virage décisif vers des savoir-faire concrets et pratiques pour mette en œuvre la transition. »

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Thomas Pfefferlé

Journaliste innovation