Si les problématiques durables semblent souvent décrites et abordées du point de vue du grand public et des autorités, les entreprises sont évidemment concernées. Outre leur domaine d’activité et leurs répercussions environnementales, c’est aussi et surtout par l’adoption d’une philosophie de management responsable qu’elles peuvent changer la donne. Explications.
Lorsque l’on s’intéresse à la vaste thématique du développement durable, force est de constater que les questions managériales semblent, de prime abord, plutôt mises de côté. L’implication des entreprises est souvent abordée, notamment en matière de production de biens et d’impacts sur l’environnement, en revanche la manière dont elles gèrent leurs ressources et leurs projets reste étudiée de manière marginale. Le management durable a pourtant fait du chemin et constitue même une discipline socio-économique à part entière. On l’étudie, on le développe et les employés le recherchent de plus en plus activement. Mais de quoi s’agit-il ?
À priori, rien de bien compliqué si l’on considère sa définition purement théorique. Pour faire simple : le management durable est une forme de management qui consiste à tenir compte de la notion de développement durable au sein de l’entreprise. Si le concept peut faire sourire certains sceptiques, il faut s’intéresser de près à sa plus-value économique. Car si le fait de gérer son entreprise d’une façon durable s’avère vertueux, il s’agit aussi de générer de la valeur. Plus que cela, on gardera à l’esprit le point fondamental de ce style de management. On ne s’efforce pas de limiter son empreinte écologique en tant qu’entreprise. Mais on fait en sorte que la mise en place d’une politique de développement durable agisse en tant que moteur économique. C’est donc par le management durable que l’entreprise doit parvenir à réaliser ses objectifs économiques.
Renouer avec les racines de l’entrepreneuriat
Présenté comme étant une tendance plutôt nouvelle, le management durable doit en fait être vu comme étant un retour aux sources, voire au bon sens. C’est en tous cas la vision que prône l’entrepreneur, économiste et écrivain Gunter Pauli, à qui l’on doit notamment le concept d’économie bleue, un modèle dans lequel l’activité économique s’inspire de la nature pour créer de la valeur et des emplois tout en régénérant notre planète.
« En considérant notre histoire, on s’aperçoit que les activités des entreprises se sont toujours inscrites dans un cadre économique altruiste. Une entreprise n’a en fait pas de raison d’être si son activité ne permet pas d’engendrer une plus-value bénéfique au contexte et à l’ensemble dans lesquels elle se positionne. L’activité économique entreprise dans le seul but de générer du profit est en réalité un fait relativement récent. Dans ce sens, j’aime rappeler que le paradigme actuel, notamment marqué par des sociétés dont l’objectif consiste uniquement à générer de la richesse financière, est à la fois nouveau et minoritaire dans notre histoire. Il est évident qu’une entreprise doit aussi et surtout servir à améliorer le bien commun. ».
Considération plus large
Pour être durable, le management ne peut pas se limiter aux aspects purement énergétiques, ou encore environnementaux. Ces points représentent bien sûr des fondamentaux, mais il s’agit de définir une stratégie plus large. C’est d’ailleurs pour cette raison que le management durable constitue un des leviers de ce que l’on appelle aujourd’hui la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Durabilité, justice sociale, écologie ou encore engagement sociétal forment ainsi un terrain d’action global au sein duquel l’entreprise doit se (re)positionner.
Concrètement, ça veut dire quoi ? Pour une entreprise, d’un point de vue managérial, cette philosophie durable peut par exemple se traduire par un engagement visant à supprimer les inégalités salariales entre hommes et femmes, à combattre les discriminations ou encore à veiller au bien-être des employés. Les modèles hiérarchiques classiques ne sont donc plus adaptés à la donne actuelle (l’étaient-ils réellement auparavant ?) et une entreprise, pour continuer à attirer des talents, doit repenser et réaffirmer ses valeurs. Ce qui peut aussi impliquer des changements radicaux par rapport à la conception même du paradigme économique que l’on a toujours connu. Si l’innovation disruptive fait avancer la technologie, il en va de même en management. À Genève, le géant Japan Tobacco International a par exemple annoncé une nouvelle qui a fait grand bruit : la multinationale prévoit d’essayer cette année la semaine de quatre jours. Sans résoudre les problématiques durables de l’industrie du tabac, le groupe s’inscrit cependant dans une approche durable novatrice, dont les bienfaits en termes de bien-être des employés et de réduction des impacts environnementaux dus à l’activité de l’entreprise ne peuvent être que bénéfiques.
Nouvelle demande, nouvelle offre
Les acteurs économiques se sont longtemps concentrés sur leurs seules performances, mais il leur faut désormais composer avec une nouvelle donne au sein de laquelle leur rôle devient plus complet. Outre les affaires, il s’agit aujourd’hui de générer des effets dont les répercussions bénéfiques doivent s’étendre à leur environnement naturel, social et économique, voire de centrer leur activité sur cet objectif. La recherche du profit n’est évidemment pas à blâmer. Seulement, dans le contexte actuel, il devient essentiel de favoriser des approches économiques et entrepreneuriales qui visent aussi à améliorer le sort commun. Pour les entrepreneurs qui ne seraient pas convaincus, il faut savoir que la démarche n’est pas seulement louable. Elle est également stratégique. Car les consommateurs affirment désormais un désir commun d’accéder à des produits et services responsables. Pour tout acteur économique, le fait de s’engager dans une voie plus durable, juste ou éthique peut ainsi permettre de répondre à cette nouvelle demande. En particulier dans un marché caractérisé par un haut degré d’information et un réel engouement pour la plus-value altruiste de ce qui s’y produit et consomme.
Cet engouement des consommateurs pour des produits et services responsables contribue aussi à faire évoluer les activités B to B (business to business) de manière positive. Pour suivre les souhaits de clients conscients et informés, les acteurs économiques ont ainsi intérêt à se tourner vers des fournisseurs engagés dans la même démarche. En influençant les commerces ou les fournisseurs de services orientés grand public, la pression populaire motive donc ces entreprises à contrôler leurs filières pour sélectionner les partenaires les plus éthiques et respectueux de l’environnement.
Réintégrer les consommateurs dans l’équation
Fait encourageant : les consommateurs sont de plus en plus impliqués dans les transformations de notre système économique. Le secteur de l’énergie en est un bon exemple. Durant ces dernières années, l’essor des nouvelles technologies renouvelables a permis aux particuliers d’équiper leurs logements avec des infrastructures de production, comme les panneaux photovoltaïques par exemple. Au sein d’un modèle de production énergétique décentralisé, les consommateurs deviennent également producteurs, et les grands groupes et services industriels ont dû se rapprocher de la population.
Pour s’adapter à un marché bousculé, les principaux fournisseurs d’énergie et gestionnaires de réseaux ont donc élargi leurs offres et prestations pour accompagner les particuliers et les entreprises dans l’installation de leurs infrastructures et racheter le surplus de courant qu’elles produisent. Un pivot industriel aussi intéressant qu’encourageant, notamment parce qu’il démontre la possibilité de faire évoluer des paradigmes économiques importants, et cela même lorsqu’ils semblent figés et soumis à l’hégémonie de grands groupes.
Un enthousiasme que partage Gunter Pauli, en voyant dans la génération d’entrepreneurs actuelle une vraie prise de conscience et une volonté de faire avancer les choses.
« Les jeunes générations entrepreneuriales semblent en effet faire preuve d’une solide ambition en la matière. Bien sûr, ce virage entrepreneurial vertueux prend du temps. Pour l’instant, je constate que l’entrepreneuriat est encore trop porté sur des aspects purement économiques, pour ne pas dire mathématiques. On passe des MBA, on réalise des business plans et des prévisions, on se focalise sur les chiffres et les rendements. Mais à la base, l’entrepreneur n’est-il pas un rêveur ? Comme un enfant, il rêve de projets concrets et veut combattre l’injustice en changeant les choses. À mes yeux, les entrepreneurs ont perdu leur âme d’enfant. Il s’agit donc de réveiller cette ambition un peu folle qui ne se pose pas de limites. En somme, il faut garder à l’esprit que tout est possible et ne pas trop écouter les avis réducteurs ni les mises en garde inutiles et infondées. ».
Thomas Pfefferlé
Journaliste innovation