Quand j’étais prof… une histoire d’énergie

« Encore une histoire ? Pas vraiment. Quand les souvenirs remontent à la surface naturellement, sous la pression d’événements, à la manière d’un jet de pétrole s’échappant de son gisement, je ne les retiens pas. Vous trouvez la métaphore bizarre ? Elle colle pourtant avec mon récit : la science, l’actualité, l’enseignement, la vie, la mienne. »

Comme nous l’avons fait quelques fois sur ce blog, nous donnons aujourd’hui la parole à une professeure de sciences physiques qui, depuis sa retraite, observe les évolutions du monde est s’interroge sur ce qu’elle a enseigné à ses élèves à l’aune des enjeux sociétaux qui résultent des avancées scientifiques du 20e siècle. Nommée enseignante de lycée en 1970, elle a enseigné 35 années durant, affrontant les transformations sociétales (et celle des élèves !) autant que les réformes scolaires.

« L’énergie est à la source de tout enseignement scientifique, elle en est l’un des piliers. Sur ce thème, quel fut mon discours en tant que professeur de sciences physiques ? Celui d’une scientifique qui tentait, bon an mal an et tant bien que mal, de se faire une idée de la crise systémique qui allait nous exploser au visage au début du 21e siècle ; de se frayer un passage à travers la jungle des fausses informations et des mauvaises interprétations des résultats de la recherche sur le climat.

L’énergie, ses sources… et ses impacts

Il y a 50 ans, au début de ma carrière, “l’environnement” ne faisait pas encore partie des préoccupations et des enjeux politiques. Il ne l’est devenu que très progressivement, au fil des années. Les résultats des travaux de recherche qui traversaient l’Atlantique arrivaient brouillés par des scientifiques américains, lobbyistes, qui ont masqué la vérité sur des enjeux de société tels que le réchauffement climatique pendant des décennies (comme le montre Naomi Oreskes dans « Les marchands de doute »).

Compte tenu des moyens d’information dont nous disposions à l’époque, ce n’est pas dans les lycées que les enseignants étaient exposés aux informations fiables et aux premières alertes concernant les problèmes environnementaux. Des universitaires de renom défendaient parfois des thèses complotistes, de bonne foi. J’y emmenais mes élèves ! Quant aux revues scientifiques en français, elles étaient loin de nous annoncer la fin du monde.

De manière générale, le pétrole était présenté comme un bienfait et l’effet de serre seulement évoqué comme un phénomène naturel protecteur de notre planète, emprisonnant la chaleur du soleil. En son absence, la température moyenne terrestre eût été de l’ordre de -18°C.

Ce n’est que dans les années 80 qu’eut lieu la première alerte d’une pollution atmosphérique sérieuse : la diminution inquiétante de la quantité d’ozone dans la stratosphère, due à l’action des chlorofluorocarbones (CFC). L’ozone, maintenue à une faible concentration grâce à équilibre chimique avec le dioxygène de l’air, absorbe en effet une partie des rayons UV responsables de cancers de la peau.

Mais l’entrée dans l’ère des dérèglements climatiques ne se fit qu’en juin 1991, lors de l’éruption du volcan Pinatubo. Le refroidissement du globe qui s’en suivit atteignit 0,5°C pendant quelques mois. Les millions de tonnes de cendres et de dioxyde de soufre projetées dans l’atmosphère auraient ainsi contribué à faire baisser momentanément le niveau des océans. L’été 92 fut froid et pluvieux, les récoltes mauvaises, etc. On commençait à comprendre les instabilités de la machine climatique. Je rappelle que le GIEC fut mis en place fin 1988 à la demande du G7.

Pétrole…

Mais revenons aux années 70, mes premières années d’enseignement. J’avais suivi un cursus universitaire en fonction de mes goûts pour certaines disciplines scientifiques pour pouvoir les approfondir, et ce d’autant plus que, en tant que femme, il était peu envisageable d’avoir une carrière professionnelle dans ces disciplines. Je m’étais donc passionnée notamment pour la chimie organique, guidée en cela par d’excellents enseignants.

Parler du pétrole en classe, c’était d’abord pour moi montrer sa richesse, la complexité des molécules qu’on pouvait y trouver, décrire une substance qui avait mis des dizaines de millions d’années à se former, et dont les applications en pétrochimie semblaient prometteuses. Le pétrole méritait bien son nom d’ « Or Noir ».

Alors, le dégrader en le brûlant pour former des molécules aussi banales que le gaz carbonique et l’eau me semblait depuis toujours être un non-sens. Le bilan chimique était sans intérêt, seul comptait le bilan énergétique de cette réaction. On pourrait dire la même chose du gaz.

Une autre chose me turlupinait, sérieusement. Combien de morts pour le pétrole ? La plupart des conflits, depuis la dernière guerre mondiale, étaient en lien avec les gisements, les structures d’exploitation et le transport du pétrole. Aujourd’hui, d’autres sont à nos portes : conflit Iran-US dans le détroit d‘Ormuz, concurrence en Méditerranée entre turcs et grecs pour l’exploitation de probables nouveaux gisements, bousculade entre « puissances » dans l’Arctique sur la route maritime du nord-est qui se libère des glaces. « Haro sur les énergies fossiles ! » Tel un slogan, jamais abandonné, c’est cette incompréhension que je livrais à mes élèves.

Quid du charbon, me direz-vous ? Germinal… un classique de la littérature, les maladies des mineurs, mortelles le plus souvent (comme la silicose) et tellement banales qu’elles ne déclenchaient plus que l’indifférence. Dans un seul accident, 1200 mineurs périrent en France au début du XXème siècle. En 1974, 42 mineurs disparurent dans la mine de Liévin dans le Pas-de-Calais. Le charbon ? Pas mieux que le pétrole ; une évidence pour mes élèves.

Mais alors, avant même les prises de conscience des problèmes environnementaux à venir, quelle politique énergétique pouvait-on envisager d’exposer et de discuter en classe, alors que pour ma part je préconisais l’abandon des énergies fossiles ?

Sur le site du Sénat français, j’ai trouvé quelques textes, rappels de l’Histoire :

  • (…) Dès la Libération, le Général de Gaulle veilla à ce que la France puisse reprendre ses recherches sur l’atome. Pour la première fois en 1952, l’atome faisait l’objet d’un débat à l’Assemblée nationale et en 1955 les premières études d’un programme français d’énergie nucléaire pour les vingt années à venir étaient lancées.
  • (…) Après la guerre du Kippour, en 1973, et l’envolée des cours du pétrole, les pouvoirs publics, soucieux d’affranchir la nation de la “tutelle” pétrolière, décidèrent de développer une énergie de substitution dont nous ayons la maîtrise. Ils choisirent la voie de l’énergie nucléaire, mise en place depuis la fin de la seconde guerre mondiale…
  • (…) De Gaulle voulait l’indépendance énergétique de la France. Les plus anciens se souviennent des grandes lignes de la politique énergétique alors menée, depuis cette époque jusqu’à nos jours.

Energies renouvelables… et nucléaire

Toujours dans les années 70, les énergies renouvelables en étaient à leurs balbutiements. Les cellules photovoltaïques commençaient à peine à être produites, on avait nos barrages hydroélectriques —souvent controversés. On savait à peine ce qu’était la biomasse et l’hydrogène semblait difficilement maîtrisable. Les éoliennes ? La première date de 1991 dans l’Aude et n’existe plus aujourd’hui. Je me souviens de celles qui furent installées près de l’A7, au col du Grand Bœuf en… 2007 ! Les automobilistes ralentissaient pour mieux les observer.

J’essayais de partager avec mes élèves mon optimisme pour toutes ces solutions d’avenir, de les convaincre de leur nécessité et de leur mise en œuvre sans trop tarder, de les alerter sur le fait que tant que les énergies renouvelables et notre consommation ne seraient pas à l’équilibre, l’énergie nucléaire serait un pis-aller et devrait être considérée comme « une énergie de transition ».

J’organisai, malgré la lourdeur des démarches, de nombreuses visites de la centrale nucléaire de Fessenheim (Alsace), sous la houlette d’anciens ingénieurs. J’y emmenai surtout les classes littéraires. Cette sortie était appréciée (un seul refus de parents). Pour les élèves, à la fois impressionnés par le gigantisme et étonnés par la simplicité du fonctionnement d’une telle activité industrielle, plus guère de mystère mais une certaine fierté de mieux savoir.

Je me souviens de la réflexion de l’un d’eux à propos de la sécurité des lieux : « Si on appliquait ces consignes dans notre vie courante, on ne monterait plus dans une voiture ». Ces élèves n’ont vraisemblablement plus jamais fait l’amalgame, souvent répandu, entre une centrale nucléaire et une arme atomique…

Il y avait d’autres raisons d’être optimistes à cette époque : certaines recherches avançaient, des efforts ciblaient notamment les déchets dont le traitement aurait peut-être pu conduire à créer de nouveaux combustibles, la fusion nucléaire semblait être une technique bientôt au point —certains de mes livres et revues annonçaient une mise en service de la première centrale pour l’année 2002 !!!

Je me souviens avoir vu, à la Cité de Sciences et de l’Industrie de La Villette, où j’avais emmené mes élèves d’avant-dernière année de lycée, deux prototypes de réacteurs de fusion nucléaire : fusion par confinement inertiel par lasers, et confinement par de puissants champs magnétiques créés par les électroaimants (tokamak).

L’écologiste français, durant cette fin de XXème siècle, était d’abord un lobbyiste anti-nucléaire. Il entraîna l’écologie sur une voie unique, celle du combat contre le nucléaire, occultant TOUS les autres problèmes environnementaux, comme l’érosion de la biodiversité, l’épuisement des ressources naturelles, entre autres, jusqu’à ce que certains découvrent enfin tous les enjeux et tous les défis à relever. Fût-il légitime de le combattre, le nucléaire était l’arbre qui cachait la forêt. Trop longtemps.

Développement durable

Pour la petite histoire, il y a quelques années, alors retraitée, je croisai dans la rue le proviseur-adjoint de mon lycée. Il m’adressa quelques mots dont ceux-ci : « Je me souviendrai toujours que c’est toi qui as parlé pour la première fois de « développement durable ». Et dire que je ne savais même pas ce que cela signifiait ! »

Aujourd’hui, 50 ans après, où en sommes-nous ?

  • On veut enfin se débarrasser des énergies fossiles ; on a enfin compris qu’il en va de la survie de la planète.
  • On découvre qu’on a perdu notre indépendance énergétique.
  • On a également perdu notre recherche et notre savoir-faire dans le domaine du nucléaire—on ne sait même plus faire une soudure dans les cuves, on ne sait toujours que faire des déchets, on a fourni un minimum d’efforts pour entretenir les centrales, on en ferme, ici et là.
  • On finance la guerre d’un dictateur pour nous être rendus dépendants de son gaz et de son pétrole.
  • Et malgré les hausses de prix, on continue à exploiter des sources d’énergies sous-payées au regard de leur coût environnemental.

Confusion…

Notre acharnement à vouloir supprimer l’énergie nucléaire n’est-il pas l’expression d’un fol individualisme ? On accepte que des conflits tuent et dévastent des régions, souvent assez lointaines pour ne pas être éclaboussés, pour que nous, pays dits riches, soyons suffisamment pourvus en gaz ou pétrole. Et dans le même temps, on se bat contre une énergie nucléaire (dont on ne peut pour l’instant se passer), source d’angoisse pour une tranquillité confortable considérée comme un droit.

Parmi les maux qui enténèbrent la raison, freinent l’envie de chercher, de comprendre, de dépasser nos idéologies, je citerai, en guise de conclusion, l’ultracrépidarianisme, qui cartonne : « On est tous pour ou contre le nucléaire, pour ou contre les nanosciences, pour ou contre les OGM. Mais qui d’entre nous est capable de dire ce qu’on met vraiment dans un réacteur nucléaire ? Ce qu’est une réaction de fission ? Qu’implique E = mc² ? Qu’est-ce que c’est qu’une cellule souche, un OGM ? Personne… » (Etienne Klein).

Certains y ont vu du mépris. Encore un sachant !

Le monde à l’envers. L’énergie du désenchantement. »

Marie-Noëlle Eastes,
1 mois après l’invasion de l’Ukraine.

1 an après… post scriptum

« Peut-être aurais-je écrit un petit peu différemment, avec sûrement de la colère car l’année noire que nous avons vécue m’a fait découvrir des faits que j’ignorais, en particulier dans les domaines de l’énergie, plus précisément de sa géopolitique et son commerce, et a mis en lumière les décennies de mauvaises décisions et d’incurie dont nos élites (détentrices de pouvoir, d’informations, de fortunes, etc.) furent responsables.

Et pourtant le coupable que l’on désigne systématiquement, c’est le citoyen lambda, celui qui ne savait pas mais qui aurait dû savoir, celui qui n’a pas su quoi faire mais qui aurait dû faire.

Le “boomer d’après-guerre” est emblématique de cette mise en cause qui oublie une bonne partie des responsables. On l’accuse indifféremment d’avoir :

  • d’avoir bousillé la planète, ou presque
  • d’avoir, en raison de sa fragilité, provoqué le confinement d’une population robuste et travailleuse lors de la pandémie
  • de jouir d’une retraite mais, en raison de sa longévité, d’être à ce titre considéré comme une lourde charge portée par les générations plus jeunes qu’il oblige à travailler plus longtemps.

Quelle misère !

De l’espoir ?

La génération à l’œuvre, aux commandes, maintenant elle sait. Et tente de réparer… Des projets vertueux à la pelle, des voies nouvelles à explorer, des intelligences démultipliées… Une énergie à dépenser, des énergies à abandonner.

Mais pour canaliser cette énergie, quelqu’un a-t-il encore une boussole ? »

Marie-Noëlle Eastes,
Juin 2023.

Fragilités…

Qu’est-ce que la fragilité ? Quelle différence y a-t-il entre fragilité et vulnérabilité ? De nos cellules à nos sociétés, qu’est-ce qui nous rend fragiles ? Peut-on transformer nos fragilités en forces ?

C’est à ces questions qu’a décidé de répondre le festival Usinesonore, qui aura lieu dans la jolie ville de La Neuveville du 10 au 18 juin 2022, à travers un cycle de conférences à deux voix qui viendra se nicher entre deux week-ends de spectacles et de performances artistiques exceptionnelles.

En tant que qualité structurelle intrinsèque, la fragilité d’un objet ou d’un être n’est pas très intéressante en soi. Bien plus stimulante est la réflexion qui porte sur celles des conditions extérieures à cet être ou à cet objet qui exacerbent sa fragilité.

Car à bien y réfléchir, la bulle de cristal la plus fine n’est pas fragile lorsqu’elle flotte dans le vide intersidéral, loin de toute poussière cosmique. Mais qu’un météore l’effleure et elle volera en mille éclats.

Nous sommes un peu semblables à cette bulle de cristal : préservés de toute forme d’agression extérieure, nous sommes capables de préserver notre intégrité physique et psychique. Mais que survienne un choc, une frustration, voire même une tentation, et nous voilà précipités vers la douleur ou le malheur.

Ce qui est vrai pour les objets, le corps et l’esprit individuels reste vrai pour les systèmes géopolitiques, le corps social ou l’esprit démocratique. Autant d’entités fragiles, soumises à autant d’environnements fragilisants.

Du 12 au 16 juin, sous l’incroyable tente du festival Usinesonore, tous les jours à 18 heures, 10 conférencier·es prestigieux·ses se succéderont pour aborder tour à tour la notion de « fragilité(s) » au prisme de leurs expertises professionnelles et académiques respectives.

Un événement culturel interdisciplinaire conçu pour tous les goûts et toutes les sensibilités artistiques et intellectuelles : concerts, performances, défilés de mode, spectacles de danse et de cirque, activités de médiation culturelle et expérimentations sensorielles convoqueront des artistes sensationnels et feront frétiller de plaisir nos synapses frustrées par de trop longs mois de privation culturelle.

Le programme des conférences est présenté plus bas et de plus amples informations peuvent être trouvées sur le site du festival : www.usinesonore-festival.ch

 

Usinesonore Festival: zoom sur les conférences

Pour la première fois cette année, Usinesonore Festival accueille un cycle de conférences-agora Arts&Sciences. Philosophes, sportif·ve·s, médecins, ambassadeurs, historien·ne·s échangeront sur le thème des FRAGILITÉS, qui accompagne en filigrane la programmation du festival.

Du 12 au 16 juin à 18h, elles et ils se succéderont sous la Tente Usinesonore pour présenter leurs conceptions de la fragilité, partager leur expertise et échanger des idées et impressions avec le public. Ces soirées seront pensées pour tous les publics à partir de 14 ans. À la fin de chaque conférence, les discussions avec nos invité·e·s pourront se poursuivre autour du bar du festival. Un espace dédié, un climat convivial et des interventions artistiques seront la clé de soirées instructives, divertissantes et inclusives. Nous nous réjouissons de vous y retrouver!

Les billets sont en vente sur: usinesonore-festival.ch

LA FRAGILITÉ DANS LE SPORT : DES COLOSSES AUX PIEDS D’ARGILE

Dimanche 12 juin | 18h Avec Tony Chapron et Jean-Pierre Egger

20.- / 15.-

Tony Chapron et Jean-Pierre Egger

Arbitre international de football pendant 10 ans, Tony Chapron a fait le tour du monde avec un sifflet. Il a découvert des cultures multiples et un rapport à la fonction d’arbitre souvent complexe. Après une formation en sociologie, il devient enseignant-chercheur à l’université de Grenoble pendant quelques années. Il est aujourd’hui consultant pour Canal+ et anime une chronique hebdomadaire. Il vient également de réaliser un documentaire “dans la tête des hommes en noir”, et a écrit un livre “Enfin libre” qui décrit la vie d’arbitre.

Athlète et entraîneur suisse, Jean-Pierre Egger a voué son existence au sport. Instituteur et maitre d’éducation physique de formation, il fut neuf fois champion suisse du lancer du poids et trois fois au lancer du disque, avant d’entraîner de nombreux athlètes et équipes sportives de haut niveau. Auteur de l’ouvrage “The way to Excellence”, il dispense désormais des conférences et des séminaires de formation de cadres d’entreprises sur ce thème. Plébiscité par ses pairs, il a reçu en décembre 2020 l’Award du meilleur entraineur des 70 dernières années.

SCIENCE, INFORMATION ET OPINION : FORCES ET FRAGILITÉS

Lundi 13 juin | 18h Avec Etienne Klein et Laurence Kaufmann

20.- / 15.-

Etienne Klein et Laurence Kaufmann

Etienne Klein est physicien et philosophe des sciences. Il est directeur de recherches au CEA où il dirige depuis 2007 le Laboratoire de Recherche sur les Sciences de la Matière. Il est membre de l’Académie des Technologies et anime tous les samedis sur France culture l’émission “Science en questions “. Il s’intéresse à la question du temps et à d’autres sujets qui sont à la croisée de la physique et de la philosophie, tels que l’interprétation de la physique quantique, la question de l’origine de l’univers ou encore celle du statut du vide dans la physique contemporaine. Soucieux de la diffusion des connaissances scientifiques, il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages.

Laurence Kaufmann est professeure de sociologie à l’Université de Lausanne et chercheuse associée au Centre d’étude des mouvements sociaux (CNRS-EHESS). Recourant principalement à la sociologie mais aussi à l’histoire, la philosophie, la linguistique et la psychologie, ses recherches portent sur l’espace public, l’opinion publique et la constitution des collectifs, ainsi que sur l’autorité de la première personne et le rôle des émotions.

FRAGILITÉ DES SYSTÈMES TECHNIQUES ET GÉOPOLITIQUES

Mardi 14 juin | 18h

Avec Bernadette Bensaude-Vincent et Jean-Daniel Ruch

20.- / 15.-

Bernadette Bensaude-Vincent et Jean-Daniel Ruch

Bernadette Bensaude-Vincent, professeure émérite de philosophie à l’université de Paris1-Panthéon-Sorbonne travaille sur l’histoire et la philosophie des sciences et des technosciences comme sur les rapports entre science et société. Membre de l’Académie des technologies, elle siège dans plusieurs comités d’éthique, Elle a publié une quinzaine de livres en auteur et dirigé une douzaine d’ouvrages collectifs, notamment sur les enjeux philosophiques et culturels des sciences et des techniques.

Jean-Daniel Ruch est né à Eschert. Il a rejoint la diplomatie en 1992. Après divers engagements en Corée du Sud, pour l’OSCE à Vienne et Varsovie, et dans les Balkans, il a conseillé la procureure du Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie, Carla Del Ponte. Il est Ambassadeur de Suisse en Turquie depuis 2021, après avoir représenté la Suisse en Israël (2016-2021) et en Serbie (2012-2016). De 2009 à 2012, il s’est occupé des conflits au Moyen-Orient.

VULNÉRABILITÉS SANITAIRES ET SOCIALES

Mercredi 15 juin | 18h

Avec Delphine Berthod et Guillaume le Blanc

20.- / 15.-

Delphine Berthod et Guillaume le Blanc

Delphine Berthod est une valaisanne nomade qui a vécu au Mali dans son enfance. Elle a étudié la médecine pour pouvoir exercer son travail partout et l’infectiologie par intérêt pour les maladies tropicales. Elle a travaillé sur la maladie du sommeil avec Médecins sans Frontières au Congo. Devenue épidémiologiste, elle a été très occupée par le Covid-19. Particulièrement intéressée par les cultures diverses, et sensible aux vulnérabilités de ce monde, elle s’engage contre toute forme de discrimination et a à cœur de valoriser les différences.

Guillaume le Blanc est philosophe, écrivain, professeur de philosophie à l’Université́ de Paris-Diderot. Il est membre du comité de rédaction de la revue Esprit et directeur de la collection “Diagnostics” au Bord de l’Eau. Il est l’auteur, avec Fabienne Brugère, des livres, “Le peuple des femmes. Un tour du monde féministe” et “La fin de l’hospitalité”. Il a également publié “Vies ordinaires vies précaires”, “L’invisibilité sociale”, “Dedans dehors. La condition d’étranger”, “Que faire de notre vulnérabilité ?”. Il a en outre écrit un essai sur la course à pied intitulé “Courir. Méditations physiques”, qui a obtenu le prix lycéen de la philosophie.

HYPERSENSIBILITÉ ET ÉCO-ANXIÉTÉ

Jeudi 16 juin | 18h Avec Nathalie Clobert et Sarah Koller

20.- / 15.-

Nathalie Clobert et Sarah Koller

Nathalie Clobert est psychologue clinicienne, hypnothérapeute, formatrice et auteure. Elle accompagne les personnes dotées d’une sensibilité élevée, ainsi que les personnes à haut potentiel. Elle a une double formation en philosophie des sciences et en psychologie. Elle a écrit plusieurs livres à destination des professionnels et du grand public, dont “Ma bible de l’hypersensibilité” (Leduc) et “Psychologie du haut potentiel” (De Boeck).

Sarah Koller est diplômée en psychologie et en sciences de l’environnement. Elle a participé à la création du réseau romand en écopsychologie (www.ecopsychologie.ch) et facilite des ateliers de reliance au vivant. Terminant une thèse sur les conditions psycho-existentielles d’une culture économique de la suffisance, elle développe un intérêt croissant pour les diverses modalités d’expression artistique de la recherche scientifique.

Après Beyrouth… faire exploser nos modes de vie

4 août 2020, 18h08. Deux gigantesques déflagrations dans le port de Beyrouth soufflent la ville, provoquant la mort de 218 personnes et y ajoutant 6’500 blessés. Ce bilan humain tragique se double d’un bilan économique catastrophique, évalué à 4 milliards d’euros. En cause : l’explosion de 2’750 tonnes de nitrate d’ammonium, entreposées dans le hangar n°12 du port de Beyrouth. Le drame survient dans un contexte politique et économique difficile et laisse le pays exsangue.

Au-delà de la déflagration physique, l’impact sur les consciences est mondial. Depuis sa ferme de Nouvelle Zélande, une agricultrice s’émeut et rédige un texte poignant en hommage aux victimes de la catastrophe. Un an après, avec son autorisation et nos plus vifs remerciements, nous publions en français et en anglais cet appel à la solidarité et au changement de nos modes de vie. Car, à bien y réfléchir, ce dont parle ce texte, ce n’est pas tant des libanais que de nous, de notre petit confort occidental, de notre rapport au monde, au vivant et aux autres.

Port de Beyrouth, après l’explosion – Août 2020. Mehr News Agency, CC BY 4.0.

« Des larmes plein les yeux, elle regarde les images de l’explosion. Il voit la destruction, le sang, les cris. Elle imagine l’immense souffrance, la peur, les avenirs détruits. Il pense aux vies perdues et, pour les humaniser, il leur met des visages, des noms. Son cœur se serre pour leurs familles endeuillées. Elle est dans le confort de sa maison, elle regarde par la fenêtre et essaie de concevoir l’apocalypse qui vient de se dérouler à des milliers de kilomètres. Ça aurait pu se passer ici…

Il ne peut pas détourner le regard, ces personnes, ce peuple, ce pays a besoin d’aide. Elle va faire un don aux associations qui travaillent dans l’urgence pour sauver des vies et restaurer un peu de dignité, d’humanité, sur place. Les besoins sont énormes mais il n’est pas riche. Elle va renoncer à un achat prévu, joyeusement anticipé, et donner cet argent qui sera bien mieux utilisé ainsi. Que peut-il faire d’autre ? Un sentiment d’impuissance l’envahit et l’étouffe. Un peu d’argent, c’est tout, vraiment tout ? Peut-être fait-elle partie de ces rares individus dont la vie n’est pas prisonnière de contraintes et de dettes, peut-être peut-elle sauter dans un avion et, les manches retroussées, offrir son temps et son énergie, là-bas. Le sentiment nauséeux d’impuissance disparaîtrait-il pour autant ? Il le sait, cette aide est indispensable mais ce n’est qu’un pansement. Demain, elle tournera la tête de l’autre côté et assistera à d’autres destructions, d’autres catastrophes, d’autres souffrances. Ça ne rend pas cette tragédie plus banale et il ne veut pas qu’elle disparaisse de son esprit aussi vite qu’elle se volatilisera, dans les journaux, aux profit de désastres plus récents.

Elle regarde l’horreur dans les yeux et elle comprend que ce sentiment d’impuissance, jour après jour et catastrophe après catastrophe, peut se transformer en engourdissement, voire même en paralysie. Il sait qu’il lui suffit de détourner un peu le regard, d’aller boire un verre avec des potes, d’allumer Netflix. Ca ne fera de toute façon pas beaucoup de différence. Et il se sentira mieux. Mais justement : ce sont l’engourdissement, l’inaction, les regards détournés des vrais problèmes qui ont conduit à abandonner des produits dangereux à proximité des populations, avec les conséquences atroces dont elle vient d’être témoin. Fermer les yeux sur les catastrophes à venir, autres dépôts abandonnés, navires encore remplis qui se désagrègent dans les océans, contaminations minières, déforestation, pandémies, disparition des sols cultivables, guerres pour l’accès aux ressources et vagues immenses de réfugiés, changement climatique et autres vagues immenses de réfugiés… La tête lui tourne et il a la nausée.

Elle est de cette génération maudite qui voit avec incompréhension son monde pourrir et s’écrouler devant ses yeux, avant même d’avoir l’opportunité de s’y investir. Mais donner un peu d’argent, mettre un pansement, ce n’est pas la seule chose qu’il peut faire. Elle va mettre fin à sa servitude à l’égard du système capitaliste pour lequel l’argent dicte tout, pour lequel le vivant est une marchandise. Ce qu’il veut faire passer avant tout le reste, ce sont les gens, leur environnement, la vie en général. Elle veut se soucier de la diversité humaine, végétale, animale, culturelle. Il va s’informer mieux, s’éduquer, vraiment remettre en question son mode de vie et en parler autour de lui. Et aussi, elle va combattre les tyrans partout, à l’école, au travail, ceux pour qui écraser les autres pour leur propre bénéfice est aussi naturel que respirer. Surtout, il va faire tout son possible pour éviter que ces tyrans n’arrivent au pouvoir. Elle va s’engager, ne plus détourner le regard, reprendre le contrôle de sa vie. Ensemble, elle et lui aideront à faire la différence.

Parce qu’abdiquer, décidément, ce n’est pas concevable. »

Delphine Eastes
Le 5 août 2020, Whangarei (Nouvelle-Zélande).

 

Vues panoramiques du port de Beyrouth avant et après l’explosion du 4 août 2020.

After Beyrouth… blasting our ways of life

« With tears in her eyes, she looks at the images of the explosion. He sees the destruction, the blood, the screams. She pictures the immense suffering, the fear, the destroyed futures. He thinks of the lost lives and, to make them real, he gives them faces and names, his heart bleeds for their bereaved families. She is in the comfort of her home, looking out the window, and tries to fathom the apocalypse that has just unfolded thousands of miles away. It could have happened here…

He cannot look away, this country, these people need help. She will donate to associations working against the clock to save lives and to bring back some sort of dignity and humanity, out there in the rubbles of a once radiant city. The needs are immense, but he is not rich. She won’t buy that dress she wanted so much, she will make better use of her money and donate. What else can he do? A feeling of helplessness overwhelms him. A little bit of money, is that all, really? Perhaps is she one of those rare individuals whose life is not trapped by constraints and debts, perhaps can she jump on a plane, roll up her sleeves and offer her time and energy out there. Would the nauseous feeling of helplessness go away? He knows it, this help is indispensable, but it is only a band-aid. Tomorrow she will switch her gaze and see more destruction, more disasters, more suffering. That doesn’t make this tragedy any more mundane, and he doesn’t want it to disappear from his mind as quickly as it will vanish from the newspapers in favor of more recent disasters.

She looks at the horror in the eyes and realizes that, day after day and disaster after disaster, this feeling of helplessness can turn into numbness and even paralysis. He knows all he has to do is look away, go and have a drink with some friends, turn on Netflix, in the end he won’t have made more or less of a difference but he’ll feel better. But precisely: it is the numbness, the inaction, the propensity for looking the other way that have led  to the abandonment of dangerous products in a densely populated area, with the atrocious consequences she has just witnessed. Heads buried in the sand in the face of future disasters, other abandoned warehouses, loaded ships that are disintegrating in the oceans, mining contamination, deforestation, pandemics, disappearance of arable soils, resource wars and their huge waves of refugees, climate change and its huge waves of refugees… His head spins and he feels nauseated.

She belongs to this cursed generation who watches with incomprehension their world rotting and crumbling away before their eyes, before even having the opportunity to be a part of it. But to donate some money, to put on a band-aid, that’s not all he can do. She will terminate her servitude to the capitalist system for which money dictates everything, for which life is a commodity. What he wants to put above all else is individuals, their environment, life in general. She wants to nurture human, plant, animal and cultural diversity. He will inform himself better, educate himself, really question his way of life and talk about it with his peers. And also, she will fight tyrants everywhere, at school, at work, all those for whom crushing others for their own benefit is as natural as breathing. Above all, he will do everything possible to prevent tyrants from coming into power. She’s going to engage, no longer look away, regain control of her life, and together she and he will help make a difference.

Because to abdicate is – decidedly – unconceivable. »

Delphine Eastes
The 5th of August 2020, Whangarei (New Zealand).

 

Lettre ouverte de Diane Lou à Philippe Nantermod, Conseiller National PLR

C’est avec une totale stupéfaction et une profonde affliction que j’ai découvert le 21 juin la tribune de Philippe Nantermod dans Le Temps, intitulée “Les enfants gâtés de la grève du climat ont tué la vague verte“. Papa d’une jeune fille militante pour le climat, j’ai évidemment immédiatement partagé ce texte avec elle. Après sa lecture, Diane Lou a souhaité réagir directement sur la page Facebook de Monsieur Nantermod. Avec son autorisation, je reproduis ici le commentaire qu’elle lui a adressé.

 

Monsieur le Conseiller National.

J’ai lu avec attention votre tribune sur le site du Temps. Ceux et celles que vous appelez les “mouvements radicaux de l’écologie” sont simplement des jeunes terrorisé·es par l’avenir que vous leur laissez. Comme vous devriez l’être vous aussi.

Je fais partie de ces jeunes et j’ai manifesté mon inquiétude, d’une manière pacifique comme la plupart d’entre nous. Des gens comme vous se sont moqués de moi lorsque des journalistes m’ont invitée à exprimer publiquement cette inquiétude. Je n’ai pas compris pourquoi. Je ne manquais pas l’école, j’en appelais simplement à l’action de celles et ceux qui, comme vous et contrairement à moi, en avaient le pouvoir.

Vous nous accusez de nous être démobilisé·es depuis. Comment croyez-vous que nous aurions pu maintenir intacte la vivacité de notre engagement, alors que nous tentions déjà seulement de respirer sous nos masques, voire de suivre nos cours à distance ? Parce que oui : nous n’étions pas menacés par la pandémie mais nous, nous avons accepté de restreindre notre confort pour protéger une autre génération que la nôtre.

Vous vous moquez de notre “bastringue du vendredi”. Vous nous accusez du rejet de la loi CO2. Vous nous tournez en ridicule. Mais quel autre moyen avons-nous pour attirer l’attention sur NOTRE avenir ? Si vous ne faites rien, laissez-nous au moins le droit d’avoir peur et de pleurer. De pleurer ces peuples, ces espèces animales et ces glaciers qui se meurent pendant que vous nous accusez de vos propres échecs.

Avez-vous des enfants, Monsieur ? Car c’est de leur avenir que nous nous préoccupons, autant que du nôtre. Et heureusement pour eux, en dépit de vos prophéties, notre mouvement est loin d’avoir disparu.

Diane Lou Pellaud-Eastes
Présidente de l’association Bec et Plumes.

 

NB. Afin de préserver un dialogue constructif et des échanges sereins, aucun commentaire agressif, irrespectueux ou contraire aux règles de la bienséance ne sera validé lors du processus de modération. Merci également de bien vouloir éviter les commentaires anonymes ; l’auteur de ce blog se réserve le droit de bloquer tout propos rédigé sous pseudo ou avec une fausse adresse e-mail.

Exploitation minière de phosphates au Togo (Alexandra Pugachevsky).

Les habits neufs (et verts) de la mission civilisatrice

Dans les campagnes telles que celle qui entoure l’initiative multinationales responsables, la quête de voix conduit parfois à l’émergence d’étranges slogans, même sous la plume de représentant·e·s de partis dont on s’attendrait pourtant à un minimum de réflexion critique et de profondeur argumentative.

Ainsi cette citation de la Conseillère Nationale représentant les Vert’Libéraux (VD) Isabelle Chevalley : « Nos multinationales sont responsables et génèrent des millions d’emplois en Afrique qui font vivre autant de familles ». La phrase est illustrée par une photographie datant de 2016, sur laquelle on la voyait déjà poser pour un article au titre paternaliste : Isabelle Chevalley veut « nettoyer le continent ». A ses côtés, une femme probablement ivoirienne, loin de se douter que son sourire serait instrumentalisé 4 ans plus tard au profit d’un message politique aussi cynique. Et Isabelle Chevalley d’ajouter outrageusement : « Combien d’emplois ont créés les ONGs ? » (la faute de grammaire est d’origine).

Slogan de campagne des Verts'Libéraux contre l'initiative multinationales responsables
Slogan de campagne des Verts’Libéraux contre l’initiative multinationales responsables.

Des propos qui passent mal

A l’heure où l’opinion publique est sur-sensibilisée à la question des discriminations raciales par l’assassinat de l’afro-américain George Floyd par un policier blanc le 25 mai 2020 à Minneapolis (Etats-Unis), la formule passe particulièrement mal. Coordinatrice romande des Jeunes Vert-e-s Suisse, la militante Mathilde Marendaz est l’une des premières à réagir et dénonce immédiatement « des propos racistes et colonialistes éhontés ». Elle ajoute :

« Alors que notre occident capitaliste s’est construit sur la base du colonialisme en pillant gratuitement les ressources des pays du tiers-monde, en esclavagisant et colonisant les populations pour le faire, et alors qu’aujourd’hui de nombreuses études en sciences politiques et sociales permettent de comprendre comment les multinationales irresponsables d’aujourd’hui perpétuent ce modèle en utilisant la domination économique de nos pays et les législations moins strictes des pays du Sud global pour engrosser les profits des pays du Nord, pour Isabelle Chevalley, ce serait grâce à nous qu’il y a des EMPLOIS EN AFRIQUE ? […] Poser en photo avec une personne racisée en défendant un modèle qui tue et pille les ressources des pays du Sud, c’est le comble du racisme systémique ».

Nicolas Casaux, invité du blog Savoirs en société

Au-delà de l’indignation, la question soulevée par le slogan des Verts’Libéraux est loin d’être anodine car, comme le montre la réaction de Mathilde Marendaz, elle réveille des réflexions aussi douloureuses que délicates sur la responsabilités des pays du Nord face à la misère de ceux du Sud, que nous nous proposons d’approfondir en guise de réponse à Isabelle Chevalley. Cependant, une fois n’est pas coutume, plutôt que de conduire nous-mêmes cette réflexion sur un thème situé un peu loin de notre domaine de compétences académiques, nous avons décidé d’inviter sur ce blog un spécialiste de la critique du développement.

Mais plutôt que la critique molle que l’on trouve habituellement dans la presse traditionnelle, nous avons souhaité présenter à nos lecteurs une critique radicale, que d’aucuns considéreront probablement même extrême. Parce que la radicalité, du moins lorsqu’elle est convenablement argumentée et documentée, permet de penser « au moins jusque là » pour pouvoir ensuite, en toute connaissance de cause, choisir la position de son propre curseur.

C’est ainsi que Nicolas Casaux, rédacteur en chef de la revue www.partage-le.com et membre de l’organisation d’écologie radicale internationale Deep Green Resistance, a accepté de répondre à notre invitation. Nous tenons à l’en remercier. Il nous livre ici les réflexions que lui inspirent à la fois l’initiative sur les multinationales responsables et les slogans des Verts’Libéraux à l’encontre de cette initiative.

 

Les habits neufs (et verts) de la mission civilisatrice

par Nicolas Casaux

 

« Vous nous dites que pour vivre il faut travailler… Vous autres, hommes blancs, vous pouvez travailler si vous le voulez, nous ne vous gênons nullement ; mais à nouveau vous nous dites : “Pourquoi ne devenez-vous pas civilisés ?” Nous ne voulons pas de votre civilisation ! »

Crazy Horse, chef sioux Oglala, Pieds nus sur la terre sacrée.

« Mes jeunes gens ne travailleront jamais, les hommes qui travaillent ne peuvent rêver, et la sagesse nous vient des rêves. »

Smohalla, Amérindien membre de la tribu des Wanapums, Pieds nus sur la terre sacrée.

« Le travail rend libre. » (Arbeit macht frei)

Phrase apposée par la société allemande IG Farben
au-dessus du fronton de ses usines avant de devenir un credo nazi.

« Par le travail, la liberté ! »

Credo soviétique. Formule que l’on trouvait inscrite sur un panneau
à l’entrée de l’un des camps du goulag des îles Solovki.

« Nos multinationales sont responsables et génèrent des millions d’emplois en Afrique qui font vivre autant de familles. »

Isabelle Chevalley, conseillère nationale, Vert’libéraux, VD.

 

Richard-Emmanuel Eastes m’a courtoisement proposé de réagir à une question politique suisse opposant multinationales et ONG. Y répondre platement n’aurait servi qu’à occulter les problèmes fondamentaux qui les font émerger. Il m’a semblé nécessaire de resituer les choses dans leur contexte plus étendu.

Les entreprises multinationales devraient-elles être davantage tenues responsables des conséquences de leurs agissements ? Avant de répondre à cette question, ou même d’en discuter la pertinence, il importe de revenir sur quelques développements historiques. Nonobstant ses origines antiques, l’entreprise moderne prend forme avec — et est indissociable de — l’État moderne.

Aujourd’hui, de Kuala Lumpur à New-York en passant par Oulan-Bator et Lagos, les hommes roulent en voiture sur des routes asphaltées, possèdent des smartphones, des téléviseurs, des comptes Facebook, des comptes en banque, travaillent pour des entreprises en échange d’un salaire, obtiennent leur nourriture en l’achetant dans des supermarchés, etc. Contrairement à ce que d’aucuns prétendent absurdement, cette uniformité des sociétés humaines des quatre coins du globe n’est pas le produit d’une volonté démocratique, d’un consensus populaire historique. Tout au contraire. Ainsi que le formule l’anthropologue de Yale James C. Scott dans son livre Petit éloge de l’anarchisme :

« Les pratiques vernaculaires ont été, au cours des deux derniers siècles, éliminées à une vitesse telle que l’on peut raisonnablement voir dans ce phénomène un processus d’extinction de masse apparenté à la disparition accélérée de certaines espèces.

La cause de l’extinction est également analogue : la perte d’habitat. De nombreuses pratiques vernaculaires ont disparu pour de bon, et d’autres sont aujourd’hui menacées.

Le principal facteur d’extinction n’est nul autre que l’ennemi juré de l’anarchiste, l’État, et en particulier l’État-nation moderne. L’essor du module politique moderne et aujourd’hui hégémonique de l’État-nation a déplacé et ensuite écrasé toute une série de formes politiques vernaculaires : des bandes sans État, des tribus, des cités libres, des confédérations de villes aux contours souples, des communautés d’esclaves marrons et des empires. À leur place, désormais, se trouve partout un modèle vernaculaire unique : l’État-nation de l’Atlantique Nord, tel que codifié au XVIIème siècle et subséquemment déguisé en système universel. En prenant plusieurs centaines de mètres de recul et en ouvrant grand les yeux, il est étonnant de constater à quel point on trouve, partout dans le monde, pratiquement le même ordre institutionnel : un drapeau national, un hymne national, des théâtres nationaux, des orchestres nationaux, des chefs d’État, un parlement (réel ou fictif), une banque centrale, une liste de ministères, tous plus ou moins les mêmes et tous organisés de la même façon, un appareil de sécurité, etc. »

Les États-nations qui composent actuellement le continent africain sont de purs artifices, produits du colonialisme, du fameux « partage de l’Afrique ». C’est en détruisant les cultures, les sociétés, les peuples, les mœurs, les coutumes, etc. qui y prospéraient alors que les États déjà constitués (européens, américains, asiatiques) ont pu imposer au continent de rejoindre la monoculture humaine planétaire que déplorait Claude Lévi-Strauss [i] (monoculture aussi appelée « mondialisation » ou « entreprisation du monde ») :

« L’humanité s’installe dans la monoculture ; elle s’apprête à produire la civilisation en masse, comme la betterave. Son ordinaire ne comportera plus que ce plat. »

Il le fallait bien. L’ordre des choses le réclamait. Les « races supérieures » avaient (et ont toujours) le « devoir de civiliser les races inférieures ». Les « nations européennes » se sont simplement acquittées « avec largeur, grandeur et honnêteté de ce devoir supérieur de la civilisation » (Jules Ferry).

 

« Appréciez votre pauvreté ! »

Désormais que les États-nations et le capitalisme sont bien implantés en Afrique comme partout ailleurs, la mission civilisatrice est presque achevée. Par capitalisme, il faut entendre la forme de vie sociale — fondée sur le travail, l’argent, le salaire, la production de marchandises, la propriété privée, etc. — que les États-nations européens, américains et asiatiques imposent à leurs sujets depuis plusieurs siècles, et qu’ils imposèrent également aux Africains en leur apportant la civilisation. Presque, parce que pas tout à fait. Et d’abord parce que les États africains continuent d’être maintenus dans une position d’infériorité, dans une position de précarité à l’avantage des États et des transnationales européennes, américaines et asiatiques. Le pillage continue, ainsi que l’exposent, par exemple, les documentaires Nous venons en amis d’Hubert Sauper et Enjoy Poverty (« Appréciez votre pauvreté ») du néerlandais Renzo Martens.

Non contentes de s’enrichir de manière parfaitement illégitime, criminelle (grâce aux dispositions précitées, à la colonisation, aux structures sociales historiquement imposées), sur le dos du continent africain et de ses habitants, les multinationales des pays riches osent s’indigner même des plus maigres compensations demandées par « la société civile » (en l’occurrence, par des ONG, une des principales formes d’opposition tolérées, encouragées et subventionnées par les États modernes). Les ONG osent les emmerder ! Leur demander de rendre des comptes ! D’être plus responsables ! À elles… qui fournissent généreusement du travail à ces pauvres Africains, lesquels, sans cela, seraient livrés à eux-mêmes, à la misère, à la faim, à la mort !

L’indécence officiellement admise de la « mission civilisatrice » ne permettant plus d’employer l’expression, c’est désormais du travail que l’on se targue d’apporter aux Africains. Mieux, en ces temps de lutte contre le réchauffement climatique, dès que possible, on — États, multinationales, politiciens, etc. — se félicite de leur fournir des « emplois verts ». C’est-à-dire des emplois s’inscrivant dans le cadre d’industries supposément [i] « vertes » (production d’énergie photovoltaïque, éolienne, etc.). De la sorte, on prétend faire d’une pierre deux coups : améliorer le sort des Africains, et sauver la planète.

 

Des multinationales responsables…

Dans les faits, le processus n’est pas plus démocratique aujourd’hui qu’il ne l’était hier. L’illusion démocratique repose en Afrique (dans quelques pays africains, du moins) sur la même mystification qu’ailleurs : il suffit à un État de se prétendre démocratique et d’instaurer des élections présidentielles pour l’être aux yeux des autres.

Cependant, les sujets des États désormais bien implantés apprennent à s’en satisfaire. En effet, comme le souligne James C. Scott (dans l’ouvrage susmentionné) :

« Une fois en place, l’État (nation) moderne a entrepris d’homogénéiser sa population et les pratiques vernaculaires du peuple, jugées déviantes. Presque partout, l’État a procédé à la fabrication d’une nation : la France s’est mise à créer des Français, l’Italie des Italiens, etc. »

Et le Congo des Congolais, le Sénégal des Sénégalais, etc. Auxquels on inculque comme à tous les autres, par le biais du système scolaire étatique et des médiums culturels, que la propriété privée, la nécessité de travailler, l’Entreprise, l’argent, le salaire, le développement industriel et technologique, l’État, les élections présidentielles, sont dans l’ordre des choses, et même de très bonnes choses, puisqu’elles constituent le Progrès.

En réalité, l’expansion de la domination de l’État, du capitalisme, de l’Entreprise, du système industriel, est synonyme à la fois de désastre social (destruction de la diversité culturelle humaine, au travers du colonialisme, de l’ethnocide, dépossession et aliénation des hommes dans la servitude moderne du salariat) et environnemental (destruction de la biodiversité, dégradation de la biosphère).

Dans un tel contexte, les entreprises multinationales devraient-elles être davantage tenues responsables des conséquences de leurs agissements ? Bien entendu. Ce serait un minimum. Dont il ne faudrait surtout pas se contenter. Les multinationales et l’ensemble du système étatique et capitaliste dans lequel elles s’inscrivent doivent également — et le plus rapidement possible, étant donné les dégâts qu’ils génèrent — être mis hors d’état de nuire. Non seulement afin d’enrayer la sixième extinction de masse (ou, pour parler moins euphémiquement, la première extermination de masse) des espèces vivantes, mais aussi en vue de constituer de véritables démocraties et d’en finir avec leur règne inhumain et écocidaire.

Nicolas Casaux, le 15 juin 2020.

[i] Au sujet de la mystification que constituent ces prétentions « vertes », « propres » et « renouvelables », il faut lire Les illusions renouvelables de José Ardillo ou regarder le documentaire de Jeff Gibbs, Michael Moore et Ozzie Zehner intitulé Planet of the Humans (Planète des humains), ou encore consulter un des nombreux articles traitant du sujet publiés sur le site www.partage-le.com (notamment dans cette catégorie : https://www.partage-le.com/category/environnement-ecologie/le-mythe-du-developpement-durable/).

 

A nos amis lecteurs

Comme nous l’avons mentionné plus haut, le texte et les propos tenus ici sont radicaux et nous l’assumons. On les voit rarement exprimés dans les médias traditionnels mais chacun pourra constater que, pour adopter une position dure, le discours de Nicolas Casaux n’en est pas moins référencé et argumenté. Personne n’est obligé de partager ces idées mais, bien entendu, chacun est invité à les commenter et à les critiquer. L’espace de commentaires de cet article est prévu pour cela.

Toutefois, afin de préserver un dialogue constructif et des échanges sereins, nous précisons d’emblée qu’aucun commentaire agressif, irrespectueux ou contraire aux règles de la bienséance ne sera validé lors du processus de modération. Nous vous demandons également de bien vouloir éviter les commentaires anonymes ; nous nous réservons le droit de bloquer tout propos rédigé sous pseudo ou avec une fausse adresse e-mail.

 

Il n’y a pas de « chantage » climatique !

Les jeunes et les partis écologistes sont-ils coupables de « chantage » au changement climatique ? De quelles si terribles armes et si puissants soutiens disposent-ils pour se voir régulièrement accusés de vouloir instaurer une « dictature verte » ?

A quelques jours de l’anniversaire de sa troublante publication par l’AGEFI Suisse, nous avons décidé de revenir sur la chronique publiée en juin dernier par le Centre Patronal sous la plume de la juriste Sophie Paschoud. Intitulée « Le chantage climatique commence à bien faire », elle nous semble en effet intéressante à relire au moment où la fuite en avant de nos sociétés occidentales à irresponsabilité illimitée a non seulement conduit au dramatique confinement d’une bonne partie de l’humanité, mais a également mis en évidence la fragilité d’un système d’échanges commerciaux à flux tendu qui menace la souveraineté économique de nos propres Etats. Une crise que d’aucuns considèrent en outre hélas comme une répétition générale de celles que nous feront sous peu affronter les conséquences de nos modes de vie insensés, parmi lesquelles l’effondrement de la biodiversité, la transformation des océans en égouts et le désastreux déplacement de la teneur en CO2 de l’atmosphère.

“Je serai soulagé lorsque cette crise sanitaire sera passée…”

En effet, ce texte consternant, du reste immédiatement dénoncé par plusieurs acteurs politiques, traduit particulièrement bien les tensions et crispations qui accompagnent depuis plusieurs années la question climatique dans les sphères politiques et économiques. Lors de sa parution, je l’ai toutefois lu avec déception et tristesse et j’aimerais essayer ici d’expliquer, de la manière la plus constructive possible, pourquoi le problème soulevé par Sophie Paschoud ne me semble pas être posé convenablement.

 

Une montée en puissance de la couleur verte

Depuis les dernières élections, les partis traditionnels s’émeuvent d’une montée en puissance des écologistes et on les comprend. Une des réactions qu’ils opposent à ce phénomène consiste à accuser ces derniers de dramatiser la situation pour « siphonner des voix » et « faire passer leur idéologie ». Ainsi Sophie Paschoud écrit-elle : « On en arrive à un stade où les considérations écologiques ne sont plus qu’un prétexte pour imposer une idéologie en passe de devenir une véritable dictature ».

Avec une phrase telle que celle-ci, sa thèse du « chantage climatique » apparaît comme une version à peine édulcorée de celle du tout-ménage de l’UDC diffusé au printemps dernier dans lequel on pouvait lire des slogans tels que « Voici comment la gauche et les verts veulent rééduquer la classe moyenne » ou « Que cache donc cette hystérie climatique attisée par la gauche écologiste ? », et dont les illustrations reprenaient la traditionnelle représentation libertarienne du diable communiste avançant masqué derrière son camouflage vert.

Exemple de slogan anti-vert de l’UDC. Extrait du “tout-ménage” du 15 juin 2019.

Or face à cette menace électorale, ces partis traditionnels semblent ne parvenir à se focaliser que sur la question de la réalité du changement climatique ou de la gravité de la crise écologique. Ce faisant, ils prennent nettement position, parfois sans le vouloir, sur le large spectre du climato-scepticisme qui s’étend du climato-quiétisme au climato-dénialisme.

Pourtant, les deux seules questions qui méritent d’être posées et débattues démocratiquement ne portent désormais plus sur l’existence ou non d’une crise climatique mais 1/ sur la société que nous voulons construire COMPTE TENU de la gravité de cette crise et 2/ sur le chemin que nous voulons suivre pour atteindre ce nouvel objectif. Et pour ce faire, nous avons besoin de tous les partis, que tous proposent des solutions, du PS à l’UDC, parmi lesquelles les électeurs choisiront. Parce que face à l’ampleur de la menace, toutes les intelligences et toutes les idées sont nécessaires !

Au lieu de cela, et en dépit de quelques maigres esquisses de propositions politiques (voir image ci-dessous), on voit les énergies se canaliser dans la négation du problème plutôt que dans sa résolution. Là réside le second drame que nous vivons : celui de ne pas être capables de nous atteler ensemble à la tâche colossale qui est devant nous.

Exemple de solution à la crise écologique proposée par l’UDC. Extrait du “tout-ménage” du 15 juin 2019.

Et pourquoi pas la disparition des partis écologistes ?

Je soutiens personnellement les partis écologistes mais je ne pourrais rêver mieux que de les voir disparaître si cela pouvait signifier qu’ils sont devenus inutiles, les partis traditionnels ayant enfin intégré les questions environnementales dans leurs visions du monde, à la place qu’elles méritent. Là où Sophie Paschoud croit que les Verts font du chantage pour aspirer des voix, je ne vois personnellement que des personnes sensées et de bonne volonté, simplement désireuses de faire entendre la leur, sur la base de ce qui saute aux yeux de qui veut bien les garder ouverts. Va-t-on tout de même leur reprocher de défendre en même temps leur vision du monde si celles qui ont cours ne leur conviennent pas ?

A cet égard, Sophie Paschoud ne semble pas très bien informée quant à ce qui se joue en ce moment dans la biosphère. Il suffit pourtant de lire la littérature scientifique et d’essayer de comprendre où ira le monde si l’ensemble de l’organisation de notre civilisation thermo-industrielle basée sur des énergies carbonées n’est pas rapidement révolutionnée. Les mesures qu’elle tourne en dérision ne sont pourtant que le début de ce à quoi il faudra se résoudre en termes de limitation de notre confort pour ne simplement pas perdre tout le reste. Mais c’est probablement une réalité trop difficile à regarder en face.

Alors on préfère critiquer Greta Thunberg et les jeunes qui s’engagent, parler de « retour à l’âge de pierre » ou dire que « la Suisse est responsable de 0,1% des émissions mondiales de gaz à effet de serre ». D’une part, ce chiffre n’a pas de sens car il ne tient pas compte de phénomènes tels que les émissions externalisées par les pays occidentaux qui la font remonter à la 14e place au niveau mondial en termes d’émissions par habitant, ou encore l’impact des investissements des banques suisses dans l’industrie carbonée. D’autre part, ce chiffre n’intègre aucunement le pouvoir d’influence politique, économique et technologique de notre pays.

 

Un combat d’arrière-garde

Il y a donc une forme de combat d’arrière-garde à parler de « chantage climatique » alors que tous les indicateurs sont au rouge et que même le GIEC admet que ses prévisions étaient sous-estimées. Et pour en attester, que l’on me permette de citer, en plus des papiers qui pourraient risquer d’être taxés d’écolos ou de gauchistes, cette récente interview de Jean-Marc Jancovici dans Le Figaro ou cet article du journal économique Les Echos.

Pour résumer, quand un navire sombre, les passagers se bagarrent-ils pour savoir si l’avarie est grave, voire si elle existe vraiment ? Accuse-t-on ceux qui préconisent des solutions radicales de chercher à faire passer leur idéologie ? Ne feraient-ils pas mieux de tous chercher, ensemble, à colmater la brèche, quoi que cela en coûte, pour ne pas simplement tous périr ?

“Si nous sommes en train de couler, pourquoi sommes-nous des dizaines de mètres au-dessus de l’eau ?”

Mme Paschoud n’a peut-être pas d’enfants. Sans quoi elle chercherait probablement davantage à anticiper l’état du monde dans lequel ils vont vivre. Mais qu’elle se rassure quoi qu’il en soit : ce qui doit être fait ne le sera pas. Il suffit pour s’en convaincre d’examiner l’indigence des résultats de la COP25 qui, en décembre 2019, titrait pourtant « Time for Action ». Nous atteindrons sans aucun doute les 2, 3 voire 5°C supplémentaires d’ici la fin du siècle. Pour cela, on peut faire confiance à la robustesse du capitalisme et à la brutalité de la pandémie ultralibérale qui, elle, a démarré bien avant celle du Covid-19.

 

Les trois parenthèses enchantées de la chimie sur Terre

Profitant des conditions exceptionnellement réunies sur la planète Terre, une parenthèse enchantée s’est ouverte : celle du vivant, qui développe une chimie douce et très particulière. Une parenthèse pourtant menacée par l’entrée dans l’anthropocène.

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À l’occasion de sa parution aux éditions De Boeck Supérieur, nous vous proposons exceptionnellement un extrait de l’ouvrage « Philosophie de la chimie », coordonné par Bernadette Bensaude-Vincent et Richard-Emmanuel Eastes. Le texte présenté ci-dessous clôt la première partie « Identité de la chimie » et nous questionne sur la place de la chimie dans l’histoire du vivant. Un article co-écrit avec Pierre Teissier, maître de conférences au Centre François Viète de l’université de Nantes.
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La chimie constitue dans la nature une sorte de parenthèse enchantée. Ou plutôt une série de parenthèses emboîtées. Pour un type de composés donné, il n’y a d’abord de chimie que dans une plage d’énergie bien définie, en deçà de laquelle les réactions ne se font plus et au-delà de laquelle les liaisons chimiques sont rompues. Profitant de ces conditions exceptionnellement réunies sur la planète Terre, une seconde parenthèse enchantée s’est progressivement inscrite dans la première : celle du vivant, qui développe une chimie très particulière. Enfin, dernière parenthèse apparue encore plus récemment au sein du vivant : celle des activités humaines. Mais les transformations opérées notamment par les technologies chimiques au sein de cette troisième et dernière parenthèse enchantée pourraient bien mettre un terme aux conditions qui ont permis l’apparition de la seconde.

 

Un royaume bien tempéré

Sur une échelle d’énergies, le royaume de la chimie occupe une vaste plage, bordée vers le bas par les micro-ondes qui agissent sur la rotation des dipôles moléculaires et, vers le haut, par les rayons X qui peuvent interagir avec les électrons de cœur des atomes. Au cœur du royaume trône la liaison covalente, archétype de la liaison chimique. La force des liaisons de ce type, qui assurent la cohésion de toute matière organisée, est dix à quarante fois supérieure à celle d’une liaison hydrogène, elle-même dix à quarante fois supérieure à celle des liaisons de Van der Waals.

Avec ces dernières, parfois qualifiées de « physiques », on atteint le domaine des mousses, bulles et savons, c’est-à-dire le marigot flou des sciences de la matière où se rencontrent chimistes et physiciens. Les liaisons chimiques restent toutefois beaucoup moins énergétiques que la plupart des rayonnements parcourant l’espace intersidéral. Ces derniers relèvent également du domaine de la physique, celle des particules et des hautes énergies, celle des accélérateurs de particules où les chimistes ne pénètrent presque jamais.

Pour administrer ce vaste territoire, la chimie dispose de pouvoirs très mesurés. Elle jugule et exploite des forces contraires : électronégatives et électropositives, réductrices et oxydantes, acides et basiques, hydrophiles et hydrophobes. Elle légifère en offrant de larges degrés de liberté aux électrons du graphite, en procurant une liberté conditionnelle à ceux des polyènes et en imposant des puits de potentiel infranchissables à ceux du diamant.

 

La parenthèse « Boucles d’or » de la chimie terrestre

Sur Terre, la chimie exerce son action dans des gammes d’énergie modérées et sur une plage de températures étroite, de l’ordre de quelques centaines de degrés. Très hautes et très basses énergies sont bannies en premier lieu par la distance idéale de notre planète à son étoile ; une position qui conduit les astrophysiciens à qualifier de « planètes Boucles d’or » (Goldilocks planets) les astres extra-solaires placés dans la zone « habitable » de leur étoile (Goldilocks zone), par référence aux conditions terrestres.

Mais hautes et basses énergies sont également proscrites par une atmosphère qui protège la Terre des rayons ionisants les plus énergétiques, la même atmosphère retenant simultanément les rayons infrarouges qui l’empêchent de se refroidir. L’atmosphère tempère ainsi la surface du globe, où la température est suffisamment chaude pour que les électrons soient actifs et suffisamment froide pour que leurs associations durent. Le jeu des électrons de valence dans un écosystème tempéré dessine ainsi l’étonnante parenthèse enchantée de la chimie terrestre dans l’Univers.

Fine ligne de l’atmosphère terrestre et soleil couchant photographiés par l’équipage de la Station spatiale internationale. L’image illustre particulièrement bien la fragilité de ce que Bruno Latour nomme les “zones critiques” de notre planète.

L’énigmatique parenthèse du vivant

Au cœur de ce premier îlot enchanté de la chimie terrestre a émergé une autre parenthèse, plus restreinte et plus surprenante encore, constituée par la chimie du vivant. Un subtil équilibre a en effet permis l’émergence de la vie sans la rendre immuable. Il joue sur de délicates règles du jeu thermodynamiques et cinétiques : une exposition prolongée à l’air libre ou quelques dizaines de degrés appliqués à la viande, à l’œuf ou à la banane suffisent à en transformer définitivement la texture, tout comme vingt degrés de moins ou une atmosphère inerte permettent d’en préserver l’intégrité des semaines durant. Ce qui vaut pour la viande animale vaut d’ailleurs pour la nôtre : les mêmes agressions transforment aussi dramatiquement l’apparence des humains en quelques décennies.

Au niveau microscopique, la multiplicité des liaisons chimiques fournit la base matérielle de construction du double brin d’ADN, alors que leur souplesse d’interaction ouvre les possibilités de leur réplication et de la transmission de la vie. Le vivant se caractérise ainsi par une double capacité de régulation et de reproduction. Pour la régulation, les molécules de lipides doivent former un milieu intérieur et les ions fournir des conditions contrôlées (pH, température, etc.). Pour la reproduction, les molécules de structure doivent pouvoir se faire et se défaire, sous l’influence des énergies du milieu extérieur : pouvoir oxydant du dioxygène de l’air, frottements de l’eau des rivières et mers, chaleur de la Terre et de l’atmosphère, rayons lumineux du Soleil… Les mêmes énergies de l’environnement terrestre coopèrent tantôt à la construction tantôt à la décomposition du vivant.

Ainsi, non seulement la juste position de la Terre par rapport au Soleil garantit les conditions de l’apparition et de la pérennité de la vie, mais surtout, définissant une première parenthèse enchantée comme une première sphère protectrice, l’action subtile de l’atmosphère permet la définition d’une seconde parenthèse intérieure : celle d’une chimie douce associée au vivant, véritable cuvette de potentiel permettant à la dynamique des écosystèmes de résister aux forces destructrices déployées dans le reste de l’Univers.

Que l’on n’y voie pas nécessairement l’expression d’un dessein divin : la vie elle-même a conduit à l’élaboration de ces conditions en produisant l’oxygène dont est issu l’ozone qui la protège des rayonnements ultraviolets, à la faveur d’une gigantesque et subtile autorégulation. Sont ainsi vérifiées les conditions idéales d’une planète où tous les ingrédients sont présents en justes proportions, où toutes les grandeurs sont ajustées aux bonnes dimensions, donnant un sens plus fort encore au concept de « planète Boucles d’or ».

Yangykala canyons, Turkmenistan. La frontière entre zones habitables et inhabitables est ténue.

L’anthropocène, ou la parenthèse désenchantée

Or, que change la composition de l’atmosphère, ne serait-ce qu’un peu, ou que la température du globe soit modifiée de quelques degrés seulement, et la parenthèse intérieure pourrait, comme on l’a vu, être anéantie. Les actions techniques des humains ont le pouvoir de déstabiliser l’harmonie de la chimie terrestre. On parle d’Anthropocène pour désigner cette période de l’histoire de la Terre où l’action humaine devient une force géologique et perturbe les conditions favorables à l’essor et au maintien de la vie sur la planète.

Certes, la vie a jusqu’ici réussi à s’adapter aux perturbations sous les formes que nous lui connaissons aujourd’hui, à trouver son chemin en recréant de nouvelles conditions à sa subsistance sur des échelles de temps très longues, permettant aux espèces de migrer en fonction des évolutions climatiques et aux mutations génétiques de produire de nouvelles formes de vie adaptées aux nouvelles conditions. Oui, la planète de Boucles d’or peut se modifier, la parenthèse enchantée peut se déplacer, mais pas trop vite !

Tel le fil de guimauve qui se casse si on l’étire trop brusquement, la chimie de notre planète est sensible à la temporalité des changements qu’on lui imprime. Si les perturbations anthropiques sont plus rapides que les capacités d’adaptation de la seconde parenthèse, les activités humaines pourraient bien finir par désenchanter sa chimie et constituer une bien funeste parenthèse dans l’histoire du vivant.

Couverture de l’ouvrage Philosophie de la chimie de Richard-Emmanuel Eastes et Bernadette Bensaude-Vincent aux éditions De Boeck Supérieur (2020).

 

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons (lire l’article original). Les auteurs tiennent à remercier Bernadette Bensaude-Vincent pour sa relecture précieuse et pour avoir porté à leur attention le concept de « Goldilocks planet ».

Le développement durable en crise (climatique)

Face à l’ampleur de la crise environnementale, le développement durable a cessé d’être le concept le plus opératoire pour imaginer les termes et conditions d’une transition écologique volontaire.

Un article co-écrit avec Francine Pellaud, Haute Ecole Pédagogique de Fribourg

 

Depuis des décennies on n’avait pas vu, dans le monde occidental, une mobilisation concertée telle que celle de la jeune génération face à l’urgence climatique. Fait nouveau, toutefois : mues par la prise de conscience du caractère mortifère de la trajectoire suivie par la civilisation thermo-industrielle occidentale, les revendications des jeunes semblent aller non pas dans le sens d’un élargissement de leurs possibles mais dans celui de l’acceptation d’une restriction de leur confort matériel.

 

L’utopie du développement durable

Les immenses efforts de sensibilisation à l’idée de « durabilité » menés tous azimuts depuis la Conférence de Rio en 1992 auraient-ils fini par être entendus ? Peut-être. Mais très paradoxalement, la dureté des crises environnementales en cours pourrait bien remettre en cause une vision du monde bâtie sur l’idée qu’un développement « durable » serait possible.

Une idée selon laquelle il suffirait de combiner astucieusement les dimensions économique, sociale et environnementale du « développement humain » pour que le développement occidental de la seconde partie du XXe siècle corrige ses défauts et s’étende à la planète entière. Une étonnante utopie que portent encore et toujours les 17 Objectifs de développement durable de l’ONU (ODD) « pour sauver le monde » (sic), sur lesquels se fonde la majorité des agendas 21 de la planète.

 

Les 17 objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU. Wikimedia.

Grâce à son caractère à la fois pléonastique et oxymorique, le concept eut certes l’immense mérite de faire accepter à une grande majorité d’acteurs politiques et économiques la nécessité d’intégrer les questions environnementales à leurs réflexions, actions et investissements. Il laissait en effet entendre que le monde de 2030 pouvait être pensé comme une projection de celui du tournant du siècle, où chacun conserverait ses avantages et privilèges. On pouvait compter sur la responsabilisation citoyenne, la pression de l’opinion publique sur les responsables politiques, le développement de nouvelles solutions technologiques et la signature de quelques traités internationaux pour régler les « quelques » externalités négatives liées à notre relation pourtant de plus en plus extravagante avec la Terre.


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Un concept sédatif

Mais à l’heure où les stigmates de la catastrophe environnementale se creusent chaque semaine un peu plus, on est en droit de se demander si ce concept est toujours suffisamment mobilisateur, voire même encore pertinent.

Alors que fleurissent les notions de transition écologique, d’anthropocène ou de capitalocène, de collapsologie et de survivalisme, il est temps de remettre en question la vision non disruptive que le « développement durable » offre de l’avenir des Terriens et d’accepter le fait qu’à trop rassembler, il a peut-être fini par devenir un « concept sédatif ».

Après être parvenu à sensibiliser à la cause environnementale ceux qui ne voyaient dans le mouvement « écolo » que des marginaux et des rêveurs, le développement durable n’a-t-il pas fait de nous des « climato-quiétistes » ? Or quand les négateurs de la crise climatique usent de ressorts agnotologiques toujours plus puissants pour détourner l’attention de l’impérieuse nécessité d’opérer une transition écologique radicale, le climato-quiétisme commence fort à ressembler lui-même à du climato-scepticisme. Non par la force des convictions, mais par celle de l’inaction.

 

Tout reprendre à zéro

Qu’on ne s’y méprenne pas : les hérauts du développement durable, des origines du concept à nos jours, étaient des héros. Ce qu’ils ont fait était ce qu’ils pouvaient faire de mieux car la tâche était immense, l’aveuglement indicible, l’aspiration au progrès sans bornes. Et ils le sont toujours.

Mais on doit constater que cela n’a pas fonctionné. Pour y avoir consacré une part prépondérante de leur carrière professionnelle, les auteurs de cet article n’en prennent acte qu’avec plus de tristesse. Mais plutôt que de s’enferrer dans une solution inopérante, ils ont la conviction qu’il est nécessaire de repartir et d’aller de l’avant. D’essayer autre chose. Encore et toujours.

Imaginons un voyage dans le temps. Rio, 1992. Revenant du futur, nous connaissons cette fois l’état du monde post-développement durable de 2019 et tout est à penser pour éviter d’emprunter la même trajectoire, celle dont l’inexorable propension est de nous conduire dans la direction d’un grand basculement environnemental, social, économique et (géo)politique. Parce que nous savons qu’elle se révèlera anesthésiante, il n’y a pas d’autre choix que d’admettre d’emblée l’impossibilité de la continuité contenue dans l’idée de « durabilité ».

Alors, depuis ce passé éclairé, quelle vision programmatique de la vie sur Terre devons-nous construire (aurions-nous dû construire) pour faire contrepoids aux chimères des mondes hors-sol qui seront proposés par les Trump, Johnson et autres Salvini, aspirés dans une fuite en avant et un repli sur soi qui ne pourront qu’amplifier le désastre en retardant sa reconnaissance, pour seulement quelques années supplémentaires d’aveugle insouciance ?

Changer de logiciel. Sortir du paradigme d’un développement fondé sur la croissance économique, reconstruire sur d’autres bases les idées d’épanouissement et de prospérité, extraire l’idée même de modernisation de son carcan scientiste et techniciste, dépasser le clivage gauche-droite désormais stérile de la plupart des politiques occidentales pour le réorienter vers la question de notre appartenance collective à la Terre et de la manière dont nous l’habitons…

Autant de défis qui nécessitent de penser de nouveaux concepts pour définir notre rapport au monde, de nouveaux attracteurs politiques, une nouvelle définition de la citoyenneté, voire une nouvelle éducation.

Le roi est mort, vive le roi. Mais la tâche s’annonce colossale.

 

Un (long) voyage collectif

La communauté scientifique, et notamment celle des sciences humaines et sociales, est certes mobilisée depuis longtemps sur ces questions ; en témoigne notamment l’explosion des débats scientifiques sur la pertinence de la collapsologie ou même de celle d’anthropocène.

Mais dans un monde ravagé par les atteintes environnementales, l’explosion des inégalités, et à l’aube d’une prévisible crise migratoire sans précédent, réfléchir aux nouvelles conditions matérielles de notre existence suppose, comme le suggère Bruno Latour, d’être capables de décider collectivement « d’où nous voulons atterrir », c’est-à-dire de quelles nouvelles manières d’exister et d’habiter nos espaces de vie nous voulons promouvoir. Voilà de quoi vivifier pour longtemps nos espaces démocratiques.


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Car en parallèle, à supposer que nous parvenions à décider de la piste d’atterrissage, faut-il encore décider de comment nous y rendre. Ce volet de la transition écologique semble presque le plus facile à penser ; c’est d’ailleurs celui qui a été le plus exploré par les réflexions relatives aux conditions d’un développement durable, mais en négligeant la plupart des destinations qui nécessitaient une remise en question radicale des fondements de notre économie carbonée. À quoi bon les écogestes si l’on emprunte l’avion sans discernement ? À quoi bon les kiwis bios s’il proviennent de Nouvelle-Zélande ? A quoi bon les fermes solaires si c’est pour alimenter des raffineries de pétrole ?

 

Vue d’artiste de la future ferme solaire de Marsden Point (Nouvlle Zélande). Northern Advocate.

Si d’anciennes idées peuvent sûrement être recyclées pour penser le basculement vers un nouveau régime climatique, sortir de l’hypothèse de la continuité nous semble absolument nécessaire pour imaginer des solutions salvatrices. Loin d’être évidente, la négociation sera âpre, tant les décisions à prendre sont susceptibles d’impacter nos habitudes et modes de vie ; et tant sont clivants les marqueurs idéologiques qui les qualifient.

Sans compter qu’avant de savoir où aller et comment y aller, il faut encore savoir où nous sommes ! Or nombreux sont les idéologues qui, n’adhérant pas aux solutions (qualifiées indifféremment de bolchéviques ou d’obscurantistes) proposées par les écologistes, préfèrent nier les causes ou minimiser l’urgence et créer du doute sur le point de départ de notre voyage, plutôt que de réfléchir à leurs responsabilités et d’admettre la nécessité des changements à opérer.

Où sommes-nous ? Où atterrir ? Comment y aller ? Un voyage à penser collectivement (les significations des axes sont laissées à la libre appréciation des lecteurs). Author provided.

 

Réapprendre à s’entendre

Savoir décider de la direction à prendre suppose dès lors de disposer des dispositifs démocratiques adéquats pour construire réellement ensemble une vision commune de l’avenir et refonder notre conception du bien commun.

À ce jour, si la médiatisation d’une Greta Thunberg ou d’un Aurélien Barrau témoigne d’une sensibilisation individuelle accrue à la crise environnementale, elle conduit aussi à une polarisation sociale très préoccupante, car stérilisante de l’action publique.

Faut-il aller jusqu’à penser, comme le philosophe Dominique Bourg, que « la démocratie représentative n’est pas en mesure de répondre aux problèmes écologiques contemporains » et que « sauvegarder la biosphère exige de repenser la démocratie elle-même » ?

S’accorder sur notre point de départ, décider ensemble de la destination et négocier le chemin à prendre pour s’y rendre – sachant que ce point de départ se dérobera sous nos pieds si nous ne le quittons pas et que, une fois partis, il n’y aura pas de retour en arrière possible –, voilà le voyage dans lequel nous, Terriens, sommes irrémédiablement engagés. L’eau, l’air, la terre, le feu et l’ensemble du vivant figurent parmi les passagers, et il faudra désormais tenir compte de leur agentivité.

 

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons (lire l’article original). Les auteur·e·s tiennent à remercier Bastien Lelu, Livio Riboli-Sasco et André Giordan pour leurs relectures attentives et pour les critiques précieuses qu’ils ont apportées à la fois à cet article et à celui, paru le 19 septembre 2019, qui le complète : Plaidoyer pour une éducation à la « condition terrestre ».