A quelle vitesse se déploieront les véhicules sans conducteur?

Se déplacer en navette autonome, c’est possible dans de nombreuses régions de Suisse où les projets pilotes se multiplient. Ayant parcouru quelques kilomètres dans l’une d’elles, j’ai été enthousiasmé par les progrès accomplis. On est encore loin d’un déploiement à large échelle, mais il est temps d’apprendre à cohabiter avec ces nouveaux véhicules

19 km/h, c’est la vitesse actuelle de la navette autonome des TPG (Transports publics genevois) qui sillonne les rues de Meyrin. Son parcours est compliqué. Elle roule dans une zone limitée à 30 km/h, avec une circulation à double sens sur une route très étroite, car des places de parcs ont été aménagées sur les bords. La dernière fois que je suis monté dans un véhicule autonome, c’était en 2015 sur le campus de l’EPFL. Quel progrès accompli entre-temps! La navette n’est de loin pas encore parfaite, mais elle permet déjà de connecter de façon assez fiable les quelques kilomètres qui séparent la gare de Meyrin à la ligne de tram. On pourrait comparer son comportement à celui d’une apprentie conductrice. Elle effectue de nombreux freinages secs et roule plus lentement.

Apprendre à cohabiter

La navette circule dans les rues de Meyrin depuis maintenant un an et demi. Ses améliorations progressives consistent principalement à se rapprocher du comportement d’un conducteur «idéal». C’est-à-dire: sélectionner la trajectoire optimale, anticiper les manœuvres et définir les actions correctes à entreprendre selon les différents obstacles qui se présentent.

Au cours du temps, les habitants du quartier se sont habitués à sa présence. Comme il est bien plus facile de faire respecter le Code de la route à un robot qu’à un humain, la navette est exemplaire. On observe même qu’elle a une influence positive sur le comportement routier des conducteurs qui fréquentent quotidiennement cette route.

Garantir la confiance

Les défis technologiques restent cependant nombreux. Les véhicules autonomes actuellement en service n’ont pas encore suffisamment de capteurs pour être aussi performants que l’humain. A l’image de nos cinq sens, les navettes ont besoin d’une combinaison de senseurs comme la détection par laser (lidar), de caméras et de systèmes radars pour améliorer leur autonomie.

Fin février, une personne est tombée de son siège lors d’un arrêt brutal d’une navette dans la ville de Columbus (Ohio). Les autorités américaines ont immédiatement pris la décision de suspendre les 16 navettes similaires en fonction dans 10 villes américaines.

Permettre l’expérimentation pour améliorer la technologie tout en préservant la confiance des utilisateurs en évitant des accidents est un des nombreux défis.

 De nouveaux métiers se créent

Pour opérer ces navettes sans conducteur, il faut effectuer régulièrement une cartographie numérique de la route. Sur cette carte, la trajectoire du véhicule doit être définie précisément. Chez BernMobil, l’entreprise de transports publics de la ville de Berne, une personne est en formation pour acquérir ces nouvelles compétences et ainsi devenir un designer de trajectoires pour véhicules autonomes. Une navette circule actuellement le long de l’Aar et le trajet doit régulièrement être adapté, notamment en fonction des saisons.

Pour l’instant, un opérateur doit toujours être à bord du véhicule. Dans le futur, on peut imaginer que l’opérateur ne sera plus présent dans chaque véhicule, mais dans un poste de contrôle et devra gérer une flotte de navettes. Dans 10 ans, on aura probablement beaucoup moins de chauffeurs de bus, mais de nouveaux postes seront créés, comme celui de designer de trajectoires ou d’opérateur de véhicules autonomes.

On observe à nouveau que l’introduction d’une nouvelle technologie modifie le type de compétences et crée de nouveaux métiers. Il est important de se préparer à ces changements pour éviter un choc au niveau de l’emploi. Le professeur David Autor du Massachusetts Institute of Technology, venu dernièrement donner une conférence à Lausanne, exprimait très clairement cet enjeu: si demain, on n’a plus besoin des 4 millions de chauffeurs routiers qui circulent aux États-Unis, c’est un gros problème. Si l’on anticipe et que l’on prend les mesures adéquates, maintenant, en sachant que les camions autonomes deviendront une réalité dans 20 ans, on peut parfaitement gérer le changement.

Obtenir une mobilité durable

La plupart des projets pilotes actuels testent la mise en place d’une ligne de transport public avec des arrêts et des horaires fixes. La vitesse maximum étant actuellement de 19 km/h, ces véhicules circulent dans des zones 30 pour ne pas trop perturber le trafic. Les avantages sont donc très limités dans ces cas d’usage. L’objectif est de tester et d’acquérir de l’expérience.

Pour qu’une telle solution devienne intéressante, il faudra pouvoir introduire un système d’offre à la demande. C’est d’ailleurs tout l’intérêt d’avoir des navettes plutôt que des voitures individuelles autonomes. Pour éviter une explosion du trafic, il est essentiel de pouvoir mutualiser les trajets.

Se familiariser avec le véhicule sans conducteur

Les promesses et les perspectives offertes par l’introduction des véhicules autonomes sont énormes: sauver des millions de vies en réduisant massivement le nombre d’accidents, faire gagner aux usagers de la route des centaines d’heures qu’ils perdent normalement en étant au volant et réduire les émissions de CO2. Mais, le chemin est encore long.

C’est une thématique passionnante à suivre et nous avons la chance d’avoir de nombreux projets pilotes en Suisse. N’hésitez pas à expérimenter vous-même cette mobilité du futur en allant vous promener à Meyrin, le long de l’Aar à Berne ou dans le quartier du Marly Innovation Center à Fribourg. De plus, pour le moment, il y a toujours un opérateur ou une opératrice sympathique à bord qui vous expliquera avec plaisir son travail, consistant à éduquer le cerveau algorithmique de son véhicule. Cette personne développe d’ailleurs une autre nouvelle compétence essentielle du XXIe siècle: la pensée computationnelle (comprendre comment formuler un problème pour que la machine puisse le résoudre).

 

Lors du Forum des 100 «Les Suisses face à l’intelligence artificielle » le 25 septembre à l’EPFL, cette thématique sera abordée lors d’une des sessions : L’AI et la mobilité, à quelle vitesse vers l’auto sans conducteur ? Les enjeux liés aux données qui nourrissent les algorithmes seront notamment discutés.

La prochaine fois que vous changerez de voiture, ce sera pour un abonnement sur votre smartphone

Ces derniers mois, j’observe une accélération du développement des plateformes de mobilité. Si votre voiture arrive bientôt en fin de vie et que vous pensez la changer pour une voiture électrique, il est peut-être préférable d’attendre. La mobilité comme service (Mobility-as-a-Service en anglais) se profile à l’horizon.

Ce modèle d’affaires consiste à payer un abonnement mensuel qui vous donne accès à plusieurs modes de transport : bus, train, voiture de location, taxi, service d’autopartage ou encore vélo et trottinette en libre-service. L’application vous indique pour tous vos trajets la combinaison optimale pour arriver à votre destination.

Sachant qu’en moyenne votre voiture est parquée 95% du temps, cette solution mérite d’être considérée.

Qui s’imposera comme le nouveau Netflix de la mobilité ?

On peut distinguer trois types d’entreprises qui développent cette nouvelle manière de “consommer” la mobilité :

  1. Des start-up lancent de nouvelles plateformes avec l’ambition de conquérir le monde
  2. Les applications de transports publics élargissent leur service
  3. Les plateformes de transport par chauffeurs privés tels que Uber et Lyft intègrent dans leur application des modes de transport alternatifs

Parmi les nouvelles entreprises, la société Maas Global vient tout juste de terminer un tour de financement de 29.5 millions d’euros. Elle a lancé l’application Whim il y a 2 ans en Finlande. A Helsinki, l’application propose par exemple un pack Whim Unlimited qui comprend les transports publics, les vélos en libre-service, les taxis et les véhicules de location pour 499 euros par mois. Plus de 6 millions de trajets ont déjà été effectués en utilisant cette solution.

Cette nouvelle levée de fonds vise à soutenir l’expansion dans de nombreuses villes. Comme dans le cas de la téléphonie mobile, le succès d’un tel service dépendra des possibilités de « roaming ». Pouvoir utiliser la même application partout où l’on se déplace est primordial pour obtenir un taux d’adoption élevé. Comme utilisateur, on ne veut pas devoir installer sur son smartphone une application par ville et gérer de multiples abonnements.

Les applications des transports publics étendent leur offre avec des forfaits intégrant plusieurs modes de transport. Lausanne et Genève ont uni leur force pour lancer l’application ZenGo. Vous pouvez, depuis cet été, faire partie du pilote et souscrire un abonnement qui vous donne accès aux transports publics et à l’offre de PubliBike. En complément, avec un système de jetons, l’abonnement vous donne aussi accès aux services de Mobility et de TaxiService. La mise en place des partenariats et l’harmonisation du service est un défi. Dans ce pilote, Mobility est par exemple uniquement disponible à Genève.

Avec une approche plus globale, Moovit, l’application leader pour la recherche de trajet en transports publics, vient de signer le mois dernier un partenariat avec Waze pour intégrer son service d’autopartage. Moovit, déjà mentionné dans mon article précédent sur le Big data, compte maintenant plus de 500 millions d’abonnés dans le monde. Cette intégration leur permet de proposer une solution alternative pour des trajets qui sont mal desservis par les transports publics.

Finalement, les plateformes de transport par chauffeurs privés évoluent également dans cette direction : Uber a lancé son service Transit dans douze villes dont Paris. Son application vous propose des itinéraires en bus et en métro. L’entreprise a également intégré dans son application Jump, son service de vélos électriques.

L’objectif d’Uber est d’augmenter la fréquence d’utilisation de son application. En contrôlant la relation client, ils espèrent, dans le futur, trouver des moyens de monétiser ces services, probablement en utilisant nos données de mobilité qu’ils auront collectées.

Comment nos données sont-elles utilisées ?

Avec ces deux milliards d’utilisateurs, Facebook possède suffisamment de données pour analyser nos comportements et connaître nos préférences et nos envies. De façon similaire, l’entreprise qui s’imposera sur ce marché de la « mobilité comme Service » possèdera une mine d’or d’informations sur tous nos mouvements. On peut déjà observer les premiers signes : avec ses 500 millions d’utilisateurs, Moovit revend déjà des données à Uber pour son service Transit.

En conséquence, avant de remplacer sa voiture pour un abonnement à une de ces applications, il faudra se demander à qui l’on veut donner l’information sur tous nos déplacements et savoir ce que ces sociétés vont en faire. Obtenir une transparence sur les algorithmes sera important pour savoir de quelle manière ces entreprises vont influencer nos déplacements.

Ce marché est estimé par certains analystes à $100 milliards en 2030. On peut s’imaginer qu’une partie du revenu sera générée par la monétisation de nos données.

En complément :

Le service de Whim expliqué en anglais :

La version plus locale avec ZenGo, le pilote lancé cet été à Genève et Lausanne :