Vignette à 100 francs: contre l’objection de gauche

Vous votez à gauche ? Voici pourquoi vous devriez soutenir l’augmentation du prix de la vignette autoroutière à 100.-. Premier volet d’une série en deux épisodes (lire le second).

Le 24 novembre prochain, nous nous prononcerons sur l’augmentation du prix de la vignette autoroutière de 40.- à 100.-, augmentation censée rapporter annuellement 300 millions de francs à investir dans l’extension, la maintenance et la mise à niveau de nos infrastructures autoroutières.

Dans une grande partie de la gauche, celle qui est le plus acquise aux thèses écologistes et de développement durable, mais qui transcende l’ensemble de ses formations politiques, l’augmentation ne passe pas : l’argument en est que cet argent devant être investi entièrement dans le réseau des routes nationales, on fournit à ce dernier des moyens supplémentaires. Or, cela irait à l’encontre des politiques de mobilité défendues par l’ensemble de la gauche : en améliorant le réseau autoroutier, on enverrait exactement le mauvais signal à la population, qu’on cherche justement à convaincre de passer de la voiture au transport public – ou mieux encore, à la limitation de la mobilité.

Il s’agit là d’un positionnement nouveau au sein de la gauche, jusqu’ici toujours favorable à la taxation du trafic routier, mais il est cohérent: s’il faut limiter l’usage de la voiture, et reporter les flux du trafic motorisé individuel sur les transports publics, il semble évident qu’une manière d’y parvenir est de rendre le trafic motorisé moins attractif – dès lors, toute amélioration du réseau routier va à l’encontre des buts généraux de la politique de mobilité voulue par la gauche.

Sauf que ça n’est pas réaliste. Ca le serait dans un jeu à somme nulle, où toute personne gagnée par les transports publics serait perdue par la route. Mais la Suisse actuelle n’est pas dans ce cas : elle croît, et vite. Les politiques de report modal fonctionnent bien : la part modale des transports publics s’est nettement accrue ces dernières années, et le nombre d’usagers s’envole littéralement – posant d’ailleurs de gigantesques problèmes d’infrastructures. A ce rythme, quand bien même nous parviendrions à doubler la capacité de l’ensemble des transports publics dans les vingt ans qui viennent – ce dont il est franchement permis de douter – en 2035, la moitié des pendulaires se déplacera encore en transport individuel privé. Et il s’agit là d’une estimation plancher.

50% de la population active d’un pays de 10 millions d’habitants, cela donne environ 2,5 millions de pendulaires en voiture en 2035, soit 400'000 de plus qu’aujourd’hui. En clair : quelques soient les efforts que nous ferons ces deux prochaines décennies pour répondre à la demande d’une nouvelle génération de pendulaires qui n’imagine pas se déplacer autrement qu’en transports publics, il y aura nettement plus d’automobilistes en 2035 qu’il n’y en a maintenant. Et il y en a maintenant nettement plus que ce qui avait été prévu par les planificateurs de 1955 lorsqu’ils mirent en place le réseau autoroutier, qu’ils dimensionnèrent pour 6 millions d’habitants. Dès lors, l’arrêt de la mise à niveau du réseau au profit de sa seule maintenance, effet probable d’un refus de la hausse de la vignette, ne se traduira pas par le passage à un « post-car world » idyllique dans lequel tout le monde ne se déplacera qu’en transports publics ou doux – il se traduira par une aggravation rapide des conditions de circulation d’une moitié du pays, et par un infarctus généralisé du système de transports dans les dix ans.

Or, si nous voulons que la population en général continue à soutenir, souvent contre ses intérêts égoïstes, une politique de développement des infrastructures de transports publics qui est aussi financée par les taxes et redevances issues de la route, il faut au minimum qu’ils aient quand même l’impression qu’on fait aussi quelque chose pour leur rendre la vie un peu plus facile. Le financement du maintien de la qualité du réseau routier primaire du pays fait partie de ce contrat moral – au nom des chiffres cités ci-dessus, il faut cesser d’opposer transports publics et transports privés : les deux sont destinés à cohabiter pendant encore longtemps.

Pierre Dessemontet

Pierre Dessemontet est docteur en géographie économique, syndic d'Yverdon-les-Bains, député au Grand Conseil vaudois, et vice-président du Parti Socialiste Vaudois.