Emploi des jeunes : une priorité ouest-africaine

Le marché de l’emploi africain est un goulet d’étranglement pour de nombreux jeunes actifs. Son élargissement comporte de forts enjeux de stabilité économique, sociale et politique. Une problématique aggravée par la très grande vigueur démographique du continent. Certains pays africains tentent d’y apporter des solutions innovantes, à l’image du Bénin ou de la Côte d’Ivoire. 

Comment venir à bout du chômage de masse des jeunes en Afrique de l’Ouest ? En 2014, le 4e sommet panafricain des jeunes leaders des Nations unies, à Dakar, donnait la parole à Dramane Haidara, représentant de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) sur cette question. Il alertait déjà sur les risques du chômage de masse pour la cohésion sociale qu’il qualifiait de “bombe à retardement”.

Moins de dix ans plus tard, la tendance ne s’est pas inversée. L’Afrique compte 60% de jeunes dont 33% dans la tranche des 15-35 ans. Sur ce total, près d’un quart est au chômage ou travaille dans l’économie informelle, sans compter près de 300 millions d’emplois vulnérables.

Or, les risques induits sont réels et s’aggraveraient à l’horizon 2050, où le continent comptera plus de deux milliards d’habitants. L’Afrique doit impérativement trouver une solution pour transformer son dividende démographique en véritable capital humain. La démographie, c’est la puissance. Mais sans capacité d’absorption dans une économie stable, elle devient un facteur d’instabilité via la pauvreté et les frustrations qu’elle crée. Selon une étude de la Banque mondiale, le passage à l’acte au sein de groupes séparatistes ou terroristes serait due à 40% au chômage…

Inadéquation de la formation

Pourquoi un marché de l’emploi aussi faible ? Il est probable que le modèle économique de nombreux pays africains soit en cause. En aucun cas des économies basées sur l’extraction de matières premières, ou bien des rentes agricoles, ne peuvent fournir du travail à l’ensemble d’une population. Mais la problématique n’est pas mono-causale.

Encouragé par l’ONU, le primat de l’éducation selon des standards occidentaux, a causé de sérieux dégâts. Ainsi, le niveau d’éducation a augmenté plus vite que les emplois créés : entre 2000 et 2010, le nombre de diplômés africains aurait triplé… De plus, la majeure partie des étudiants s’orienterait vers les filières générales, peu adaptées à un marché du travail africain déjà très contraint.

De facto, les filières techniques (bâtiment, agriculture), ou technologiques (numérique) seraient majoritairement délaissées et, dans l’ensemble, de mauvaise qualité. Une situation illustrée par la phrase de Dramane Haidara : “Les économies africaines sont à 80% rurales mais il n’y a pas un seul lycée agricole digne de ce nom”.

A ce titre la question agricole est révélatrice. Stratégique pour absorber la hausse démographique, celle-ci est un parent faible du continent. L’Afrique n’est pas autosuffisante alimentairement. Ainsi le Nigeria, la RDC et la Guinée-Conakry disposent des potentiels agricoles parmi les plus prometteurs du continent, voire du monde. Mais, en dépit du fait que le secteur agricole emploie la majorité de leurs populations respectives (exploitations vivrières), ils importent toujours une grande partie de leurs produits agricoles.

Des solutions existent et sont actuellement mises en œuvre. Ainsi, le Bénin, touché par un fort chômage des jeunes (39%), a fait de la revalorisation de ses filières techniques sa priorité : celles-ci n’étant choisies que par 3% des élèves. Dans le cadre de la “Stratégie nationale de l’enseignement technique et la formation professionnelle”, le gouvernement prépare l’ouverture d’une cinquantaine de lycées techniques à l’horizon 2026. Ils couvriront des secteurs variés et en demande d’emplois : agriculture, énergie, numérique, infrastructures, transport, tourisme), mais aussi sept écoles supérieures. Un effort qui devrait appuyer l’action du gouvernement dans la dynamisation et la modernisation des principales filières agricoles du pays, dans le cadre du Programme d’Actions du Gouvernement 2021-2026.

Enfin, l’action du Bénin en faveur de la simplification administrative pour la création d’entreprises peut aussi être considérée comme une action en faveur de l’emploi. Le Bénin est désormais, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, le pays du monde où l’on crée le plus rapidement une entreprise.

Cette politique n’est pas passée inaperçue. Elle a facilité de grandes levées de fonds, inédites par leur ampleur, réalisées par le ministre de l’Economie et des Finances Romuald Wadagni. En 2021, le pays est ainsi devenu le premier pays africain à réaliser un eurobond dédié au financement de projets à fort impact sur l’atteinte des Objectifs de développement durable des Nations-Unies, pour un montant de 500 millions d’euros. Elle a aussi participé au relèvement de la crédibilité financière du pays, que Fitch Ratings note B+ avec perspective stable.

Fuite des cerveaux

Dans la majorité des cas, l’entrée sur le marché du travail est synonyme de chômage ou d’activités dans l’économie informelle. Il est en partie responsable de l’exode rural qui touche le continent. D’ici à 2050, plus de 60% de la population du continent sera urbaine. Un facteur de risques sanitaires et politiques très importants si les problématiques d’emploi ne sont pas réglées d’ici là.

Certains profils sont tentés par l’immigration en Europe ou dans les pays développés. Pour découvrir qu’ils ne sont pas adaptés non plus au marché du travail local. Sans compter les difficultés liées à l’inévitable choc culturel. C’est pour travailler à l’insertion de ces jeunes que la Côte d’Ivoire a créé un réseau d’”écoles de la seconde chance” afin de reconvertir les diplômés sans emplois. L’objectif est de réinsérer environ un million de demandeurs d’emplois. En outre, le pays, producteur net d’électricité, compte sur la transition énergétique verte pour générer des besoins croissants de main d’œuvre qualifiée.

Plus grave encore, une grande partie des diplômés à haute valeur ajoutée, comme les médecins ou les ingénieurs, choisit aussi l’immigration. Ils sont encouragés par les meilleures conditions de vie, et de travail, et des salaires attractifs. En 2014, une étude d’Angèle Flora Mendy intitulée ”la carrière du médecin africain en Europe” avait mis en valeur ce phénomène.

Il s’agit d’un problème sous-estimé car il entraîne la fuite de compétences utiles pour leur pays d’origine. L’Europe compte ainsi des dizaines de milliers de médecins africains. Parmi ceux finissant leurs études sur le Vieux-continent, une grande partie y resterait installée après ses études.

 

Burkina-Faso : un verrou stratégique qui pourrait sauter

Déjà affaibli par la révolte civile de 2014, l’État Burkinabé pourrait ressortir encore plus fragilisé du coup d’état de janvier 2022. Une donne qui, in fine, profitera directement aux groupes armés terroristes. Leur dynamique de métastase vers le golfe de Guinée s’en trouverait directement renforcée.

En dix-huit mois, c’est le 4e putsch militaire qui secoue le Sahel, dont deux au Mali. Des évènements qui témoignent de l’incapacité de ces États à se doter de structures politiques et administratives solides. Et finalement à répondre efficacement aux menaces hybrides (terrorisme, trafics, conflits intercommunautaires, banditisme, etc.) qui les touchent.

Il devient difficile de faire porter la responsabilité de la situation au soi-disant échec de l’opération Barkhane. Cet argument, qui était déjà insuffisant pour le Mali, est aujourd’hui inopérant, compte-tenu de la proximité, causale et modale, des deux coups d’États. A la différence près que les forces françaises sont peu présentes dans les opérations anti-terroristes au Burkina-Faso, mis à part l’opération Sabre (Forces spéciales). Ouagadougou a en effet toujours revendiqué son autonomie vis-à-vis de la France et de ses forces armées.

Carrefour stratégique, voire digue, entre le Sahel et le golfe de Guinée, le Burkina-Faso pourrait être un nouveau point de bascule. Quelles sont alors les options de la France ? Ses intérêts, notamment sécuritaires, n’ont pas changé. Pourtant, depuis quelques mois, Paris semble hésiter.

État failli

L’ex-président Kaboré était en place depuis 2014. Suite à un épisode de révolte civile ayant chassé Blaise Compaoré du pouvoir depuis 1987. Relativement épargné jusqu’en 2016, le pays a progressivement été infiltré par les groupes armés terroristes (GAT – Ansarul Islam, GSIM, EIGS). Contraints dans leur liberté d’action, plus au nord, par l’opération Barkhane, ils ont trouvé dans le pays un terreau fertile de recrutement. A tel point que d’importée, la menace est devenue native : plus précisément les régions Nord, Centre nord et Est. L’année 2019 est charnière, avec une intensification critique des attaques.

Les ferments de cette implantation sont similaires à ceux du Mali : la conjugaison d’un état faible et pauvre, incapable d’arbitrer les tensions ethno-communautaires, quand il ne les encourage pas. Au Burkina-Faso, les attaques terroristes résultent majoritairement de la radicalisation progressive, mais de facto opportuniste (dans une grande partie des cas), d’une partie des populations peules (8% de la population). Il s’agit d’une réponse au mouvement d’émigration rurale des populations Mossi (51% de la population).

Cette émigration interne a entraîné de nombreux conflits fonciers (et politiques), dont des expropriations de propriétaires peuls. Une problématique qui s’hybride avec le trafic d’or (natif ou depuis la Côte d’Ivoire) et les conflits qui en découlent ; ainsi que le banditisme dans l’est, dû à la prévarication des communautés locales dans les années 1990 (privatisation des terres, durcissement du code forestier, etc).

Les perceptions historiques sont également mobilisées et accroissent les tensions. Ainsi les GAT font souvent appel à l’héritage djihadiste et conquérant des peuls. Ces derniers se sont en effet constitué plusieurs empires au XIXe s : en l’occurrence celui du Macina (cf : Katiba Macina du GSIM). Un héritage encore très présent dans les mémoires.

L’État burkinabé, mécaniquement à majorité Mossi, s’est révélé incapable de répondre à ces problématiques. L’insurrection de 2014 aurait même contribué à affaiblir son contrôle sur les zones rurales selon un rapport de l’International Crisis Group. La faiblesse, pour ne pas dire l’absence, de l’appareil d’État a par ailleurs poussé Ouagadougou à s’appuyer sur les milices d’autodéfense rurales, dont les Koglweogo (majoritairement mossi). Ces groupes sont de moins en moins contrôlables. Ils participent à la spirale de la violence et de la radicalisation. Et finissent par excéder une partie de leur propre sphère communautaire. De solution désespérée, ils sont devenus une partie du problème. Ils symbolisent la faillite chronique de l’État.

Une armée dépassée

L’armée burkinabé peut-elle gagner ? Après le putsch, la capacité de l’État burkinabé à répondre à ses graves enjeux civils et sécuritaires est toujours sujet à caution. Car l’armée burkinabé, politisée et corrompue, est elle-même une composante du problème. Même si l’ex-président Kaboré jouissait d’une réputation de pusillanimité et d’incompétence, cela bien en dehors des frontières de son pays .

Ce dernier a cependant tenté, dès 2016,  de professionnaliser, et de dépolitiser les forces burkinabés[1]. Méfiant envers l’armée, il s’entoure avant tout de gendarmes dans la conduite de la lutte anti-terroriste[2]. Il éloigne également les officiers supérieurs des postes politiques. Dès 2020, l’ICG pointe un risque de coup d’État. Il engage enfin une tentative de modernisation des forces via l’intégration de nouveaux équipements : comme la cinquantaine de véhicules blindés de transport de troupe (VBTT) Bastion.

Les Forces armées du Burkina-Faso sont sous-équipées, avec de grandes disparités entre les unités. Malgré les récentes intégrations de blindés, la plupart de ses véhicules sont hors d’âges et obsolètes[3]. Le pays parvient cependant à aligner quelques avions Embraer Super Tucano : très efficaces en contre-guérilla. Les forces bénéficient pourtant d’un budget, en hausse, de 388 millions de dollars en 2020[4].  Soit le budget le plus élevé du G5 Sahel après le Mali. Alors, comment expliquer qu’avec des moyens inférieurs, les armées tchadiennes et mauritaniennes parviennent à d’excellents résultats ? Il est vrai que ces dernières sont dépositaires de traditions guerrières, et d’expériences qui les rends bien adaptés dans la guerre du Sahel.

Il n’en demeure pas moins que, largement corrompue, l’armée burkinabé est incapable d’administrer efficacement ses unités. Le président Kaboré semble avoir visé avant tout des objectifs de dépolitisation plutôt que des réformes organiques : un préalable pourtant incontournable à toute montée en puissance. Il en résulte un encadrement peu fiable, des soldes non payées, des équipements non renouvelés, une logistique déficiente et des services de renseignement presque inexistants. D’où les difficultés opérationnelles de l’armée.

Les forces souffrent également de lacunes d’entraînement et de doctrine. De plus, sous-dimensionnées (11 200 hommes), elles peinent à couvrir l’ensemble du territoire. Elles ne sont pourtant pas inactives et sont parvenues à remporter certains succès tactiques, comme à Arbinda en 2019[5]. Ou bien lors de l’opération Comoé en 2021, aux côtés de l’armée ivoirienne. Mais globalement les GAT disposent d’une importante liberté d’action sur l’ensemble du territoire burkinabé. Ce qui leur permet de commencer à s’étendre vers le golfe de Guinée (Côte d’Ivoire, Bénin, Ghana, Togo, etc).

Les options pour la France

Tout porte à croire que ce putsch pourrait faire empirer la situation. Du simple fait des phénomènes de désorganisation liés à toute prise de pouvoir par la force. Par ailleurs, en tout état de cause, la junte ne semble pas en mesure de remédier à une corruption dont elle est partie prenante. Cela malgré les espoirs de la population [mossi], qui, pour le moment, lui offre son soutien. Les mois suivants seront donc décisifs.

Pour la France, les effets de ce coup d’État sont mineurs à court terme. Paris étant militairement peu présente dans le pays. Mais l’aggravation potentielle, voire probable, de la situation pourrait entraîner des répercussions stratégiques plus importantes. Comme l’accélération de la contamination djihadiste vers le golfe de Guinée. Une zone dans laquelle la France a des intérêts plus importants. Le conflit passerait alors d’une donne sahélienne à Ouest-africaine. Aggravant par-là même l’ensemble des risques consubstantiels à la crise (trafics de stupéfiants et de migrants, influences étrangères hostiles…); et qui menacent directement l’Europe.

D’un point de vue strictement opérationnel, tout « pourrissement » de la situation (politique ou sécuritaire) au Burkina-Faso pourrait aussi nuire aux flux logistiques de l’armée françaises. Ceux-ci y transitent depuis Abidjan (Côte d’Ivoire). Ce qui menacerait directement l’existence de l’opération Barkhane.

Paris semble pourtant, à première vue, hésiter après les derniers évènements. Comment expliquer cette complaisance ? Certes le Burkina-Faso n’est pas un partenaire rapproché. Cependant, on l’a vu, les risques sont bien réels. Le principe de réalisme doit naturellement inciter à composer avec les nouveaux interlocuteurs.

La vigilance, voire la fermeté, doivent être de mise avec ces états (Mali et Burkina-Faso) dont les actions sont systématiquement à contre-emploi de la perspective d’une sortie de crise. Car rappelons-le : le mandat de Barkhane n’est pas de résoudre les causes de la crise, mais bien de contenir la menace sécuritaire. Et jusqu’ici elle y est parvenue. La résolution politique appartient aux États, avec, naturellement, le soutien de leurs alliés. Les Sommets de Pau et de Nouakchott, en 2020, avaient tracés une ligne claire en ce sens avec la “coalition pour le Sahel”.

Certains pays parviennent à des résultats. Le Niger est parvenu à une meilleure stabilité, en intégrant ses populations nomades à la vie politique. Jusqu’à élire un président membre d’une ethnie minoritaire. C’est aujourd’hui un partenaire fiable pour la France. La Mauritanie, particulièrement touchée par les attaques terroristes jusqu’en 2011, dispose maintenant d’une armée particulièrement adaptée à la contre-guérilla djihadiste (sahélienne). La situation n’est donc pas irrémédiable.

Le problème n’est donc pas l’échec de la France mais la mauvaise volonté de certains États qui nuit à l’ensemble de la région. L’action de la France apparaît donc plus cruciale que jamais. Mais Paris doit maintenant l’assumer avec fermeté, plutôt que d’envoyer des signaux d’hésitations qui déchaînent les appétits de ses compétiteurs aux intentions hostiles.

[1] TOUCHARD Laurent, Forces armées africaines, 2017

[2] ICG, Burkina Faso : sortir de la spirale des violences, 2020

[3] TOUCHARD Laurent, Op.cit.

[4] The Military Balance 2021

[5] DSI, Les armées des Etats du G5 Sahel, N°149, 2020

La Côte d’Ivoire affirme son agro-industrie… et gagne le bras de fer sur l’or brun

Alors que la montée en puissance industrielle du pays s’affirme notamment dans les domaines agricole et minier, l’activisme ivoirien a été particulièrement notable dans la filière cacao ces dernières semaines, comme en témoigne le bras de fer qui oppose le gouvernement aux majors mondiales du chocolat.

Au-delà de la hausse des rendements, la politique industrielle de la Côte d’Ivoire est tournée vers la transformation industrielle, qui doit permettre à l’économie ivoirienne de sortir de sa rente agricole afin de mieux résister à la fluctuation des cours mondiaux. En toute logique, le Président Ouattara ambitionne de faire passer un nouveau palier au secteur agro-alimentaire national, qui a permis au pays d’intégrer la catégorie des pays émergents en 2020. Seul vrai pays émergent d’Afrique de l’Ouest, et doté d’une croissance toujours robuste malgré la pandémie, La Côte d’Ivoire a réussi à maintenir cette tendance sans rente minière ni pétrolière. Une rareté en Afrique.

Le gouvernement semble pourtant déterminé à dynamiser son secteur minier, afin qu’il vienne doper l’économie nationale. Dans un même esprit de diversification, le gouvernement ivoirien souhaite développer d’autres secteurs tels que les textiles ou l’industrie pharmaceutique, mais avec plus de difficultés.

Transformation industrielle

Le secteur agricole tient une place historiquement privilégiée dans les performances économiques du pays (cacao, anacarde, coton, mangue, ananas…) : c’est le fameux « miracle ivoirien » de l’ère du Président Houphouët-Boigny (1960-1993). Mais la fluctuation des cours mondiaux et les désordres liés à la guerre civile affaiblirent considérablement l’économie, dépendante de cette rente agricole.

Le Plan national d’investissement agricole (2012-2016) fut la première initiative gouvernementale destinée à redynamiser le secteur et à lui donner plus de résilience. Doté d’un budget de 816 milliards FCFA (1,25 milliard d’euros), il prévoit des subventions à l’exportation et des réductions de taxes (-5%) de sortie du territoire pour les produits transformés (notamment le cacao). On note donc la volonté, dès l’origine, de coupler la dynamisation de la production (destinée à l’export) tout en favorisant les initiatives industrielles liées à la transformation. Les progrès sont nets, la filière cacao étant passée de 5,3% à 6,5 % de croissance entre 2012 et 2016. Même constat pour l’anacarde, dont le pays est le premier producteur mondial, qui gagne deux points de croissance (29% à 31%) dans l’intervalle.

Encore plus ambitieux, avec 4325,4 milliards FCFA d’investissements, le second PNIA (2017-2022) vise la constitution d’agropoles territoriaux, le développement de la formation et des techniques de transformation (notamment sylviculture et secteur halieutique). L’objectif est, in fine, d’atteindre un taux de croissance annuel du volume de production de 7,5% dans toutes les filières.

Le cas particulier de l’or brun

Malgré des classements appréciables concernant la culture de l’anacarde, de la mangue ou du coton, la production emblématique de la Côte d’Ivoire demeure le cacao. Le pays, qui fournit près de 40% des exportations mondiales, est aussi le premier broyeur mondial (35% de sa production locale). L’objectif du gouvernement est de porter à 100% de la production locale la transformation semi-finie de la fève de cacao à l’horizon 2025. La construction de deux complexes industriels (Abidjan Pk 24 et San Pedro) en 2020 participe de cet objectif. De quoi permettre à la Côte d’Ivoire d’acquérir une influence majeure sur le marché mondial du cacao, avec un impact direct sur le secteur de la confiserie.

Réaction des majors du cacao

Ceci n’est pas passé inaperçu auprès des majors mondiales du cacao (notamment Mars et Hershey), négociants comme confiseurs. Et c’est à ce titre que l’on peut interpréter la volonté de ces multinationales de contourner le différentiel de revenu décent (DRD) : un prix plancher qui garantit un niveau de vie et d’investissement productif minimum pour les petits producteurs. Ces majors prétextent la baisse de la consommation mondiale, du fait de la pandémie de Covid-19, pour expliquer la diminution de leurs achats. Ces multinationales ont pourtant tenté de contourner les producteurs ivoiriens en changeant l’origine de leurs importations, ce qui s’apparente à une volonté de privilégier des fournisseurs moins tentés de contrôler les prix plancher du marché.

Les autorités de Côte d’Ivoire, rejointes par le Ghana, ne se sont cependant pas laissé intimider. À eux deux, ces pays, qui représentent près de 60% de la production mondiale de cacao, ont serré leurs rangs face aux injonctions de multinationales. Une première sur un marché aussi lucratif que le chocolat (100 milliards de dollars).

Face à ce bras de fer, la Côte d’Ivoire est plus que jamais déterminée à stimuler son outil de production. En dehors de l’incrémentation de ses capacités industrielles, le gouvernement encourage la petite transformation chocolatière, à destination de son marché local qui connaît une certaine expansion. Par ailleurs, le Président Ouattara a récemment acté l’ouverture d’une antenne commerciale pour l’Asie du Sud-Est (en Chine), afin d’y déployer des négociants internationaux ivoiriens. Cet activisme témoigne, avec un certain fracas médiatique, de la volonté ivoirienne de commencer à compter sur les marchés mondiaux. Quelles qu’en soient les conséquences, cet évènement peut être vu comme un petit tournant géopolitique pour la Côte d’Ivoire et par ricochet, pour l’Afrique de l’Ouest.

 

 

 

 

 

Côte d’Ivoire : refonder l’armée pour consolider l’unité nationale

La fin de la guerre civile, qui a débuté en 2002 et s’est achevée en 2011 après l’éviction de Laurent Gbagbo, a débouché sur une refonte des forces armées ivoiriennes. Hétéroclites, divisées et peu fiables, les nouvelles forces ivoiriennes ont montré des failles profondes, qui ont culminé avec les mutineries de 2017. Reprises en main, dès lors, par le ministre de la Défense Hamed Bakayoko, qui cumule cette fonction avec celle de premier ministre depuis la semaine dernière, les armées ivoiriennes ont depuis multiplié les signaux de restructuration. Un bilan d’étape positif à la veille des élections présidentielles prévues pour la fin de l’année et qui seront décisives pour la stabilité régionale.

Les incapacités qui ont caractérisé l’armée ivoirienne dans la période 2011/2017 sont directement liées aux conséquences de la guerre civile ayant frappé le pays entre 2002 et 2011 et au contexte ethnique très complexe du pays.  La Côte d’Ivoire est un pays d’environ 25 millions d’habitants répartis entre une soixantaine d’ethnies que l’on peut regrouper au sein de quatre grands blocs : Mandés (Malinkés, Dioulas, Mandés du Sud…) et Voltaïques (Sénoufos, Lobis…) dans le nord du pays, puis les Krus (Bétés, etc.) dans le quart sud-ouest et enfin les Akans (Baoulés ; ethnies lagunaires…) dans la zone sud/sud-est. A cela s’ajoute une démarcation entre musulmans au nord et chrétiens au sud.

Cet équilibre précaire n’a pas survécu au délitement de l’alliance Baoulé/nordistes en 1993 et aux conséquences d’une immigration à majorité musulmane jugée déstabilisante (26% de la population en 1998) par les ethnies sudistes. Après le coup d’état militaire en décembre 1999, l’élection d’octobre 2000 écartant les candidats Ouattara (Mandés et musulmans) et Bédié (Akan/Baoulé), le président Gbagbo (Kru/ Bété et alliés Akans/Lagunaires) accédait au pouvoir avec à peine plus de 20% des voix. La contestation et la répression qui s’ensuivirent, puis la tentative de coup d’Etat des partisans de Ouattara en 2002, marquèrent le début de dix ans de guerre civile et la partition, de facto, du pays entre nord et sud. Une guerre civile qui s’achevait à partir de 2007 et des accords de Ouagadougou (Burkina-Faso) malgré le sursaut de 2010 et la reprise des combats qui s’ensuivit, débouchant sur l’arrestation de Laurent Gbagbo et l’arrivée à la présidence d’Alassane Ouattara.

La première réforme bâclée des forces de sécurité Ivoirienne

La guerre civile provoqua la création, au nord, des Forces armées des forces nouvelles (FAFN) composées de militaires rebelles et d’une grande majorité de miliciens répartis dans une dizaine de régions militaires appelées « com’zones ». Peu entraînées et peu opérationnelles, la plupart de ces troupes ne combattirent pas dans cette guerre civile n’ayant connue que des combats très sporadiques. La fin officielle des hostilités vit la fusion des FAFN avec les loyalistes, les Forces de défense et de sécurité (FDS), au sein de Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI). Cette fusion, dans le cadre du processus de Désarmement, Démobilisation et Réintégration (DDR), devait opérer la démobilisation des 74 000 combattants issus de la guerre civile afin de parvenir à un effectif de 22 000 soldats pour les FRCI, dont 8400 ex-FAFN.

A priori conforme au dispositions prises à Ouagadougou, le processus DDR souffrit de nombreuses lacunes qui furent nuisibles au processus connexe de réforme du secteur de la sécurité (RSS). En effet, loin de recréer une armée nationale, le président Ouattara fut contraint de mettre en place une armée de régime. C’est ainsi qu’il mis à la tête des FRCI d’anciens responsables et officiers FAFN, peu formés et indisciplinés, au détriment d’officiers loyalistes des FDS, pour la plupart entraînés et compétents. Enfermée dans une telle posture, la RSS des FICR fut négligée et aboutit en 2016 à une armée mal commandée, sous-équipée et aux installations vétustes ; et dont les deux composantes, FDS et FAFN, n’étaient pas parvenues à créer une cohésion. Reflétant les tensions interethniques du pays, les FICR ne parvenaient pas à gagner la confiance de la population ni à assurer l’ordre dans le pays. De fait, aucun des piliers sécuritaires de la RSS (armée, police, gendarmerie, protection civile) n’était opérationnel. Le paroxysme fut atteint en avril 2017 lors des mutineries des soldats ex-FAFN qui obtinrent gain de cause dans leurs revendications (versement de primes rétroactives, postes, etc).

Le sursaut incarné par le ministre Hamed Bakayoko

Le pouvoir, mis devant le fait accompli de l’indiscipline et du manque de fiabilité de son armée, pourtant idéologiquement acquise, décida d’accélérer la démarche amorcée en 2016[1]. Ainsi, en juillet 2017, Hamed Bakayoko, un proche du président Ouattara, fut nommé ministre de la Défense. Sous son impulsion, la montée en puissance des FANCI semble être devenue une réalité.  Depuis 2017, l’action du ministre s’est déclinée en plusieurs volets destinés à professionnaliser les armées Ivoiriennes. Les mesures les plus emblématiques concernent la rationalisation des chaînes de commandement et l’amélioration générale des ressources humaines afin d’atténuer l’influence et le poids des com’zones dans l’institution et resserrer les liens avec les anciens des FDS. Dans cette optique, l’année 2019 fut marquée par des changement importants à la tête d’unités opérationnelles via le limogeage d’anciens chef de com’zones (Chérif Ousmane, Issiaka Ouattara[2]…) au profit d’officiers ex-loyalistes. Par ailleurs, le ministre Bakayoko a réussi à mener à bien la restructuration des effectifs en supprimant 4000 postes au sein de l’armée (entre 2016 et 2020), via des départs volontaires[3], afin de renverser la pyramide des âges et des grades (surreprésentation des sous-officiers), mais aussi la part des ex-FAFN.

Sur le plan des infrastructures, les casernes ont été rénovées et quatre hôpitaux militaires sont en cours de construction. L’entraînement et la formation (initiale et continue) n’ont pas été oubliés avec la rénovation de plusieurs écoles et surtout la création, en partenariat avec la France, de l’Académie internationale de lutte contre le terrorisme (AILCT). Outre sa vocation de coopération internationale, et surtout sahélienne, l’école comportera un camp d’entraînement (infrastructures de tir, multi-milieux…), une école de cadre spécialisée en contre-terrorisme et une académie de recherche stratégique. Cette académie est importante non seulement dans le cadre de la modernisation des FANCI, mais surtout car elle trace un début de concept d’emploi des forces ivoiriennes dont les doctrines seront tournées largement vers les opérations anti-terroristes. Cela dans la diversité des milieux qui caractérisent le pays mais aussi l’Afrique de l’ouest en général (sahel, brousse, milieux tropicaux, montagneux, lagunaires etc). Enfin, le partenariat militaire opérationnel (PMO) avec la France a été resserré et les formations prodiguées par les Forces françaises et Côte d’Ivoire (FFCI) à destination des FANCI se sont affirmées : actes réflexes et élémentaires (utilisation des armes, déplacements, positions, etc.), manœuvres interarmes, transmissions, maintien en condition opérationnel (MCO)….

Les enjeux de forces crédibles en Côte d’Ivoire

Pour le président Ouattara, la réforme des armées représente autant un enjeu de stabilité politique que de sécurité extérieure. Parvenu à la présidence dans un contexte de polarisation des tensions ethniques et religieuses, il s’agit pour lui, depuis 2011, de ne pas donner le sentiment au sud que la fin de la guerre civile a été le synonyme d’une conquête par le nord musulman (même s’il doit en partie son élection aux voix Baoulé). D’où l’importance de doter le pays d’une armée multi-ethnique qui puisse symboliser la symbiose nationale ivoirienne. Une manière d’éviter de futurs conflits et des phénomènes de radicalisation et de sédition armée comme ceux constatés au Mali ou au Burkina-Faso.

A ce titre, il est peu probable qu’on assiste à une métastase des groupes armés terroristes (GAT) sahéliens en Côte d’Ivoire du fait d’un terrain ethnique peu favorable. En effet, Malinké et Sénoufo sont des cousins des Bambaras du Mali et des Mossis du Burkina-Faso : tous victimes des GAT composés majoritairement de Peuls ou de Touaregs. En revanche, l’émergence d’une menace terroriste indigène via le banditisme ou les tensions inter-ethniques n’est pas à exclure.

Dans cette optique, la nature des réformes mises en œuvre par le ministre Bakayoko, témoigne du discernement récent des autorités ivoiriennes à se doter d’une armée structurellement organisée, fiable et surtout nationale avant de commencer l’intégration de matériels et d’équipements avancés. Loin d’imiter certains travers de mimétisme avec l’occident courants dans les armées africaines, les FANCI, aujourd’hui nommées les FACI, semblent adopter et concevoir des doctrines résolument tournées vers l’anti-terrorisme et le maintien de l’ordre (gendarmerie). De cette manière l’armée jouera autant un facteur de cohésion nationale, limitant les risques de déstabilisation, qu’une réponse à des tentatives d’attaques terroristes [extérieures] sur son territoire. A ce titre, la montée en puissance des forces ivoiriennes pourrait confirmer, dans un futur proche, le rôle de pilier régional du pays dans la lutte contre le terrorisme islamiste. Les premiers effets politiques seront mesurables d’ici les élections de novembre 2020. En revanche, d’un point de vue militaire, les récentes opérations combinées avec le Burkina Faso (opération Comoé) ou l’envoi d’un contingent dans le cadre de la Minusma sont autant de signaux faibles encourageants.

 

[1] C’est cette année-là que fut votée la loi de programmation militaire (LPM), pour un budget d’1,2 milliards de Francs CFA, et que furent rebaptisées les FRCI en Forces armée nationales de la Côte d’Ivoire (FANCI).

[2] Pourtant réputés intouchables

[3] Un bureau d’aide à la reconversion a été créé en ce sens