Exploration spatiale

Etats d’âme à propos du projet d’Elon Musk

Les dernières illustrations de la présentation faite le 27 septembre par Elon Musk à l’IAC* d’Adelaïde me dérangent. On y voit un petit établissement martien qui se transforme très vite en mégalopole comme il y en a malheureusement tant sur Terre. Je veux le dire franchement, je n’aime pas cet horrible objectif.

*l’IAC est l’International Astronautical Congress. Il a lieu tous les ans à la même époque dans un pays différent.  

Pour moi la Planète-rouge est un sanctuaire que l’on doit approcher avec respect et précautions. Il n’est pas question de la saccager comme ont été saccagés tant de territoires à la surface de notre Terre. Nous devons tirer la leçon de nos erreurs et ne pas considérer les terres vierges où nous pouvons nous installer comme de simples supports à la prolifération de notre espèce et aux souillures d’une activité débridée et désordre. Mars comme la Terre est un être vivant que l’on peut approcher et auquel on pourra s’intégrer mais le but ne doit pas être de le détruire pour ensuite aller ailleurs. Où donc, d’ailleurs ? les autres planètes du système solaire sont beaucoup trop inhospitalières et Alpha Centauri n’est pas « la porte à côté »*.

*Je n’ai pas oublié la possibilité d’îles de l’espace comme Gerard O’Neill en rêvait  mais la faisabilité n’en est pas évidente, du moins encore aujourd’hui!

Je comprends bien entendu que le respect de Mars n’aille pas jusqu’au refus de l’explorer et de s’y installer (au contraire!) mais je pense qu’on ne peut pas s’y installer en négligeant l’intérêt scientifique de Mars et qu’on ne peut pas le faire sans attention à l’environnement. L’intérêt scientifique de Mars est évidement celui d’une planète assez semblable à la Terre sur laquelle l’évolution des molécules organiques a pu aller très loin, peut-être même jusqu’à la vie, une autre vie. Il faut pouvoir l’étudier et en tirer tout le profit possible pour l’avancement de notre compréhension de l’Univers ; ce sera passionnant et long ! L’attention à l’environnement est nécessitée par l’obligation de ne pas transformer ce nouveau monde en véritable enfer écologique ce qui serait beaucoup plus facile que sur Terre compte tenu de sa pauvreté et de sa fragilité relative.

Elon Musk a beaucoup de qualités et ces qualités nous permettront, je l’espère ardemment, d’aller sur Mars tout bientôt. Mais Mars n’est pas un jouet et la conquête de Mars n’est pas un jeu vidéo. Ce n’est pas parce qu’on est un ingénieur et un homme d’affaires génial qu’il est permis de n’avoir aucune sensibilité écologique / planétologique ou plutôt qu’il soit permis que ce manque de sensibilité s’exprime sans retenue aucune.

Je terminais mon article précédent en remarquant qu’Elon Musk ne tenait aucun compte des recommandations sécuritaires trop strictes du COSPAR* (il ne les considère même pas). Je voudrais cependant qu’à un moment donné, assez vite après l’arrivée sur Mars des premiers vaisseaux d’Elon Musk, un lobby écologiste mondial se manifeste pour contrôler ses projets d’installations afin éventuellement de les infléchir en les humanisant. Il faut trouver, dans notre intérêt à tous, une voie moyenne entre les exigences du COSPAR et l’indifférence d’Elon Musk.

*Le COSPAR est le “Committee on Space Research”. C’est un  organisme international dont le but est d’organiser les travaux scientifiques en relation avec l’exploration spatiale. Il a publié en 1964 les premières recommandations relatives à la protection des “corps célestes”. Sa politique de protection planétaire (COSPAR Planetary Protection Policy) doit être appliquée par ses membres (les institutions scientifiques des grands pays capables d’accéder à l’espace) depuis 1984. Voir mes articles à ce sujet: 1 et 2.  

Dans son fameux triptyque des années 1990 (« Mars la rouge », « Mars la verte », « Mars la Bleue »), l’auteur de science-fiction américain Kim Stanley Robinson, imagine que, très vite après les débuts de la colonisation, le problème abordé aujourd’hui se pose, avant d’être résolu de manière violente. Dans cette perspective qui est peut-être inéluctable, je prends déjà parti. Je suis contre l’effacement de ce qui fait la particularité de Mars par rapport à la Terre, contre la terraformation. Je suis pour que Mars reste une terre largement vierge, peu peuplée et propre, un modèle et un espoir pour ceux qui seront restés sur Terre. Je veux aller sur Mars et y aller avec d’autres pour y ancrer une nouvelle branche de l’humanité mais je suis et je resterai toujours un « Rouge »*. Mars est notre seconde chance, ne la gâchons pas !

*terme désignant les opposants à la terraformation dans le roman de Kim Stanley Robinson.

l’Illustration de titre : l’aboutissement du rêve d’Elon Musk (image crédit SpaceX) .

Image ci-dessous (crédit SpaceX): seconde phase du visuel de la colonie imaginée par Elon Musk (précédant « l’Illustration de titre » dans sa présentation). Vous voyez la différence entre « trop » et « assez ».

N.B. Ces illustrations sont évidemment symboliques et ne doivent pas être « prises au pied de la lettre ». Cependant la dernière (celle de la mégalopole) traduit une intention inquiétante.

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