Chine et Droits de l’homme: un grain de sable dans la machine

La Chine ne cesse de faire les grands titres de la presse. Quand ce n’est pas à propos de ses résultats économiques dont l’économie mondiale semble dépendre, il s’agit des fulgurantes inventions technologiques visant à resserrer la surveillance totalitaire que le gouvernement impose à sa population… ou des innombrables virus vicieux qui se succèdent à intervalles réguliers, en provenance qui d’un marché aux volailles, qui d’un laboratoire à vocation plus ou moins militaire. La Chine ne cesse d’interroger et interpelle l’Occident en l’attaquant sur ses valeurs libérales et démocratiques que notre monde tient pour universelles et dont le reste de la planète serait invité à s’inspirer… Lutte économique, mais idéologique aussi !

Kenneth Roth, directeur exécutif de Human Rights Watch, vient de publier un état des lieux très instructif sur les problèmes que pose aujourd’hui la Chine au monde et à l’Occident en particulier (« La menace globale de la Chine sur les droits humains », Rapport mondial 2020). Pointant l’ « Etat policier orwellien », reposant sur les techniques les plus sophistiquées et qu’a édifié le pouvoir chinois, Roth développe largement les pratiques répressives que ce même pouvoir exerce tant envers les Han que, surtout, envers les minorités ethniques, notamment ouïgoures. Conséquences logique pour le spécialiste des droits de l’homme, les libertés politiques sont systématiquement bafouées, le journalisme indépendant étouffé et la « peuple », dont le parti communiste a en réalité peur, étroitement contrôlé. Dans ce registre, le système dit du « crédit social », distribuant bons et mauvais points à tout un chacun, constitue en effet un sommet à ce jour inégalé.

Sachant que sa légitimité ne tient qu’aux performances économiques qu’il est capable d’exhiber, le parti communiste se répand en compliments à son propre endroit, louant sa capacité à ériger une dictature prospère, pour mieux conchier le système occidental, dont le pluralisme politique est continuellement méprisé dans sa propagande officielle. Et enivré par ses succès économiques, il ne cesse de répéter que son système pourrait guider tous les peuples vers la joie et l’ « harmonie », le leitmotiv du gouvernement ! Mais Roth relève à juste titre que « le parti communiste qui proclame aujourd’hui le miracle chinois est le même que celui qui, il n’y a pas si longtemps, a infligé les ravages de la Révolution culturelle et du Grand bond en avant ».

Alors que faire pour sauver les droits humains dans le plus grand pays du monde ? La Chine, déplore l’auteur, jouit d’un véritable statut d’immunité sur la scène internationale. A de rares exceptions près, personne n’ose dénoncer les méthodes du parti communiste. Pire, on assiste à une véritable compétition entre les Etats pour s’attirer ses bonnes grâces. C’est à celui qui pourra démontrer la plus grande obséquiosité envers lui afin de récolter les contrats les plus juteux… mais aussi les plus asservissants, comme en témoignent plusieurs accords signés dans le cadre de programme dit des Nouvelles routes de la soie. Certains pays, comme le Sri Lanka, mettront du temps à s’en relever.

Pour Roth, le drame réside dans la complaisance affichée par les Occidentaux à l’égard de la Chine et même dans l’autocensure, sinon la censure en bonne et due forme, imposée aux entreprises surprises en train d’oser émettre de critiques. Ces attitudes « facilitent la tâche de Pékin », suggère-t-il, et renforcent le gouvernement dans sa conviction qu’il est un modèle pour l’humanité de demain, alors que les problèmes en Chine sont colossaux, comme le montrent une pauvreté omniprésente et l’affaire du coronavirus. Le comportement du gouvernement dans les cénacles internationaux, où il se distingue par sa chasse à tout commentaire critique, prolonge ce sentiment de toute-puissance : tout dialogue est impossible. Et Roth de fustiger les bataillons d’étudiants qui hantent les universités occidentales et sont utilisés comme autant d’émissaires de la « bonne parole » chinoise. Et comme espions, ajouterons-nous, au vu des nombreux exemples révélées par la presse internationale.

Le plaidoyer de Ken Roth est assurément convaincant mais il faiblit lorsqu’il aborde la question de l’attitude que les Occidentaux devraient adopter. Les mesures qu’il propose ne vont pas très loin : geler les comptes en banque à l’étranger des responsables, mission d’information au Xinjiang, défendre l’ONU «  en tant que voix indépendante sur les droits humains », déjouer la rhétorique de XI Jinping et mettre en évidence son hypocrisie. Certes, ce sont des pistes. Mais l’Occident doit avant tout se poser des questions sur sa propre lecture de l’aventure chinoise. Et il n’est pas prêt à le faire, pour des raisons économiques et à cause du mythe romantique de la « pureté » de l’Orient, dont profitent aussi maints pays islamiques et qui depuis le XIXe siècle accompagne la montée en puissance du rationalisme occidental.

À sa façon, Roth ne déroge pas au discours ambiant lorsqu’il regrette, sans doute à raison, l’incapacité de l’Occident à brandir un discours cohérent sur la Chine, avec Trump tantôt ami de Xi tantôt père fouettard, avec une Union européenne enlisée dans ses contradictions et avec des populismes se moquant comme d’une guigne des droits humains… On ne peut nier les problèmes de l’Occident, mais il n’empêche : que cela plaise ou non, Trump est le seul à hausser le ton face à Xi et les pays occidentaux restent des Etats de droit que l’on peut aussi louer, au lieu de toujours débusquer ce qui ne fonctionne pas dans le relativisme « postmoderne » gangrénant qui nous hante. Et même s’il ne faut pas se lasser de critiquer les pays qui souhaiteraient jouer sur tous les tableaux, comme le Brésil ou la Hongrie…

D’autres questionnements doivent aussi être convoqués pour lancer une contre-propagande : le coronavirus n’est-il pas l’exemple de la réalité du régime chinois ? Le silence, l’insulte, les poursuites contre ceux qui se hasardent à dévoiler des dysfonctionnements graves. Le règne du mensonge en guise de doctrine officielle… Et d’autres questions doivent suivre. La réaction de l’OMS, par exemple doit nous interroger : lamentable génuflexion devant la générosité financière de Xi, pour ne pas heurter son « honneur », ou subtile manœuvre diplomatique ? Mais la question la plus douloureuse reste celle-ci : comment l’Occident parviendra-t-il à se soustraire de  sa dépendance économique envers la Chine ? La question est d’autant plus urgente que tous les comptes rendus internationaux soulignent la fragilité du colosse chinois, mais que l’on ne veut pas voir.

Dernière question : les droits humains. La Chine, avec d’autres, reprochent aux Occidentaux de mener un colonialisme doux à travers sa « religion » des droits de l’homme qu’il veut diffuser partout, au nom de valeurs universelles mais qui ne correspondraient, en réalité, qu’à des valeurs nées, et développées, entre l’Europe et les Etats-Unis. Il ne s’agit pas d’accepter trop vite cette critique ou, symétriquement, de la rejeter dans un refus outré de toute analyse. Au contraire, en l’interrogeant sérieusement, peut-être aussi en revoyant certains de nos principes, il serait peut-être possible de développer un argumentaire démontrant leur authentique puissance. Le brillant essai du juriste Alain Supiot Homo juridicus. Essai sur la fonction anthropologique du Droit, paru en 2005, ouvre des pistes de réflexion, notamment quand il évoque la charte africaine des droits de l’homme. Pourquoi ne pas réinsérer ces droits dans des réalités culturelles différentes, en les mariant avec les particularismes locaux au lieu de les nier ? Diviniser les droits de l’homme ne pourra que leur nuire… Taïwan et Hong-Kong montrent que culture orientale et droits de l’homme ne sont pas incompatibles.

Olivier Meuwly

Docteur en droit et ès lettres, Olivier Meuwly est auteur de plusieurs ouvrages portant sur l'histoire suisse, l'histoire des partis politiques et l'histoire des idées. Auteur notamment d'une biographie du Conseiller fédéral Louis Ruchonnet (1824-1893) et de l'ouvrage: «La droite et la gauche: Hier, aujourd'hui, demain». Essai historique sur une nécessité structurante (2016). Son dernier livre: "Une histoire de la démocratie directe en Suisse" (2018).

5 réponses à “Chine et Droits de l’homme: un grain de sable dans la machine

  1. Il me semble qu’il n’y a pas une grande différence, entre une Amérique qui tord le bras à tous ceux qui n’adoptent pas son idéologie et sa manière de vouloir diriger le monde et une Chine de 1,5 milliards de chinois, qui a effectué en trente ans (et après des siècles de colonisation), ce que l’Occident a réalisé en un siècle.

    Il y a d’une part la nécessité de garder une cohésion d’un si gigantesque pays (il n’y qu’à voir l’Europe) et sans doute aussi, une volonté de revanche.

  2. D’accord avev vous, je vais plus loin, fort de mon expérience concrète du « tiers monde », ayant œuvré de nombreuses années dans « l’aide au développement ».
    Les droits de l’homme, émanation d’un occident prospère et triomphal qui se croit meilleur, est une vaste esbrouffe morale, semblant destinée à contrôler et dominer les pays pauvres. Ils doivent impérativement être reformulés de manière à représenter, sans les sensibleries d’enfants gâtés qui les affectent en l’état, toutes les sensibilités et tous les pays, les « bons » et les « méchants », lesquels ne partagent pas forcément notre conception abstraite de la justice. En premier lieu, les droits de l’homme devraient être complétés par les devoirs de l’homme. Par ailleurs, il conviendrait d’admettre qu’un individu puisse déchoir de sa dignité humaine dont on fait tant de cas et qu’il ne mérite plus alors les égards que d’aucuns voudraient lui réserver à tout prix au nom de sa prétendue dignité.

  3. Je pense que les mouvements d’émancipation de ces 60 dernières années dans le monde en général (décolonisations, émergences des cultures non occidentales) et dans les pays occidentaux en particulier (émancipation des femmes, des jeunes, liberté sexuelle, libéralisme, libertarisme, démocratisation des études, de la technologie, etc.) ont permis à de larges pans de la population d’accéder à l’exercice de la liberté.

    La mère de toutes les erreurs est d’avoir cru que l’accès à la liberté est le désir de tout être humain.
    Notre époque est en train de brutalement prouver le contraire.

    La liberté implique deux contraintes, détestables aux yeux de beaucoup : l’assumassions de ses responsabilités et une certaine forme de solitude.
    Tenter de penser par soi-même, de relativiser certaines valeurs acquises et de mener sa vie selon ce qui nous semble bon, requiert une certaine force de caractère et une capacité de résistance au conformisme et à la pression sociale. Elle n’est en aucun cas naturelle.

    Beaucoup de populations ont « subi » cette liberté nouvelle à laquelle, au fond, elles n’aspiraient pas.
    Elle ont découvert avec affolement cette ouverture des possibles où l’individu est encouragé à créer son propre système de valeur. Sans une solide éducation le risque de se perdre est bien réel.

    Un mouvement réactionnaire, au sens premier du terme, est en train de balayer l’ensemble de la planète : l’aspiration au confort de l’irresponsabilité et de la servitude volontaire.
    Cette aspiration prend des formes qui varient selon les cultures et les groupes : totalitarismes à l’ancienne comme en Chine, démocratie illibérale comme en Russie, populismes de droite ou de gauche en Europe et en Amérique du Nord, aspirations diverses aux certitudes procurées par le retour à la Morale et au Bien, communautarismes revanchards parfois regroupés autour de la religion. Le tout alimenté par la puissance que confèrent les technologies de la surveillance, du Big Data et des réseau sociaux.
    Même les mouvement de « désobéissance civile », lorsqu’on gratte un peu, sont porteurs de certitudes totalitaires et de potentielles tyrannies.

    Je ressens ce premier quart de XXIème siècle comme les prémisses d’un des totalitarismes les plus implacables que l’Humanité aie jamais engendré. A la « convergence des lutte » pourrait bien succéder la fusion des tyrannies, chacune s’inspirant des méthodes de l’autre.

    Je crains que nous soyons en train de rentrer dans de très longues ténèbres.

  4. Il faut dire que la Chine actuelle a des côtés effrayants et même atroces, qui ne sont souvent pas ce que les “long nez” droits-de-l’hommistes pensent. Par exemple, on ne parle jamais de la criminalité qui gangrène la société dans certains rêvions, et de ses pratiques cruelles. Ca on n’en parle pas. On ne parle jamais non plus de cette mentalité extrêmement matérialiste qui fait que certains littéralement tueraient père et mère pour de l’argent. On préfére pleurer sur les ouïgours et sur le Tibet. On est à côté du vrai sujet.

    Je n’accablerais pas le régime communiste en soi, même si je suis anticommuniste. Après tout ce régime n’est rien l’autre qu’un avatar du projet des Lumières tel qu’il a été conçu au XVIIIe siècle et appliqué par la révolution française, celle surtout de 1848, puis par le bolchevisme. Ce projet d’émancipation a souvent débouché dans la violence et le totalitarisme.

    La version modérée de démocratie libérale apaisée que nous connaissons en Suisse est en réalité une exception à la règle. Le projet des Lumières est essentiellement répressif et violent. Pour s’en convaincre il suffit d’observer la France, notre plus proche pays voisin, où le pouvoir “éclairé” de Macron, se sentant en danger, n’a pas hésiter à tirer sur le peuple, ce qu’aucun roi de France n’a jamais fait, estropiant des centaines de personnes, montrant ainsi une dureté et une brutalité bien plus grande que celle qu’on a vue dans la répression des émeutes de Hong Kong.

    La Chine est un pays de 1.4 milliard d’habitants, sous un pouvoir héritier des jacobins, tout en ayant aussi des références confucianistes et une tradition mandarinale. Et le gouvernement de cet immense pays pense que la 5G et l’intelligence artificielle aideront à maintenir l’ordre dans cette population immense.

    Evidemment cette forme de surveillance généralisée nous fait frémir. Mais ne nous leurrons pas, nous avons la même ici, même si en apparence c’est plus soft. Et au moins le pouvoir chinois ne travaille pas à dissoudre le corps social totalement comme le fait le pouvoir en Europe au moyen de l’immigration de peuplement et de l’agenda LGBT. Alors, qu’est ce qui vaut mieux?

    Nous sommes bien mal placés pour donner des leçons.

    1. Je salue et remercie mes quatre correspondants qui ont bien voulu réagir à mon article “Chine et Droits de l’Homme, un grain de sable dans la machine”. Notre système a bien des défauts, on ne peut le nier. Et assurément, je l’ai écrit, notre approche des droits de l’homme s’est noyée dans un moralisme mortifère. Mais attention à ne pas lâcher la proie pour l’ombre… Lutter contre les dérives de notre système doit avant tout servir à le protéger contre les attaques dont il est l’objet (même dans nos pays occidentaux) sous prétexte qu’il n’a pas à chercher à convertir les autres. Sans doute est-il nécessaire de mieux prendre en compte les cultures autres que la nôtre mais cette démarche ne doit pas, à mon sens, se transformer en une tolérance hâtive pour des régimes dangereusement autoritaires voire pires. Dans ce sens, je ne partage pas l’avis qui a été exprimé que le communisme n’est qu’une déclinaison de la philosophie des Lumières. De nouveau, les Lumières ont pu engendrer des interprétations fâcheuses par le culte qu’elles ont voué à la raison et la pensée romantique se fera fort de contrer l’absolutisme de la raisons dont le 18ème siècle avait accouché. Mais justement le communisme s’inscrit dans un romantisme à son tour commuté sur un mode délirant, à l’instar de son antagonique idéologique. Mais je retiens l’idée d’une convergence des luttes virant vers la fusion des tyrannies, belle formule!

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