football et théorie politique. Le cas du Lausanne-Sport

Je le confesse d’entrée de cause : j’aime le football. N’est-il pas une métaphore de la vie, comme de grands écrivains l’ont si bien montré ? Par les passions qu’il déclenche, par son organisation propre, sur et en dehors du terrain, mais aussi par la multiplicité des talents qu’il convoque, le football s’ancre au plus profond de la vie sociale, en en reflétant les joies et les tristesses. Le génie côtoie le hasard, l’un et l’autre étant indispensables pour couronner le travail en amont même le plus sérieux. L’individu n’est rien sans la force du collectif, et vice et versa… La vie en somme… et seule la politique, peut-être, parvient à condenser dans ses innombrables facettes autant d’éléments qui renvoient aux contraintes, beautés et aléas de l’existence !

Aussi, Lausannois depuis presque toujours, suis-je un supporter du Lausanne-Sport même si, je l’avoue aussi, penaud, je fréquente très irrégulièrement le stade de la Pontaise. Néanmoins, je m’enthousiasme dès que les performances du LS sont à la hausse et me désole lorsqu’elles déclinent. Autant dire que l’actualité lausannoise, en matière de football, me fait transiter par tous les états d’âme, sans crier gare….

Le jeu prêché par Fabio Celestini est stimulant, flatte l’esthétique par son appétence pour une construction élégante. Le ballon doit circuler, verticalité et horizontalité se combinent avec finesse, les joueurs sont mobiles, la récupération est centrale. Hélas, pourquoi ces belles intentions, fondées sur un jeu à risque, débouchent-elles sur une efficacité dans les seize mètres adverses franchement défectueuse, mettant l’équipe à la merci de la première maladresse venue, qu’il sera impossible de corriger au cours du match ?

A ce stade de mes interrogations désabusées, je me souviens d’un long entretien avec l’entraîneur lausannois que 24 Heures a publié voici deux ou trois ans. De cette interview il ressortait la grande passion que voue Fabio Celestini au « Che », à Enesto Guevara, le héros de la révolution cubaine, l’homme qui voulait répandre la foi marxiste à travers toute l’Amérique du Sud avant de trouver la mort dans la jungle bolivienne. Le football rappelle, disais-je, la politique par sa faculté à restituer le réel… Ne serait pas également vrai au niveau de la pensée politique ?

Homme à la forte personnalité, Celestini a donné un style à son équipe, qui adhère à la philosophie du jeu qu’il propose, bien qu’elle peine souvent à en dévoiler les finalités dès qu’il s’agit d’alerter un tant soit peu le gardien de l’autre équipe. Il n’empêche : tous les commentateurs s’accordent à reconnaître à la méthode Celestini un indiscutable panache. Or, au-delà du bien-fondé de ses motivations, n’est-ce pas aussi ce que l’on peut apercevoir dans la geste guevarienne ? Un panache qui s’arrêtait souvent au seuil d’une réalité que le guérillero d’origine argentine s’intéressait peu à dompter…

Imprégné de son modèle, le coach du LS, un révolutionnaire du football dans son genre, ne serait-il pas enclin à reproduire certains travers de son modèle dès lors qu’il doit rendre concret les plans stratégiques qu’il a dessinés pour son équipe ? N’aurait-il pas tendance à privilégier, inconsciemment, le panache au détriment de sa matérialisation dans ce qui fait tout de même l’essence du football : les buts qu’il faut marquer… L’intention pure, le dogme dont on ne peut dévier (un reproche que certains spécialistes lui ont adressé) n’auraient-ils pas pris le dessus, reléguant l’efficacité au rang d’une vague idéologie, éculée, un peu « réac » sur les bords ?

Du haut de notre incompétence, nous nous permettrons un conseil à Fabio Celestini. Si sa source d’inspiration première doit rester le panache, choix qui nous est fort sympathique, pourquoi ne se tournerait-il pas vers d’autres modèles qui ont su allier cette qualité avec cette malheureusement nécessaire efficacité ? Pensons à de Gaulle organisant la résistance en juin 1940 avant de s’emparer du pouvoir tel un condottiere démocratique… Ou à Churchill qui, après avoir rejoint les tranchées belges au lendemain désastre de Gallipoli dont il avait été en partie responsable, revient au 10 de Downing Street en 1939 pour prendre la tête du combat contre Hitler… Et si  l’ambiance révolutionnaire des Caraïbes lui chaut davantage, on lui recommandera Fidel Castro : on ne peut lui dénier un savoir-faire certain en matière d’efficacité… Le football et la politique ont plus de liens qu’on ne le pense…

Olivier Meuwly

Docteur en droit et ès lettres, Olivier Meuwly est auteur de plusieurs ouvrages portant sur l'histoire suisse, l'histoire des partis politiques et l'histoire des idées. Auteur notamment d'une biographie du Conseiller fédéral Louis Ruchonnet (1824-1893) et de l'ouvrage: «La droite et la gauche: Hier, aujourd'hui, demain». Essai historique sur une nécessité structurante (2016). Son dernier livre: "Une histoire de la démocratie directe en Suisse" (2018).

2 réponses à “football et théorie politique. Le cas du Lausanne-Sport

  1. J’ai adoré et semble-t-il que c’est la première fois, l’évocation de De Gaule dans un article sur le football. Vous avez, Monsieur, le panache de Celestini 😉
    Cordialement

    1. Merci de votre message cher Monsieur! Le football mérite aussi de s’inviter à la table des grands noms de l’histoire! Espérons que Celestini les y rejoindra un jour! Pour l’instant, au vu des performances du LS, on en est hélas encore loin…

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