La vague dite “populiste” serait-elle sur le point de refluer?

Pas rares sont les observateurs de vie politique suisse ou internationale à se demander publiquement si les revers récents enregistrés par des formations politiques ornées, à tort ou à raison, du qualificatif honni de « populiste » ne marquaient pas un point d’inflexion majeur dans l’histoire politique récente. N’annonceraient-ils pas pas un déclin de ces mouvements et le retour en grâce de politiciens dits raisonnables, dont Emmanuel Macron serait le parangon actuel ? Il est vrai que la liste des défaites par ces partis s’additionne depuis le début de l’année 2017. L’apothéose populiste qu’a représentée l’élection de Donald Trump n’aurait-il été que le sommet de la vague « anti-tout » ?

C’est d’abord Gert Widers qui, aux Pays-bas, a échoué à conquérir la première place, alors que les sondages lui prédisaient une progression importante. Puis, en France, Marine Le Pen a explosé en vol au cours d’un débat pathétique contre Macron, démontrant tout ce qui la sépare du pouvoir qu’elle prétend pouvoir incarner. Désormais Marions Maréchal- Le Pen attend son heure en embuscade. En Grande-Bretagne, les débats aigres autour du Brexit, qui ont marginalisé le UKIP de Nigel Farrage, ne tendent-ils pas un piège peut-être fatal à la nouvelle première ministre Theresa May ? Et L’Autrichien Norbert Höfert ne s’est-il pas fracassé contre les portes du palais présidentiel ?

En Allemagne enfin, l’Alternative für Deutschland (AfD), née sur le flanc droit de la CDU, semble s’effondrer : alors qu’elle flirtait avec les 12-15% d’intentions de vote il ya peu et se préparait à une entrée triomphale au Bundestag, lors des élections de septembre prochain, elle a trébuché pitoyablement lors des dernières élections régionales, en Sarre, au Schleswig-Holstein et en Rhénanie-Palatinat. Elle n’a récolté qu’entre 6 et 7% des voix, son érosion profitant à la CDU. Et d’aucuns sont allés à insérer dans le même tableau certaines contre-perfomances de l’UDC lors de récentes votations fédérales.

Comment faut-il interpréter ces tendances, il est vrai surprenantes et brutales ? Apercevoir dans ces indiscutables échecs un retour vers une forme de « normalisation » de la vie politique paraît bien exagéré. Plusieurs raisons expliquent ce scpeticisme. Ces résultats sanctionnent certes les partis dits « populistes » classés dans une sorte de « nouvelle extrême droite ». Mais qu’en est-il de leurs homologues de gauche ? Ce qui les différencie de leurs adversaires de l’autre extrême, c’est qu’ils sont restés éloignés du pouvoir et qu’ils n’ont pas pu démontrer leur inaptitude aux responsabilités politiques. Mais cela va-t-il durer ?

Mélenchon reste évidemment un formidable bateleur politique. Mais même là où le pouvoir leur tendait les bras, ils se sont vu confrontés à ce qui attend traditionnellement ces partis : comment se monter à la hauteur de le tâche sans perdre l’hypocrite espoir de ne pas se « salir les mains » au contact des réalités du pouvoir ? En Grèce, Syriza s’est transformé en un parti social-démocrate de substitution à la place d’un PASOK discrédité. Quant à Podemos, il se perd en querelles internes sur une possible alliance avec le PSOE… et se complaire dans un discours jusqu’au boutiste qui séduit avant de lasser. Comment va-t-il évoluer dans un paysage politique espagnol ravagé par les scandales ? Et en Angleterre , alors que Thersa May s’empêtre dans des contradiction périlleuses à propos du Brexit, celui qui pourrait la remplacer au 10 de Downing Street n’est autre que Jeremy Corbyn, la nouvelle idole des populistes de gauche !

Deuxième raison qui oblige à examiner avec précaution la situation des partis dits « populistes » de droite : ce sont souvent des circonstances particulières qui les ont amenés à échouer devant les portes du pouvoir. Aux Pays-Bas, on oublie que Wilders est un homme seul, soucieux de préserver son indépendance au point de travailler sans parti…  Il est difficile d’apparaître « gouvernemental » dans ces conditions. Et ces partis sont exposé aux divisions, comme c’est si souvent le cas dans les partis extrêmes, vu leur structure de conduite fondée sur le rejet tous azimuts des institutions en place plutôt que sur le sérieux de leurs propositions.

En Allemagne, leur chute résulte de la division entre les « modérés » et une frange du parti qui n’hésite pas à s’acoquiner avec une authentique extrême droite guère éloignée d’un certain néo-nazisme. Et qu’en sera-t-il en Italie, qui ne compte pas moins deux partis populistes ayant le vent en poupe ? Car à côté de l’inclassable mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo, toujours redoutable malgré ses déboires à la mairie de Rome, s’agite la Ligue du Nord derrière son nouveau leader Matteo Salvini. Il a réussi un tour de force rare dans ce type de parti : il a su succéder au chef historique du mouvement Umberto Bossi et à donner une nouvelle vie à ce parti qui essaime maintenant même en Italie du Sud… En général, les transitions sont désastreuses chez les populistes… Et en Autriche, le FPÖ demeure aux portes du pouvoir.

Une dernière raisons invite à la prudence. Certains attribuent le déclin des partis populistes à un regain de dynamisme de l’économie européenne. Voilà l’erreur à ne pas commettre ! Le succès des populistes de droite et de gauche n’est pas dû aux seules réalités économiques. Le ferment de leur aura ressortit à d’autres motivations, qui convergent souvent vers un ressentiment puissant, à l’origine d’une conviction de déclassement. C’est cette impression d’être abandonnés par une économie mondialisée et numérisée qui nourrit un désespoir profond. A laquelle il faut ajouter aussi la crainte de voir certaines valeurs trop longtemps méprisées, comme l’idée nationale. Un cocktail toujours aussi puissant est ainsi mitonné : le rejet de la nation lié à la certitude que les politiques sociales négligent les habitants « locaux », au profit d’un égalitarisme multiculturel vers lequel la gauche préfère se tourner. Avec des libéraux souvent déstabilisés… Les élites de tous les partis doivent reconnaître leurs faiblesses et y répondre sous peine de donner un nouvel élan à des partis aujourd’hui, en effet, en difficulté.

Olivier Meuwly

Docteur en droit et ès lettres, Olivier Meuwly est auteur de plusieurs ouvrages portant sur l'histoire suisse, l'histoire des partis politiques et l'histoire des idées. Auteur notamment d'une biographie du Conseiller fédéral Louis Ruchonnet (1824-1893) et de l'ouvrage: «La droite et la gauche: Hier, aujourd'hui, demain». Essai historique sur une nécessité structurante (2016). Son dernier livre: "Une histoire de la démocratie directe en Suisse" (2018).

4 réponses à “La vague dite “populiste” serait-elle sur le point de refluer?

  1. Antoine Chollet, Maître-asistant Université de Lausanne : “(…) Le populisme a mauvaise presse aujourd’hui. On l’accuse de tous les maux, on le soupçonne de constituer une «menace» pour nos sociétés, un «péril» pour la démocratie, quand il n’est pas purement et simplement assimilé au fascisme. Or ces usages contemporains du terme sont oublieux d’une longue histoire, qui prend ses racines dans le 19e siècle. Ils dissimulent également les motivations politiques des acteurs qui emploient le mot pour disqualifier leurs adversaires. Enfin, ils présentent quelques surprenantes ressemblances avec la rhétorique antidémocratique classique, pour qui le peuple est toujours un peu suspect.(…)” https://sociopublique.wordpress.com/2015/01/14/parler-du-populisme/

  2. Tant que l’article 121a de la Consitution fédérale ne sera pas appliqué, et pas appliqué avec fermeté, de sorte qu’il y ait une baisse très sensible de l’immigration (si possible une immigration zéro) le pouvoir établi des partis PLR, PDC, PS Verts et Verts libéraux sera delegitimé dans l’opinion, il y aura un malaise, de l’abstention et des résultats électoraux erratiques, imprévisibles, qui mettront de plus en plus mal à l’aise l’establishment. Par exemple il pourrait y avoir une demande de rétablir la peine de mort, des choses de ce genre, qui auront un succès étonnant..

    On nous dit que l’UDC n’a pas réellement voulu l’adoption de cet article, elle aurait juste voulu un fort résultat pour lancer un signal. C’est possible. Dans ce cas l’UDC se tassera un peu, électoralement. Ce sera sa sanction pour n’avoir pas été tout à fait sincère. Mais le peuple a voulu ce texte. Contre la classe politique unanime. Si cet article n’est pas appliqué il y aura donc l’apparition d’autres mouvements populaires, y compris de gauche ou d’extrême gauche, mais aussi d’extrême droite, qui exigeront la préférence nationale à l’embauche.

    Il faudra choisir: soit abandonner la libre circulation des personnes, et avoir une nouvelle stabilité politique. Soit s’arquebouter à ce principe aberrant, et le populisme reviendra, peut-être sous une autre forme, de plus en plus fort.

    Comme en Suisse on se paye le luxe d’une C.e.s.l.a Amarelle, et de sa théorie sur la non application des décisions populaires ( mais cette sensibilité n’existe qu’en Suisse romande) on va avoir des réactions populistes brutales. Dans toute l’Europe c’est pareil et ça va augmenter. Sans ALCP, pas de Beppe Grillo.

    Pour paraphraser Gambetta, cher Monsieur Meuwly, il faudrait dire: ” L’ALCP voila l’ennemi! ” L’ennemi de la stabilité gouvernementale.

    1. Bonjour,
      Je vous trouve un peu dur avec cet accord qui n’a pas que du mauvais. Le compromis relatif à l’article que vous évoquez ne me semble pas inintéressant. Mais vous avez raison: s’il n’y a pas d’effets visibles, la mauvaise humeur risque d’empirer.

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