Corruption et transparence

Je suis tombé ce matin sur la fameuse «viral vid» de Bill Gates lancée depuis le Jimmy Faloon show à propos de son nouveau site « gatesletters ». J’y suis allé, et je suis tombé sur un document écrit en français parfait, signé Bill et Melinda Gates, concernant les fausses idées sur le développement, la pauvreté et l’aide humanitaire http://annualletter.gatesfoundation.org/fr. Il s’agit en fait de la lettre annuelle de la Gates Foundation 2014.

Ce qu’il y dit à propose de la corruption, en l’état concentré sur la corruption dans l’aide humanitaire, a fait résonner en moi un échos de réflexions posées il y a plusieurs mois concernant la relation complexe entre la corruption et la transparence.

Confronté constamment dans mon travail à l’Indice International de la Corruption édité et publié chaque année par l’ONG Transparency International, j’ai participé à de nombreux débats sur la qualité et l’utilité de cette intiative. Qui aujourd’hui ne connaît pas le TI Corruption Index? Il est utilisé partout, par les gouvernements, par les entreprises privées, par les banques, par les assurances, etc. Il est la bible. Pourquoi?

Qui s’intéresse à sa constitution? Bien peu de monde en vérité. C’est sans aucun doute parce l’initiative, pour imparfaite et parfois biaisée qu’elle puisse être, donne une des première et des seules informations «valide» portant sur un sujet particulier à l’échelle de la planète. Et ceci depuis plus de 10 ans. Il est clair, cela est bien pratique.

Malheureusement, personne ne songe à contrebalancer cet index avec un autre index, annuel lui aussi, élaboré et publié également par Transparency International qui est l’indice des pays et industries corruptrices (Bribe Payers Index (BPI) – http://bpi.transparency.org/bpi2011/). Comme on pourra le voir, cet index la s’arrête en 2011.

Gates quand à lui, indique que les montants à payer pour des justifications inexistantes ou indues dans l’aide humanitaire sont à considérer comme une forme de taxe. Et cette taxe ne doit en aucun cas prétériter la légitimité de l’aide en soit puisque les effets sont là et que cette taxe serait un mal nécessaire vouée à disparaître une fois un niveau de développement suffisant atteint.

La même réflexion était venue il y a plus de 10 ans, au plus fort des affaires de corruption touchant de plein fouet les grands patrons de l’industrie américaine: les ENRON, les WorldCom, etc. Le juge Spitzer, avant qu’il ne se soit fait prendre dans des affaires de mœurs, avait une politique claire: punir les coupables certes, mais sans détruire les moyens de production. En clair, ne pas punir la société toute entière pour des faites de quelque uns ou en gros, ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain comme on dirait chez nous.

Au fil de ces réflexions, il m’est revenu en mémoire les cris d’orfraie que poussaient les ONG et les gouvernements européens, français en tête, toute morale dehors, et claquant au vent, divulguant au monde que les entreprises suisses actives à l’étranger pouvaient déduire de leurs revenus les «paiements de facilitation» versés à l’étranger, que ce soit pour acquérir des contrats ou encore pour en assurer le bon fonctionnement local. Le Suisse s’était trouvé même très mal à l’aise devant ce qui apparaissait comme une véritable ineptie qui, à cause de la volatilité des références morales internationales, se trouvait cette fois fort déplacée.

En y réfléchissant et en mettant ces éléments bout à bout dans une optique de la lutte contre la corruption, l’idée qu’une ONG appelée Transparency International puisse ainsi stigmatiser la «corruption» de pays entiers dans un effort certes louable semble ne couvrir qu’une infime partie des possibilités.

Certes, la corruption est devenue plus cachée puisque non seulement elle est moralement, mais également judiciairement réprouvée. L’OCDE a également émis une série de lignes de conduite pour ses Etats membres afin de lutter contre la corruption d’agents publics étrangers.

Ces efforts sont certes intéressants mais amènent à des aberrations: le parlement roumain ôtant à ses députés, ministres, avocats ou maire la notion «d’agent public», se soustrayant du même coup à l’applicabilité du droit européen…la Bulgarie traînant les pieds dans l’application de certaines directives de l’OCDE et de l’Union Européenne. Mais ce ne sont pas seulement ces Etats d’Europe de l’Est qui proposent des faux bonds aux recommandations: les Etats de l’Europe de l’Ouest, le Canada ou les Etats Unis eux mêmes se gardent bien d’adopter des réglementations qui seraient fort nocives à leur compétitivité et à la suprématie technique dans tel ou tel secteur de leurs industries exportatrices. Moral d’accord, mais con pas question.

Du coup, il me semblait peut être intéressant, dans un soucis de transparence, de faire en sorte que tous les Etats puissent adopter comme principe fiscal la déductibilité des paiements de facilitations dans les pays dans lesquels elles investissent. On aurait au moins une idée de ce qu’il se passe. On pourrait alors, puisque l’avantage économique est parfois bien clair et bien compris pour l’entreprise remplissant sa fiche d’impôt, de savoir où, combien et pourquoi des sommes importantes sont mises à l’abri des bénéfices. Cela permettrais également de donner un petit vent de fraîcheur dans une finance parallèle florissante à cause de ces ensembles d’interdictions inapplicables finalement, soit par moyens, soit par volonté.

Mais comme le mentionne les Gates, cela pourrait également permettre aux investisseurs étrangers de quantifier cette taxe, de prévoir leurs risques financiers et de faire également jouer la concurrence économique sur ce plan là.

Une déclaration en bonne due et forme donne des chiffres intéressants. Elle met également les différents pays sur un pied d’égalité, ce qui n’est pas forcément le cas avec le TI Corruption index. Tant les pays originaires que destinataires pourraient avoir des moyens de se comparer et de se confronter à ces données là.

Je suis de l’avis que dans la lutte contre la corruption, la transparence est la meilleure arme. Et la morale est dans ce cadre bien mal placée puisqu’elle se mue rapidement en juge d’individus qui vivent des histoires et des cultures très différentes.

Le monde et les sociétés humaines dans lesquelles nous vivons ne sont pas «terminées». Seules les démocraties et les états de droit fantasmés s’érigent en références morales à l’aune desquelles les gouvernements, entreprises et individus sont jugés sans pitié. Une telle attitude ne convient pas à la réalité. Notre monde n’est pas parfait. Il évolue. Il est perfectible en tout point. Il se doit d’être adaptable et de faire une place à chacun afin que chacun puisse y trouver sa place. En cela, ouvrir le débat sur la transparence dans les paiements que les entreprises d’ici ou de là bas paient ici ou là bas serait une bonne chose, tant individuellement qu’économique et politiquement, permettant de sortir le débat d’une moralité figée.

 

Nicolas Giannakopoulos

Nicolas Giannakopoulos est un des spécialistes reconnu internationalement dans le domaine des organisations et autres structures criminelles. Au travers des recherches qu’il mène depuis 1991, il a apporté le soin de concilier recherche et pratique, développant ainsi des compétences scientifiques dont l’utilité pratique est quasi immédiate.