Travaux de bachelor millésime 2020

Ce semestre de printemps 2020 fut spécial pour l’enseignement universitaire.

En effet, dès le 16 mars, les cours sont passés complètement en ligne, avec la difficulté que cela peut représenter pour les enseignants, mais également pour les étudiants.

Il a fallu très rapidement s’adapter à une autre manière d’enseigner et d’apprendre.

Pour ma part, je préfère enseigner en présentiel et discuter avec mes étudiants face-à-face. Mais cela n’a plus été possible.

J’avais donc de grandes inquiétudes pour le suivi des étudiants, notamment concernant les travaux de bachelor.

Dans notre Faculté, les travaux de bachelor sont effectués lors de la 3ème année d’étude et doivent être rendus avant la fin du semestre de printemps, soit début juin. Le travail s’étend donc sur une durée de 6 à 9 mois.

Il s’agit d’un travail personnel de l’étudiant qui montre ainsi sa capacité à mobiliser ses connaissances sur un sujet particulier, le plus souvent un sujet qu’il a lui-même choisi.

Il est donc important que l’étudiant puisse être encadré dans sa démarche, mais également qu’il puisse avoir accès à l’objet de son étude (terrain ou laboratoire) et aux ressources (littérature, rapports, personnes à interroger, etc).

Or entre mars et mai, cela fût très compliqué. Les laboratoires et les bibliothèques étaient fermés, le terrain interdit, et les personnes à interviewer souvent difficiles à joindre.

En résumé, les conditions n’étaient pas idéales pour effectuer un bon travail de bachelor.

Mes craintes ont rapidement été écartées en lisant les rapports des étudiants que j’ai suivi, tous de très bonne qualité. J’ai moi-même appris des choses intéressantes.

Deux étudiants se sont penchés sur la qualité de l’eau en macropolluants, soit phosphore et azote. Ces deux composés sont utilisés dans les engrais appliqués sur les champs et peuvent finir dans les eaux souterraines et dans les eaux de surface. On les trouve également dans les eaux usées. Régulièrement, l’azote, notamment sous forme ammoniacale, provoque des mortalité piscicoles. Ce fût le cas dans la Sonnaz (FR) en 2019. Cette rivière a reçu des résidus de méthanisation d’une usine de biogaz entrainant la mort de plus de 500 poissons. Le phosphore est lui responsable de l’eutrophisation des milieux aquatiques.

Ces deux composés sont donc importants à suivre dans les cours d’eau.

Christophe Reis s’est intéressé à la Baie de Clarens dont le bassin versant est mixte: il contient une zone forestière, une zone agricole et une zone urbaine. Christophe a trouvé que la qualité de l’eau se péjorait d’amont en aval, mais que les concentrations de phosphore et d’azote restaient bien en dessous des critères de qualité. La qualité de l’eau de la rivière, pour ces deux composés, était bonne à très bonne.

Christophe a également testé deux méthodes de mesure pour les analyses. Une méthode très simple, avec des bandelettes qui changent de couleur en fonction de la concentration, et une méthode plus sophistiquée, effectuée au laboratoire.

Malheureusement il s’est avéré que la méthode simple, que nous utilisons volontiers pour les visites grand public, ne donnait pas de résultats fiables.

Même constatation faite par Johan Guignet qui s’est intéressé à la Basse Venoge. Les bandelettes ne permettaient pas une interprétation scientifique précise.

Concernant cette rivière-là, Johan a constaté de nombreux déchets en aval de la station d’épuration de Bussigny. En temps pluie, des rejets d’eaux usées mélangées à des eaux de ruissellement peuvent se produire, entraînant une pollution du milieu naturel par des résidus divers et variés.

Un occasion de rappeler qu’aucun déchet solide (lingettes, masques, gants) ne doit finir dans les toilettes, ni sur la chaussée.

Raphaël Müller s’est quant-à lui intéressé à la pollution du Rhin. Bâle est une ville connue pour son industrie chimique et pharmaceutique et la question se posait de l’influence de cette production sur la qualité de l’eau du Rhin.

Beaucoup d’entre nous avons encore en mémoire les images de l’incendie de Schweizerhalle en novembre 1986. Des pesticides, entrainés par les eaux d’extinction, ont fini leur course dans le Rhin et ont tué toute la vie sur des centaines de kilomètres.

Dans son travail, basé sur des données collectées auprès du service de l’environnement du canton de Bâle, Raphaël a montré que la majorité des substances cherchées et détectées sont rejetées dans le Rhin par la station d’épuration de Bâle. Elles sont donc émises par nos activités quotidiennes, par exemple notre consommation de médicaments.

Pour quelques substances cependant, la source industrielle est prépondérante, ce qui rappelle l’importance de mettre en place un traitement des eaux industrielles résiduelles. Ce qui est encore trop rarement fait.

Dans un autre domaine, Justine Chaubert et Mathilde Ley se sont penchées sur l’histoire du Valais…et de ses pollutions.

Ce sont des travaux essentiellement bibliographiques, c’est-à-dire qu’elles ont compilé des rapports ou de la littérature existants.

Justine Chaubert s’est intéressée au mercure. Dès 1909, l’entreprise Lonza s’installe à Viège dans le but de produire des substances chimiques. Durant 40 ans, entre 1930 et 1970, Lonza va déverser des tonnes de ce métal dans le “Grossgrundkanal”, polluant le Rhône, sa nappe et même le Léman.

Si les concentrations dans le Léman ont diminué suite à l’arrêt du rejet de ce métal, des concentrations très importantes ont été détectées dans les sols en Haut-Valais. Les coûts liés à l’assainissement des surfaces ont été estimé en 2017 à 51 millions de francs.

Mais une autre pollution, également liée à l’entreprise Lonza, a récemment défrayé la chronique. Mathilde Ley s’est ainsi penchée sur le cas de la benzidine, une substance cancérigène utilisée dans la synthèse de colorants. Cette substance est issue de la décharge de Gamsenried.

Cette décharge, située sur la commune de Brig-Glis, a été utilisée par Lonza de 1918 à 1978. Les déchets de l’usine étaient ainsi rejetés par une conduite directement dans la décharge. Parallèlement, 1.5 millions de m3 de chaux ont été déversés, pour stabiliser le tout. Le pH se situe donc actuellement entre 10 et 12; le milieu est fortement basique. A titre de comparaison, de pH d’une eau de surface est autour de 7.5.

Dès 2019, des concentrations élevées de benzidine sont mesurées dans la décharge et aux abords de celle-ci. Ceci est apparemment dû à une remontée de la nappe dans la décharge qui était auparavant confinée. Pour empêcher des inondations, l’eau de la décharge est pompée et rejetée dans le Rhône, diluant la benzidine dans le milieu naturel.

En février de cette année, on apprenait que les rejets d’eau pollués avec de la benzidine devrait être évités à l’avenir…affaire à suivre.

L’avant-dernier travail porte sur la pollution des eaux par les microplastiques. C’est également un travail bibliographique, appuyé par des interviews.

Vidhi Kamar conclut que peu d’études existent sur les microplastiques dans les eaux douces, comme les lacs et rivières suisses. Notamment parce que les approches pour effectuer les analyses ne sont pas encore bien établies. Et quasi aucune étude n’existe sur les risques des microplastiques sur le vivant.

Les dernières études en date montrent que les résidus de pneus seraient des sources non négligeables de pollution des eaux par les microplastiques…affaire à suivre également.

Le dernier travail, écrit par Marianne Violot, porte sur l’influence des lobby sur le monde agricole. Travail très compliqué à mener, considérant le manque de transparence sur le lobbying en Suisse.

Sur la base d’interviews, Marianne s’est également intéressée aux avantages, mais également aux problèmes liés à l’agriculture biologique. Elle a trouvé que même l’agriculture biologique peut être influencée par des lobbies.

J’ai retranscris ci-dessus ce que j’ai retenu de ces travaux. Mes propos n’engagent pas leurs auteurs.

Rapports de fin de cycle, les travaux de bachelor sont souvent assez fouillés. Et très régulièrement j’apprends des choses intéressantes grâce à eux. Parfois même cela me donne des idées de recherche pour le futur.

Malgré la période compliquée que nous avons traversée, les  étudiants ont su se montrer consciencieux, inventifs et flexibles.

Bravo à ce millésime 2020!

 

Références:

Chaubert J. 2020. La pollution du Rhône par le mercure. Bachelor. Université de Lausanne.

Guignet J. La qualité chimique de l’eau de la Basse Venoge. Bachelor. Université de Lausanne.

Kamdar V. 2020. Evaluation des connaissances de la pollution plastique dans le Léman. Bachelor. Université de Lausanne.

Ley M. 2020. La benzidine et le Haut-Valais. Bachelor. Université de Lausanne.

Müller R. L’influence de Bâle en tant que ville industrielle chimique et pharmaceutique sur la pollution du Rhin. Bachelor. Université de Lausanne.

Reis C. 2020. L’impact de l’urbanisation sur un cours d’eau. Bachelor. Université de Lausanne.

Violot M. 2020. Transition en agriculture biologique: un monde agricole contraint par les lobbies agroalimentaires. Bachelor. Université de Lausanne.

 

 

 

 

Nathalie Chèvre

Nathalie Chèvre est maître d'enseignement et de recherche à l'Université de Lausanne. Ecotoxicologue, elle travaille depuis plus de 15 ans sur le risque que présentent les substances chimiques (pesticides, médicaments,...) pour l'environnement.

12 réponses à “Travaux de bachelor millésime 2020

  1. On écrit “ce semestre fut…” et non pas “fût”.
    Encore des universitaires qui ne se relisent pas…

    1. Merci pour la correction.
      Il semble que le monde universitaire ait bien des défauts en ce moment. Ou simplement formé d’hommes et de femmes qui font de leur mieux avec leurs défauts.

      1. “La suppression de l’accent circonflexe sur le i et le u, dont l’invention est très récente dans l’histoire de notre langue, ne va guère perturber notre littérature. Et que dire des traits d’union concernant certains mots sans grande logique mais auxquelles il ne faudrait surtout pas toucher (le pluriel de « contre-jour » s’écrit « contre-jours » mais on dit « des abat-jour » et non « des abat-jours », cherchez pas c’est comme ça !). Une pure coquetterie que certains voudraient voir perdurer car c’est comme ça qu’on leur a enseigné. Ils en ont bavé avec la cime, l’abîme, les rimes, la dîme, le rhume, la bûche, la ruche, les gratte-ciel, les plates-formes et les monte-charges. Ils se sont cassés la tête, se sont laissé convaincre sans jamais s’être laissés aller, il n’y a donc aucune raison pour que leur progéniture n’en bave pas non plus !

        L’accent circonflexe sert aussi à discriminer certains mots : sur/sûr, mur/mûr, jeune/jeûne,… et dans la conjugaison du subjonctif imparfait (le subjonctif « j’espérais qu’il fût moins con » n’a pas le même sens que le passé simple « j’espérais qu’il fut moins con »), mais ça, n’en déplaise à ceux qui nous bassinent avec leurs exemples (« je me ferais bien un petit jeune », ou encore « je suis sur ta sœur elle va bien ») la réforme n’y touche pas. Vous pourrez donc continuer à écrire des phrases en français incorrect tout en conservant l’accent circonflexe qui vous est si cher !”

        Extrait du “Blog de Mecadyn, Le chapeau de la cime est tombé dans l’abîme”, 7 février 2016 (http://mecadyn.over-blog.com/2016/02/le-chapeau-de-la-cime-est-tombe-dans-l-abime.html).

    2. Une remarque sur la forme pourquoi pas mais ce qui nous intéresse le plus c’est le fond et là apparemment vous n’avez pas d’avis, c’est dommage. Je trouve les sujets de ces candidats pertinents et intéressants. J’ai toujours été convaincu qu’un enseignant pouvait apprendre de ses élèves, j’en ai fait moi-même l’expérience. Merci à Nathalie pour cet article.

  2. Bravo à cette science de l’Eco-toxicologie qui permet de objectiver ces atteintes à notre environnement et liées à nos diverses activités agronomiques, industrielles, économiques, mais aussi privées.
    Je reste surpris de l’état d’esprit régnant ou ayant régné dans certaines entreprises qui se sont accordé le droit de déverser leurs résidus, selon ce vieux principe du tout à l’égout datant du moyen âge, et polluant ainsi l’environnement et à l’insu de tous.
    Et pourtant ces entreprises semblent bien équipées en chimistes et autres scientifiques ou juristes, conscients des dégâts et des risques potentiels.
    Les articles parus dans la presse montre que les responsabilités sont difficiles à établir, car très diluées, et que personne, hormis éventuellement l’entreprise, ne sera jugée. Au final, le prix de la décontamination de cette pollution sera, au mieux, bien évidemment mutualisée. La législation va devoir s’adapter et les élus, se former ou s’informer davantage.
    Merci à vous et à vos étudiants pour vos contributions.

  3. A M. DELAPLANETE

    Bonjour,
    Il y a “chimiste” et “chimiste” et la Suisse a présenté ce qu’il y a de mieux et ce qu’il y a de pire.
    Certaines entreprises ont une déontologie marquée, d’autres sont sans scrupules et recherchent uniquement le profit. Ingénieur chimiste français j’ai toujours eu pour modèle une très grosse entreprise chimique suisse qui a été une des premières au monde à appliquer le “Responsible Care” (Engagement de Progrès pour un Développement Durable) dès la fin des années 80. Cette firme en 1980 avait fixé un “Horizon 2000” et avait clairement annoncé à ses clients que si elle ne pouvait pas réduire ou supprimer la pollution liée à certaines synthèses, elle retirerait ces produits de son catalogue et elle l’a fait. Elle est même allé bien plus loin (je précise que je n’ai jamais touché un centime suisse, ni une tablette de chocolat venant de cette industrie). D’autres à côté, on commis de véritables crimes contre la nature. On pourrait en refaire l’historique. Père de famille, quand je partais travailler au labo ou à l’usine, ce n’était pas pour trucider ma famille et le reste de l’humanité. J’ai travaillé toute ma vie à développer des procédés peu coûteux en énergie, n’utilisant pas de produits très toxique et ne générant pas de déchets (“le meilleur déchet est celui qu’on ne produit pas” disait J.P. GUETTE mon professeur de chimie. C’est très possible. Petit à petit on peut imiter la nature en réalisant des synthèses très complexes dans l’eau avec des catalyseurs “naturels” (je ne connais pas de produits surnaturels) tels que des enzymes, bactéries, levures (j’ai beaucoup travaillé par exemple avec le levure de boulanger “baker yeast” et maintenant beaucoup de mes jeunes confrères se sont lancés avec succès dans la “chimie verte”.
    Je suis très admiratif des études réalisées par ces jeunes chercheurs dans des conditions très difficiles. cela montre qu’il y a encore beaucoup à faire. Mais je peux vous garantir sur mon honneur de chimiste que ces 50 dernières années, la pollution chimique sous toutes ses formes a été considérablement réduites (les rejets en oxyde d’azote et de soufre ont été divisés par 100 ou par 1000). Les déchets chimiques à hauts risques ne sont plus déversés dans la nature comme cela se réalisait dans la première moitié du XXème siècle. On a localisé en France et en Suisse plus de 1000 sites qui ont servi de dépotoirs chimiques. Certains n’ont pas encore été décontaminés. Il sera difficile d’éliminer complètement le mercure du Léman. Pour l’instant il est impératif de ne pas remuer la vase. Il y a encore une formidable aventure à vivre pour les jeunes chimistes et de formidables défis à relever notamment la synthèse douce de molécules hydrocarbonées (pétrole vert) à partir du CO2 atmosphérique (Fischer Tropsch synthesis). On peut donc continuer à améliorer le confort et l’espérance de vie humaine sans saloper la planète et nuire à autrui. Je regrette de ne pas avoir une deuxième vie pour m’y consacrer ! Mais place aux jeunes. La relève s’annonce bien si l’on en juge par ces travaux. Bravo aussi à la détermination et à l’enthousiasme de madame la Professeur (comment dit-on en Suisse ? – en France je suis largué…) qui encourage ces vocations

    1. Bonjour, merci pour votre mail et le partage de votre expérience. Je suis tout-à-fait d’accord avec vous qu’il existe “chimiste” et “chimiste”. J’ai rencontré les deux catégories. Avec de très bonnes collaborations pour ceux qui ont une fibre environnementale.

    2. Me voilà plutôt bien rassuré. Pour le bien être de notre environnement, je vous souhaiterai très volontiers une deuxième vie de chimiste.

      1. Merci beaucoup, on peut rêver…Pratiquement je m’intéresse encore de très près aux règlementations du transport de marchandises dangereuses et je prodigue quelques conseils à de jeunes chimistes qui tentent de démarrer une activité. Je suis convaincu que la Chimie peut apporter beaucoup à la qualité de notre environnement présent et à venir.

  4. Proposer ce genre de travail de recherche aux étudiants est un excellent moyen d’apprendre. Merci. Bravo.

    Est-ce que les bandelettes mesurent le pH? Est-ce que la différence entre le labo et le terrain ne reflète pas un problème méthodologique?
    Est-ce que ces travaux sont accessibles? J’aimerais bien lire celui de Mme Violot.

    A Genève, l’état sanitaire de la rivière l’Aire est un désastre, donc si l’opportunité se présente, je veux bien guider un étudiant mais pas pour lister les problèmes, mais pour étudier des solutions.

    1. Bonjour, les bandelettes que les étudiants ont utilisées mesurent les phosphates, nitrates et nitrites. Les classes qui sont définies par les couleurs sont larges et ne correspondent donc pas aux concentrations que l’on peut trouver dans les rivières suisses. Je pense que cela marcherait mieux avec le pH.
      Je garde l’idée pour la rivière Aïre. Les projets sont présentés aux étudiants à l’automne.

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