La recherche…en virtuel

La semaine passée j’étais en conférence à Dublin.

Je vous rassure…virtuellement.

Car tout se fait virtuellement en ce moment, même les travaux pratiques que nous donnons aux étudiants…ce qui est assez étrange quand on sait que pour la pratique il faut toucher, manipuler, etc.

Mais revenons à cette conférence. Il s’agissait de la réunion annuelle de la branche européenne de la SETAC (Society of Environmental Toxicology and Chemistry).

Il y a environ 1500 participants, 8 sessions parallèles de présentations orales et plus de 1000 posters.

Je m’y rends tous les 4 ans, ce qui correspond à peu près à la durée d’un doctorat…c’est-à-dire à la régénération des idées de recherche. En effet, si on s’y rend tous les ans, on ne voit pas beaucoup de nouvelles idées apparaître.

La science est un long fleuve tranquille avec des “mainstreams”, courants majeurs, qui ne varient que très lentement.

Ainsi il y a quelques années, la mode était aux effets des mélanges de substances chimiques. Maintenant ces sont les méthodes OMICS qui ont la cote. Elles regroupent des analyses de nouvelle génération telles que protéomique (étude de l’ensemble des protéines d’un organisme) ou encore génomique.

Par contre, toujours peu de recherche sur les amphibiens ou les reptiles, dont beaucoup d’espèces sont sur liste rouge. Et qui mériteraient d’être plus étudiés.

Je consacrerai un jour un post aux phénomènes de mode dans la recherche, modes qui ne sont pas toujours en lien avec les sujets qui devraient être traités en priorité.

Donc pour la première fois, cette conférence était virtuelle.

Les organisateurs ont fait un travail considérable en mettant tout en ligne, et une certaine interactivité a été recrée par des sessions en lignes de 45 minutes.

Dans l’une d’elle nous étions 122. Difficile pour les modérateurs de gérer la session: certaines personnes parlent sans y être invitées, ou un dialogue se crée dans le “chat” en parallèle.

Mais globalement, ça n’a pas trop mal fonctionné. Et j’ai quand même réussi à me mettre à jour sur certaines méthodes ou à voir certaines études intéressantes.

J’en ai sélectionné trois que je voulais vous présenter.

La première étude a été réalisée au Canada. Samantha Athey s’est intéressée aux fibres issues de nos jeans et qui sont rejetées dans les eaux.

En effet, la plupart d’entre nous portons ou avons porté des jeans. Il s’en vend 450 millions de paires aux USA chaque année. Baggy, cigarette, slim, le jeans fait partie de la garde-robe de chacun.

Or les jeans perdent des fibres lors des lavages. Celles-ci peuvent être synthétiques ou naturelles, mais surtout sont chargées de beaucoup de produits chimiques comme des colorants (indigo) ou des retardateurs de flamme (et bien oui, il ne faudrait pas que les jeans prennent feu).

Samantha est allée chercher ces fibres dans des eaux usées de stations d’épurations, dans des sédiments et dans des estomacs de poissons, ceci proche de Toronto mais aussi dans l’Océan Arctique.

Et elle a trouvé des fibres de denim partout. Ils représentent 40% des fibres retrouvées dans les poissons et près de 40% de celles trouvées dans les sédiments.

Elle conclut en disant que chaque canadien (et certainement chaque Suisse) rejette 12.5 millions de fibres indigo dans les eaux chaque année. Ce qui est une source de pollution non négligeable, même si on ne connaît pas encore les effets de ces fibres et des substances qu’elles contiennent sur l’environnement.

Nul doute qu’après avoir lu ce poster, on regarde ses jeans différemment.

Une autre étude m’a paru également très intéressante et surtout innovante. Katherine Pedersen s’est penchée sur les effets conjoints de substances chimiques et d’organismes pathogènes chez les insectes.

Pourquoi c’est innovant?

Parce que les chercheurs restent souvent cantonnés à leur domaine. On va regarder les effets des substances chimiques ensemble ou des pathogènes ensemble. Mais rarement on croise les stresseurs.

L’hypothèse est que l’un des stresseurs (les substances chimiques ) va rendre l’organisme plus sensible à l’autre stresseur (les pathogènes).

Katherine a ré-analysé 70 publications sur les insectes avec des modèles de mélanges, et elle a montré que dans la plupart des cas, les deux stresseurs agissent de manière synergiques. C’est à dire que l’exposition à l’un amplifie bien l’effet de l’autre.

Cette étude vient donc renforcer l’idée que ce sont bien les stresseurs multiples qui posent problème, par exemple dans la disparition des abeilles, ou plus généralement dans la baisse de la biodiversité mondiale.

Par stresseurs multiples on entend les substances chimiques, mais également les changements de température ou les stress hydriques liés aux changements climatiques, les pathogènes, etc… Stresseurs qui devraient être considérés conjointement.

Enfin la dernière étude dont je voulais vous parler porte un nom évocateur “Silent Amazon”.

Andreu Rico a recherché 40 substances chimiques le long du fleuve Amazone au Brésil.

Et déjà là, je lui tire mon chapeau.

En effet, bien au chaud dans nos laboratoires en Suisse, nous oublions parfois que la recherche dans certaines régions du monde peut être difficile, en raison des conditions locales de terrains, mais aussi en raison des conditions géo-politiques.

Il est donc rare de voir une étude aussi poussée sur ce fleuve.

Sur les 40 substances recherchées, Andreu a trouvé beaucoup de substances psychotropes (licites et illicites) et de médicaments. Et il y a certainement bien d’autres molécules dans l’Amazone car il n’en a cherché que 40.

Par modélisation, il a montré que les substances détectées présentaient un risque pour 60 à 70% des espèces, ceci surtout en aval des villes. Doù le titre choisi.

Sa prochaine étape est de faire le lien avec la biodiversité dans le fleuve.

 

En résumé, cette conférence à Dublin, bien que virtuelle, a été intéressante.

Mais il manquait les “vraie” interactions, les cafés/thés/bières partagés, qui sont souvent la source de nos idées dans la recherche.

 

Références:

Athey, S.N. et al. 2020. The global environmental footprint of indigo denim microfibers. Poster. SETAC Europe 30th. Dublin. 3-7 May 2020.

Pedersen, K.E. et al. 2020. Quantifying synergistic interactions between pathogens and
chemicals on mortality in invertebrates? Poster. SETAC Europe 30th. Dublin. 3-7 May 2020.

Rico, A. et al. 2020. Silent Amazon. Presence and risks of anthropogenic contaminants in the Amazon River. Poster. SETAC Europe 30th. Dublin. 3-7 May 2020.

 

 

Nathalie Chèvre

Nathalie Chèvre est maître d'enseignement et de recherche à l'Université de Lausanne. Ecotoxicologue, elle travaille depuis plus de 15 ans sur le risque que présentent les substances chimiques (pesticides, médicaments,...) pour l'environnement.

3 réponses à “La recherche…en virtuel

  1. Si vous avez des connections, chère Nathalie, je cherche des collaborations et bien sûr investisseurs, pour réaliser un laboratoire à venin (élevage et prélèvements, sur scorpions, araignées, poissons et bla) dans ma petite ferme en Uruguay.

    Le climat va devenir tropical et le registre me parait actuel (qui sait, jusqu’aux COVIDxxxx1250?
    Le but n’étant pas de faire de l’argent, mais d’être utile 🙂

    Bien à vous et bravo

  2. Bonjour,

    Merci pour la qualité de vos articles et pour le partage d’informations auxquelles la majorité d’entre nous n’a pas accès.

    Je vais laver mes jeans moins souvent 🙂

    A très bientôt pour le prochain article.

    1. Merci!
      Je dois avouer que moi aussi, je commence à avoir mauvaise conscience en lavant les vêtements de ma famille. Le problème de travailler dans le domaine de l’environnement…

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