En Suisse, Facebook bénéficie du privilège des médias, mais «liker» reste punissable

Partager un contenu attentatoire à l’honneur émanant d’un tiers est condamnable

On le sait avec certitude depuis l’arrêt du Tribunal fédéral du 29 janvier 2020 (TF 6B_1114/2018 publié aux ATF 146 IV 23) : partager un contenu diffamatoire ou calomnieux, par exemple un faisant usage de la fonction « like » de Facebook, est condamnable même si le contenu attentatoire à l’honneur émane d’un tiers (voir à ce propos aussi mon billet de blog du 30 mai 2017). Le Tribunal fédéral confirme cette jurisprudence, et la précise aujourd’hui dans un nouvel arrêt de principe (TF 6B_440/2019 du 18 novembre 2020) publié le 15 décembre 2020.

Dans cet arrêt du 18 novembre 2020 (TF 6B_440/2019), les juges de Mon Repos reconnaissent à Facebook le statut de média privilégié au sens de l’article 28 du code pénal (CP). Selon ce statut, lorsqu’une infraction a été commise et consommée sous forme de publication par un média, l’auteur est seul punissable.

Le Tribunal fédéral précise toutefois que le privilège des médias (art. 28 CP) ne s’applique qu’aux personnes qui sont nécessairement actives dans la chaîne de production et de distribution typique du média. En d’autres termes, toute personne qui partage un post publié sur Facebook ne peut pas revendiquer le privilège des médias aux termes duquel l’auteur est seul punissable.

Privilège des médias

Selon l’art. 28 du code pénal (CP), lorsqu’une infraction a été commise et consommée sous forme de publication par un média, l’auteur est en principe seul punissable (sauf exceptions prévues par la loi).

On parle de «privilège» accordé aux médias, car sans cette disposition légale spécifique, et si l’on suivait les règles usuelles du droit pénal, la personne responsable de la publication (journal) contenant un  article attentatoire à l’honneur serait l’auteur de l’infraction de diffamation, alors que la personne ayant rédigé l’article n’en serait que la complice.

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 18 novembre 2020 rendu public le 15 décembre 2020, l’utilisateur de Facebook incriminé avait partagé un contenu émanant d’un tiers, dans lequel un protecteur des animaux était décrit comme un «antisémite maintes fois condamné» et l’association dont il assumait la présidence comme une «organisation antisémite » et comme une « association de protection des animaux néonazie». L’utilisateur de Facebook avait rédigé un commentaire intégrant un lien vers le contenu visé. Le texte partagé et le commentaire avaient été lus par quelques 2500 «amis» de l’intéressé.

Le Tribunal cantonal bernois a condamné l’utilisateur de Facebook à une peine pécuniaire avec sursis pour diffamation. L’intéressé a recouru au Tribunal fédéral contre cette condamnation, argumentant notamment qu’il devait être mis au bénéfice du régime de responsabilité privilégié propre au droit pénal des médias.

Facebook est un média privilégié, mais le recourant ne bénéficie pas de ce privilège

Le Tribunal fédéral a admis que le privilège des médias consacré à l’art. 28 CP se fonde sur une conception large de la notion de média. Ainsi, pour les juges de Mon Repos, Facebook doit bien être qualifié de média.

Toutefois, notre Haute Cour précise que le régime de responsabilité privilégié ne concerne que les personnes qui interviennent au sein de la chaîne de production et de diffusion typique du média concerné. Cette question doit être examinée dans chaque cas particulier.

En l’espèce, le Tribunal fédéral a retenu que la contribution de l’intéressé ne s’insérait plus dans la chaîne de production et de diffusion du contenu partagé. L’article incriminé avait été publié par son auteur au travers d’un «post» et celui-ci n’en avait plus la maîtrise. En le partageant ultérieurement, le recourant avait mis en lien un article déjà publié. L’application du régime de responsabilité privilégié du droit pénal des médias n’entrait donc pas en ligne de compte.

Recours admis sur un autre point

Le Tribunal fédéral a par contre admis les arguments du recourant au sujet de sa condamnation pour avoir propagé les propos selon lesquels le protecteur des animaux était un « antisémite maintes fois condamné ». Il a estimé que compte tenu des déclarations récentes du protecteur des animaux, il y avait lieu d’admettre que la preuve d’une attitude antisémite au moment des faits avait été rapportée. L’allégation faisant état de condamnations répétées était certes inexacte d’un point de vue factuel. Le protecteur des animaux avait toutefois lui-même prétendu dans un article de journal en 2014 qu’il avait été condamné à plusieurs reprises. Il était donc permis au recourant de propager les propos en question. La cause est en revanche renvoyée à la Cour cantonale en ce qui concerne les accusations portées à l’encontre de l’association. Il lui appartiendra de déterminer si, et le cas échéant, quels propos du protecteur des animaux sont imputables à l’association.

Mon opinion personnelle

Cet arrêt de principe est à saluer tant dans les principes posés que dans la solution appliquée au cas d’espèce. Les réseaux sociaux ne sont pas une zone de non-droit. Pourtant de nombreuses personnes semblent encore ignorer qu’elles peuvent engager leur responsabilité pénale en partageant du contenu illicite sur les réseaux sociaux ou ailleurs. Cela est valable en matière d’atteinte à l’honneur, mais également s’agissant d’infractions plus graves, comme par exemple la pornographie. Lorsque l’on sait les ravages que peuvent faire des telles publications, ce rappel est bienvenu.

Miriam Mazou

Miriam Mazou est avocate à Lausanne et fondatrice de l'Etude Mazou Avocats SA. Elle est membre de la Fédération Suisse des Avocats (FSA), de la Société suisse de droit pénal (SSDP), de l'Ordre des Avocats Vaudois (OAV) et a été membre du Conseil de l'Ordre des Avocats Vaudois. Avocate spécialiste FSA en droit pénal, elle est l'auteure de nombreuses publications et donne régulièrement des conférences dans ce domaine, plus particulièrement en matière de criminalité économique. Elle est également Chargée de cours à l’Université de Lausanne.

3 réponses à “En Suisse, Facebook bénéficie du privilège des médias, mais «liker» reste punissable

  1. Bravo, chère Consoeur, votre blog est toujours très informatif et ne revêt pas l’aspect ostentatoire , voire exhibitionniste dans la forme, des blogs d’une de nos très médiatisées consoeurs, qui vient de se faire suspendre pour 4 mois, pour récidives multiples de surfacturation. Vous, au moins, vous faites honneur à notre corporation.

  2. En ces temps où la responsabilité de chacun est engager même pour un lime, que pensez vous de faire un article sur la responsabilité de ceux qui nous gouverne et prennent des décisions qui peuvent mettre en réel danger la vie d’autrui? Comme par exemple celle d’ouvrier l’es café restaurant en temps de pandémie? Sujet fort intéressant et votre pertinence serait de bon augure sur ce cas.

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