Banana République

J'ai hésité à évoquer cette affaire qui, depuis quatorze mois, est en attente d'un jugement de la Cour de Justice de Genève, car elle concerne des proches. Ce qui a fait pencher la balance, ce sont les mises en garde d'avocats et d'un ancien Conseiller d'Etat genevois qui m'ont clairement recommandé de ne pas faire de vagues! "Nous sommes bien d'accord que telles lenteurs sont inadmissibles, m'ont-il dit en substance, mais si vous en faites état, vous allez indisposer des magistrats qui risquent bien de se venger en jugeant en défaveur des vos proches".

J'espère que ces bien-pensants ne parlent pas d'expérience, car je trouve aberrant de craindre qu'à Genève, un/e juge puisse vouloir se "venger" parce que son institution a été l'objet d'un constat critique. Après tout, de tels retards ne veulent pas dire les juges se tournent les pouces à longueur de journée, mais qu'ils sont surchargés et manquent de ressources.

 

En quelques mots, le cas dont il s'agit. Eté 201: M. et Mme B., locataires d'un 4 pièces depuis 25 ans, prennent leur retraite. Désireux d'acquérir leur appartement et de faire quelques transformations, ils contactent les propriétaires. Ces derniers, s'apprêtant à quitter définitivement la Suisse, on se met rapidement d'accord sur un prix, aux alentours de 6.000 francs le m2.

Les démarches prévues par la loi sont effectuées et, le 7 décembre 2011, le Département compétent accorde l'autorisation de vente. Le 26 janvier 2012, opposition de l'Asloca, qui considère intolérable qu'en période de pénurie, un logement puisse être retiré du parc locatif genevois. S'ensuit une procédure au Tribunal de 1ère instance et un jugement (pas très solide, il faut bien le dire) en faveur de l'Asloca.

M. et Mme B. et les vendeurs déposent un recours auprès de la Cour de Justice de Genève. Le 19 mars 2013, la procédure est terminée et la Cour garde la cause à juger. Depuis, silence radio. M. et Mme B. attendent un jugement, dans l'espoir de pouvoir enfin obtenir le droit d'acheter leur logement. Les vendeurs, établis depuis à l'étranger, espèrent également un dénouement favorable, étant en l'état contraints de louer (cher) leur logement.

Fin janvier 2014, les avocats concernés contactent la Cour de Justice pour demander si un jugement dans un avenir pas trop lointain est envisageable. Réponse: "un jugement sera rendu prochainement.". Quatre mois plus tard, toujours rien. Il est vrai que "prochainement", c'est "bientôt", que "bientôt", c'est "dans peu de temps" et que rien n'est plus relatif que le temps…

Selon un ancien bâtonnier de l'Ordre des Avocats à Genève. "14 mois, c'est effectivement bien long, mais pas inhabituel. On sait qu'à moins d'augmenter les effectifs, cela ne changera pas. Et comme à Genève, ce n'est pas une priorité politique, tout le monde s'en fiche…".

C'est que Genève est double champion suisse: de la confrontation entre milieux immobiliers et associations de protection des locataires et de l'engorgement des tribunaux. C'est que les excès et abus de certains promoteurs, dans les années 1970 et 1980 ont apporté de l'eau au moulin de l'Asloca qui, depuis, a pris la relève et pratique excès et abus opposés avec la même vigueur.

Naguère dynamique et constructive, l'Asloca genevoise semble être aujourd'hui plus prompte à défendre ses propres intérêts politiques que les intérêts des locataires – y compris ceux qui aimeraient bien devenir propriétaires… Elle est à l'image de cette partie doctrinaire de la gauche, qui se plait à hurler à la spéculation et fait recours contre de nombreux projets, tout en se plaignant du manque de logements disponibles à des prix abordables…Et le vocabulaire qu'elle emploie parfois n'est pas sans rappeler l'URSS des années 1950, genre "pour le syndicat des propriétaires, un locataire n'a d'autre droit que de se laisser tondre et de se taire". (sic)

Du côté promoteurs, ce n'est pas bien mieux, surtout dans les milieux proches du PLR, qui se distinguent en la matière. C'est que les "biens-logés", qui votent fréquemment à droite, n'aiment pas trop le mot "solidarité" et n'ont pas très envie de voir des immeubles d'habitation à prix modérés leur couper la vue…

Pendant que ces gamins se font une guéguerre à coups d'abus et de recours, la crise du logement perdure et tout le monde est perdant.

Conséquence de cet engorgement des tribunaux: des lenteurs… Je ne peux donc qu'espérer que tout surchargée qu'elle soit, la Cour de Justice de Genève trouvera bientôt le temps de juger en toute sérénité cette affaire qui laisse des sympathiques locataires nager dans l'incertitude et se sentir victimes de ceux qui prétendent les protéger…

Michael Wyler

Heureux retraité, Michael Wyler est un ex. Ex avocat, ex directeur de feu le Groupe Swissair en Chine et ex dircom. Au passé comme au présent, journaliste, chroniqueur, père de Jonathan et Julie, dont il est fier, tout autant qu'il l'est de son épouse Cécile, hypnothérapeute, enseignante en hypnose et PNL, auteur et conférencière.