Allez ouste ! Du balai ! Viré ! “Le Temps” ne veut plus de moi, mes textes ayant une ligne éditoriale (sic) trop éloignée de celle de ce quotidien. Ce blog est donc mon petit dernier.
Mais alors, pourquoi est-ce que je me marre ?
A dire vrai, j’ai d’abord été un peu vexé. Viré ? Moi ? L’ancien, le vieux de la vieille, fondateur du premier “Hebdo”, collaborateur de Catherine Wahli lors des premières années de ABE ? Journaliste indépendant et chroniqueur à “La Suisse”, au “Matin”, à “L’Hebdo”, “L’Illustré”, etc. ? Moi qui ai connu Darius en culottes courtes, Jacques Pilet adolescent boutonneux et Doris Leuthard stagiaire avocate (j’exagère un peu…) ?
Puis, j’ai réalisé qu’en me virant, Stéphane Benoît Godet, rédacteur en chef du Temps, venait en réalité de me faire le plus grand compliment de ma carrière. Il me disait en somme “t’es pas dans la ligne; tu déranges”. Ce qui devrait être le rêve de chaque journaliste ! Avec son petit email pompeux, SBG venait de m’envoyer rejoindre le panthéon des “politiquement incorrects”, les Barrigue, Desproges, Jack Rollan, Narcisse-René Praz et tant d’autres ! Je ne me reconnais ni leur courage, ni leur talent. N’empêche… cela fait du bien de m’identifier à eux. Et cela m’a rappelé la seule fois où je m’étais fait virer auparavant.
C’était au “Matin”. Preuves à l’appui, j’avais dénoncé le Club Med, qui à l’époque, s’achetait des reportages favorables, cash et séjours offerts. Gros annonceur dans les titres du Groupe Lamunière, le Club avait alors exigé qu’il soit mis un terme à mon mandat.
Et donc, j’me marre, car d’une certaine façon, en me faisant ce compliment, Benoît Godet implique que les blogueurs qui auront survécu à la purge – certains manquent, parait-il, de régularité – sont tous bien-comme-il-faut et propres-en-ordre dans la “lignée éditoriale” du Temps. Je ne suis pas certain que tous s’en sentiront flattés.
Tout comme je doute que “ligne éditoriale” et “pensée unique” sauveront le journalisme. Certes, mes futurs ex-collègues ne sont pas (tous) des veaux, loin de là. Leurs analyses et réflexions intéressent peut-être plus les lecteurs que mes papiers d’humeur, provocations et moqueries. N’empêche, j’étais heureux naguère de savoir Jean Ziegler au Parlement. Il y en avait au moins un, parmi ces notables aux lèvres pincées, qui essayait de secouer les consciences. Je trouvais sa présence et ses dénonciations aussi indispensables que saines, même si nous étions souvent en désaccord.
La fonction d’empêcheur de tourner en rond me paraît aussi indispensable à la démocratie, que ne l’était autrefois celle de “fou du Roi”, eux qui étaient les seuls à pouvoir se moquer du souverain sans conséquences, même si la satire constituait toujours un risque, parfois un péril. Aujourd’hui, cela demande bien moins de courage et les risques sont limités. N’empêche, les “fous” se font hélas rares et donc, les détenteurs de pouvoir toujours plus abusifs.
J’ai toujours aimé tenter de remplir ce rôle de “fou”. Le Temps n’en veut plus ? C’est son droit. J’ai trouvé auprès de bonpourlatete.com une auberge accueillante pour des reportages. Peut-être que cette auberge acceptera aussi d’accueillir les chroniques du fou.
D’ici là, merci à vous qui m’avez lu et souvent apporté des commentaires enrichissants.