Oscars et Alzheimer

Dans le genre "comique troupier", Brady Dougan le patron du Crédit Suisse a fait fort la semaine dernière et les gazettes de notre pays ne se sont pas privées d'en faire état. Les medias chinois n'ont hélàs pas les mêmes possibilités (malgré une "liberté de la presse" garantie par la Constitution). Pourtant, la Chine aussi a fait fort. "Nous sommes sincères dans notre intention de sanctionner sévèrement les responsables corrompus, peu importe le poste qu'ils occupent" vient d'annoncer, sans rire, un haut responsable du Parti (communiste bien sûr, le seul autorisé). Or, il y a quelques semaines, on apprenait par le "New York Times" que l'ancien Premier ministre Wen Jiabao et sa famille, avaient accumulé une fortune de plus de 2 milliards de francs. Bien sûr qu'il n'est pas le seul parmi ces princes du régime à s'être fait un saladier (182.000 fonctionnaires ont été condamnés pour corruption en 2013…), mais la publication de cette enquête a jeté un froid parmi les pontes du Parti qui n'aiment pas, mais alors pas du tout, l'idée qu'ils pourraient être les prochains à avoir l'honneur des gros titres. 

Wen Jiabao, ancien Premier ministre chinois et Brady Dougan du Crédit Suisse: deux abonnés aux trous de mémoire.

Conséquence: une censure renforcée (de nombreux sites internet, notamment de media occidentaux ne sont plus disponibles en Chine), une armée qui roule les mécaniques et une répression de plus en plus marquée. A Beijing, dont le taux de pollution bat quotidiennement des records, les hôtels affichent un taux d'occupation moyen de l'ordre de 30 %. Les congrès internationaux, les grandes manifestations sportives? Le pouvoir n'en veut pas pour le moment. Après tout, quel intérêt y a-t-il à risquer de voir débarquer des hordes de visiteurs qu'il convient de surveiller pour éviter toute manifestation?

Après l'attentat attribué aux séparatistes ouïgours du Xinjiang l'automne dernier sur la place Tien An Men, on n'approche de la Cité Interdite qu'en montrant patte blanche et en passant par un détecteur de métal et s'il y a bien quelques touristes, le nombre de soldats, policiers en uniforme et en civil est impressionnant. Les prisons et camps de rééducation du pays abritent des dizaines de milliers de prisonniers politiques, victimes de leur propre bêtise. Ils semblent en effet être les seuls à ne pas savoir que si la Chine dispose d'une Constitution et d'une flopée de lois, il n'est pas question de les respecter. Ainsi, par exemple, la Constitution affirme que les citoyens "jouissent de la liberté d'expression, de presse, de réunion et de démonstration". Elle affirme aussi que l'Etat "respecte et protège les droits de l'Homme". Passons…

Mais que les visiteurs se rassurent: ces prochains jours, tout sera propre-en-ordre à Beijing. Les prostituées ne viendront plus glisser leurs cartes de visite sous les portes des chambres d'hôtel, les vendeurs de DVD (les films en lice aux Oscars, et plein d'autres sont disponibles pour un franc pièce) fermeront temporairement boutique, quelques milliers de fausses montres seront écrasées par un rouleau compresseur devant les caméras, les gens ne cracheront plus partout et tout le temps et l'ordre règnera. C'est que le 5 mars, s'ouvrira à Beijing la 2ème session de l'Assemblée populaire nationale (le parlement chinois). Une fois la réunion terminée, les affaires reprendront. Pour la plus grande joie des triades (mafias) chinoises, peu inquiétées par l'Etat. Les triades? Elles contrôlent l'industrie des "faux" (médicaments, vêtements, logiciels, produits de luxe, etc.), les filières de travailleurs clandestins, la drogue, la prostitution, etc. et réalisent un chiffre d'affaires annuel estimé à plus de 200 milliards de francs. Et comme une grande partie de leurs bénéfices est réinvesti dans l'économie légale (et sert peut-être à contribuer au bien-être de quelques princes du régime…), on laisse faire. En somme, UBS, Crédit Suisse, HSBC et autres Goldman Sachs ont pas mal de choses en commun avec la Chine!

Michael Wyler

Heureux retraité, Michael Wyler est un ex. Ex avocat, ex directeur de feu le Groupe Swissair en Chine et ex dircom. Au passé comme au présent, journaliste, chroniqueur, père de Jonathan et Julie, dont il est fier, tout autant qu'il l'est de son épouse Cécile, hypnothérapeute, enseignante en hypnose et PNL, auteur et conférencière.