WannaCry, WannaCrypt ou encore WCry. Voici un éventail des surnoms donnés au rançongiciel qui sème la pagaille planétaire depuis vendredi dernier. Selon Europol, WannaCry aurait fait plus de 200 000 victimes à travers 150 pays. Et ce n’est pas fini! Cette attaque, considérée comme la plus grande cyberextorsion de l’histoire, met en lumière d’importantes failles en matière de cybersecurité et le manque de coordination entre gouvernements et compagnies privées. Le point avec le spécialiste en e-diplomatieJovan Kurbalija.
Ancien diplomate, docteur en droit international, Jovan Kurbalija est le directeur de la DiploFoundation (organisme spécialisé dans la formation des diplomates aux enjeux stratégiques d’Internet) et de la Geneva Internet Platform (GIP) (plateforme de discussion sur les enjeux numériques).
– Leila Ueberschlag: Quel regard portez-vous sur cette cyberattaque?
– Jovan Kurbalija: WananCry montre notre extrême vulnérabilité face aux cyberattaques et à quel point les gouvernements, des pays émergents comme des pays développés, manquent d’outils pour gérer ce type de problèmes. Cette attaque met également en lumière un problème structurel lié à l’architecture d’Internet. A l’époque de la conception du World Wide Web, les questions de sécurité auxquelles nous faisons face aujourd’hui ne se posaient pas. Les concepteurs d’Internet, des véritables experts dans leur domaine, n’avaient pas cela en tête.
– Faudrait-t-il changer la structure d’Internet ?
– C’est une question difficile qui pose des enjeux éthiques considérables. D’un côté, ce type d’attaque ne va faire que continuer si Internet reste dans sa configuration actuelle. D’un autre côté, si pour renforcer la sécurité on change la structure d’Internet, avec ses possibilités d’anonymat, nous prenons le risque de toucher à des droits fondamentaux tels que la liberté d’expression et le droit au respect de la vie privée.
– Le dirigeant de Microsoft a récemment proposé une Convention de Genève Numérique. Une telle initiative pourrait-elle être une solution?
– Une telle convention constituerait définitivement une avancée majeure en terme de gouvernance d’Internet. Cela permettrait d’augmenter la coordination – nécessaire et insuffisante à l’heure actuelle – entre gouvernements et compagnies privées. Cela permettrait également de rendre la gestion de ce type d’attaque plus facile, mais pas de résoudre le problème de base. Il est également important de noter que la convention proposée par Microsoft demande aux gouvernements de ne pas attaquer les internautes. Cependant, dans le cas de WannaCry on a affaire à des acteurs non-gouvernementaux, ce qui pose la question de l’attribution de ce genre de crime. On ne saura probablement jamais qui se trouve derrière cette attaque.
– Microsoft accuse la NSA de ne pas avoir assez protégé des données qui, après avoir été dérobées, ont rendu possible la gigantesque cyberattaque de vendredi dernier. Quelle est la part de responsabilité de Microsoft ?
– Microsoft est en partie responsable. Quand une série de voitures a un défaut de construction, les fabricants doivent payer pour les dommages causés. Je pense que les fournisseurs de logiciels devraient, comme ils tirent des avantages commerciaux de la vente de leurs produits, être tenus responsables pour ce genre de faille et les conséquences qui en découlent.
Alors que l’e-commerce fait partie intégrante de nos vies, la tendance de la digitalisation touche aussi l’ensemble du secteur non-gouvernemental. Le numérique révolutionne les moyens de collecte de fonds des organisations et associations qui ont intégré Internet à leurs stratégies marketing multicanales. Le phénomène du financement participatif sur la toile a également pris de l’ampleur et bouleverse ces milieux.
L’exemple d’Amnesty International
«Avec l’essor des nouvelles technologies, nous avons dû nous adapter», explique Nadia Boehlen, porte-parole d’Amnesty International Suisse. «Une spécialiste pour la recherche de fonds en ligne a par exemple été engagée récemment.» L’utilisation que fait l’organisation des réseaux sociaux dépasse le simple fundraising et s’inscrit dans une forte logique d’engagement. Nadia Boehlen rappelle qu’Amnesty possède plusieurs cordes à son arc et qu’Internet est un moyen supplémentaire qui vient compléter la palette d’outils – tels que le lobbying ou encore les actions – que possède l’organisation pour «engager autour d’elle des donateurs et des militants dans la durée.»
En février dernier, dans le cadre de la campagne mondiale «J’accueille!» d’Amnesty International, des utilisateurs de Twitter qui exprimaient leur indignation face à la crise des réfugiés ont commencé à recevoir des messages vidéos personnels et en temps réel de la part de réfugiés, depuis des camps situés au Liban ou au Kenya, leur demandant de passer à l’action (#TakeAction).
Réalisé par l’agence Ogilvy London, cette campagne d’une semaine visait à récolter des signatures pour une pétition remise au Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, afin d’appeler l’ONU et les gouvernements du monde entier à agir ensemble pour faire face à la crise mondiale des réfugiés.
Financement participatif
Très réactif, Internet permet un partage de l’information rapide et dynamique. A cela s’ajoute une forte dimension émotionnelle, amplifiée sur les réseaux sociaux. Des milliers de personnes ont la possibilité de se rassembler autour d’une cause et de donner ainsi naissance à des mouvements planétaires. Grâce au crowdfunding, réunir d’importantes sommes d’argent (sans forcément passer par une organisation caritative) en un temps record est devenu monnaie courante.
Le site Generosity.com (lancé fin 2015 par le mastodonte Indiegogo, principal concurrent de Kickstarter) est une communauté «conçue pour récolter des fonds pour des causes personnelles ou des projets de société». Comme YouCaring, Generosity.com ne pratique aucune commission – à la différence de la plupart des plateformes de financement, Indiegogo inclus.
«Let’s Help Dr. O’Reilly Fight Pediatric Cancer», une initiative pour financer la recherche sur le cancer de l’enfant, tient la première place des initiatives les plus financées avec 3’875’773 dollars récoltés en 11 mois et 104’410 donateurs. La seconde position revient à «Let’s Help Fatima End Bonded Labor», qui soutient la lutte contre le travail forcé dans les fonderies au Pakistan, avec 2’348’109 dollars récoltés et 76’217 contributeurs depuis plus d’une année.
Le phénomène HONY
Ces deux projets ont un point commun. Ils ont été initiés par le même individu. Son nom? Brandon Stanton, l’homme derrière le célèbre blog Human of New York (HONY). Avec plus de 18 millions d’abonnés sur Facebook et 6 millions sur Instagram, il possède un réseau mondial considérable. Rien ne prédestinait pourtant ce jeune trentenaire qui travaillait dans la finance à devenir un des photographes les plus célèbres de la toile. Encore moins à s’engager pour des causes sociales et à lever des centaines de milliers de francs pour aider des réfugiés syriens à refaire leurs vies aux Etats-Unis.
D’abord simple blog dédié à la photographie, le projet a évolué vers un site de «storytelling» qui raconte les histoires de citoyens du monde entier. Véritable phénomène médiatique, Brandon Stanton a rapidement attiré l’attention d’organisations internationales. En 2014, il collabore avec les Nations unies et embarque dans «un tour du monde» de 50 jours pour promouvoir les 8 objectifs du Millénaire.
Malgré une popularité grandissante, il ne fait pas toujours l’unanimité. Comme le relève un article du New York Times, des experts en photographie pointent les limites de son travail. Nina Berman, professeure associée à l’Ecole Supérieure de Journalisme de l’université de Columbia et auteure du livre Purple Hearts: Back From Iraq, loue son travail mais regrette que la série de photographies réalisée en partenariat avec les Nations unies manque de contextualisation.
Au contraire, pour le photojournaliste de guerre Jason Tanner (lire l’interview: «la technologie a accru les risques pour les (photo)journalistes de guerre» ici), le storytelling devrait veiller à engager les audiences émotionnellement, esthétiquement et intellectuellement et les photos de HONY y parviennent très bien. «La manière dont Brandon Stanton utilise les réseaux sociaux est un moyen extraordinaire de constituer une grande audience et ensuite d’engager cette dernière pour soutenir financièrement les sujets de ses photographies», explique-t-il avant de conclure: «Le challenge actuel pour les organisations humanitaires est de réussir à reproduire ce modèle.»
Le Règlement général sur la protection des données (RGPD) a été approuvé le 14 avril 2016 par le Parlement européen et entrera en vigueur en mai 2018. Il vise à unifier les lois sur la protection des données dans les 28 pays membres de l’Union européenne (UE) à l’ère du numérique, à améliorer la sécurité juridique et à renforcer la confiance des citoyens et entreprises. Le RGPD touchera largement les compagnies suisses qui seraient en retard par rapport aux autres pays.
Comme on peut le lire sur le site du Parlement européen, le RGPD remplace la directive courante qui date de 1995, alors qu’Internet était encore à ses débuts, et a pour but de convertir «le patchwork actuel des législations nationales en un ensemble unique de règles» afin de donner aux citoyens «plus de contrôle sur leurs propres informations privées dans un monde numérique de téléphones intelligents, de médias sociaux, de services bancaires sur Internet et de transferts mondiaux.»
La révision porte sur deux textes législatifs: un règlement général sur le traitement des données personnelles dans l’UE et une directive sur les données traitées par les autorités policières et judiciaires qui forment ensemble le paquet sur la protection des données.
Qui le RGPD concerne-t-il?
Le Règlement général sur la protection des données s’appliquera non seulement aux entreprises européennes, mais également aux sociétés étrangères qui offrent des produits et services aux citoyens de l’UE, ou qui analysent leur comportement en récoltant leurs données personnelles. «Le RGPD a une portée beaucoup plus large que la directive existante qui a plus de 20 ans et qui n’est plus adaptée aux besoins actuels», explique Nicolas Vernaz, Senior Manager Cyber Security chez PwC, interviewé lors de The Digital Trust Conference 2017. «Pendant de nombreuses années, le volume des données récoltées et stockées a augmenté sans vraie prise de conscience quant au risque que cela pouvait représenter. Pour la première fois, une initiative massive visant à protéger la vie privée aboutit, ce qui est très positif même si cela représente un énorme travail d’adaptation pour les compagnies.»
Les entreprises suisses seront donc largement touchées et, selon Nicolas Vernaz, le 90% d’entre elles ne sont pas prêtes: «La Suisse est en retard par rapport aux autres pays», relève-t-il. «Beaucoup de sociétés n’ont pas encore commencé à s’intéresser au nouveau règlement et n’ont rien mis en place. Pourtant, mai 2018 c’est demain», s’alarme-t-il.
A terme, il n’y aura cependant pas d’autre choix que de s’aligner avec le RGPD, d’autant plus que la révision totale de la loi fédérale sur la protection des données est en cours (le 21 décembre dernier, le Conseil fédéral a mis un avant-projet en consultation jusqu’au 4 avril). La nouvelle loi vise, notamment, à répondre aux défis du numérique et doit aussi permettre à la Suisse de s’adapter au cadre juridique européen.
Renforcement du droit à l’oubli et facilité d’accès aux données
Le renforcement du «droit à l’oubli numérique»: les individus pourront obtenir la suppression de leurs données s’ils souhaitent qu’elles ne soient plus traitées et s’il n’y a pas de motif légitime pour les conserver. Les règles visent à donner aux individus les moyens de faire valoir leurs droits, et non à effacer le passé, à réécrire l’histoire ou à restreindre la liberté de la presse.
La garantie de la facilité d’accès à ses propres données, avec l’établissement d’un droit au transfert gratuit de ses données à caractère personnel d’un prestataire de services à un autre (portabilité des données).
La garantie que le consentement doit être donné au moyen d’une déclaration ou d’un acte positif univoque lorsque celui-ci sert de base juridique au traitement des données.
La désignation de délégués à la protection des données pour les entreprises dont les principales activités consistent à traiter des données à caractère personnel, et l’intégration des principes de la protection des données «par défaut» («privacy by default») et «dès la conception» («privacy by design») afin de garantir que les biens et services intègrent une démarche de sécurité de bout en bout – depuis la création et le stockage des données jusqu’à leur obsolescence.
La possibilité pour les citoyens et les groupes de pression d’engager des litiges de masse («class actions») pour être indemnisés en cas d’infractions à la loi.
Que se passe-t-il en cas d’infraction?
Le RGPD prévoit deux niveaux de sanctions en cas de non-respect de la réglementation. En fonction des articles du Règlement en infraction, des amendes administratives pourront s’appliquer pour un montant allant de 10 à 20 millions d’euros ou, dans le cas d’une entreprise, de 2 à 4 % du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’exercice précédent, le montant le plus élevé étant retenu.
«D’une part, les pénalités financières peuvent être très importantes, ajoute Nicolas Vernaz. D’autre part, c’est la réputation de l’entreprise qui se joue.» En cas de brèche par exemple, le responsable du traitement a 72 heures pour notifier la violation en question à l’autorité de contrôle compétente. «Si les entreprises n’ont pas de moyens efficaces pour agir rapidement en cas de violation de données à caractère personnel, les conséquences pour leur image seront désastreuses», conclut-t-il.
Jason Tanner est un photographe de guerre anglais. Véritable globe-trotter, il a roulé sa bosse dans plus de 90 pays. Ses photos ont été publiées dans des médias tels que The New York Times, The Guardian, Time Magazine, Le Monde ou Paris Match.
Il a également collaboré avec des organisations comme le Comité international de la Croix-Rouge, Médecins sans Frontières et Save the Children pour dénoncer – entre autres – les problèmes de violences sexuelles, de torture, de conflits et de déplacements forcés de population.
Les horreurs dont il a été témoin l’ont profondément marqué et poussé à prendre de la distance avec sa carrière de photographe. En 2014, il suit un master en droit international et droits de l’homme; une expérience qui le mène à développer le projet « Human Rights for Journalism ».
Il parcourt désormais la planète pour donner des conférences et animer des workshops afin de sensibiliser les journalistes et photographes aux problèmes de violation des droits de l’homme et à la manière de couvrir de tels sujets, tout en continuant à exercer en tant que photographe.
Pour Economie Digitale: Dé-cryptage, il présente sa vision du photojournalisme de guerre à l’ère du numérique.
– Leila Ueberschlag: quel a été l’impact des nouvelles technologies et d’Internet sur le photojournalisme?
– Jason Tanner: L’impact a été très grand. C’est un domaine qui traverse une crise identitaire et une forte tension existe entre le (photo) journalisme traditionnel – avec ses principes d’objectivité et de vérification avant publication – et les nouvelles manières de rapporter l’information (rendues possibles grâce au numérique) qui riment souvent avec immédiateté, transparence, partialité, journalisme citoyen et correction après publication. Tout change très vite et de nouvelles pratiques voient le jour. Time Magazine et National Geographic ont récemment utilisé des images réalisées avec un Iphone pour leurs pages de couverture. Cela aurait été inimaginable il y a seulement quatre ans.
– Qu’en est-il du métier de photojournaliste de guerre?
– La technologie a accru les risques pour les (photo) journalistes de guerre qui deviennent les cibles privilégiées de gouvernements de plus en plus autoritaires. Nos ordinateurs, appareils photos et téléphones portables se font saisir aux frontières par les services de renseignements qui tentent d’obtenir des informations sur des personnes qui pourraient les intéresser. Le pire des scénarios est celui dans lequel les gouvernements utilisent la technologie pour traquer et s’en prendre aux reporters de guerre. Le cas de la journaliste américaine Marie Colvin en Syrie est un exemple, tristement célèbre, de ce genre de pratiques. La transmission satellite de son téléphone était pistée par le gouvernement syrien qui a utilisé ces données pour l’attaquer. Elle n’a pas survécu au bombardement qui a également enlevé la vie du photographe français Remi Ochlik.
– Comment pouvez-vous vous protéger?
– Le meilleur moyen est l’utilisation de systèmes de cryptage. Malheureusement, de nombreuses personnes continuent de passer par des serveurs peu sûrs tel que Gmail.
– D’un point de vue technique, comment avez-vous changé votre manière de travailler?
– Les nouvelles technologies ont rendu mon travail beaucoup plus facile et la qualité des images ne cesse de croître. Je ne dois plus, par exemple, voyager avec 100 pellicules sur moi pour réaliser un reportage. Une simple carte mémoire suffit à la réalisation d’un projet et j’édite les photos dans l’avion. Pratiquement plus aucun photographe de guerre n’utilise d’appareils argentiques; à l’époque j’étais obligé de développer mes clichés dans des chambres d’hôtel, avant de les envoyer par le biais de lignes téléphoniques peu fiables ou par courrier postal. Maintenant, la plupart des reporters capturent les images directement avec leur smartphone et les envoient instantanément aux médias et agences.
– Quel est l’impact économique de tels changements?
– Pour les photographes, ces changements ont engendré des coûts non négligeables. Les nouveaux équipements digitaux sont très chers, un bon appareil photographique reflex numérique et un objectif coûtent, au minimum, 5000 euros. A cela s’ajoutent les prix élevés des ordinateurs et des softwares. Cependant, le gain de temps constitue un énorme avantage. Mon ordinateur est devenu ma chambre noire.
– Qu’en est-il des médias auxquels vous vendez vos photos?
– Avec l’offre grandissante de téléphones-appareils photo et la prolifération de plateformes telles qu’Instagram, la photographie s’est démocratisée. Il n’y a jamais eu autant d’aspirants photojournalistes avec, comme résultat, une offre beaucoup plus large et diversifiée et une forte dévaluation des images sur le marché. Les publications ont des budgets de plus en plus réduits et de nombreux amateurs et agences cassent les prix en vendant des photos pour seulement 1 dollar. Il y a six ou sept ans, la couverture de Time Magazine valait 4000 dollars. Aujourd’hui, elle ne dépasse pas 1000 dollars. Quand j’ai commencé à être représenté par une agence, je touchais 200 dollars par cliché. La dernière image que j’ai vendue par ce biais a été achetée 32.99 dollars et je n’ai touché que le 50% de cette somme. Ensuite, d’autres paramètres entrent en compte, comme la célébrité du photographe.
– Aujourd’hui, en zones de conflit, n’importe qui peut prendre une photo et l’envoyer à une publication. Quel regard portez-vous sur ce phénomène?
– La capacité qu’ont les journalistes citoyens et les photographes amateurs de rapporter, directement et sans filtre, les violations des droits de l’homme en zones de conflit est sans limite et a, sans aucun doute, un impact particulièrement important sur le monde de l’humanitaire. Les photojournalistes, les médias et les activistes doivent maintenant trouver le meilleur moyen d’utiliser les nouvelles technologies afin de couvrir le plus efficacement possible les problématiques liées aux droits de l’homme et à leur violation.
Alors que la légitimité et l’authenticité des médias sont sans cesse remises en question, une certitude demeure depuis l’invention du photojournalisme. La force véhiculée par une image est toujours aussi puissante, et cela ne changera jamais, que la photo ait été prise à partir d’un smartphone ou d’un appareil professionnel.
Depuis 2012, le collectif citoyen barcelonais 15MpaRato a révélé les plus grands cas de corruption qui secouent le monde de la politique espagnole depuis la crise financière de 2008.
Quand on parle de corruption financière, les politiciens et banquiers sont souvent vus comme échappant à de lourdes peines et ayant droit à des traitements de faveur. Ce régime d’impunité n’est cependant pas infrangible. C’est ce que montre le travail réalisé par 15MpaRato. Son but? Poursuivre les responsables de la crise économique qui a frappé l’Espagne de plein fouet en 2008.
Le collectif a vu le jour le 15 mai 2012, pendant les manifestations célébrant le premier anniversaire du mouvement des indignés – ou mouvement 15-M. Il est soutenu par Xnet, une plateforme activiste dont les actions sont consacrées à la neutralité du net, la «techno-politique», les nouvelles formes de participation citoyenne et de démocratie en «réseau» ainsi que la défense du journalisme citoyen et le combat – légal – contre la corruption.
Comme son nom l’indique, sa première cible est Rodrigo Rato. Ancien vice-président du Parti populaire, ministre de l’Économie de 1996 à 2004, directeur du Fonds Monétaire International (FMI) jusqu’en 2007 et président de la banque Bankia de 2010 à 2012, Rodrigo Rato est maintenant poursuivi pour détournement de fonds, fraude fiscale, blanchiment, escroquerie, faux et usage de faux. Et il n’est pas le seul.
«Après quatre ans de procédures judiciaires, nous avons déjà traîné en justice 100 banksters et politiciens, de tous les partis politiques», annonce fièrement Simona Levi, co-fondatrice et porte-parole de Xnet.
Une action citoyenne
15MpaRato est constitué de dix personnes. Dix citoyens «ordinaires», fatigués d’assister au naufrage de leur pays à cause de politiciens corrompus. «Dans des pays avec un haut taux de corruption, les institutions censées lutter contre de tels dysfonctionnements sont elles-mêmes corrompues», déplore Simona Levi. «Les citoyens doivent commencer à auditer les gouvernements et multinationales eux-mêmes», continue-t-elle. «L’impulsion doit venir de petits groupes et de mouvements bottom-up et il ne faut pas oublier que ces problèmes sont universels, on peut trouver des banquiers et politiciens corrompus partout.»
Le collectif a basé son travail sur une simple observation: quand Bankia (qui a été établie dans le but de consolider les opérations de sept caisses d’épargnes régionales espagnoles) est entrée en bourse en juillet 2011, ses actionnaires pensaient alors réaliser une bonne affaire. Ils ignoraient que la banque était en fait au bord de la faillite, suite à l’éclatement de la bulle immobilière de 2008.
Au bord de l’effondrement, Bankia a été nationalisée en mai 2012 au détriment de milliers de citoyens qui ont perdu leurs économies dans l’opération. Ce fiasco a précipité un sauvetage européen du secteur bancaire espagnol de 41,3 milliards d’euros (le plus gros de son histoire), dont la moitié rien que pour Bankia.
«Il est impossible que Rodrigo Rato, le conseil d’administration et les ministres ignoraient ce qui se passait», dénonce Simona Levi. «Nous sommes en présence d’un dysfonctionnement structurel où la société civile a été utilisée comme une source d’enrichissement.»
Nouvelles technologies et démocratie directe
En été 2012, 15MpaRato a lancé une action en justice contre Rodrigo Rato. Pour couvrir les frais juridiques, le collectif a conduit «la première campagne de crowdfunding politique européenne», selon Simona Levi. Une campagne qui montre comment les nouvelles technologies rendent possibles des modèles de financement alternatif et permettent la mise en place de mouvements démocratiques directs.
«Notre but était de réunir 15,000 euros en l’espace de deux semaines, mais après cinq heures seulement nous avions déjà récolté près de 20,000 euros. Cela montre à quel point la population nous soutient.»
Une deuxième campagne a été menée plus tard et 40,000 euros ont été levés au total. «Nous dépensons près de 10,000 euros par année pour couvrir les frais d’avocat, de déplacement et les frais juridiques généraux. Il est possible que nous menions une troisième campagne, comme la fin du cas est prévue pour 2018», ajoute Simona Levi.
Afin de monter le dossier, 15paRato a d’abord récolté les preuves des renseignements frauduleux qui avaient été transmis aux détenteurs de comptes chez Bankia. Le collectif a ensuite encouragé les petits investisseurs à poursuivre la banque et les a aidés à persuader le ministère public à prendre des mesures.
«Un arrangement a été trouvé et Bankia a dû rembourser 2 milliards d’euros à environ 200,000 petits épargnants», se réjouit Simona Levi.
XnetLeaks: une boîte mail pour reporter les cas de corruption
C’est à travers un système de dénonciation anonyme appelé XnetLeaks que les documents utilisés dans ce dossier ont été récoltés via le site internet de Xnet.
Ce système permet aux citoyens lambda possédant des preuves de corruption de contacter de manière sûre des journalistes et experts légaux. C’est d’ailleurs à travers XnetLeaks et «the Anti-Corruption Commission» que le collectif a pris connaissance en décembre 2013 (rapidement suivi des médias et de la population espagnole) de l’existence d’environ 8000 emails échangés par des cadres de Caja Madrid (devenue plus tard Bankia).
L’affaire, intitulée «les emails de Blesa», révèle que pratiquement tous les managers de Caja Madrid (et ceux de Bankia), sous la présidence de Miguel Blesa et Rodrigo Rato, ont eu accès à des «cartes visa au noir» qu’ils utilisaient pour des dépenses personnelles, sans rien justifier ni déclarer au fisc espagnol, et sont accusés d’avoir ainsi détourné 12 millions d’euros entre 2003 et 2012.
Le premier jour du procès de Rodrigo Rato pour utilisation présumée abusive de cartes de crédit d’entreprise s’est tenu le 26 septembre 2016. Il était accusé, avec 64 autres cadres et membres du conseil d’administration, d’avoir utilisé ces cartes de crédit «occultes» pour payer des séjours en hôtel cinq étoiles, des soirées privées ou encore des achats de produits luxueux.
La déconstruction d’un symbole
Le but de 15MpaRato est double: «Tout d’abord, nous voulions démolir le mythe Rato comme gourou du miracle économique espagnol et comme le joyau du parti conservateur. C’est maintenant un paria qui a été exclu de son parti et de tous les conseils d’administration. Cependant, il n’a pas agi seul et ses complices tombent avec lui», confie Simona Levi. «Ensuite, nous voulions que les petits épargnants qui ont été injustement lésés récupèrent leurs économies, que les responsables de la crise rendent à la population ce qui lui appartient.»
La plus grande force du collectif est sa visibilité. Selon Simona Levi, le fait qu’un cas si compliqué aille si vite est bon signe. «Pendant les deux premières années, ils ont essayé d’aller le plus lentement possible; mais ils ont vite réalisé qu’il était plus avantageux pour eux d’être rapides.»
A environ un an du jugement final, l’objectif de 15MpaRato est de garder, autant que possible, le procès sous le feu des projecteurs médiatiques. «Je n’ai jamais douté que nous gagnerions», conclut Simona Levi «je sais qu’ils finiront tous derrière les barreaux.»
La justice espagnole a donné le ton mardi 17 janvier quand cinq anciens dirigeants de la NovaCaixaGalicia (NCG) (qui avait également reçu une aide de l’État pour éviter sa faillite puis avait été nationalisée en 2011) ont été conduits en prison, après avoir été condamnés en décembre 2015 pour des détournements de fonds.
«Forcer les académiciens à payer pour lire le travail de leurs collègues? Scanner des bibliothèques entières mais n’autoriser seulement les personnes qui travaillent pour Google à y avoir accès? Fournir des articles scientifiques aux plus prestigieuses universités des pays industrialisés mais pas aux enfants des pays en voie de développement? C’est scandaleux et inacceptable.»
Le 11 janvier 2013, le programmeur américain et militant pour un accès libre à l’information Aaron Swartz se donnait la mort à seulement 26 ans. Accusé par le gouvernement des Etats-Unis de fraude informatique et de diverses violations du «Computer Fraud and Abuse Act», il risquait 35 ans de prison ainsi qu’une amende pouvant aller jusqu’à un million de dollars.
Son tort? Avoir téléchargé des millions de journaux académiques de la bibliothèque numérique Jstor, une des plus importantes bases de données pour les publications scientifiques et dont l’accès est payant en dehors des campus; une pratique qu’abhorrait le programmeur pour qui ces publications, somme de la connaissance de l’humanité, auraient dû être accessibles à tous librement. D’abord poursuivi par Jstor pour vol et intention de partage des articles– alors qu’il ne les a en réalité jamais distribués – la compagnie a fini par abandonner les charges contre le jeune homme. C’est le FBI qui a repris le cas, voulant en faire un exemple.
Trois ans après le décès tragique d’Aaron Swartz, le combat pour un accès libre à la connaissance est loin d’être terminé. Une jeune diplômée du Kazakhstan, Alexandra Elbakyan, 27 ans, fait les gros titres depuis qu’elle a fondé le site Sci-Hub en 2011. Dans la lignée de AAAAARG, cette plateforme fournit un accès massif et public à des articles académiques piratés.
Un succès grandissant et plus de 50 millions d’articles
A travers le monde, de plus en plus de chercheurs se tournent vers Sci-Hub – qui recense désormais plus de 50 millions d’articles. Entre septembre 2015 et mars 2016, Science Magazine – avec l’aide d’Alexandra Elbakyan – a analysé les données du site et trouvé que, en six mois, 28 millions de documents avaient été téléchargés. Parmi les requêtes, plus de 2,6 millions provenaient d’Iran, 3,4 millions d’Inde et 4,4 millions de Chine. L’éditeur le plus piraté est de loin Elsevier. Basée à Amsterdam, la maison d’édition – néerlando-britannique – a lancé en 2015 une action en justice contre Sci-Hub, clamant que le site lui causait d’irréparables dommages.
Sous la section «Scientific, Technical and Medical» du rapport annuel de Relx Group (groupe qui détient Elsevier), il peut être lu que l’objectif de l’éditeur est «d’aider ses clients à faire progresser la science et à améliorer la médecine en leur fournissant des contenus de qualité supérieure ainsi que des outils d’analyses qui leur permettent de prendre des décisions cruciales et d’améliorer leur productivité et résultats.» Un bel objectif, mais un objectif qui rapporte avant tout. Au cours des dernières années, Elsevier a connu une croissance de ses recettes qui se compte en millions: avec un revenu de 2,070 millions de livres sterlings en 2015, contre 2,048 millions en 2014.
Jusqu’à 35’000 dollars par titre
De tels profits, réalisés à partir de la recherche académique, ne sont pas rares. Selon le New York Times, les éditeurs de ce genre de revues ont collectivement gagné 10 milliards de dollars en 2015. «Une grande partie des recettes provient des bibliothèques de recherche qui paient des abonnements annuels allant de 2000 à 35’000 dollars par titre, si elles n’achètent pas des abonnements de titres groupés qui coûtent, quant à eux, des millions.» Les plus grandes compagnies, telles que Elsevier, Taylor & Francis, Springer and Wiley, ont généralement des marges bénéficiaires de plus de 30%.
Cette privatisation grandissante des connaissances, autrefois publiques, restreint l’accès global à l’information et perpétue les inégalités entre les pays riches et les pays avec des systèmes éducatifs moins étendus. Alors que les prestigieuses universités dépensent des centaines de milliers de francs chaque année pour accéder à une grande variété de publications, les institutions avec des plus petits budgets doivent se restreindre et ont, par conséquent, accès à moins d’articles. Pour les chercheurs indépendants, la situation est encore plus difficile. Quand on sait que le prix d’un article académique s’élève à 30 dollars et qu’il est nécessaire d’en inclure entre 50 et 200 dans un rapport de recherche, il n’est pas difficile de comprendre le succès rencontré par Sci-Hub.
Payer pour des articles subventionnés par des fonds publics
Bien que Sci-Hub soit actuellement en procès et que plusieurs de ses noms de domaines aient été fermés, le site a – jusqu’à maintenant – toujours pu continuer à opérer sous d’autres noms de domaines. Basé en Russie, il échappe aux lois américaines et européennes, ce qui lui a permis d’ignorer une injonction lui ordonnant d’arrêter la distribution d’articles protégés par le droit d’auteur.
En réponse aux poursuites dont elle fait l’objet, Alexandra Elbakyan a écrit une lettre au juge afin de clarifier ses intentions. Elle y explique à quel point il était difficile, voire impossible, en tant qu’étudiante au Kazakhstan, d’avoir accès à des articles scientifiques. La seule option qu’il lui restait était, bien souvent, de les pirater.
Dans sa lettre, la jeune femme souligne également le fait que les maisons d’édition acquièrent les articles gratuitement (parfois les chercheurs doivent même payer pour publier leurs résultats dans les journaux scientifiques) et qu’elles ne paient pas non plus pour le travail d’examen et d’édition généralement effectué par d’autres chercheurs. Elles font ensuite payer le public ainsi que les académiciens qui ont eux-mêmes écrit, édité ou révisé les articles (généralement subventionnés par des fonds publics) pour y avoir accès.
La recherche – scientifique – stimule la découverte et l’innovation et est l’une des contributions les plus précieuses au bon fonctionnement de chaque société; Le succès grandissant de sites tels que Sci-Hub permet de mettre en évidence les inégalités d’un système injuste et l’urgence qu’il y a de reconsidérer la diffusion de la connaissance, avant que toute recherche académique ne devienne complètement privatisée.
Steven Hill est un politologue, écrivain et consultant basé aux États-Unis. Ses articles ont été publiés dans le New York Times, le Guardian ou encore Die Zeit; il a notamment travaillé, en tant que consultant, pour la Commission européenne, le gouvernement américain ou le ministère des Affaires étrangères grec. Ses derniers livres sont Expand Social Security Now!: How to Ensure Americans Get the Retirement They Deserve (2016), Raw Deal: How the “Uber Economy” et Runaway Capitalism Are Screwing American Workers (2015).
– Leila Ueberschlag: Quelle est votre position par rapport à Uber et Airbnb?
– Steven Hill: Uber et Airbnb proposent des services que les gens apprécient. Il faut le reconnaître: ces plateformes répondent à une demande bien existante. Cependant, elles sont aujourd’hui entre les mains de compagnies dont l’intérêt premier est purement financier et dont l’objectif principal est de tirer avantage des travailleurs, sans se soucier de leur bien-être ou du bien-être des communautés. Dans le cas de Airbnb, par exemple, des études indépendantes ont montré que 40 à 50 pourcent du revenu est généré par des professionnels de l’immobilier. C’est cela le vrai visage de Airbnb et non, comme on a tendance à l’imaginer, celui d’un citoyen lambda qui loue de temps à autre sa chambre d’amis pour arrondir les fins de mois.
– Comment les gouvernements réagissent-ils face à ce phénomène?
– De plus en plus de villes commencent à réaliser qu’il est nécessaire de réguler ces nouveaux services. Cependant, les solutions que les gouvernements locaux tentent de mettre en place peinent, pour le moment, à être efficaces. Sans les données d’Airbnb, par exemple, ils n’ont aucun moyen de savoir si les ventes déclarées correspondent à la réalité, si la compagnie paye les taxes hôtelières dont elle devrait s’acquitter et si les logeurs respectent les lois établies. Plusieurs compagnies profitent de ce manque de contrôle et ne paient tout simplement pas de taxes. Cependant, même si jusqu’à maintenant les efforts des états et gouvernements nationaux – que ce soit aux États-Unis ou en Europe – pour réguler la situation n’ont malheureusement pas été concluants, je suis confiant. Sur le long terme, des solutions vont être trouvées.
– Donc, selon vous, davantage de régulations et de lois constituent une réponse à ce problème?
– Absolument. De nombreux cas où des individus se blessent dans des appartements loués via Airbnb existent. Dans de telles situations, le flou juridique qui existe pose problème et bien souvent, les différentes parties se renvoient la balle quant à leur responsabilité. A San Francisco, un chauffeur d’Uber a tué une fillette de 6 ans. Uber a décliné toute responsabilité dans cette affaire, clamant que le chauffeur était un travailleur indépendant. Dans de tels cas, le problème est que le service vient avant les questions légales. Nous ne pouvons pas continuer à laisser ces entreprises échapper au droit; de nouvelles règles doivent être créées et mises en place. Malheureusement, il faut parfois que de terribles événements arrivent pour que les choses évoluent.
– Voyez-vous d’autres alternatives?
– Il y a plusieurs manières d’aborder ce problème. L’une d’entres elles est la création, par des organisations non gouvernementales, d’applications peer-to-peer sans but lucratif. De telles applications, qui mettent en relation – par exemple – des restaurants ou des paysans qui ont un surplus de nourriture avec des personnes qui en ont besoin, existent déjà et vont devenir de plus en plus populaires. La technologie derrière Airbnb et Uber est fantastique. Le problème, pour le moment, c’est qu’elle est entre les mains de compagnies dont le but premier est le profit.
Lire ici le témoignage «Mon père est mort dans un Airbnb et il n’est pas le seul» du journaliste américain Zak Stone.
Depuis quelques années, Airbnb et Uber sont sur toutes les lèvres. Plus économiques que les hôtels et taxis traditionnels, ces plateformes permettent aussi de faire d’intéressantes rencontres, moins formelles et normalisées, entre particuliers. Si de tels services répondent à un réel besoin, l’économie de partage dans laquelle ils s’inscrivent possède aussi son lot de défis – flous juridiques, problèmes de taxations ou encore précarité de l’emploi.
«La libéralisation financière, en réduisant l’intervention des gouvernements sur les marchés économiques, a eu comme effet le développement hors de tout contrôle des entreprises,» s’est alarmé le théoricien des médias et auteur à succès new-yorkais Douglas Rushkoff, lors d’une conférence sur l’économie de partage en septembre dernier à Amsterdam. «Le système économique dans lequel nous évoluons n’est plus capable de subvenir à nos besoins, ni à ceux de la planète. Il est urgent de trouver des alternatives.»
Armée de free lancers et précarité de l’emploi.
Selon le politologue et écrivain américain Steven Hill: «Uber et Airbnb nous montrent le mal que peut causer la technologie si nous ne mettons pas en place des stratégies pour corriger la situation.» Aux Etats-Unis, après la crise économique qui a frappé le pays en 2008 et 2009, le marché du travail a changé drastiquement (ce qui est également le cas dans de nombreux autres pays).
Aujourd’hui, la plupart des contrats sont temporaires et de nombreux salariés n’ont pas d’assurance maladie. La réalité de l’économie de partage va souvent de mise avec des salaires à la fois bas et précaires. «Les entreprises recrutent des armées de free lancers et les employés sont payés uniquement pour le produit final, non pour le temps passé à le développer,» déplore Steven Hill. Un parfait exemple de ce système est upwork, une plateforme online permettant de mettre en relation des clients avec des free lancers dans le monde entier, sans intermédiaire. Pour le politologue, davantage d’applications à but non lucratif (financées par des organisations non gouvernementales par exemple) doivent être développées afin de contrebalancer ces mastodontes, dont le but premier est le profit, sans considération pour les employés ou les communautés.
L’émergence des plateformes coopératives.
De manière prometteuse, de telles initiatives commencent à voir le jour, avec la (ré) introduction des coopératives de travailleurs ou encore l’émergence du mouvement «platform cooperativism»; mouvement dont le but est la promotion de sites ou d’applications qui proposent des services ou produits à la manière de Uber ou d’Airbnb, mais dont les modes de fonctionnement sont complètement différents. Ici, les plateformes sont dirigées et détenues directement par les individus qui en dépendent et qui participent à leurs fonctionnements.
De telles plateformes changent complètement la manière dont les gens dirigent une compagnie, créent de la valeur et redistribuent les richesses accumulées. Enspiral – une entreprise sociale basée en Nouvelle-Zélande qui crée, utilise et distribue des applications libres dédiées aux prises de décision et à la budgétisation – est un parfait exemple de tels mouvements. «Sur le long terme, notre but n’est pas de devenir une communauté qui fasse dix fois la taille que nous faisons aujourd’hui,» confie Craig Ambrose, entrepreneur et développeur. Le facteur social et la mise en place d’une relation de confiance entre les employés sont des éléments primordiaux pour la compagnie.
De nombreux autres exemples de cette culture participative peuvent être trouvés sur internet. Parmi eux, Teem.works (un outil développé afin d’encourager les particuliers à rejoindre des communautés collaboratives), Geeks Without Bounds (un accélérateur de projets humanitaires) ou encore beyondcare (une entreprise sociale et coopérative dédiée à la garde d’enfants).
Renaissance Digitale
«Le vrai but de ce retour aux coopératives, de ce nouveau mouvement économique, est de rendre la terre et les moyens de production aux producteurs eux-mêmes,» explique Douglas Rushkoff. Selon lui, le modèle le plus proche de cette idée peut être trouvé dans les prémisses de l’industrie artisanale, bien loin du Googleplex – le siège social de Google qui abrite aussi Android – et son accumulation massive de capital. «Quand j’examine de nouveaux projets d’entreprises, je me demande toujours si ces dernières sont locales et si elles reconnectent les individus aux lieux de production,» continue-t-il. «Et je suis confiant, car de plus en plus d’entrepreneurs prennent en compte ces paramètres et se dirigent vers des projets commerciaux plus durables.»