Depuis 2012, le collectif citoyen barcelonais 15MpaRato a révélé les plus grands cas de corruption qui secouent le monde de la politique espagnole depuis la crise financière de 2008.
Quand on parle de corruption financière, les politiciens et banquiers sont souvent vus comme échappant à de lourdes peines et ayant droit à des traitements de faveur. Ce régime d’impunité n’est cependant pas infrangible. C’est ce que montre le travail réalisé par 15MpaRato. Son but? Poursuivre les responsables de la crise économique qui a frappé l’Espagne de plein fouet en 2008.
Le collectif a vu le jour le 15 mai 2012, pendant les manifestations célébrant le premier anniversaire du mouvement des indignés – ou mouvement 15-M. Il est soutenu par Xnet, une plateforme activiste dont les actions sont consacrées à la neutralité du net, la «techno-politique», les nouvelles formes de participation citoyenne et de démocratie en «réseau» ainsi que la défense du journalisme citoyen et le combat – légal – contre la corruption.
Comme son nom l’indique, sa première cible est Rodrigo Rato. Ancien vice-président du Parti populaire, ministre de l’Économie de 1996 à 2004, directeur du Fonds Monétaire International (FMI) jusqu’en 2007 et président de la banque Bankia de 2010 à 2012, Rodrigo Rato est maintenant poursuivi pour détournement de fonds, fraude fiscale, blanchiment, escroquerie, faux et usage de faux. Et il n’est pas le seul.
«Après quatre ans de procédures judiciaires, nous avons déjà traîné en justice 100 banksters et politiciens, de tous les partis politiques», annonce fièrement Simona Levi, co-fondatrice et porte-parole de Xnet.
Une action citoyenne
15MpaRato est constitué de dix personnes. Dix citoyens «ordinaires», fatigués d’assister au naufrage de leur pays à cause de politiciens corrompus. «Dans des pays avec un haut taux de corruption, les institutions censées lutter contre de tels dysfonctionnements sont elles-mêmes corrompues», déplore Simona Levi. «Les citoyens doivent commencer à auditer les gouvernements et multinationales eux-mêmes», continue-t-elle. «L’impulsion doit venir de petits groupes et de mouvements bottom-up et il ne faut pas oublier que ces problèmes sont universels, on peut trouver des banquiers et politiciens corrompus partout.»
Le collectif a basé son travail sur une simple observation: quand Bankia (qui a été établie dans le but de consolider les opérations de sept caisses d’épargnes régionales espagnoles) est entrée en bourse en juillet 2011, ses actionnaires pensaient alors réaliser une bonne affaire. Ils ignoraient que la banque était en fait au bord de la faillite, suite à l’éclatement de la bulle immobilière de 2008.
Au bord de l’effondrement, Bankia a été nationalisée en mai 2012 au détriment de milliers de citoyens qui ont perdu leurs économies dans l’opération. Ce fiasco a précipité un sauvetage européen du secteur bancaire espagnol de 41,3 milliards d’euros (le plus gros de son histoire), dont la moitié rien que pour Bankia.
«Il est impossible que Rodrigo Rato, le conseil d’administration et les ministres ignoraient ce qui se passait», dénonce Simona Levi. «Nous sommes en présence d’un dysfonctionnement structurel où la société civile a été utilisée comme une source d’enrichissement.»
Nouvelles technologies et démocratie directe
En été 2012, 15MpaRato a lancé une action en justice contre Rodrigo Rato. Pour couvrir les frais juridiques, le collectif a conduit «la première campagne de crowdfunding politique européenne», selon Simona Levi. Une campagne qui montre comment les nouvelles technologies rendent possibles des modèles de financement alternatif et permettent la mise en place de mouvements démocratiques directs.
«Notre but était de réunir 15,000 euros en l’espace de deux semaines, mais après cinq heures seulement nous avions déjà récolté près de 20,000 euros. Cela montre à quel point la population nous soutient.»
Une deuxième campagne a été menée plus tard et 40,000 euros ont été levés au total. «Nous dépensons près de 10,000 euros par année pour couvrir les frais d’avocat, de déplacement et les frais juridiques généraux. Il est possible que nous menions une troisième campagne, comme la fin du cas est prévue pour 2018», ajoute Simona Levi.
Afin de monter le dossier, 15paRato a d’abord récolté les preuves des renseignements frauduleux qui avaient été transmis aux détenteurs de comptes chez Bankia. Le collectif a ensuite encouragé les petits investisseurs à poursuivre la banque et les a aidés à persuader le ministère public à prendre des mesures.
«Un arrangement a été trouvé et Bankia a dû rembourser 2 milliards d’euros à environ 200,000 petits épargnants», se réjouit Simona Levi.
XnetLeaks: une boîte mail pour reporter les cas de corruption
C’est à travers un système de dénonciation anonyme appelé XnetLeaks que les documents utilisés dans ce dossier ont été récoltés via le site internet de Xnet.
Ce système permet aux citoyens lambda possédant des preuves de corruption de contacter de manière sûre des journalistes et experts légaux. C’est d’ailleurs à travers XnetLeaks et «the Anti-Corruption Commission» que le collectif a pris connaissance en décembre 2013 (rapidement suivi des médias et de la population espagnole) de l’existence d’environ 8000 emails échangés par des cadres de Caja Madrid (devenue plus tard Bankia).
L’affaire, intitulée «les emails de Blesa», révèle que pratiquement tous les managers de Caja Madrid (et ceux de Bankia), sous la présidence de Miguel Blesa et Rodrigo Rato, ont eu accès à des «cartes visa au noir» qu’ils utilisaient pour des dépenses personnelles, sans rien justifier ni déclarer au fisc espagnol, et sont accusés d’avoir ainsi détourné 12 millions d’euros entre 2003 et 2012.
Le premier jour du procès de Rodrigo Rato pour utilisation présumée abusive de cartes de crédit d’entreprise s’est tenu le 26 septembre 2016. Il était accusé, avec 64 autres cadres et membres du conseil d’administration, d’avoir utilisé ces cartes de crédit «occultes» pour payer des séjours en hôtel cinq étoiles, des soirées privées ou encore des achats de produits luxueux.
La déconstruction d’un symbole
Le but de 15MpaRato est double: «Tout d’abord, nous voulions démolir le mythe Rato comme gourou du miracle économique espagnol et comme le joyau du parti conservateur. C’est maintenant un paria qui a été exclu de son parti et de tous les conseils d’administration. Cependant, il n’a pas agi seul et ses complices tombent avec lui», confie Simona Levi. «Ensuite, nous voulions que les petits épargnants qui ont été injustement lésés récupèrent leurs économies, que les responsables de la crise rendent à la population ce qui lui appartient.»
La plus grande force du collectif est sa visibilité. Selon Simona Levi, le fait qu’un cas si compliqué aille si vite est bon signe. «Pendant les deux premières années, ils ont essayé d’aller le plus lentement possible; mais ils ont vite réalisé qu’il était plus avantageux pour eux d’être rapides.»
A environ un an du jugement final, l’objectif de 15MpaRato est de garder, autant que possible, le procès sous le feu des projecteurs médiatiques. «Je n’ai jamais douté que nous gagnerions», conclut Simona Levi «je sais qu’ils finiront tous derrière les barreaux.»
La justice espagnole a donné le ton mardi 17 janvier quand cinq anciens dirigeants de la NovaCaixaGalicia (NCG) (qui avait également reçu une aide de l’État pour éviter sa faillite puis avait été nationalisée en 2011) ont été conduits en prison, après avoir été condamnés en décembre 2015 pour des détournements de fonds.
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