Casinos exigent, Parlement propose

En février 2013, le Conseil fédéral annonçait les grandes lignes d’une loi que tous attendaient suite à la votation de 2012. La mission était claire : fusionner les 2 lois concernant les jeux d’argent et réserver les bénéfices à des fins d’utilité publique. Le temps des débats terminé, la loi prévoit la censure généralisée des sites de jeux d’argent situés à l’étranger déroulant ainsi un imposant tapis rouge pour les casinos suisses, qui seraient dorénavant exclusifs sur le marché des jeux d’argent en ligne.

 

Une loi forgée sur mesure pour les casinos

En 2012, le peuple votait en faveur de l’utilisation des bénéfices à des fins d’utilité publique, alors qu’actuellement le montant reversé avoisine un milliard de francs par année. Il est important de rappeler que ce montant provient des jeux d’argent traditionnels et qu’il continuera d’être versé en faveur de l’intérêt public, quelle que soit l’issue du vote le 10 juin. En outre, ce principe n’est aucunement remis en question par les référendaires, que ce soit dans la présente loi ou dans une future loi, cette volonté populaire doit être respectée et appliquée.

Ce qui est remis en cause, c’est la censure des sites Internet de jeux d’argent situés à l’étranger. Nous l’avons bien compris, les casinos ont profité de cette mise à jour pour s’imposer en éliminant toute concurrence étrangère, afin de préserver leur secteur d’activité et en ayant pour dernière préoccupation l’intérêt prépondérant des Suisses. Dans un monde idéal, cette mesure protectionniste pour les casinos suisses fonctionne : les casinos physiques proposent des offres en ligne  et tous les joueurs les utilisent. Sauf qu’en réalité, les citoyens ont l’habitude d’être libres et nous pouvons attendre d’eux qu’ils continuent d’utiliser les sites qu’ils connaissent depuis plus de 2 décennies, autorisés ou non en Suisse. Alors nous serons les grands perdants : moins de recettes fiscales pour L’État et perte de contact entre les organismes de prévention et les joueurs à risque.

Dans de telles conditions, un système de licences, ouvert à tous les acteurs de ce marché, aurait dû être proposé au vu de ces avantages : il permet de taxer les bénéfices et de cadrer strictement les acteurs, tout en garantissant que les citoyens jouent dans un cadre protégé, légal et respectueux des lois de notre pays.

 

Prévenir plutôt qu’interdire

Les associations de prévention étaient présentes, sans doute moins visibles que les casinos au vu du résultat au Parlement, mais actives dans les discussions et pro-actives en matière de propositions : elles suggéraient notamment d’augmenter les taxes pour donner plus de moyens aux organes en charge de la prévention, et de créer une commission indépendante pour conseiller les autorités en matière de prévention. Ces deux mesures étaient judicieuses et constructives; elles ont toutefois été rejetées. À la place, le Parlement a choisi l’interdiction, qui est tout sauf efficace en matière de prévention.

Le recours à la censure, combattue par les générations qui nous ont précédés, reviendrait aujourd’hui par la petite porte et serait même défendu par certains qui l’avaient combattue en leur temps, pour motif qu’elle permettrait d’augmenter très légèrement les bénéfices des jeux d’argent reversés à la collectivité… C’est à n’y rien comprendre. L’intérêt matériel des loteries et casinos compte-t-il vraiment plus que certains principes élémentaires ? Plutôt que d’interdire, il aurait mieux valu améliorer la prévention et recourir à la réglementation de sorte à inclure et taxer les offres de sites étrangers.

 

Le protectionnisme n’est pas une solution

La censure sur Internet pourrait être demandée par de nombreux secteurs soumis à la concurrence étrangère, à commencer par l’industrie ou le commerce de détail qui souffrent bien plus que les casinos des offres internationales en ligne. Ce n’est évidemment pas avec des mesures protectionnistes que l’on garantira la prospérité de demain. Au contraire, nous devons miser sur l’innovation et la digitalisation; et pour cela nous avons avant tout besoin d’un accès ouvert à Internet, n’en déplaise au lobby des casinos.

La Suisse est une économie de pointe, interconnectée et tournée vers le monde, qui gagne de la valeur et des emplois grâce à un internet libre et ouvert. Le blocage automatique de sites Internet dont le seul défaut est de se trouver à l’étranger ne fait pas partie de notre programme pour l’avenir. Cette loi réintroduirait la censure comme mesure prioritaire, remettant en question la liberté des citoyens gagnée par les générations précédentes. Les citoyennes et citoyens suisses ont intérêt à voter “Non” le 10 juin, afin de renvoyer ce texte au Parlement. Celui-ci aura alors pour mission de revoir sa copie et de proposer une véritable loi dans l’intérêt public, et non dans l’intérêt des casinos.

Johanna Gapany

Libérale-radicale et économiste d'entreprise, Johanna Gapany vit la politique au quotidien. Après avoir été cheffe de campagne pour le PLR fribourgeois lors des élections nationales (2013-2015) et vice-présidente des Jeunes Libéraux-Radicaux Suisse (2012-2016), elle rejoint l'exécutif bullois en 2016 et devient députée durant la même année. Puis, elle vise un siège au Conseil des Etats en 2019 et décroche le siège après une campagne intense face aux deux sortants. Sa volonté ? S'impliquer davantage pour le renforcement de sa région, avec un œil attentif sur le rôle restreint de l'Etat et surtout la grande autonomie de chacun. Pour une politique libérale qui évite les excès, prend ses responsabilités et permet chacun de se former, de créer, de vivre.