Sun Tzu parle aux dirigeants stratèges

Ni marketing, Ni stratégie : l’art de l’ignorance et le prix de la méprise sémantique

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   Si l’intelligence stratégique est assimilée à la capacité d’anticiper le pire et porte dans ses gènes l’art de prévoir, elle se différencie du simple marketing par son application opérante en tant que science de la gestion des risques. Cette génétique managériale, pourtant cruciale dans la bonne gestion d’une entreprise et sa pérennisation dans le temps ne vient ni des esprits ni des dieux car, elle ne doit jamais être tirée d’analogies avec le passé ni le fruit de conjectures ou de supputations conjoncturelles.

   Pourtant, si beaucoup d’entreprises ne pratiquent pas ou trop peu l’analyse stratégique dans leurs conquêtes économiques et leur gestion des risques, elles ignorent encore ce que fut et ce que doit être la base de toute création, diversification ou partenariats commerciaux : le marketing stratégique. Simple méprise sémantique ou réinterprétation culturelle volontaire ?

   En voici quelques indices.

De la difficulté de penser la stratégie pour les dirigeants : quelques indices managériaux

   La majorité de nos entreprises n’intègrent pas ou difficilement les notions et les bases structurelles d’une architecture stratégique ; soit par défaut d’accompagnement dans leur croissance, soit – et c’est très souvent le cas – par ignorance des fondamentaux invisibles – l’ossature en quelque sorte – d’une solide infrastructure défensive. Préalable à tout engagement économique, la capacité première de préservation et de repli en cas d’imprévus ; et la majorité de ces imprévus sont à 99% du ressort de l’ordre humain.

   Diriger est avant tout une série de qualités qui précèdent celles de la fonction. Si la plupart des managers le deviennent avec le temps par l’expérience au sein d’un secteur d’activité particulier, beaucoup transportent leur savoir-faire au gré des opportunités économiques et naviguent avec un bagage et des méthodes emprunts de secteurs aux enjeux stratégiques très différents. Dans cet article, nous parlerons essentiellement de secteurs et d’entreprises soumis à des contraintes technologiques et concurrentielles fortes ; en d’autres termes, de sociétés dites ‘sensibles’.

Manager en ‘stratégie’ : Identifier avant tout ses faiblesses… Vos premières menaces.

   Il est reconnu par beaucoup que la pensée ‘stratégique’ n’est pas suffisamment enseignée dans nos écoles ou nos formations professionnelles continues. La notion reste abstraite, voire secondaire dans les pratiques managériales de la plupart de nos entreprises. On lui préférera des méthodes intuitives basées sur des analyses lacunaires ou des arrangements de salon en comité de direction réduit, tant par ses privilèges que pour l’intérêt prioritaire de ses actionnaires.

En instituant une infrastructure de ce type, on dilue le cœur même de l’entreprise et son efficacité pour la conduire invariablement à perdre sa raison d’être. Cet état de fait – d’ordre humain et organisationnel – est l’une des principales causes des échecs économiques et des dissolutions qui s’ensuivent.

   Si les objectifs sont fondamentaux, on ne peut précisément les identifier ni les atteindre si les moyens et les capacités cognitives et techniques n’ont pas été définis. Étrangement, la plupart des traités de stratégie d’entreprise ‘modernes’ omettent l’un des aspects les plus criants des échecs économiques : les qualités et les capacités humaines des entrepreneurs à s’engager personnellement en fonction de l’ambition du projet à atteindre.

Marketing & Stratégie : Une redéfinition culturelle

   Du grec stratos – Στρατηγός ou στραταγός : ‘armée’ et agein : ‘conduire’, un stratège est avant toute fonction militaire de Chef d’armée, un membre du pouvoir exécutif d’une cité grecque. Dans le monde hellénistique et l’Empire Byzantin, le terme a également été utilisé pour décrire un gouverneur militaire. La ‘stratégie’ est ainsi historiquement avant tout une fonction martiale compétente en matière de coordination de forces impliquées dans un ‘conflit’ et en vue de forcer une victoire par la force brute. Voilà pour les militaires.

   En matière économique, elle se définit par des actions nécessaires à optimiser la compétitivité de l’entreprise et à lui permettre d’exploiter durablement un marché de manière rentable. Dans les faits, ces deux aspects – militaires et économiques – se matérialisent par une planification ‘stratégique’ rationnelle adaptée à l’entreprise. La formulation moderne encore en vogue chez certains procèdent des travaux du Boston Consulting Group à partir des années cinquante. La plupart des pays européens tarderont à intégrer les notions pragmatiques et les méthodes proposées par les modèles et les process étasuniens – trop ‘froids’ dans leurs applications méthodiques – dont la culture des affaires tranche sensiblement avec une vision plus latine et humaniste de nos ‘vieilles’ civilisations.

USA, 1946 : Comment ‘moderniser’ le modèle économique d’avant-guerre ?

   Outre l’appel des affaires et la gestation d’une future société exclusivement basée sur sa capacité de consommation, la reconversion de l’incroyable machine militaro-industrielle américaine vers des applications civiles justifiaient quelques sérieuses études de marché…

   L’application de la science du ‘marketing’ prenait alors tout son sens dans la mesure ou celle-ci répondait parfaitement à trois impératifs de conquête : identifier les nouveaux besoins, connaître et comprendre la concurrence et protéger ses conquêtes commerciales. Ces principes de bon sens sont immémoriaux, intemporels et procèdent de notre condition humaine principale : la survie. Le marketing se résume par la définition la plus universelle suivante : « un ensemble de techniques qui a pour objet la stratégie commerciale et notamment les études de marché. »

   Il n’est pas simplement question à cette époque de développer les bases d’une nouvelle théorie économique qui consisterait à imposer le dogme du ‘grandir ou périr’, mais bien de comprendre le marché ciblé en s’assurant de ses besoins et ses capacités à les assouvir. Il s’agit donc moins ici de saturer aveuglément les marchés de biens de toutes sortes mais bien d‘identifier les besoins exploitables – ou les ‘espaces vides’ – pour conquérir efficacement les marchés les plus captifs, quitte à réadapter ses outils de production et ses services.

Années 70, l’avènement publicitaire : une lente digression du stratégique en affaire de ‘communicants’.

   Le marketing est mort ! Vive la communication ! –  Pourtant, au cours des années 70 pour des raisons liées entre autres à une rupture générationnelle, la définition initiale se trouva amputée de sa doctrine la plus élémentaire : le renseignement économique, pour devenir, selon l’American Marketing Association : « une activité, un ensemble d’institutions et de processus de création, de communication, de diffusion et d’échange d’offres qui ont de la valeur pour les clients, les partenaires et la société en général. »

   Le ver est déjà dans le fruit… Alors que le stratégique disparaît dans les limbes de la deuxième guerre mondiale, le ‘marketing‘ fait à son tour les frais de cette même incompréhension culturelle et sera retranscrit dans ses fondamentaux pour être relégué en un tour de passe-passe sémantique à une simple activité de ‘communication’… une fatale erreur sémantique qui a conduit nombre de sociétés européennes à se priver d’une cellule d’informations qualifiées de leurs propres marchés ; car, le marketing dans ses fondamentaux historiques, est la colonne vertébrale du renseignement économique d’une entreprise… Incompréhension sémantique tardivement retranscrite en intelligence économique ou ‘stratégique’ : le même marketing stratégique d’avant avec une extension d‘activité aux méthodes plus offensives. Les retards linguistiques des uns et l’anglophobie génétique des autres n’y seraient apparemment pour rien… Le marketing stratégique n’est plus, vive la com’ !

   Le creuset d’incompréhension n’a depuis cessé de s’élargir pour fragiliser encore plus nos industries et voir nos meilleurs savoir-faire se volatiliser dans les nombreux tourbillons de la mondialisation ; mondialisation qui, rappelons-le est une autre forme de guerre : économique celle-là. Ces 40 dernières années ont donc vu fleurir une nouvelle génération de managers et ‘d’experts’ marketing plus souvent portés par la communication du contenant que la composition du contenu…

« La stratégie, c’est pour la guerre ; la ‘com’ c’est pour les affaires… »

Déficience stratégique et Déni marketing : un cocktail explosif

   L’expansion et l’accessibilité des moyens de communications virtuels par le plus grand nombre jouent en la faveur de communicants. Les aspects visuels et esthétiques que sont le design et la communication ont progressivement phagocyté les plus gros budgets de fonctionnement des entreprises au détriment de leur surveillance des marchés.

  Pour les entreprises les plus importantes, ces choix esthétiques plutôt que pratiques n’ont pas été immédiatement perçus comme des causes d’échecs. Les coupables par contre, sont désignés d’avance : le manque de budget publicitaire couplé à des ‘errements’ de choix dans le positionnement auprès de supports/relais médias ; mais jamais à l’impréparation stratégique…

   Ainsi, il n’en va que trop rarement des véritables raisons liées à une mauvaise segmentation de marché ; du manque d’anticipation de la survenance d’une crise politique ou économique ; d’un affaiblissement du pouvoir d’achat ; d’une concurrence mieux implantée (réseaux de distribution ou référencement internet) et plus réactive ; de changements réglementaires conséquents ; de ruptures technologiques prévisibles… La plupart du temps, des signaux pourtant ‘forts’, quand on veut les voir !

   Si chaque année les meilleurs ‘flops marketing’ s’alignent avec autant d’entrain sur les blogs d’experts de la chose ‘mercatique’, les raisons ‘techniques’ invoquées ne doivent pas occulter le manque de pragmatisme et les déficiences constatées dans la compréhension du terrain à occuper. Il est vrai que la digitalisation de nos moyens de communication a certes, porté un coup sérieux au marketing dit ‘traditionnel’ – plus ‘grégaire’ et moins sexy -, mais il n’empêche que le bon sens en matière d’affaires – par la pratique (à temps plein) de veilles et d’analyses -, ne peut que mieux renforcer le poids d’influence et la pérennité d’un acteur économique sur son terrain de prédilection.

Manager en ‘stratégie’ : redéfinir son écosystème marketing

   Le macro-environnement marketing d’une entreprise consiste en une variété de facteurs externes qui se manifestent sur une grande échelle (ou macro). Une méthode courante d’évaluation du ‘macro-environnement’ d’une entreprise consiste à effectuer une analyse ‘PESTEL’. Les analyses de marché macro-économiques comprennent un ensemble de points vitaux que sont les aspects politiques, économiques, sociaux, technologiques, juridiques (réglementaires) et écologiques. Dans le cadre d’une analyse de marché, une entreprise analysera donc : les questions de politiques nationales, de réglementation, de culture et le climat des affaires, les tendances économiques et les évolutions comportementales et sociétales. Viendront ensuite l’adaptation des processus commerciaux en interne puis en dernier ressort, la politique de communication [d’influence] la mieux adaptée.

   Dans le cadre des entreprises et des institutions financières, l’analyse ‘macro’ porte exclusivement sur l’environnement des risques, leurs natures, leurs probabilités et l’analyse des impacts réels et sérieux dans le cas de leurs survenances. Comprendre son écosystème devient ainsi une subtile combinaison méthodique afin d’identifier les nouvelles opportunités mais aussi les nouveaux risques inhérents.

   En cela le Sun Tzu nous rappelle :

« Une réalisation ne dépasse celle du commun que par la capacité d’anticipation, de prévision. Le recueil d’informations préalables ou prévisions n’est ni le fruit de quelconques conjectures divinatoires ni celui de prédictions tirées d’analogies trompeuses de précédents historiques. La capacité de prévision ne provient uniquement que des hommes renseignés connaissant la situation de l’adversaire qui, par leurs rapports fidèles vous informent des dispositions de celui-ci. »

   En cette période inédite, il est capital de réapprendre nos bases perdues : Celles qui nous enseignent à écouter le marché pour être mieux entendu. Il est tout aussi capital pour nos entreprises de réviser certains acquis trompeurs.

   En conclusion :

« Un grand général doit savoir l’art des changements. S’il s’en tient à une connaissance vague de certains principes ; à une application routinière des règles de l’art et une certaine connaissance de la topographie ; si ses méthodes de commandement sont dépourvues de souplesse, s’il examine les situations conformément à quelques schémas, s’il prend ses résolutions d’une manière mécanique, il ne mérite pas de commander. »

« Un stratège doit connaître parfaitement le terrain et sa topographie avant d’y conduire son armée ; afin d’en tirer parti au mieux il recourt aux services de guides locaux et d’éclaireurs. Qui néglige un seul de ces points, n’est pas digne de conduire une armée. »

   À bon éclaireur, … Bon entendeur !

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