Les féministes et leur nombril : cinquante ans d’une rhétorique conservatrice.

La grève féministe du 14 juin dernier n’a pas manqué de faire réagir la présidente des femmes UDC romandes : « Le drapeau des néo-féministes serait bien davantage révélateur de leur état d’esprit et de leurs préoccupations s’il arborait un nombril plutôt qu’un poing levé » [i]. Autrement dit, les militantes féministes actuelles ne se préoccuperaient que de leur petite personne. Une rhétorique presque aussi vieille que les luttes féministes, que j’examine ici sous l’angle du narcissisme et du genre.

Une nostalgie pour le « vrai » féminisme

Remontons un peu en arrière. Il y a un quart de siècle, la journaliste Ginia Bellafante écrit dans le Times un article au titre évocateur : « Feminism : It’s all about me ! ». Le chapeau de l’article ne laisse pas vraiment de doute sur la nature de ses sentiments envers les féministes de son époque : « Want to know what today’s chic young feminist thinkers care about ? Theirs bodies, Themselves ! »[ii]. L’article vise essentiellement les pseudoféministes de son époque, plus intéressées selon elle par leur propre corps que par la cause féminine, contrairement aux vraies militantes des années 60 et 70, qui auraient su transformer ce qui relevait de la vie privée des femmes en affaire politique.

Il y a un demi-siècle, en effet, une puissante vague féministe déferle sur la société occidentale et réclame le droit pour les femmes de disposer de leur corps, exige une véritable politique menée contre les violences domestiques et le viol, et remet en question les normes sociales et culturelles de la société patriarcale.

Et pourtant, ces revendications – qu’on peut difficilement qualifier d’égoïstes aujourd’hui – déchaînent alors une réaction conservatrice sans précédent, qui dépeint la féministe en hystérique, gouine, garçonne, mal-baisée… et narcissique. Ces réactions vont parvenir à associer à la féministe des caricatures qui auront la vie longue : l’images de la féministe brûlant un soutien-gorge (jamais avérée), ou celle de la féministe égoïste et superficielle, qui ne se préoccupe que de sa “présence sexuelle” au bureau [iii] contribueront à donner au qualificatif « féministe » un parfum de scandale.

À vrai dire, à chaque fois que les femmes se sont levées pour défendre leurs droits, il s’est trouvé des voix pour les accuser d’être les fossoyeuses de la famille, de l’amour et de la patrie, Sainte Trinité des antiféministes.

Portrait de la féministe en narcissique

Il vaut la peine de s’arrêter sur le prétendu narcissisme des féministes. Dans mon précédent article, je montrais comment le narcissisme, à ses origines, avait été étroitement associé à la femme, et comment ce diagnostic trahissait à la fois le regard objectivant de l’homme sur le corps des femmes ainsi que les normes sociales et culturelles d’une société patriarcale. Or, ce sont justement ces normes que remettent en question les féministes de la seconde vague.

Dans « La femme mystifiée » [iv], Betty Friedan déplore le reflux de la condition féminine après les avancées du début du siècle. Les femmes ont certes le droit de voter, étudier et travailler ; mais dans les faits, elles ne fréquentent les universités et les bureaux que le temps de trouver un mari. La journaliste et les féministes d’alors mettent en cause l’omniprésence dans la société des injonctions à être une bonne mère, une belle épouse et une ménagère exemplaire ; la stigmatisation des femmes qui choisissent une autre voie ; l’objectivation du corps des femmes dans la culture, l’espace public et les médias de masse.

Autrement dit, les inégalités vécues par les femmes ne sont pas uniquement provoquées par un manque d’accès aux postes à responsabilité, mais également par le fait de « vivre sa vie privée sous la surveillance d’idéaux sociaux et culturels oppressifs », pour citer Imogen Tyler, sociologue britannique qui s’est penchée sur la question qui nous intéresse [v].

La boîte à outils réactionnaire

En luttant contre les normes sociales et culturelles d’une société patriarcale, en s’attaquant à l’objectivation du corps des femmes, les féministes de la seconde vague s’en prennent frontalement aux fondements du prétendu narcissisme féminin. Les accuser de narcissisme relève donc à la fois du paradoxe et de la malhonnêteté intellectuelle.

Mais Il faut plutôt concevoir ces accusations comme une rhétorique qui a depuis lors fait son entrée dans la boîte à outils réactionnaire, aux côtés de l’hystérie. Ces diagnostics sont ressortis à chaque fois que des revendications sociales ou sociétales sont soulevées dans la communauté. Ils sont par ailleurs très complémentaires : l’hystérie – parodiée comme une gesticulation émotive sans effet – permet de montrer l’inanité des revendications, tandis que le narcissisme – vu comme un synonyme d’égoïsme – est associé à la mise en péril du reste de la société. L’inanité et la mise en péril font partie, à côté de l’effet pervers, de la triade de la rhétorique réactionnaire analysée par Albert Hirschman[vi]. L’avantage de la psychologisation des luttes est qu’elle permet de se passer d’un débat de fond. En concentrant immédiatement le débat sur le messager, on évite de devoir répondre du message.

L’exemple américain

Dans son article, la présidente des femmes UDC romandes estime que la poursuite des manifestations est un aveu d’échec : si les manifestations depuis 2019 avaient eu un quelconque effet, il n’y aurait pas eu besoin de les répéter. Un regard sur le passé nous montre que c’est au contraire au travers de luttes répétées et obstinées que les droits des femmes ont été obtenus. Et la triste actualité américaine nous confirme que ces luttes sont loin d’être gagnées face à des conservateurs prêts à sacrifier le corps des femmes pour une vision dépassée de la société.

 

Crédit photo : Gustave Deghilage, grève féministe du 14 juin 2020, Place de la Riponne. https://www.flickr.com/people/degust/

 

[i] https://blogs.letemps.ch/lucie-rochat/2022/06/13/le-neo-feminisme-ou-le-nombrilisme-porte-en-projet-politique/

[ii] Ginia Bellafante, article du Time paru le 29 juin 1998

[iii] Tom Wolfe, The me Decade and the third great awakening, https://nymag.com/news/features/45938/

[iv] Betty Friedan, la femme mystifiée, page 20

[v] Imogen Tyler, Who put the me in narcissisme, 2005, feminist theory

[vi] Albert O.Hirschman, deux siècles de rhétorique réactionnaire, 1991, Fayard, Paris

Le pervers narcissique, bouc émissaire de la violence conjugale

Un spectre hante nos relations amoureuses : le spectre de la perversion narcissique. Désignant à l’origine un mécanisme par lequel un individu se dégage d’un vécu insupportable en le projetant sur autrui, la perversion narcissique est aujourd’hui synonyme de manipulation et de harcèlement. Volontiers employé pour décrire les auteurs de violence psychologique au sein des couples, le concept tend à psychologiser la violence conjugale et à masquer les rôles du genre et des rapports de domination au sein des relations hétérosexuelles[i].

De la mère séductrice au pervers narcissique

Psychiatre et psychanalyste, Paul-Claude Racamier (1924-1996) passe plusieurs décennies à soigner des patients souffrant de schizophrénie, notamment à travers des interventions groupales, familiales et institutionnelles. Ses travaux lui permettent d’identifier des dysfonctions relationnelles précoces entre la mère et l’enfant pouvant selon lui faire émerger une schizophrénie : la paradoxalité[ii] et la séduction narcissique[iii]. Ces modes de relations compromettraient le développement d’un moi autonome, la reconnaissance de l’altérité (l’autre est perçu comme un prolongement de soi) et le renoncement à la toute-puissance infantile. Devenue adulte, la victime, face à une angoisse, une ambivalence ou une conflictualité qui la placerait au seuil de la psychose, expulserait son vécu chez un tiers. Ce mécanisme est pervers car il instrumentalise l’autre tout en étant source de jouissance. On peut dire ainsi qu’au début de ses travaux, Racamier conçoit la perversion-narcissique comme une solution à la psychose.

Par la suite, le psychiatre constate que cette organisation psychique n’est pas réservée aux patients souffrant de schizophrénie et ce changement a son importance : alors que ses premiers écrits laissent entrevoir l’empathie qu’il porte pour ses patients, l’évolution de son discours trahit l’indignation morale qui le gagne progressivement : dans un ouvrage publié quatre ans avant sa mort, il note : « Il n’y a rien à attendre de la fréquentation des pervers narcissiques, on peut seulement espérer s’en sortir indemne[iv] ».

Le genre de la perversion narcissique

A l’origine, la perversion narcissique concerne autant la femme que l’homme. Ce serait toutefois les agissements d’une femme qui auraient inspirés les travaux de Racamier : « Rare, très rare si dans une institution de soins il ne se trouve pas une femme en coulisse (habile et bien placée) pour essayer de mettre la main sur le manche du pouvoir »[v]. En distinguant une forme féminine (la phalloïde, appelée ainsi pour ses caractéristiques castratrices) et masculine proche du narcissisme glorieux, Racamier s’éloigne de l’objectivité clinique pour friser avec les préjugés sexistes.

Aucune donnée épidémiologique n’est disponible au sujet du ratio hommes-femmes de la perversion narcissique, et ce pour deux raisons principales : tout d’abord le concept est une spécialité francophone, absente des grandes nosographies internationales et donc des études épidémiologiques. Ensuite, le pervers narcissique n’éprouve quasiment jamais le besoin de consulter : quand le diagnostic est posé, c’est donc à travers les plaintes de la victime – ce qui pose bien évidemment des questions déontologiques. Mais les successeurs de Racamier vont s’intéresser aux situations particulières dans lesquelles sévit le pervers : le travail, la famille, et surtout le couple : lieux ou le rapport de domination est plutôt en faveur des hommes.

A la fin des années deux-mille, une intense médiatisation contribue à faire émerger dans l’espace public la figure repoussoir et masculine du pervers narcissique, manipulateur et harceleur, jouissant en toute impunité de la déroute de ses victimes féminines. Omniprésente dans l’espace public, la thématique de la perversion narcissique est abordée avec une rhétorique belliqueuse : il s’agit de repérer, voire traquer le pervers pour ensuite le neutraliser ou s’en débarrasser.  Figure bouc-émissaire, le pervers fait de la violence conjugale un évènement ponctuel, un accident commis par quelqu’un à moitié fou, à moitié maléfique. Le pervers, c’est toujours le voisin, le collègue, le beau-frère : jamais soi-même.

La femme quant à elle est décrite soit comme victime, soit comme complice (le pervers narcissique et son complice est le titre d’un célèbre ouvrage sur le sujet[vi]) – sous entendant que la femme participerait activement à la naissance de la relation perverse. Ainsi, la soumission féminine apparait soit comme une faiblesse, soit comme un choix délibéré, une vision très réductrice qui ne prend pas compte de l’intériorisation d’un rapport de domination et de l’objectivation du corps des femmes par les hommes. Au final, l’usage du couple pervers-narcissique et victime concentre les efforts pour éclairer les mystères des personnalités du pervers et de sa victime plutôt que les mécanismes qui fondent cette domination.

« L’invention » de la violence psychologique

Psychiatre et psychanalyste elle-aussi, Marie-France Hirigoyen, va s’intéresser à cette domination en prenant le problème par l’autre bout : celui des victimes. Spécialisée en victimologie, son expérience clinique la met sur la voie d’une violence psychologique, concept qu’elle a « inventé » et qui a eu un grand succès en France. La violence psychologique désigne « un processus visant à établir ou maintenir une domination sur le ou la partenaire (…) pour se rehausser, en rabaissant l’autre »[vii]. Selon elle, toute violence physique est précédée par une violence psychique. On assiste donc à la fois à une extension du domaine de la violence conjugale et sa psychologisation[viii]. Curieusement, la psychiatre, qui multiplie les exemples de femmes harcelées par des hommes, estime que si les hommes « usent volontiers de la violence physique pour dominer et contrôler, les femmes utilisent plus fréquemment la violence perverse et la manipulation ». Elle en vient donc à décrire un fait genré (les auteurs de violence conjugale sont dans une immense majorité des hommes) à l’aide d’un processus qui semble paradoxalement « coller » à la nature féminine.

Ainsi, cette conception de la violence psychologique peut être retournée pour servir d’argument aux mouvements défenseurs des hommes. Ces derniers s’appuient sur une différenciation sexuée de la violence : à l’usage viril de la force physique (parfois vue comme l’expression naturelle et positive des sentiments masculins) répond l’usage féminin de la violence psychologique. Non seulement la violence psychologique des femmes précède et justifie la violence physique des hommes, mais cette violence est même parfois décrite comme équivalente, ou pire que la violence masculine : si un coup de poing peut envoyer la victime à l’hôpital, la parole blessante de la femme peut pousser l’homme au suicide ! Le sociologue Francis Dupuy Déri a bien décrit et démonté ces thèses dans un ouvrage sur la « crise de la masculinité » [ix].

Un autre problème avec le concept de violence psychologique est qu’il fonde la violence conjugale sur une relation « malade », qui dessine, par la négative, une relation saine, symétrique, pour peu que l’on respecte l’autre, qu’on l’écoute et qu’on ne se montre pas violent. Le respect et l’écoute sont certes importants, mais ne fondent pas pour autant une relation symétrique : qu’en est-il de la division genrée du travail, des inégalités socio-économiques, de la double journée de travail des femmes ? Qu’en est-il des rapports de domination ordinaire au sein des relations hétérosexuelles ?

La domination masculine dans les relations hétérosexuelles « ordinaires »

Dans son dernier essai, « Réinventer l’amour, comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles », la journalise Mona Chollet montre que les femmes sont encouragées socialement à se remettre en question, à pratiquer l’introspection, « mais aussi à douter d’elles-mêmes, à se culpabiliser sans cesse, à penser que tout est de leur faute ou de leur responsabilité, à s’excuser d’exister ».[x] Les hommes, eux, sont habitués à penser que tout leur est dû, et sont davantage encouragés à agir plutôt qu’à pratiquer la remise en question de soi. Mona Chollet ajoute que les femmes sont poussées à s’accomplir dans la relation amoureuse, ce qui implique un effort pour réparer la relation et éventuellement le conjoint… Comment ne pas y voir une autre explication à la prétendue « complicité » de la victime du pervers-narcissique ? Un point fort de son essai est la manière avec laquelle elle vient gratter la relation de couple hétérosexuelle « idéale ». Loin d’être un havre d’amour et de respect mutuel, les relations hétérosexuelles décrites dans les grandes œuvres cinématographiques et romanesques, sont traversées par une domination masculine et une soumission féminine. Elle montre comment la domination, l’usage masculin de la force – jusqu’au viol conjugal – a été érotisée, à tel point que pour certaines personnes, l’égalité est un tue l’amour. D’où l’importance pour elle de « réinventer l’amour ».

Différentes grilles de lecture

Il ne s’agit cependant pas de rejeter la perversion narcissique du seul fait que son usage est galvaudé. Il existe des personnes manipulatrices qui tirent jouissance de la dévastation d’autrui, appelons les pervers narcissiques. Il existe également des personnes dont certaines vulnérabilités les poussent à répéter des situations traumatiques, appelons les complices. En fait, nous pouvons tous, face à un évènement qui nous submerge, devenir momentanément pervers ou complice de perversion, sans que cela fasse de nous un pervers-narcissique. Dans tous les cas, il est primordial que la souffrance des victimes puisse être reconnue.

Seulement, ces analyses psychologiques ne sont pertinentes que pour décrire des souffrances singulières, dans le cadre de conjugopathies, où un membre du couple exerce une emprise psychologique sur l’autre. Le problème apparait lorsque que cette grille de lecture sature l’espace public et entend généraliser ses conclusions sur un problème aussi complexe que la violence conjugale. Il faut rappeler que cette dernière n’est pas un problème psychologique : la plupart des auteurs de violences ne souffrent pas de maladies psychiques, et la majorité des personnes souffrant de maladies psychiques ne sont pas violentes.

La perversion ou la part sombre de nous-même

Dans son ouvrage : « La part sombre de nous-même, une histoire des pervers », Élisabeth Roudinesco, commentant les travaux de Foucault, appelait les pervers « ceux qui sont désignés tels par les sociétés humaines, soucieuse de se démarquer d’une part maudite d’elles-mêmes[xi] ». Aujourd’hui, le pervers narcissique est désigné pervers pour que l’homme « ordinaire » ne se sente pas concerné par un rapport de domination qui se joue chaque jour, dans toutes les relations hétérosexuelles. Que restera-t-il de la perversion narcissique, le jour où les rapports de domination cesseront au sein des couples ?

 

Illustration: Peter Paul Rubens – deux satyres, Wikipedia Commons

[i] [i] Cet article ne traite que des relations hétérosexuelles. Cela ne veut pas dire que la violence conjugale n’existe pas au sein de la communauté LGBTIQA+, mais qu’elle n’est pas médiatisée de la même manière.

[ii] La paradoxalité consiste à soumettre à une personne des injonctions inconciliables. Incapable de répondre à l’injonction qui lui est faite, l’enfant se voit empêché de penser et disqualifié dans son être. Ce concept rapproche Racamier des travaux de Bateson et l’école de Palo Alto, avec la notion de double bind, ou des travaux du psychiatre Harold Searles, résumés dans son livre au titre éloquent : les efforts pour rendre l’autre fou. L’exemple d’injonction paradoxale souvent évoqué est celui d’une mère qui offre deux cravates à son fils, une verte et une jaune. Pour faire plaisir à sa mère, le fils porte la jaune. Celle-là s’écrie : « tu n’aimes donc pas la verte ? » L’opération se répète avec l’autre cravate. Quand, perdu, l’enfant se décide à porter les deux cravates ensemble, sa mère s’exclame : « mais tu n’as donc pas toute ta tête ! ».

[iii] La séduction narcissique désigne une relation symbiotique dans laquelle le nouveau-né est considéré comme une extension narcissique du parent. Ce type de relation abolit toute altérité et prévient le développement d’une ambivalence et conflictualité essentielle.

[iv] Racamier, Paul-Claude. « Le génie des origines, psychanalyse et psychose », Payot, 2002

[v] Ibid, ce paragraphe doit beaucoup à Joly, Marc, et Corentin Roquebert. « De la « mère au narcissisme pervers » au « conjoint pervers narcissique ». Sur le destin social des catégories « psy » », Zilsel, vol. 8, no. 1, 2021, pp. 254-283.

[vi] Eiguer, Alberto. « Le pervers narcissique et son complice », Dunod, Paris, 2012

[vii] Hirigoyen, Marie-France. « Femmes sous emprise, les ressorts de la violence dans le couple », Oh éditions, 2005.

[viii] Delage, Pauline. « Perversion narcissique, genre et conjugalité », Zilsel, vol. 8, no. 1, 2021, pp. 240-253.

[ix] Dupuis-Déri, Francis. « La crise de la masculinité, autopsie d’un mythe tenace », les éditions du remue-ménage, 2017.

[x] Chollet, Mona, Réinventer l’amour, comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles, Zones (La découverte), 2021.

[xi] Roudinesco Élisabeth, La part obscure de nous-mêmes, une histoire des pervers, Albin Michel, 2007

La fascination pour le diagnostic de Donald Trump

S’il y a bien une règle que Donald Trump peut se prévaloir de respecter, c’est celle que Freud prescrivait à ses patients avant de les allonger pour la première fois sur le divan : « Vous allez observer que, pendant votre récit, diverses idées vont surgir, des idées que vous voudriez bien rejeter parce qu’elles ont passé par le crible de votre critique. Vous serez tenté de vous dire : “Ceci ou cela n’a rien à voir ici” ou bien “telle chose n’a aucune importance” ou encore “c’est insensé et il n’y a pas lieu d’en parler”. Ne cédez pas à cette critique et parlez malgré tout, même quand vous répugnez à le faire ou justement à cause de cela »[1]. Cette règle faisait émerger des pensées inconscientes, favorisant ainsi le travail analytique.

Ainsi, les prises de paroles de Donald Trump, le flot ininterrompu de ses tweets sans censure et parfois sans signification – comme le mystérieux « covfefe » tweeté en mai 2017 – offrent un matériel inespéré à ceux qui voudraient lui trouver un diagnostic – et s’assurer un succès éditorial. On ne compte en effet plus le nombre de livre critiquant la personnalité de Trump, analysant le moindre de ses comportements pour démontrer sa folie. Les nombreux échos des médias américains transforment chaque brûlot en best-seller. Dernier-né du genre, le documentaire Unfit, qui sort à la fin de ce mois aux États-Unis, compare Donald Trump à Hitler et démontre avec l’appui de psychiatres émérites que le président est un psychopathe. L’enjeu est de taille à l’approche des élections. D’autant plus que le 25e amendement de la Constitution des États-Unis permet d’écarter du pouvoir de manière temporaire ou définitive un président reconnu incapable d’exercer sa fonction. Mais à force de centrer sur le personnage plutôt que sur sa politique, on occulte les dimensions sociales et économiques qui ont permis son ascension, laissant ainsi un boulevard pour le tout prochain Trump.

Le couple Conway, le président et le quarterback

Kellyanne Conway est depuis 2016 la plus proche conseillère de Donald Trump. On lui doit notamment l’invention des « faits alternatifs ». George Conway est quant à lui l’un des plus féroce adversaire du président au sein le camp conservateur. Le couple illustre les clivages des républicains face à Donald Trump. L’affrontement a pris une tournure beaucoup plus dramatique ces derniers jours avec l’appel à l’aide de leur fille sur twitter, les décidant chacun de leur côté à prendre leur distance avec la politique.

Un des angles d’attaque de George Conway contre Donald Trump est justement le narcissisme pathologique de Trump[2]. Dans un essai paru en 2019[3], l’avocat fait le curieux parallèle entre le diagnostic du président et la jambe cassée du quarterback des Washington Redskins Alex Smith lors d’un match face aux Houston Texans. Subissant une lourde charge de ses adversaires, le joueur s’écroule et se tord de douleur. Les ralentis montrent la déformation de la jambe, le pied qui prend des angles interdits par l’anatomie. Les téléspectateurices ne sont pas chirurgien·nes orthopédiques. Iels ne savent pas combien d’os contient la jambe et ne savent pas pratiquer un examen clinique. Selon Conway, Iels en savent toutefois assez pour dire que la jambe est cassée. Il en irait de même pour le diagnostic du président : même sans être psychiatre, tout le monde peut dire que quelque chose cloche chez Donald Trump. Mieux : toute personne capable de lire le Diagnostical and Statistical Manual (DSM) peut poser le diagnostic de trouble de la personnalité narcissique.

Le DSM ou l’amour de l’observation

En effet, le manuel de nosographie psychiatrique américain privilégie explicitement l’observation à l’explication. En construisant des critères simples et reproductibles, il permet à tout profane d’y aller avec son diagnostic. Et peu importe si l’origine de la maladie, la causalité psychique, biologique et environnementale son parfaitement ignorées.

Les diagnostics psychiatriques n’ont bien souvent qu’une utilité administrative : demander une prise en charge assurantielle, justifier une incapacité de travail, se positionner sur la capacité de discernement et la responsabilité individuelle, faciliter la recherche ou la communication entre médecins. Poser un diagnostic n’a jamais soigné personne : c’est la discussion que l’on peut avoir avec le patient autour du diagnostic qui peut l’aider à se connaitre et comprendre l’origine de ses souffrances. A l’inverse, poser un diagnostic peut-être source d’une importante stigmatisation dans la société, et nier les causes structurelles qui l’ont produites, comme par exemple la souffrance au travail, la précarité, ou les traumatismes subis durant un parcours migratoire.

Si peu de psychiatres et psychologues réfutent le narcissisme de Trump, leurs prises de position dans le débat public sont divisées. Il y a tout d’abord les thérapeutes interventionnistes, qui estiment que c’est de leur devoir moral et civique d’avertir de la dangerosité du personnage[4]. D’autres invoquent au contraire la Goldwater rule, qui interdit aux spécialistes de santé mentale de se prononcer publiquement sur le diagnostic de personnalités qu’ils n’ont pas examinés et qui n’ont pas donné leur consentement. Pour terminer, il y a des experts comme Allen Frances qui estime que le diagnostic de trouble de la personnalité narcissique ne saurait être posé chez Donald Trump en l’absence de souffrance personnelle ou de dysfonction[5].

Si ces questions sont intéressantes, elles ne sont d’aucune utilité pour comprendre l’accession d’un président narcissique au pouvoir. Car Trump n’est pas devenu narcissique une fois président. Il est plutôt dans la parfaite continuité du magnat de l’immobilier, de la star de la télé-réalité et du candidat qu’il a été. Ce qui fait que les électeurs ont voté pour lui en connaissance de cause.

Et les électeurs de Trump dans tout ça ?

On les avait presque oubliés ceux-là. Il faut dire que quand on parle d’eux, c’est souvent pour décrier leur racisme, leur machisme ou leur arriération. Hillary Clinton elle-même les a traité de panier de pitoyable. C’était quelques semaines avant les élections et la victoire surprise de son adversaire. Mais plutôt que dénigrer ses électeurs, il faudrait plutôt essayer de comprendre pourquoi les états de la Rust-Belt, qui avaient votés en faveur de Barack Obama en 2008 et 2012, ont préféré voter pour Donald Trump plutôt que Hillary Clinton en 2016.

Jérome Karabel, sociologue et professeur à l’université de Berkeley, évoque le glissement idéologique des démocrates, qui ne se préoccupent plus des ouvriers, des chômeurs victimes de délocalisations ainsi que des perdants de la mondialisation et de la désindustrialisation[6]. Ce faisant, ils ont ouvert un boulevard à un candidat dégagiste, qui a réussi à critiquer le système sans attirer le regard sur le fait que sa fortune lui vient justement de ce système.

Une rationalité mortifère derrière la politique de Trump

Il est certes assez angoissant d’imaginer un président de la trempe de Trump à la tête de la première puissance militaire mondiale. Mais ce n’est pas lui qui a envahi par deux fois l’Irak. Ce n’est pas lui qui a lancé deux bombes atomiques sur le japon ou tué des milliers de civils dans ses différentes opérations militaires sur le globe. De plus, si on destitue Trump, c’est pour mettre Mike Pence à la place. Peut-être que ce dernier se montrerait plus prévisible et policé, mais arrêterait-il la construction des murs à la frontière, la destruction des écosystèmes, la baisse fiscale indécente des plus riches et le soutien aux groupes d’extrême droite ? Trump n’est pas une parenthèse. Sa politique est à l’œuvre dans de nombreux pays dirigés par des présidents pas tous narcissiques. A l’approche des votations fédérales, il serait bon de se rappeler que la politique de Trump se pratique également chez nous.

Faire le lit du prochain Donald Trump

Ce n’est donc pas Trump qu’il faut combattre, c’est les idées qu’il véhicule et qui le dépassent largement. Bien sûr, il y aurait quelque chose de jouissif à lui dire « You’re fired », lui qui a prononcé tant de fois cette phrase dans son show de téléréalité. Mais de même que poser un diagnostic isolé ne sert à rien en psychiatrie, s’arrêter sur la personnalité pathologique de Trump détourne l’attention des problèmes sociaux et politiques qui ont conduit à son élection. Et prépare le lit pour un prochain Donald Trump.

 

 

[1] Freud, S. 2010, La technique psychanalytique, PUF

[2] Pour plus de detail concernant le narcissisme pathologique, voir https://blogs.letemps.ch/jeremie-andre/2020/08/04/narcisse-netait-pas-narcissique/

[3] Conway G., 2019, Unfit for Office, The Atlantic, 3 octobre 2019

[4] Lee B. and al. 2017, The dangerous case of Donald Trump, St-Martin’s Press, New-York

[5] France, A., 2017, Misdiagnosis Donald Trump, Journal of Mental Health, 26:5, 394-394

[6] Karabel J,. Comment perdre une élection, décembre 2016, Le Monde Diplomatique.

 

Crédit photo : “Donald Trump” by Gage Skidmore is licensed with CC BY-SA 2.0. To view a copy of this license, visit https://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.0/

Narcisse n’était pas narcissique

Il y a dix ans, deux psychologues attiraient l’attention sur une épidémie silencieuse frappant les campus américains : le narcissisme[1]. En comparant les résultats de tests psychologiques passés par plusieurs générations d’étudiant·es, J. Twenge et W. K. Campbell concluaient que la prévalence du narcissisme augmentait aussi vite que l’obésité. Dans leur analyse, ils estimaient que l’épidémie était causée notamment par une éducation trop permissive des enfants, centrée sur l’estime de soi et la singularité ; le culte des personnalités médiatiques ; la mise en scène de soi sur les réseaux sociaux ou encore l’envolée des crédits bancaires (donnant l’impression à chacun·e que tout est accessible). Alors, sommes-nous devenus trop narcissiques ?

Dans son livre Sauvez votre peau, devenez narcissiques[2], l’auteur de développement personnel Fabrice Midal s’appuie sur une relecture personnelle du mythe de Narcisse pour soutenir le contraire. Une provocation payante, puisque son livre a bénéficié d’une couverture médiatique sans précédent, bavarde sur l’auteur et silencieuse sur le contenu. Et tant pis si l’ouvrage contient de grossières confusions sur le narcissisme, notamment l’absence de distinction entre le personnage du mythe et la psychopathologie. Au final, l’auteur réussit la prouesse d’inviter ses lecteurs à devenir narcissique… sans parler du narcissisme. Éclairage.

Qui est Narcisse ?

Narcisse est une figure de la mythologie grecque dont la plupart des sources originales sont perdues[3]. La version latine d’Ovide au début de notre ère est probablement le texte le plus riche et le plus complet[4]. Le récit raconte le destin d’un jeune homme d’une grande beauté qui rejette tous ses prétendant·es. Un amant éconduit profère un jour la malédiction suivante : « qu’il puisse aimer, lui aussi, et ne jamais posséder l’objet de son amour ». Il sera exaucé. Narcisse aperçoit son reflet dans une source et en tombe éperdument amoureux. Quand il se rend compte que son objet d’amour n’est autre que lui-même et qu’il lui est inaccessible, il se laisse mourir de désespoir. Son corps disparait et se transforme en cette jolie fleur printanière. Fabrice Midal juge que la métamorphose est la preuve de la sagesse du jeune chasseur. Il se garde bien de mentionner la malicieuse allusion d’Ovide : « Or, même une fois reçu au séjour infernal, il se mirait encore dans les eaux du Styx ». Peu importe. La richesse des mythes réside aussi dans les multiples interprétations qui peuvent en être tirées. Mais la richesse des interprétations n’appelle-t-elle pas une certaine prudence dans l’utilisation qu’on en fait ? D’autant plus que le narcissisme est un concept qui a été inventé et développé sans relation au mythe du même nom.

Qu’est-ce que le narcissisme ?

Le narcissisme, en tant que concept psychopathologique, apparait pour la première fois à la toute fin du XIXe siècle. Il est utilisé par des sexologues et psychiatre pour désigner une perversion consistant à utiliser son propre corps comme source d’excitation sexuelle. En 1914, Freud publie « Pour introduire le narcissisme », un essai dans lequel il explore le narcissisme dans de nombreuses directions. Freud insiste sur le fait que le narcissisme est aussi un processus normal, désignant l’investissement libidinal du moi, ainsi qu’une étape du développement psychique devant être dépassée. La fixation ou la régression à ce stade expliquerait des pathologies comme l’hypochondrie, la démence précoce (schizophrénie) ou la paranoïa. Contrairement au complexe d’Œdipe, construit sur une relecture minutieuse de la tragédie de Sophocle, Freud ne se réfère pas au mythe de Narcisse.

Les années 1970 marquent l’essor aux États-Unis de la personnalité narcissique sous l’impulsion des psychiatres et psychanalystes H. Kohut et O. Kernberg. La personnalité narcissique décrit un individu égoïste, mégalomane, manquant d’empathie, se croyant tout permis et utilisant les autres pour servir ses propres fins. Cette description conduit à l’intégration en 1980 du trouble de la personnalité narcissique dans la troisième version du Diagnostic and Statistical Manuel (DSM), la bible de la nosographie psychiatrique américaine. Le trouble de la personnalité narcissique devient ainsi le diagnostic psychiatrique qu’il demeure à ce jour. Cette intégration stimulera la recherche dans de nombreux domaines, notamment dans la psychologie de la personnalité, un domaine de la psychologie qui s’attache à analyser et classer les différents types de personnalité et les traits de caractère associés. Se basant essentiellement sur des questionnaires ou des interviews sur un large échantillon de population, elle a permis d’étudier les traits de caractère non pathologiques associés au narcissisme (notamment parmi les étudiants, ce qui a conduit à l’étude de J. Twenge et W. K. Campbell citée en introduction).

La vulnérabilité du narcissique

Une dimension mal connue du narcissisme et la profonde vulnérabilité qu’elle englobe, illustrée par le paradoxe suivant :  s’ils ont une idée si élevée d’eux-mêmes, pourquoi ont-ils tant besoin de l’admiration des autres ? En fait, le moi grandiose du narcissique finit toujours par se heurter à la réalité. Certains nient cette dernière et poursuivent leur course en avant mégalomaniaque, tandis que d’autres se replient sur eux-mêmes quêtant inlassablement la reconnaissance d’autrui ou développant des symptômes dépressifs ou un vécu de honte, la honte de n’être que ce qu’ils sont. Si la souffrance de ces derniers amène à solliciter plus facilement l’aide d’un thérapeute, elle peut aussi les pousser dans des conduites addictives ou suicidaires. Ces dimensions grandioses et vulnérables peuvent coïncider chez une personne, ou se succéder. Il n’est pas rare qu’avec l’âge, l’apparition des premières limitations physiques, d’un deuil ou d’une séparation, le narcissique grandiose devienne vulnérable.

Si on résume grossièrement, le narcissisme désigne, pour une partie des cliniciens sensibles à l’approche théorique freudienne plutôt qu’à l’approche descriptive du DSM, la capacité à maintenir une représentation et une estime de soi stables à la fois dans la durée et face aux frustrations et aux aléas de la vie ; les manifestations vulnérables ou grandioses du narcissique seraient ainsi expliquées par un narcissisme défaillant.

Dans l’autre approche, le narcissisme ne désigne plus un processus psychique vital, mais une série de traits de caractères associés pour certains au narcissisme grandiose, pour d’autres au narcissisme vulnérable. Dans cette optique, le narcissisme normal ou adaptatif désigne un narcissisme sub-clinique (qui ne remplit pas les critères pour être pathologiques)[5]. Dans toutes les approches néanmoins, le terme narcissique tend à se référer aux dimensions pathologiques du narcissisme.

Devenez narcissiques ?

Dès lors, l’injonction de Fabrice Midal à devenir narcissique paraît être un déni de la souffrance des narcissiques et du difficile travail des thérapeutes. Sauf si on accepte le fait que l’auteur parle de tout autre chose que du narcissisme. Revenons au contenu du bouquin. L’auteur survole la psychanalyse et la psychiatrie en quelques petites pages et ne juge pas nécessaire d’évoquer les controverses actuelles autour du narcissisme. Très précautionneux, il affirme que le pervers narcissique n’est pas vraiment narcissique et classe l’affaire de Donald Trump et de Kim Kardashian en quelques paragraphes : ils ne sont pas narcissiques car ils ne s’aiment pas réellement – montrant bien qu’il ne s’est pas intéressé à la dimension vulnérable du narcissisme.

Mais alors, de quoi parle le livre ? De Fabrice Midal, principalement. De son enfance – narrée sous l’angle du vilain petit canard –, de ses premiers pas incertains dans l’âge adulte et enfin de sa métamorphose (en narcisse ou en cygne). L’auteur fait des incursions dans la philosophie avec Socrate, Saint-Augustin et Kant, sans jamais dépasser le stade des généralités. Il affirme que « la philosophie sans le narcissisme, c’est du poison, comme la littérature et le cinéma » et associe la rationalité au nazisme. Il répète plusieurs fois que se sacrifier pour les autres est une très mauvaise idée, mais encense les figures de Jésus et Socrate (qui sont morts de vieillesse, comme tout le monde le sait).

Au fil des pages, on se rend compte que derrière l’invitation à devenir narcissique se cache l’invitation à s’apprécier tel que l’on est, à chercher et chérir son véritable « soi », à se faire confiance, à refuser les injonctions à la performance. Des propos très classiques pour un ouvrage de développement personnel. L’utilisation du terme narcissique est donc à prendre comme une provocation pour augmenter la visibilité du bouquin.

Et ça a marché.

 

Références

[1] Twenge J., Campbell W. K., 2009, The narcissism epidemic, living in the age of entitlement, Atria, New-York

[2] Midal F., 2017, Sauvez votre peau ! Devenez narcissique, Flammarion, Versilio, Paris

[3] Pour une enquête passionnée sur les origines de Narcisse, voir Knoepfler D., 2010, La Patrie de Narcisse, Odile Jacob, Paris

[4] Ovide, métamorphose, livre III, vers 339-510. Les extraits du texte proviennent de Bettini M., Pelitzer E., 2010, « Le Mythe de Narcisse », traduit par Bouffartigue J., Belin, Paris, (édition originale italienne 2003)

[5] Joshua D. Miller, Donald R. Lynam, Courtland S. Hyatt, W. Keith Campbell, Controversies in Narcissism, Annual Review of Clinical Psychology 2017 13:1, 291-315