Du bon usage du doute

Le doute est une qualité essentielle dont notre époque a grand besoin. Utilisé à bon escient, il est un excellent remède contre la paranoïa et le fanatisme. Dans la première, tout ce qui est inexpliqué est, par essence, suspect. Dans le second, un système de pensée unique est érigé pour expliquer a priori l’ensemble des phénomènes qui nous entourent. Mais comme tout remède, l’excès de doute est nuisible et peut conduire à l’empoisonnement : une forme particulière de relativisme confinant au complotisme.

Science et religion

Dans une opinion publiée le 27 avril dans le journal 24 heures, l’écrivain Jon Ferguson affirme que ceux qui marchent pour le climat ne le font que pour « eux-mêmes ». Le climat serait, selon ses dires, une chose bien trop complexe pour y tailler une quelconque vérité ; et les défenseurs de la cause écologique – qu’ils soient des scientifiques reconnus ou des militants – chercheraient, à l’image des anciens chrétiens, à imposer leur vérité tout en ostracisant et persécutant ceux qui osent douter.

On peut tout d’abord rassurer Jon Ferguson. Contrairement aux hérétiques, il ne sera ni brûlé ni écartelé ; à la place, on lui a offert une tribune médiatique, et il trouvera toujours un accueil chaleureux sur Twitter, nouveau refuge des victimes climatosceptiques. Mais il faut quand même relever que sa comparaison entre science et religion est la marque d’une profonde ignorance et qu’elle méprise celles et ceux qui font de la recherche.

Si le doute fait parfois défaut à la religion (certains croyants fondent leur foi sur le doute, mais c’est une autre histoire), il est à l’origine de toute démarche scientifique : poser une question ; définir une méthode pour y répondre ; compiler des données ; les analyser ; tirer les conséquences qui en découlent ; partager les résultats, bons ou mauvais, afin que d’autres chercheurs puissent les reproduire et les utiliser. Les résultats négatifs sont des invitations à considérer d’autres hypothèses et méthodes. Parfois, des résultats inattendus poussent la science à remise ce que tout le monde croyait acquis.

Bien sûr, la science n’est pas épargnée par les scandales et les excès ; notamment l’influence croissante des intérêts économiques dans les recherches, ou l’énorme pression à publier à tout prix. Mais les étudiants, stagiaires, laborantins, doctorants, post-doctorants et professeurs sont pour l’immense majorité des passionnés qui contribuent à ajouter de petites pierres au savoir collectif et patient de la science, dans des conditions de travail difficiles et mal rémunérées.

Le doute positif et négatif

La science fait un usage positif du doute. Positif, car elle cherche à construire un savoir à partir de lui – même si l’augmentation du savoir conduit parfois, paradoxalement, à l’augmentation du doute : plus on connaît une matière, plus on est conscient de tout ce qu’on ignore encore. A contrario, il existe un usage négatif du doute ; qui consiste à ne s’intéresser qu’aux zones d’ombre, qu’à ce qu’on ne sait pas ; non pas pour construire, mais pour relativiser toute connaissance. Le doute devient une fin en soi et permet à l’individu de s’élever, de se prétendre à contre-courant, au-dessus de la mêlée : une marque de distinction. « Je doute donc je suis », dit l’autodidacte avec fierté, paraphrasant Descartes et sa méthode philosophique basée sur le doute. Malheureusement, cela ne lui suffit pas. « Je doute, donc tout le monde doute », voilà ce qu’il faut lire dans les pages de Ferguson. C’est l’étape ultime d’un nombrilisme pré-galiléen : l’univers tourne autour de mon doute. Car face à la complexité de ce qui nous entoure, nous sommes tous égaux et toutes les opinions se valent. Les États-Unis nous donnent un aperçu de l’application de cette idée :  le créationnisme est enseigné dans certaines écoles, et un juge fédéral a tenté de retirer un médicament du marché, estimant, contre l’avis des autorités compétentes, qu’il était nocif pour la santé.

Quand l’aversion à la science devient religion

Mais ce qui est peut-être le plus frappant, c’est que cette diatribe contre la science et la religion emprunte un ton religieux. La phrase qui structure l’opinion de Ferguson est « je crois que personne ne sait ce qu’est le climat », ce qui s’avère être une profession de foi. Par une révolution copernicienne, la critique de la religion est devenue une religion elle-même, tout aussi rigide, ne pouvant s’appuyer que sur sa ferveur pour perdurer.

Nous avons le choix de nous concentrer sur ce que nous savons ou sur ce que nous ignorons. Nous pouvons nous mettre à marcher à notre rythme, ou nous contenter de regarder les autres marcher et de les railler. L’excès de doute est, comme le déni, un moyen comme un autre d’affronter notre impuissance et la catastrophe à venir. Mais il ne fait avancer personne.

 

Jérémie André

Jérémie André est médecin, doctorant à l’Université de Lausanne et écrivain. Au carrefour entre médecine, psychiatrie et sciences humaines, ce blog aborde des thèmes de société avec un regard de clinicien. Crédit photo : Céline Michel

Une réponse à “Du bon usage du doute

  1. “non pas pour construire, mais pour relativiser toute connaissance.”
    Cet aspect du doute, que vous jugez très négativement, est un aspect très important à mes yeux.
    C’est une manière de NE PAS se prendre pour le nombril du monde, et de ne pas hiérarchiser les personnes selon leur pedigree – aussi impressionnant soit-il.
    Que sont toutes les connaissances humaines face à la vie et ses imprévus? Pas grand choses.
    La sciences est construction ET déconstruction.
    La science elle a permis des découvertes remarquables depuis plusieurs siècles.
    Mais, aussi, combien d’abus et d’erreurs au nom de la science?
    Donc, même si la vulgarisation scientifique est enrichissante, la science n’a pas vocation à régenter la cité.
    Elle n’en aurait pas la légitimité et serait très prétentieuse moralement à tenter de le faire.
    De ce point de vue, Jon Fergusson n’exprime que son avis de citoyen, fondé sur la modestie.
    Et cet avis fait partie de la démocratie participative, qui permet chacun dans la cité de s’interroger, critiquer, voter, être élu, etc.
    Personne n’est obligé de l’approuver. Vous pouvez le contester publiquement. C’est ainsi que fonctionne la démocratie.
    Mais si demain tout le monde s’autocensure pour ne pas contredire un-e spécialiste, c’est la fin de la démocratie participative suisse, vous ne croyez pas?
    Et personnellement, j’apprécie la diversité des opinions et le débat d’idées.
    J’apprécie aussi les petites gens, qui savent que leurs connaissances sont modestes. Souvent des personnes plus intéressantes qu’il n’y paraît au premier abord.

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