La Convention sur les réfugiés est-elle obsolète ?

La Convention sur les réfugiés, ou plus exactement la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, a fêté ses 70 ans. Elle fut conclue à Genève. Mère de toutes les procédures d’asile nationales, elle détermine les conditions pour obtenir le statut de réfugié ainsi que les droits et obligations liés à un tel statut. Elle consacre le principe cardinal du non-refoulement, selon lequel toute personne réfugiée ne peut être renvoyée de force dans un pays où sa vie ou sa liberté serait gravement menacée.

À son origine, la Convention n’avait pas un caractère universel

À l’occasion de cet anniversaire, certaines voix ont appelé à une révision, voire à une abrogation pure et simple d’une convention qui se limitait initialement à protéger les réfugiés européens au sortir de la Deuxième Guerre mondiale. En effet, à son origine, la Convention n’avait pas un caractère universel. Sa définition comprenait une restriction temporelle et géographique stipulant que le statut de réfugié pouvait être uniquement accordé pour des événements survenus en Europe avant le 1er janvier 1950. Elle reflétait la réalité d’une époque où les camps en Europe abritaient encore des personnes déplacées originaires des pays d’Europe de l’Est qui ne désiraient plus rentrer dans leur pays d’origine. (Il n’est pas inutile de rappeler qu’au sortir de la guerre, l’Europe comptait plus de onze millions de personnes déplacées. Le dernier camp fut fermé en 1959.) Toutefois, le Protocole relatif au statut des réfugiés, conclu à New York le 31 janvier 1967, leva ces deux restrictions conférant ainsi un champ d’application universel à la Convention de 1951.

Au fil des années, la définition du réfugié s’est également élargie pour inclure les victimes de persécutions non-étatiques, tant qu’elles n’arrivent pas à recevoir une protection de leurs droits humains fondamentaux dans leur pays d’origine. Quelle que soit l’interprétation du concept de persécution, le statut de réfugié ne peut être octroyé qu’après une procédure d’asile des pays signataires de la Convention (ou du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés) qui reconnaît ou rejette le statut de réfugié.

La Convention de 1951 n’a pas été créée pour gérer les crises migratoires, mais pour protéger les victimes de persécution

Face à l’afflux de migrants aux limes de l’Europe, en Méditerranée, à la frontière polonaise ou dans les Balkans, il existe une tentation toujours plus persistente de proclamer l’obsolescence de la Convention, mais cela ne résoudra absolument rien. La Convention de 1951 n’a pas été créée pour gérer les crises migratoires, mais pour protéger les victimes de persécution. Les difficultés actuelles ne se situent  pas tant au niveau du droit des réfugiés, mais à celui de l’identification d’un État chargé de déterminer qui est réfugié et qui ne l’est pas. Sur ce point, le droit international n’offre pas une grande clarté.

L’article 14 de la déclaration des droits de l’Homme de 1948 stipule que confrontée à la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays, mais l’article omet de mentionner dans quel pays ce droit peut s’exercer. Une telle omission n’a rien de fortuit. L’octroi de l’asile et la reconnaissance du statut de réfugié demeurent un attribut de la souveraineté étatique jalousement défendu. Toutes les tentatives de rédiger une convention internationale sur l’asile territorial ont échoué à ce jour. En clair, les États signataires de la Convention de 1951 n’ont pas une obligation légale d’offrir l’asile, par contre ils ne peuvent renvoyer un réfugié dans un pays où il court des risques graves pour sa vie et sa liberté.

Au niveau européen, les traités de Dublin ont tenté de donner une réponse à l’épineuse question d’identifier le pays chargé d’examiner la requête de tout demandeur d’asile qui arrive dans l’espace Schengen. La solution actuelle détermine que le pays responsable sera l’État où le demandeur d’asile a fait son entrée dans l’espace Schengen. Une telle approche impose toutefois un fardeau disproportionné sur les pays aux frontières terrestres et maritimes de l’espace Schengen où les migrants viennent frapper aux portes de l’Europe. Une révision est souhaitable.

L’Europe n’est pas le seul continent confronté aux problèmes d’afflux de migrants

La gestion de la migration contemporaine pose des défis immenses liés entre autres à la globalisation, aux conflits armés, à l’écart grandissant entre pays riches et pays pauvres, ou au changement climatique. L’Europe n’est pas le seul continent confronté aux problèmes d’afflux de migrants. L’Afrique, l’Asie et les Amériques le sont également dans des proportions majeures.

Parmi tous ces migrants, qui est réfugié et qui ne l’est pas ? Quel État est-il chargé d’examiner la demande d’asile ? Quelles sont les procédures en place pour le renvoi des déboutés ? Dans quelle mesure serait-il possible d’ouvrir des voies légales de migration ? Autant de questions qui ne peuvent être résolues hors d’un contexte multilatéral. En esquissant des réponses à ces questions complexes, il faut éviter de se tromper de cible. On ne saurait imputer à la Convention de 1951 tous les maux dont souffre une gestion chaotique de la migration actuelle. L’abroger serait faire injure aux millions de vies qu’elle a sauvées au cours de ses sept décennies d’existence et qu’elle continuera à sauver dans les années à venir !

 

 

Jean-Noël Wetterwald

Jean-Noël Wetterwald a travaillé 34 années pour le Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés. Il a servi au Vietnam, au Cambodge, à Hong Kong, au Chili, au Guatemala, en Colombie, en Bosnie et plus récemment en Ukraine. Il a publié trois livres: d'exils, d'espoirs et d'aventures en 2014,le Nouveau roi de Naples en 2017 et tout récemment : témoin d'une déchéance. Contributions occasionnelles à la page d'opinions du «Temps». Il est aussi débriefeur à Canal 9.

8 réponses à “La Convention sur les réfugiés est-elle obsolète ?

  1. ce n’est pas la même chose. Ils ont fui la dictature communistes la torture ( on a pu disparaître du jour au lendemain…) maintenant des migrants économiques, aussi instrumentalisé par loukachenko la guerre hybride

  2. Vous avez remarqué? La France adopte le même discours qu’un Etat du Nord de l’Afrique. Elle s’est tellement appauvrie qu’elle devient un état de transit… souhaitant envoyer des migrants dans l’opulente UK, hors UE… lamentable gestion.

    Même en Suisse, des gens font des grèves de la faim ou s’automutilent, pour ne pas être renvoyés en France…

    Macron n’est d’ailleurs jamais aussi bon pour décrire la France que lorsqu’il se trouve à l’étranger:

    (en parlant des malheureux qui sont morts en mer, en essayant de quitter la France pour l’Angleterre)

    “Je veux redire l’émotion de la Nation à l’égard de ces femmes et ces hommes qui ont perdu la vie en mer pour fuir la misère, l’oppression politique, l’absence de libertés. Tout sera mis en œuvre pour retrouver et condamner les responsables qui exploitent la misère et la détresse.”

    https://mobile.twitter.com/EmmanuelMacron/status/1463873003499016197

  3. Faut-il des conventions ?
    Avec ou sans, ceux qui souhaitent accueillir, continueront, et ceux qui n’en veulent pas continueront à s’asseoir dessus.
    Ces conventions ont un effet pervers: Les murs qui se construisent. Un migrant utilise toujours le truc de l’asile pour ne pas être expulser, et pour contrer ça, les pays construisent des murs pour éviter de se faire piéger.

    La convention est obsolète, on ne peut pas mettre un adjectif au mot réfugié (économique, climatique, …) pour faire rentrer tout le monde dans cette catégorie de réfugié. Il faut revenir à la base, les réfugiés peuvent être de guerre ou parce qu’ils sont des militants politiques.

    Il y a peut-être un besoin d’élargir, mais dans ce cas, ce serait une convention moins contraignante. La notion de réfugié économique a décrédibilisé le statut de réfugié, personne n’est gagnant à usurper des mots.

    1. La Convention de 1951 donne une définition du réfugié. Il s’agit de toute personne qui possède une crainte fondée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opi­nions politiques, qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays. La procédure d’asile doit déterminer qui est réfugié et qui ne l’est pas. Le terme de réfugié économique est donc un non sens juridique mais qui malheureusement s’est introduit dans le langage de tous les jours contribuant à décrédibiliser la Convention. Qui quitte son pays pour des raisons économiques ne peut être reconnu comme réfugié. Dans la pratique la distinction n’est pas toujours facile à faire, mais la Convention est claire. Il n’y a pas différentes catégories de réfugiés. Il faut faire la distinction entre l’usage quotidien qui est fait du mot “réfugié” utilisé à toutes les sauces du jour et sa définition juridique. Ce dérapage verbal, on ne peut l’imputer à la Convention qui est chargée de protéger les catégories de personnes que vous avez mentionnées, raison pour laquelle ce serait une grave erreur de la jeter aux orties !

      1. Et si nous faisions une convention pour garantir le paiement des gains au loto?

        Puis, nous laisserions la jurisprudence dire qu’on ne peut pas exiger un “ticket gagnant”, mais que la vraisemblance des propos suffisent. Vous imaginez le chaos ?

        J’ai demandé. On m’a dit que les juges du TAF coûtaient 170 millions par année pour examiner la vraisemblance des demandes d’asile, plus 1.4 milliard pour le SEM.

        Je n’ose imaginer la somme que les cantons mettent pour héberger, nourrir, former, sécuriser, … des gens qui viennent de l’autre bout du monde, sans document d’identité!

        Et vous savez le plus étrange ? Il y a moins de persécutions dans le monde depuis que les contrôles aux frontières de l’UE sont intensifiés pour lutter contre la covid… c’est comme si les gens étaient persécutés non pas dans leur pays d’origine, mais dans ceux de transit pour gagner illégalement l’Europe au péril de leur vie !

  4. Ce qu’il faut, c’est punir d’une peine de prison toutes les personnes qui mentent sur les motifs de leur demande d’asile et signer des accords avec les Etats d’origine pour qu’elles purgent leur peine de prison dans leur pays d’origine. Problème réglé.

  5. Vous tronquez l’article 33 de la convention lorsque vous affirmez “Elle consacre le principe cardinal du non-refoulement, selon lequel toute personne réfugiée ne peut être renvoyée de force dans un pays où sa vie ou sa liberté serait gravement menacée.” Cela est seulement si cela est en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.

    Art. 33 Défense d’expulsion et de refoulement

    1. Aucun des Etats Contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.

  6. Tu as bien raison, il ne faut pas se débarrasser de cette Convention qui a su en grande partie s’adapter aux évolutions. Cela conduirait à encore plus de chaos. Mais que faire devant cette résistance des populations et des gouvernements à accueillir et l’afflux toujours plus grand de personnes fuyant les persécutions? La solution est politique mais rien ne bouge sur le plan politique, au contraire, on s’enlise. On recule même devant la pression des droites et droites extrêmes…
    Petit détail concernant la détermination du statut, il peut se faire par une procédure, administrative ou autre comme tu le soulignes, mais il y a aussi la protection accordée par le HCR. Et aussi les réfugiés qui reçoivent le statut à l’extérieur du pays d’accueil, toutes les procédures de ressettlement comme cela s’est fait pour les Vietnamiens dans les années 70-80.

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