Le temps des réfugiés

Une famille kurde est menacée de renvoi et mobilise beaucoup de citoyens

Début février, un Comité de soutien annonçait le lancement d’une pétition demandant au Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) de réviser sa décision de refus d’octroi de l’asile à un couple et ses trois jeunes enfants irakiens d’appartenance kurde. Il précise que les parents sont très appréciés de la communauté villageoise de Pery-La-Heutte (Jura bernois) et les enfants de bons élèves.

Il y a peu, la famille a été convoquée au Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) pour convenir d’un retour volontaire au pays. Dans quelques jours leur Permis N sera confisqué. Ils se retrouveront à l’aide d’urgence.

 

Retour en arrière

Mr. Ahmed est un activiste politique kurde du Nord-Est de l’Irak. Il est membre du jeune parti d’opposition Goran (laïque et sans branche armée). Il a fui son pays suite à des attaques sur sa famille et lui et aussi des menaces de mort. Après un long voyage par la Turquie puis la Grèce, la famille est arrivée en Suisse où elle a déposé une demande d’asile en février 2016. En novembre 2018 sa demande a été rejetée. Le couple a fait recours contre la décision et le Tribunal administratif fédéral (TAF) a statué négativement au début du mois de février 2019, provoquant un choc énorme au sein de la famille et de la communauté villageoise de Péry-La-Heutte (Jura bernois).

Une mobilisation citoyenne

Le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) a déjà reçu près de 700 signatures dont celles de plusieurs députés municipaux et parlementaires. Il devra aussi répondre à plusieurs lettres. L’une émane du Comité de soutien des villageois, une autre d’élus politiques régionaux et une troisième du Conseil Municipal de Pery-La-Heutte où la famille réside actuellement.

Un examen superficiel des motifs d’asile

Ni le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) qui a mené les auditions de manière superficielle, ni le Tribunal administratif fédéral (TAF) qui a expédié l’affaire en exigeant une avance de frais de CHF 750.-, n’ont correctement examiné ce cas qui, en outre a été mal défendu par un avocat coûteux, peu expérimenté en droit d’asile et dont les propos à l’égard des requérants peuvent être qualifiées de xénophobes.

Par ailleurs, la lecture de l’audition sur les motifs d’asile de Mr. Ahmed révèle malheureusement que l’essentiel des questions sont posées de manière à éviter “le pourquoi” pour se focaliser sur “le comment”. Les questions suivantes “comment ces personnes vous ont attaqué, combien étaient-ils” augmentent le niveau de stress du requérant pendant que l’auditeur évite à dessein le “pourquoi pensez-vous avoir été attaqué”.

Résultat, le requérant n’a pas eu l’occasion d’expliquer les raisons (politiques) des attaques et les vrais motifs de fuite. Il est alors relativement aisé de conclure ainsi, comme le fait d’abord le SEM (puis le TAF), “vos allégations se révèlent particulièrement vagues, stéréotypées, voire contradictoires, de sorte qu’elles ne peuvent être considérées comme vraisemblables (…) Le SEM peut donc se dispenser d’examiner la pertinence des faits. En conséquence, vous n’avez pas la qualité de réfugié et votre demande d’asile doit être rejetée.”

Concernant la décision du TAF, l’essentiel de son argumentation à ce sujet consiste en un “copié-collé” sur plusieurs pages de son ancienne jurisprudence. Ce qui arrive souvent dans les décisions expéditives à Juge unique. En résumé dans ce cas précisément, les deux instances n’ont pas appliqué les différents tests pour évaluer les risques de persécutions, que ce soient les éléments de craintes fondées de persécution ou les éléments factuels (1).

Engagements politiques et renvoi impossible

Dans les faits, Mr. Ahmed a été très engagé politiquement en faveur du Parti Goran et ses prises de position étaient publics. Des membres de sa famille et lui-même ont été victimes d’attaques et de menaces de mort en 2011 puis en 2016. Mr. Ahmed a bien tenté de prouver son engagement (avec documents à l’appui) mais il a été coupé court lors de l’audition sur les motifs d’asile et les preuves apportées n’ont pas été examinées.

Il y a quelques jours, la famille a été convoquée au SEM en vue de son renvoi qu’elle ne peut absolument pas envisager pour des raisons de sécurité générale dans le Kurdistan irakien, pour les risques importants de persécution qui mettent en danger le père et sa famille et pour des raisons médicales.

Le Kurdistan irakien est, depuis le référendum raté de 2017, sous haute tension. Il fait face à de nombreuses menaces à ses frontières. Plusieurs rapports provenant de centres de recherche et d’unités gouvernementales (2) insistent d’une part sur les menaces réelles de persécutions des militants de ce parti et d’autre part sur l’insécurité généralisée dans la région. Enfin notre Département des affaires étrangères (DFAE) avertit lui-même des dangers pour les étrangers comme pour les irakiens sur son propre site précisant que: “La situation reste confuse et la sécurité n’est pas assurée. Le risque très élevé d’enlèvement (pouvant entraîner la mort) par des groupes terroristes ou criminels concerne aussi bien les irakiens que les étrangers.” Certains observateurs sur le terrain admettent aussi la possible résurgence du groupe Etat islamique dans cette région.

Signez la pétition

Les bureaucrates peuvent faire des erreurs. Ils considèrent les cas avec distance. Ils sont formés pour se blinder, pour ne pas se sentir personnellement responsables. C’est courant et c’est normal. Cependant dans certains cas ils se trompent. Cette famille mérite un réexamen de sa situation car son renvoi n’est ni licite, ni raisonnablement exigible!

La pétition peut être téléchargée ci-dessous. Après avoir relu les auditions, la décision du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) et la décision du Tribunal administratif fédéral (TAF) je recommande le soutien à cette famille.

Télécharger la pétition ici.


  1. Lire deux rapports: Country Policy and Information Note Iraq: Political opinion in the Kurdistan Region of Iraq (KRI), Home Office, Uk et le Rapport du Département d’Etat américain.
  2. Le Fort Olivia, La preuve et le principe de non-refoulement. Entre droit international des réfugiés, protection des droits humains et droit suisse des migrations, Zurich 2018, Schulthess Verlag, Ed. Genevoise, p. 62-66.
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