Le temps des réfugiés

L’ONU suspend le renvoi scandaleux d’une famille syrienne yézidie vers la Grèce

Le Comité des Nations unies sur les droits de l’enfant vient d’ordonner la suspension du renvoi vers la Grèce d’une famille syrienne yézidie d’origine kurde. La suspension est effective durant la procédure d’examen au Comité des droits de l’enfant. Les autorités suisses ont six mois pour soumettre leurs observations et justifier leur décision, réexaminer la situation réelle de la famille, revenir sur leur décision de renvoi et accorder l’asile à la famille ou au minimum l’admission provisoire après une procédure en bonne et due forme.

 

Un couple et cinq enfants qui méritent de rester en Suisse

 

En quittant Afrin en 2015 pour fuir l’avancée des troupes de l’Etat islamique, un couple et leurs cinq enfants sont partis en Turquie, puis ont traversé la rivière Evros pour atteindre la Grèce. A peine arrivés ils ont été contraints par la police de livrer leurs empreintes. En deux jours, grâce à une procédure d’asile accélérée, ils ont obtenu le statut de réfugié, sans aucun examen de leurs motifs. Après trois mois à Athène, à survivre tant bien que mal, occasionnellement aidée par l’Eglise, la famille a décidé de soumettre une autre demande d’asile en Suisse. Ils sont arrivés au Tessin en septembre 2015.

 

Une décision incohérente qui ridiculise nos autorités d’asile

 

En mars 2017, le Tribunal administratif fédéral (TAF) a rejeté la demande d’asile (2) sans tenir compte de la fragilité psychologique du père et des deux enfants les plus jeunes. Chose étrange, tout en reconnaissant les conditions de vie extrêmement difficiles des réfugiés en Grèce, le tribunal les a ignoré, recommandant à la famille de demander de l’aide aux autorités et aux associations privées de bienfaisance et de s’adresser aux juridictions grecques et internationales pour faire valoir ses droits. Plus étonnant encore, lorsque le TAF a constaté la fragilité extrême de la santé des parents et des enfants et recommandé  de “prendre des pinces” lors de la communication à la famille de la décision de renvoi et aussi dans l’exécution forcée de leur renvoi vers la Grèce. L’incohérence même.

Procédure à l’ONU

 

C’est avec le soutien d’Amnesty International Suisse et l’assistance juridique des avocats Immacolata Iglio Rezzonico et Paolo Bernasconi que la famille a soumis son cas au Comité de l’ONU, invoquant notamment une violation de l’article 3 de la Convention relative aux droits des enfants (1).

 

Pour la famille et ses représentants, un renvoi vers la Grèce menace directement et gravement le droit à la santé et à l’éducation des enfants mineurs et les exposeraient dangereusement aux risques d’exploitation économique et de traitements inhumains et dégradants. Selon Denise Graf, coordinatrice asile de la Section suisse d’Amnesty International, «le jugement du TAF est scandaleux. On ne peut pas renvoyer vers la Grèce une famille de réfugiés aussi vulnérable, avec des enfants mineurs, sachant qu’ils seront soumis à des conditions de vie très précaires, ceci d’autant plus qu’ils sont tous très bien intégrés en Suisse. En Grèce, ces enfants n’auront pas de sécurité, et aucune garantie que leurs droits soient respectés.» Immacolata Iglio Rezzonico, co-signataire avec Paolo Bernasconi de la demande adressée à l’ONU estime que «la prise en cause des intérêts des enfants mineurs constitue une obligation impérative. Par conséquent, la violation de cet engagement étatique est très grave.»

 

Une famille qui parle l’italien mais pas un mot de grec

 

Les cinq frères de cette famille parlent couramment l’italien. Les plus jeunes fréquentent les écoles obligatoires, où ils sont intégrés et appréciés par leurs enseignants. Grâce au sport, notamment l’athlétisme et le basket, ils ont aussi créé un réseau d’amis et ils ont contribué au succès sportif de leurs équipes respectives. «Notre pays a le devoir d’accueillir cette famille, parce que ses membres ont tout mis en œuvre pour s’intégrer, apprenant l’italien pour reconstruire leur vie en Suisse” a précisé Paolo Bernasconi.  

 

Cette nouvelle tombe à pic au moment où le Parlement vient de rejeter l’initiative de l’UDC sur les juges étrangers. La procédure devant le Comité des Nations Unies est l’occasion pour nos autorités  de revoir leur copie puisque leur décision est indéfendable dans le cas d’espèce.

 

 


  1. Convention internationale relative aux droits de l’enfant (1989): Article 3: §1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. §2. Les Etats parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées. §3. Les Etats parties veillent à ce que le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel ainsi que l’existence d’un contrôle approprié.
  2. Voir les décisions du TAF: D_2990/2017, D-2968/2017, D-2989/2017 du 29 mars 2018.

 

 

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