Le temps des réfugiés

Mussie Zerai: “Le futur des migrants est en Afrique”

Dans le récent documentaire “Aquarius : un bateau au secours des migrants” présenté dans l’émission “Faut pas croire” (1), le témoignage percutant du prêtre érythréen Mussie Zerai (2) vaut la peine d’être écouté.

 

L’Aquarius est le bateau affrété par SOS Méditerranée et Médecins sans frontières (MSF) engagé depuis 2016 dans le sauvetage des personnes migrantes en détresse.  L’équipage a déjà secouru 28’000 personnes au large des eaux territoriales libyennes.

 

Plusieurs autres ONG sont actives dans cette zone mais les pressions politiques en Italie et les nouvelles règles d’intervention dans les eaux territoriales en Libye ont passablement réduits les possibilités de sauvetage. Depuis 2017, les embarcations sont régulièrement interceptées par les garde-côtes libyens puis ramenées en Libye où les migrants (hommes, femmes et enfants) sont à nouveau placés dans des centres où ils sont encore maltraités. Les dernières élections en Italie ne rassurent personne puisque le nouveau Ministre de l’intérieur Matteo Salvini, dirigeant de la Ligue (parti d’extrême droite), a déclaré vouloir expulser 100 000 migrants illégaux par année de mandat.

 

Pour la RTS, Aline Bachofner a interviewé Basile Fischer (sauveteur suisse sur L’Aquarius), Moussa Touré (réalisateur sénégalais du film La Pirogue, 2012) et Mussie Zerai sur  l’Aquarius. Ce sont quelques minutes exceptionnelles qui rendent ce documentaire marquant. Je retranscris ici uniquement les réponses saisissantes du Père Mussie Zerai qui depuis longtemps vient en aide aux migrants perdus en Méditerranée.

Aline Bachofner: On sait maintenant depuis plusieurs années (…) qu’ils risquent leur vie en partant, qu’ils risquent leur vie sur un bateau, qu’ils risquent d’aller vraiment vers l’enfer, vers la Libye…Pourquoi est ce qu’ils prennent encore ce risque?

 

Mussie Zerai: Parce qu’ils n’ont pas le choix. Ils y sont contraints. Ils essaient de fuir la situation de leur pays en allant dans les pays voisins. Parfois dans ces pays voisins, la situation est pire que celle qu’ils ont quitté. Mais ces personnes ne peuvent pas rentrer souvent parce qu’elles sont persécutées dans leur pays d’origine ou alors parce qu’ils n’y ont aucun avenir, donc elles sont contraintes à aller de l’avant en espérant trouver un lieu sûr où elle trouveront protection et où elles pourront recommencer une vie digne, vivre en liberté et trouver un peu de justice (…)

 

Aline Bachofner: (…) l’Afrique se vide, comment expliquer tous ces départs?

 

Mussie Zerai: Vous savez l’an dernier 150’000 italiens ont quitté l’Italie pour aller chercher du travail dans le nord de l’Europe, en Australie ou ailleurs. Ils n’ont pas été obligés de monter dans des embarcations de fortune, ils ont pu voyager confortablement en avion. Aucun Etat ne s’est permis d’ériger des murs ou des barbelés contre eux. En revanche contre les pauvres africains, contre des personnes désespérées qui fuient la guerre comme en Syrie, en Afghanistan, en Iraq, au Sud Soudan, en Somalie, contre tous ces gens, on érige des murs et des fils de fer barbelés, on promulgue des lois restrictives pour empêcher l’arrivée de ces gens et on criminalise ceux qui tentent de les aider comme les ONG et les activistes qui essaient de sauver des vies (…)

 

Aline Bachofner: Si vous avez un message très court à faire passer aux jeunes qui sont tentés par la migration aujourd’hui qu’est ce que vous leur diriez?

 

Mussie Zerai: Ce que je leur dirai c’est que leur futur est en Afrique, pas en Europe, le futur du monde est en Afrique, parce que c’est un continent jeune, riche en ressources. Donc s’ils restent à lutter pour changer leur pays, leur continent, ils auront leur propre avenir et leurs enfants aussi en auront un. S’ils continuent à fuir, à migrer le changement n’aura jamais lieu, le continent restera toujours esclave des pouvoir extérieurs et il n’y aura pas d’avenir, ni pour nous, ni pour nos enfants. Mon message c’est de rester et de lutter pour la justice, pour le changement, de lutter contre la corruption qui est le vrai cancer de l’Afrique et contre les pouvoirs qui aujourd’hui vendent et volent l’avenir des jeunes africains. Il faut lutter contre tout cela mais en restant en Afrique parce qu’en fuyant c’est impossible d’obtenir le changement.

 

Ce dernier propos est particulièrement intéressant car le parcours du prêtre est exemplaire et son engagement envers les personnes migrantes exceptionnel. Il a pu aider et sauver beaucoup de personnes mais il a aussi compris la souffrance des personnes maltraitées durant le parcours migratoire et maltraitées en Europe, la souffrance de leur famille aussi. Voilà un homme de terrain avec des convictions humanitaires profondes qui dit ce que peu de responsables humanitaires osent exprimer. 

 

Voir aussi le document L’Aquarius en chiffres

Lire aussi: La justice italienne  enquête sur un prêtre défenseur des migrants

  1. “Faut pas croire” est un magazine hebdomadaire de vingt-neuf minutes destiné au grand public et diffusé le samedi vers 13h25 sur RTS Un. Il aborde les questions éthiques, philosophiques et religieuses qui traversent notre société avec des débats et des reportages. Produite par Cyril Dépraz et Emmanuel Tagnard, présentée par Aline Bachofner, l’émission a pour objectif de décrypter les événements qui font l’actualité en questionnant l’humain dans toutes ses dimensions.
  2. Mussie Zerai est né en 1975 à Asmara en Érythrée. À l’âge de 14 ans, il fuit vers l’Italie où il demande l’asile et obtient un permis de résidence. Il entre au séminaire en 2000 et étudie pendant trois ans auprès des missionnaires scalabriniens à Plaisance. Il est ordonné prêtre catholique en Italie en 2010 et réside actuellement à Erlinsbach, en Suisse, où il assiste la communauté éry­thréenne et éthiopienne. Il est Frère scalabrinien, un ordre qui accompagne les migrants. Fondateur de l’agence d’information humanitaire Habeshia, il s’est fait connaître du grand public après le naufrage du 3 octobre 2013 au large de Lampedusa, dont la plupart des 366 victimes étaient des Érythréens. Depuis plusieurs années il reçoit des appels de détresse de migrants égarés en pleine mer et organise autant que possible leur sauvetage avec le Centre de contrôle maritime (Maritime rescue coordination centre, MRCC) de Rome et les ONG opérant en Méditerranée centrale.

 

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