La Suisse a-t-elle une stratégie COVID-19 : pour les tests, pour les vaccins ?

Une première année COVID-19 s’est écoulée : les surprises et les découvertes se sont succédé. Le développement du vaccin à m-ARN est certainement un exploit de notre société moderne. Par contre les relations entre les politiques et les scientifiques furent très chaotiques et indignes d’une démocratie : en Suisse la demande de museler la task force scientifique démontre un mépris pour la méthode scientifique ainsi que nos acquis démocratiques ; la gestion de la pandémie par l’administration Trump est le meilleur exemple du déni coupable des réalités scientifiques.


Le débat politique est très problématique, aussi bien en Suisse qu’en Europe : il se caractérise par le retour des barrières, à un moment où nous aurions besoin de collaboration et de partage face au COVID-19 qui lui ne connait pas de frontières. Dans un monde connecté, nous fragmentons nos efforts au lieu de les aligner : les limites du fédéralisme sont devenues criantes à tous les niveaux ; la communauté Européenne montre aussi clairement son repli avec un reflexe nationaliste.


De parler de dictature sanitaire du conseil fédéral est profondément contraire à notre état de droit et constitution, et insultant pour nos autorités qui doivent choisir des options en temps réel. Il doit choisir parmi les options proposées, principalement celles de l’Office Fédéral de la Santé Publique (OFSP). Malheureusement, il nous manque une claire stratégie de santé publique depuis le début : l’OFSP louvoie au gré des événements, et très souvent s’écarte des principes simples de l’épidémiologie. Les épidémies ne sont rien de nouveau et accompagnent l’humanité depuis des millénaires. Les porteurs sains sont un bon exemple : l’existence de ceux-ci fut mise en doute au début d’épidémie, bien que presque toutes les maladies infectieuses ont des porteurs sains (une des raisons d’ailleurs pour laquelle une épidémie peut se propager) – la prise en compte précocement de cette réalité aurait permis de mieux cibler les tests de screening et de quarantaine. Nous savons maintenant que la proportion de porteurs sains peut aller jusqu’à 50% des personnes infectées. Ces derniers alimentent largement la propagation de l’épidémie. De cette constatation devrait découler une stratégie de test à large échelle, ce que nous avons aussi raté jusqu’à présent.


Les conséquences économiques et sociales de l’absence de stratégie sanitaire associées aux problèmes du fédéralisme sont devenues évidentes et notre facture sera lourde. Le cafouillage avec les terrasses en montagne est un exemple, certes avec des implications mineures, mais révélateurs de la fragmentation issue du fédéralisme en Suisse. Les difficultés de rapidement établir un programme de vaccination est encore plus difficile à comprendre : pourquoi Israël est-t-il capable et nous pas ? L’OFSP ainsi que les cantons n’ont pas d’infrastructure logistique ni informatique pour un tel programme clé et urgent. Il aurait certainement été plus adéquat et plus efficace de s’adresser aux professionnels de la logistique pour faire le travail? Dans l’urgence économique dans laquelle nous sommes, il faut une gestion d’ensemble centralisée et ensuite décliner en périphérie la réalisation à des partenaires capables de le faire (c.à.d. qui ont une expérience logistique).


En suisse nous n’avons pas de dictature sanitaire car le conseil fédéral se base sur l’OFSP qui devrait préparer les options stratégiques pour le gouvernement. Cependant l’OFSP semble travailler en autarcie et sujet à un mode procédurier. JF Kennedy disait « L’art de la réussite consiste à savoir s’entourer des meilleurs » – Dans un pays avec des universités, des hôpitaux et des écoles polytechniques parmi les meilleures au monde ainsi que des distributeurs efficaces, l’administration avec son mode autarcique, ne sert pas le pays comme il le devrait. Pourquoi cette peur des faits scientifiques, du monde académique et de l’industrie ? Nous devons développer un mode d’emploi pour intégrer les connaissances acquises et les capacités des meilleurs, et non museler les scientifiques ou écarter des distributeurs du privé.

Jan von Overbeck

Jan von Overbeck est né 1954. Il est médecin interniste avec une large expérience aussi bien clinique que de l’industrie, de l’administration et de la politique de santé helvétique. De 2014 à 2018, il a été médecin cantonal à Berne. En 2018, il a ouvert sa propre firme dans le domaine de la santé. Sa conviction profonde est que le système suisse, bien qu’en soi excellent, a besoin d’une réforme profonde.

5 réponses à “La Suisse a-t-elle une stratégie COVID-19 : pour les tests, pour les vaccins ?

  1. Vous avez raison de pointer les insuffisances de l’OFSP, organisme essentiellement administratif. Me suis laissé dire (par un ancien membre) qu’il ne fonctionnerait malheureusement qu’en silos selon les protocoles internes rigides qui guident les différents groupes qui le composent. La Suisse, et son CF, mériteraient beaucoup mieux. Une mise à jour est peut être en cours, du moins je l’espère.

  2. Jusqu’ici, je soutenais le Conseil Fédéral dans cette crise. Mais face à la stagnation de la campagne de vaccination, j’ai l’impression que tous ces politiciens et hauts fonctionnaires se fichent de savoir combien de temps devront attendre les citoyens actifs qui ont le tort d’être en bonne santé.
    Je ne conteste pas que les personnes vulnérables soient vaccinées en priorité. Mais rien n’avance, de plus , les travailleurs d’autres domaines que de celui de la santé sont aussi en contact avec d’autres personnes et prennent également des risques. Le fait que le Conseil Fédéral et Swissmedic ne fassent rien pour accélérer le processus est irrespectueux pour cette frange de la population qui contribue aussi à faire tourner le pays.
    Quand viendra enfin le tour de me faire piquer et que l’on me répondra qu’il n’y plus de doses, pourrais-je réduire ma contribution fiscale puisque je serai devenu un citoyen de seconde zone?

  3. Merci pour cet excellent article. Ce n’est pas nouveau que la Suisse manque de stratégie. Elle est le plus souvent dans la réaction plutôt que dans l’action. Elle attend souvent d’être acculée pour agir. Serait-il possible de réformer les processus institutionnels pour mieux réagir en temps de crise, tout en maintenant la démocratie directe? La prochaine crise majeure que nous allons traverser au niveau mondial, c’est le réchauffement climatique et la nécessaire transition énergétique. Va-t-on attendre d’être acculés pour agir? Comment ne pas répéter les mêmes erreurs? Il est nécessaire de porter le débat dans la société et ne pas le laisser entre les mains des académiques.

    1. Bonjour Steve Tanner et merci de cet excellent commentaire. Mon cher pays est en train d’avancer à reculons alors que d’autres contrées progressent sereinement. Au travers de mes voyages et virées, je l’observe régulièrement. Quel dommage ! Comment allons-nous pouvoir drastiquement nous ressaisir ? Je laisse la question ouverte vu que l’urgence de la consultation est dépassée avec un gros blocage en “salle d’attente”….. Bons messages.

  4. Bonjour/Bonsoir Docteur, votre texte est très intéressant car il relate les vrais manques qui sont bien connus en souterrain mais peu diffusés à la lumière crue. Merci.
    L’OFSP n’a plus aucune crédibilité dans la population générale pour plusieurs autres raisons :
    Lorsqu’un simple quidam pose des questions un peu trop pertinentes, les médecins internistes engagés par cet office se fâchent immédiatement et font état de leur formation et de leurs diplômes, au lieu de répondre sérieusement et pertinemment aux personnes normalement inquiets(ètes). cf. la ligne téléphonique « vaccins » qui est une inénarrable farce minimaliste.
    Pourquoi ? Tout simplement parce que l’OFSP n’a guère évolué depuis des décennies alors que les patient(e)s sont devenu(e)s de plus en plus informé(e)s, ils(elles) savent se documenter en plusieurs langues (PubMed) et ils(elles) ne se contentent vraiment plus du tout d’informations légères et très limitées. Le décalage dans l’évolution est très important. Pourtant la remise en question est unilatérale.
    Donc, l’OFSP navigue à vue et clairement à contre-courant. C’est très dangereux pour notre pays. Tout le monde le sait. Il ne s’est absolument rien (ou presque rien) passé jusqu’à l’émergence de la pandémie actuelle. Peut-être qu’elle servira à une refonte complète de cet office. Néanmoins, le prix humain à payer est sidérant.
    L’OFSP est également très limité du point de vue liberté et/ou ouverture scientifique, justement parce c’est une machine administrative trop lente, quasi ingouvernable. Les étapes obligées et contraignantes ralentissent tout le processus décisionnel alors qu’en cas de crise majeure les délais se doivent d’être aussi courts que possible. Il y a endormissement dans les méandres administratifs avec altération sensible de la capacité réactionnelle.
    Et tout le pays le sait, l’OFSP a aussi démontré sa grave incompétence via les innombrables hausses des cotisations aux assureurs-maladie. Cet office semble complètement incapable de contrer le lobby des assurances-maladies détenant le pouvoir en Suisse, en couple avec le lobby des Pharmas. Or parfois il faut savoir « tonner » pour faire cesser une absurdité bien réelle qui étouffe le peuple suisse depuis bien trop longtemps. L’OFSP a donc également contribué à entretenir (et soigner) sa propre mauvaise réputation. Étrange d’absurdité !

    Du point de vue médical, il ne faut pas être bien malin pour noter que les différents items du serment d’Hippocrate sont en quasi permanence violés et, avec comme conséquence fâcheuse, un important et continu effritement de la confiance envers le corps médical. Sans parler de cette très lassante attitude de supériorité d’un bon nombre de médecins et/ou chercheurs, et plus particulièrement sur mes Terres romandes. C’est terriblement nuisible et contre-productif. Forcément cela devient encore plus frappant et désolant dans un cadre pandémique. La non-compliance que vous connaissez parfaitement.

    Alors la machinerie administrative tyrannique OFSP, associée aux médecins/scientifiques, doit de toute urgence retourner sur les bans d’école afin d’apprendre à se comporter sans comploter dans notre dos, sans commander et/ou imposer et/ou exiger mais aussi apprendre à collaborer tout autrement (et délicatement) avec la population helvétique.
    En d’autres termes, prendre des cours intensifs de communication, pour pouvoir mettre en place un partenariat vraiment sain avec la population générale, puis effectuer une mise à jour des connaissances et surtout considérer les habitant(e)s de ce pays de manière nettement plus égalitaire intellectuellement parlant.

    Comme mère je dirais que l’OFSP s’est écarté du droit chemin depuis longtemps.

    Nous voyons bien où cela nous mène dans le cadre pandémique actuel. Nous fonçons droit dans une impasse et mon pays devient la risée d’autres pays beaucoup moins riches. Cela doit cesser et très rapidement.

    En général, la tenue aléatoire d’un gouvernail induit une très dangereuse navigation à vue.
    La population générale en fera les frais, c’est évident et paiera le prix fort des égarements gouvernementaux.
    Et sans remaniement urgentissime, comme d’habitude, l’OFSP sera absout de tout péché et pourra tranquillement continuer à tourner en rond, à son rythme, sans jamais rien remettre en question. De leur côté, les médecins et scientifiques sauront toujours s’en sortir sans trop de dégâts dans leurs curricula vitae.

    Conclusions : OFSP = pas du tout sain – cf. quelques dessins d’Anna-Regula Hartmann Allgöwer dans 1x Täglich … Annamnesen aus dem Gesundheitswesen …
    Voulons-nous vraiment cela dans le futur pour nos enfants et petits-enfants ?
    Pour ma part, je ne pense pas. Salutations distinguées.

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