L’inter-professionalité : réalité vécue ou illusion très helvétique ?

Les maladies chroniques sont en forte progression dans les sociétés occidentales. C’est le corrélat à l’augmentation de l’espérance de vie. De plus, nous vivons mieux que la génération précédente malgré ces affections chroniques. Ces développements ont des répercussions très profondes pour nos sociétés, dont nous ne mesurons que très partiellement les conséquences au long terme (par exemple l’impact sur les caisses de pension ou sur l’AVS). Ceci explique aussi une partie de la croissance des coûts de la santé, et dans ce contexte des adaptations importantes seront indispensables au niveau de la production des soins.

 

 

Le système de santé actuel est très performant pour l’aspect diagnostic et traitements d’épisodes aigus. La formation médicale est fortement axée sur ces aspects hautement techniques. L’augmentation des affections chroniques change cela en profondeur. En effet, une fois le diagnostic établi et le traitement choisi, la difficulté principale réside dans le suivi du patient : compréhension du traitement, adhérence au traitement, gestion des poly- médications soins au quotidien, soins à domicile, continuité des soins entre hôpital et retour à domicile ou prévention des hospitalisations. Pour la qualité de vie et l’économicité des soins, la gestion de ces affections chroniques doit se faire le plus possible en ambulatoire avec les patients vivant à leur domicile. La partie chronique des maladies est maintenant devenue beaucoup plus longue que la période diagnostic et prise en charge en aigu.

Considérons un instant les soins chroniques comme une « chaine de production ». Pour être efficace nous devons connaître au mieux quelles sont les étapes nécessaires pour cette production et comment articuler les différentes étapes afin d’optimiser la qualité pour le patient-client ainsi que l’économicité des soins. Dans un deuxième temps, les qualifications de chaque intervenant doivent être évaluées pour savoir qui est le mieux formé et le plus économique pour effectuer quelle intervention. En dernier lieu, une comparaison avec le système actuel est nécessaire. Toute industrie confrontée à une augmentation des coûts fait cet exercice. Monsieur Henry Ford a rendu possible la vente de voitures (Modèle T) au grand public après avoir analysé ses méthodes de production et impliqué ses ouvriers l’analyse des chaînes de productions. Pourquoi nous ne le faisons pas pour notre industrie de la santé ?

 

 

A juste titre, les différentes associations médicales (FMH, sociétés cantonales) nous alarment sur l’augmentation importante des soins à prodiguer à l’avenir en relation avec les maladies chroniques. Leur solution est d’augmenter le nombre de médecins, dans un pays qui a déjà une pléthore (voir article précédent). Cette solution est irréaliste pour deux raisons simples : nous ne trouverons pas les médecins de premier recours car les incitatifs économiques sont toujours et encore en leur défaveur, et si nous les trouvions, les coûts engendrés seraient tels que nous ne pourrions plus les financer. D’un point de vue santé publique et économie, la solution est de répartir les tâches dans les soins différemment et de faire appel au principe d’inter-professionalité. Celui-ci est ancré dans la loi sur les professions médicales (articles 6 et 7), mais largement ignoré voir combattue par les différents lobbys des médecins.

 

Citation de Henry Ford :

Se réunir est un début ; Rester ensemble est un progrès ;
Travailler ensemble est la réussite.

 

Ainsi, nous devons repenser notre chaine de production des soins. La collaboration entre les différents intervenants doit être redéfinie et fluidifiée : la gestion des affections chroniques demande d’autres types de soins que ceux donnés par les médecins au cabinet médical ou dans les hôpitaux. Par exemple, lors de la sortie d’hôpital, le transfert d’information au médecin traitant, à l’EMS ou au pharmacien reste trop souvent problématique, ce qui est un critère de très mauvaise qualité à notre époque digitalisée ! Comment expliquer au citoyen l’absence de dossier électronique du patient uniforme et accessible dans tout le pays ? (Article futur sur le sujet) Mis à part l’aspect technique de la transmission d’information, il y a un facteur humain très important qui fait défaut chez nous : la volonté de collaboreravec les autres professions Le législatif a en fait actualisé les lois avant d’étudier le processus de production des soins, bétonnant ainsi les différentes professions sans réfléchir desquelles nous aurons vraiment besoin dans le futur et pour quelles tâches.

La nécessité d’étudier et de comprendre notre chaîne de production des soins est devenue urgente afin de comprendre les raisons de l’explosion des coûts. Nous disposons de nombreux exemples dans l’industrie, cependant personne ne semble oser faire cette analyse critique qui est cependant le premier pas essentiel pour comprendre un système qui a grandi sous l’influence prépondérante des lobbys.

 

La semaine prochaine, je discuterais un exemple pratique :
La vaccination dans les pharmacies : une évidence de santé publique.

 

Jan von Overbeck

Jan von Overbeck est né 1954. Il est médecin interniste avec une large expérience aussi bien clinique que de l’industrie, de l’administration et de la politique de santé helvétique. De 2014 à 2018, il a été médecin cantonal à Berne. En 2018, il a ouvert sa propre firme dans le domaine de la santé. Sa conviction profonde est que le système suisse, bien qu’en soi excellent, a besoin d’une réforme profonde.

Une réponse à “L’inter-professionalité : réalité vécue ou illusion très helvétique ?

  1. D’accord avec votre analyse, mais vous ne dites mots sur l’étiologie des maladies chroniques. Les causes et la prévention de ses causes me semblent aussi importantes, voir plus, que la gestion de la chaîne de production santé. Les coûts de la santé en dépendent aussi.
    Le législatif et ses lobbys ont faillis en excluant la prévention lors de la rédaction de la LAMal. Probablement par ignorance et raisonnement en silo. Depuis, avec l’insistance des associations et de quelques politiciens éclairés, malgré le texte juridique de la LAMal, la prévention prend heureusement et progressivement sa revanche, mais il reste encore du chemin à parcourir.
    Notre nutrition et notre production alimentaire sont aussi en cause, en particulier certains aspects de sa composante industrielle.
    Une bonne gestion de la santé ne peut pas ignorer la gestion des maladies chroniques et surtout celles de ses multiples causes.
    Je ne réjouis d’avance de lire votre prochaine contribution.

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