Après la Bolivie et le Chili, l’Argentine s’est lancée dans l’extraction du lithium, composante essentielle des batteries d’ordinateur et des voitures électriques. Mais l’impact sur l’environnement est important et certaines communautés autochtones s’y opposent fermement.
No al litio (non au lithium) est écrit sur un panneau à l’orée de Salinas Grandes, un désert de sel situé à 3’350 m d’altitude dans la province de Salta, au nord-ouest de l’Argentine. C’est l’un des côtés du « triangle du lithium » qui, à cheval entre la Bolivie, le Chili et l’Argentine, recèle 70% des réserves mondiales de ce minerai. Un nouvel or blanc indispensable à la production des batteries qui entrent dans la composition de nos smartphones, ordinateurs et voitures électriques et dont la demande explose, surtout depuis que Tesla s’est lancée dans la construction à grande échelle de voitures électriques et que les autres constructeurs automobiles essaient de lui emboîter le pas.
Beaucoup moins connue que ses voisins andins, l’Argentine est désormais le 3ème producteur mondial de lithium, après l’Australie et le Chili. Si la production n’y atteint pas encore celle du désert d’Atacama, dans le Chili voisin, 53 projets d’extraction sont en cours dans les provinces de Salta, Jujuy et Catamarca, financés par des capitaux étrangers à hauteur de 2 milliards USD.
Près de deux millions de litres de solution saline pour extraire une tonne de lithium
Pourtant l’impact sur l’environnement est énorme: pour produire une tonne de lithium il faut environ deux millions de litres de solution saline.
La Fundacion Ambiente y Recursos Naturales (« Lithium extraction in Argentina » 2019), qui a interviewé les dix communautés vivant près de deux salines, le Sales de Jujuy et Minera Exar, constate qu’elles sont partagées. Certaines voient dans le lithium une opportunité d’emploi dans une région qui n’en offre aucune à part l’extraction minière – les hautes Andes sont très riches en minerais (or, argent, plomb, zinc, etc.) et la plupart des hommes travaillent dans les mines depuis toujours, ou alors les familles pratiquent l’élevage, l’agriculture de subsistance et un peu d’artisanat. D’autres s’inquiètent de l’impact à long terme du lithium sur l’environnement, à commencer par la baisse de la nappe phréatique, affirmant que des bêtes ont déjà commencé à périr. Soit elles s’opposent carrément à l’extraction du lithium, soit elles voient l’impact sur l’environnement comme un dégât collatéral, un mal nécessaire à un certain développement économique. Il faut souligner que l’extraction du lithium a un impact sur tout l’écosystème, avec des effets imprévisibles à ce jour et qui risquent d’affecter bien plus de personnes que les peuples autochtones de l’Altiplano.
Communautés autochtones peu ou mal consultées
85% des sondés des deux communautés situées le plus près des lieux d’extraction affirment ne pas avoir été consultés. « Il y a un déséquilibre énorme entre les communautés, qui attendent des emplois, et les multinationales. Le processus de consultation devrait avoir lieu avec la participation de l’Etat, mais à Jujuy cela n’a pas été le cas », affirme l’étude.
« D’une façon générale, les peuples indigènes sont dispersés, divisés, marginalisés et vulnérables. C’est pourquoi il est assez facile de “persuader” certaines communautés de la justesse d’une initiative. Étant très pauvres, ils se contentent de très peu. J’ai donc beaucoup de doutes sur ce que les compagnies de lithium disent des accords passés avec les communautés » commente le professeur Graziano Ceddia, du Centre pour le développement et l’environnement de l’Université de Berne, qui mène un projet de recherche avec les communautés autochtones dans la province de Salta.
Au Chili, d’où provient depuis 20 ans le 40% du lithium extrait dans le monde, les communautés autochtones autour du désert d’Atacama sont fortement mobilisées contre l’expansion des licences minières et elles ont porté plainte devant trois tribunaux, dont la Cour interaméricaine des droits de l’homme.
Pain pour le prochain plaide pour le recyclage du lithium
En Suisse, les œuvres des Eglises, Pain pour le prochain et Action de Carême, commencent à travailler sur le lithium et d’autres matières premières dans le cadre de leur analyse des chaînes de production de l’électromobilité. « Notre souci, c’est le besoin d’extraire toujours plus de matières premières pour fabriquer les batteries, qui sont l’élément central dans ces véhicules, souligne Karin Mader, la responsable du dossier. Nous aimerions savoir quel type de véhicules utilise quel type de batteries et d’où proviennent les matières premières de ces batteries. Ce que nous demandons, c’est la transparence dans les chaînes d’approvisionnement. L’électromobilité est saluée comme la solution à la crise climatique, mais nous soupçonnons que cette solution cause des dégâts sociaux et environnementaux si l’extraction ne se fait pas de manière respectueuse de l’environnement et des populations locales. »
Les deux organisations militent donc pour ne pas extraire à chaque fois de nouvelles matières premières du sous-sol, mais pour les recycler. Le problème est le suivant : le recyclage est courant pour certains métaux lourds (comme le cuivre et le nickel), mais pour le lithium il est techniquement plus difficile et donc plus cher. « Le pouvoir politique devrait définir un cadre et promouvoir le recyclage des matières premières problématiques comme le lithium, ce qui nécessitera un important engagement au niveau de la recherche et la mise en place d’usines spécialisées. Ce n’est pas gagné car l’extraction est encore trop bon marché. Pourtant, on ne peut pas prétendre résoudre la crise climatique au moyen de l’électromobilité sans résoudre les nouveaux problèmes causés par la production des batteries», conclut Karin Mader
Une version de cet article a d’abord été publié par Le Courrier