Il faut une nouvelle loi qui lie économie et droits humains

Alors que les violations des droits humains se multiplient, comme le montrent les exemples de la Chine et de la Birmanie, la Suisse ne dispose pas des bases légales lui permettant d’adopter rapidement des mesures économiques ciblées

Les preuves de l’existence de camps d’internement des Ouighours au Xinjiang et du travail forcé qui est pratiqué s’accumulent depuis trois ans. Ne pouvant plus nier l’évidence, les pays occidentaux réagissent : en avril, l’Union européenne (UE) a imposé des sanctions à l’encontre de personnalités chinoises et d’une société d’Etat. La Norvège, qui comme la Suisse est membre de l’Association européenne de libre-échange (AELE), s’est jointe à ces sanctions. La Suisse y réfléchit encore…

Le 12 janvier, allant plus loin, la Grande-Bretagne avait adopté de nouvelles règles interdisant l’importation de produits suspectés d’être issus du travail forcé au Xinjiang. Le Canada l’a suivie le même jour, annonçant des limitations aux importations en provenance du Xinjiang. Dans des chaînes de valeur toujours plus longues, où un produit n’est plus fabriqué de A à Z à un seul endroit, mais résulte de l’assemblage de composants fabriqués aux quatre coins du monde, il est devenu très difficile, pour ne pas dire impossible, de prouver que telle pièce est issue du travail forcé. D’où l’approche adoptée par l’UE, qui consiste à s’en tenir aux soupçons fondés.

Traçabilité sans faille impossible

Les Etats-Unis en font encore plus: avec le «Uyghur Human Rights Policy Act » et le «Uyghur Forced Labour Prevention Act », le Congrès américain a carrément interdit l’importation de produits fabriqués au Xinjiang. Face à l’évidence des violations massives des droits humains, il incombe désormais aux entreprises américaines et aux autres de prouver que les produits importés aux Etats-Unis ne sont pas issus du travail forcé, et pas l’inverse.

La Suisse s’en tient à une approche très conservatrice et fait exactement le contraire: rejetant la motion du Conseiller aux Etats Carlo Sommaruga demandant d’interdire l’importation de marchandises issues du travail forcé au Xinjiang, le Conseil fédéral a évoqué la difficulté de la traçabilité sans faille : « l’administration fédérale ne peut pas vérifier les conditions de production à l’étranger et ne peut donc pas garantir le respect de l’interdiction du travail forcé. Elle ne dispose ni des moyens ni des possibilités pour assurer une traçabilité sans faille de chaque produit importé ainsi que de chacun de ses composants. »

Absence de bases légales invoquée par la Suisse

Les exemples ci-dessus montrent que si on veut, on peut. Or la Suisse ne veut pas. Elle n’a pas la volonté politique d’aligner ses intérêts économiques sur le respect des droits humains, même dans le cas de violations aussi flagrantes que celles dont sont victimes les Ouighours, que de plus en plus de juristes et de parlements dans le monde n’hésitent plus à qualifier de génocide.

La seule action concrète entreprise par le Conseil fédéral est l’organisation de tables-rondes avec les représentants de l’industrie textile et de celle des machines actives au Xinjiang «pour les informer de la situation.” Pour Alliance Sud, Public Eye et la Société pour les peuples menacés − réunies dans la Plateforme Chine lors de la négociation de l’accord de libre-échange, relancée depuis la découverte des camps des Ouighours − ce n’est pas assez. Pour l’ONU non plus. Fin mars, il a écrit à la Suisse et à 12 autres pays pour leur rappeler « l’obligation de s’assurer que les entreprises domiciliées sur son territoire ou sa juridiction respectent les droits humains dans toutes leurs opérations ». Un privilège dont notre pays se serait probablement passé.

La raison avancée par le Secrétariat d’État à l’économie (SECO) pour ne pas en faire plus est l’absence de base légale. Le Conseil fédéral se borne à répéter qu’il attend de ses entreprises qu’elles fassent preuve de diligence raisonnable, mais il se refuse à aller plus loin.

Plus d’action pour la Birmanie

Dans le cas de la Birmanie, où le coup d’Etat perpétré par les militaires le 1er février a déjà fait plus de 800 morts, mais les intérêts économiques sont moindres, cela va un peu mieux. S’alignant sur l’UE et les Etats-Unis, la Suisse a pris des sanctions contre 11 hauts responsables de l’armée et les deux conglomérats qu’elle contrôle : le MEC (Myanmar Economic Corporation), actif surtout dans l’extraction minière, la manufacture et les télécommunications et le MEHL (Myanmar Economic Holdings Limited), actif entre autres dans le secteur bancaire, la construction, l’extraction minière, l’agriculture, le tabac et l’agro-alimentaire.

Face à ces inactions ou actions à géométrie variable, quoi faire ? La Plateforme Chine a mandaté une étude au Prof. Thomas Cottier, spécialiste du droit du commerce international, qui propose que la Suisse se dote d’une nouvelle loi sur l’économie extérieure qui lie économie et droits humains. Actuellement c’est la Loi fédérale sur les mesures économiques extérieures de 1982 qui s’applique, mais elle contient surtout des dispositions procédurales techniques, se limite à la protection de l’économie suisse et ne fournit aucune orientation de fond pour l’élaboration des politiques.

Un cadre qui renvoie aux lois existantes et les complète

« La nouvelle loi sur l’économie extérieure sera un cadre qui renvoie aux lois existantes, qui doivent être adaptées et développées en conséquence. Cela vaut notamment pour la Loi sur les embargos, qui n’autorise aujourd’hui des mesures qu’en cas de décision de l’ONU ou de sanctions prises par les principaux partenaires commerciaux, c’est-à-dire l’UE ou les États-Unis. La Suisse ne dispose pas encore d’une base légale pour des sanctions économiques indépendantes contre les violations des droits humains. La mesure dans laquelle d’autres lois le permettraient devrait être examinée en détail », déclare Thomas Cottier.

Mais quel serait la valeur ajoutée de la nouvelle loi par rapport à celles qui existent déjà? « En Suisse, des bases légales permettent déjà de prendre des mesures répressives en cas de violation des droits humains et d’actes criminels de corruption : il y a par exemple la Loi sur les embargos, la Loi sur le contrôle des biens, la Loi fédérale sur le matériel de guerre, la Loi sur l’entraide pénale internationale, la Loi sur les valeurs patrimoniales d’origine illicite (“Loi sur les avoirs de potentats”) et le code pénal.  Mais l’ensemble du droit de l’économie extérieure devra être inclus dans la nouvelle loi, y compris le droit des douanes et notamment la Loi fédérale sur les préférences tarifaires pour les pays en développement, qui ne comporte actuellement aucune conditionnalité. L’administration devrait faire une analyse pour voir ce qui existe déjà et ce qui manque ou peut être complété. »

Ce pour assurer enfin la cohérence et transparence de la politique économique extérieure de la Suisse et permettre d’apporter des réponses appropriées à des violations des droits humains scandaleuses, quels que soient les intérêts économiques en jeu.


Cet article a été publié dans Global, le magazine d’Alliance Sud

 

 

 

 

 

Première plainte contre la Suisse devant un tribunal arbitral

Une entité juridique basée aux Seychelles reproche à la Suisse un acte législatif vieux de 30 ans, qui interdit de revendre temporairement des immeubles non agricoles. Cette plainte, qui montre que la Suisse n’est pas à l’abri de l’arbitrage international, est une occasion en or pour rééquilibrer les accords de protection des investissements en faveur des pays d’accueil – qui étaient jusqu’à présent surtout des pays en développement

Tôt ou tard, cela devait arriver. Pour la première fois de son histoire, la Suisse fait l’objet d’une plainte devant le CIRDI (Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements), le tribunal arbitral de la Banque mondial qui statue sur les différends liés aux accords de protection des investissements. Ironie du sort, c’est un paradis tropical qui pourrait mener la Suisse en enfer: une entité juridique domiciliée aux Seychelles et contrôlée par un citoyen helvétique, qui prétend agir au nom de trois Italiens qui auraient essuyé des pertes en raison d’un arrêté fédéral urgent de 1989, qui interdit de revendre des immeubles non agricoles pendant cinq ans. Un document tellement vieux qu’on ne le trouve même pas sur internet… Le plaignant se base sur l’accord de protection des investissements (API) Suisse – Hongrie et réclame 300 millions de CHF de dédommagement. Sans surprise la Suisse conteste tout en bloc.

37 plaintes d’entreprises suisses contre des Etats

Aussi loufoque que paraisse cette affaire, elle montre que la Suisse n’est pas à l’abri de ce mécanisme décrié de l’arbitrage international, qui permet à un investisseur étranger de porter plainte contre l’Etat hôte – mais pas l’inverse – si ce dernier adopte une nouvelle réglementation pour protéger l’environnement, la santé, les droits des travailleurs, ou l’intérêt public.

Jusqu’à présent, Berne avait réussi l’exploit presque unique au monde d’y échapper, alors que 37 plaintes d’entreprises suisses (ou prétendument telles) ont été recensées à ce jour par la CNUCED. La dernière en date concerne Chevron contre les Philippines, sur la base du traité de protection des investissements Suisse – Philippines. Un cas sur lequel on ne sait presque rien, si ce n’est qu’il porte sur un gisement de gaz offshore. Chevron, entreprise suisse ? A priori, pas vraiment, mais la multinationale américaine a dû faire du «treaty-shopping » comme on dit dans le jargon, trouver que l’API Suisse – Philippines servait le mieux ses intérêts et réussir à se  faire passer pour une entreprise helvétique. Ce alors même qu’elle est empêtré dans des affaires judiciaires en Equateur depuis des décennies pour avoir pollué l’Amazonie.

Supprimer l’ISDS

Cela fait des années qu’Alliance Sud demande à la Suisse de rééquilibrer les accords de protection des investissements avec les pays d’accueil (115 à ce jour, exclusivement des pays en développement) afin de mieux garantir leurs droits. Dernièrement, l’Afrique du Sud, la Bolivie, l’Equateur, l’Inde, l’Indonésie et Malte ont dénoncé les leurs et veulent en renégocier de plus équilibrés, voire n’en veulent plus du tout. L’élément le plus contesté est précisément ce mécanisme de justice privée par voie d’arbitrage (ISDS) qui prévoit que l’investisseur choisit un arbitre, l’Etat accusé un autre et les deux se mettent d’accord sur un troisième. Trois juges qui peuvent condamner l’Etat à payer des compensations pouvant se chiffrer en centaines de millions de dollars. Alliance Sud demande de renoncer complètement à l’ISDS ou, au pire, de l’utiliser seulement en dernier ressort, après avoir épuisé les voies de recours internes.

Les Etats devraient pouvoir déposer une contre-plainte pour violation des droits humains

Si les accords de protection des investissements ne protègent que les droits des investisseurs étrangers, une première brèche en faveur du droit à la santé a été ouverte par la sentence de Philip Morris contre l’Uruguay (juillet 2016), qui a débouté le fabricant suisse de cigarettes sur toute la ligne. Une deuxième lueur d’espoir a jailli fin 2016, lorsqu’un tribunal arbitral a donné tort à Urbaser, une entreprise espagnole gérant la fourniture d’eau à Buenos Aires et qui avait fait faillite après la crise financière de 2001 – 2002. Les arbitres ont affirmé qu’un investisseur doit respecter les droits humains aussi. Pour la première fois, ils ont aussi accepté le principe de la « contre-plainte » de l’Argentine contre Urbaser pour violation du droit à l’eau de la population… sauf finir par statuer que, sur le fond, Urbaser n’avait pas violé le droit à l’eau( !). Ils ont considéré que la contre-plainte était recevable car l’accord de protection des investissements (API) Argentine – Espagne permet aux «deux parties» de porter plainte en cas de différend.

Secouer le cocotier

Ce n’est malheureusement pas le cas des API suisses, qui permettent seulement à l’investisseur de porter plainte et non aux deux parties[1]. La mise à jour des accords en cours, ou la négociation de nouveaux, est l’occasion d’introduire cette modification. Celle-ci reste cependant modeste puisque la plainte initiale est seulement du ressort de l’investisseur : des victimes de violation du droit à l’eau, à la santé, ou des droits syndicaux ne peuvent pas porter plainte contre des multinationales étrangères en premier. Ils ne peuvent, dans le meilleur des cas, que répondre à la leur.

Maintenant qu’un investisseur des Seychelles a secoué le cocotier, et quelle que soit l’issue de cette plainte, nous espérons que la Suisse fera des efforts sérieux pour rééquilibrer ses accords d’investissement. Désormais, c’est clairement dans son intérêt aussi.

 

[1] Cf. par exemple l’art. 10.2 de l’API avec la Géorgie, le plus récent API suisse.

Les nouvelles routes de la soie, développement ou nouvelle colonisation ?

L’initiative chinoise de création d’infrastructures tout azimut peut-elle contribuer au développement durable – et si oui à quelles conditions? Le sujet touche directement la Suisse, qui a signé un protocole d’entente avec la Chine pour soutenir ses entreprises, banques et  assurances qui investissent dans les pays tiers. 

« Grâce aux Nouvelles routes de la soie, l’Afrique de l’Est dispose de sa première autoroute, les Maldives ont construit le premier pont pour relier leurs îles, la Biélorussie a sa première industrie automobile, le Kazakhstan a accès à la mer et le continent euro-asiatique bénéficie du plus long service de train marchandises. Quant au train Mombasa – Nairobi, il a créé 50’000 emplois locaux » clamait Geng Wenbing, ambassadeur de Chine en Suisse, lors d’une conférence sur « Les nouvelles routes de la soie en tant que moteur des Objectifs de développement durable », organisée début septembre à Andermatt par la délégation suisse auprès de l’Assemblée parlementaire de l’OSCE.

Nouvelles routes de la soie : un programme ambitieux de création d’infrastructures – routes, ports, trains, usines – lancé par le président chinois Xi Jinping en 2013 pour relier la Chine au reste du monde et faciliter l’importation de matières premières nécessaires à nourrir sa croissance spectaculaire. Un projet pharaonique auquel adhèrent à ce jour 126 pays et des organisations internationales et dont les chiffres donnent le vertige : 40% du commerce mondial, 60% de la population mondiale et 40% de la terre globale. Le montant exact des investissements est inconnu, mais il est estimé entre 1’000 et 8’000 milliards USD. La Chine à elle seule prévoit d’y injecter 600 – 800 milliards USD jusqu’en 2021.

« La Belt and Road Initiative (BRI) n’est pas un one man show de la Chine, ni un club de la Chine”, précisait l’ambassadeur chinois. En effet, la Suisse s’est empressée de rejoindre le club en avril passé, devenant l’un des premiers pays d’Europe occidentale. Le protocole d’entente entre la Suisse et la Chine ne prévoit pas une augmentation des investissements chinois en Suisse, mais une collaboration des entreprises, banques et assurances dans les pays tiers, avec le soutien des gouvernements respectifs. Ce qui soulève précisément beaucoup de questions.

La nouvelle gare d’Addis Abeba

Vive opposition au train chinois en Ethiopie

Car tous les projets ne marchent pas aussi bien que le clame l’ambassadeur chinois. Etonnamment, il a omis de mentionner le train qui relie Addis Abeba à Djibouti sur 750 km – la première liaison ferroviaire transfrontalière entièrement électrifiée en Afrique. Inauguré en janvier 2018, il a coûté 2,8 milliards d’euros, que l’Ethiopie va devoir rembourser à la Chine sur 15 ans. Une gare flambante neuve, mais peu fréquentée, a même été construite en-dehors de la capitale éthiopienne pour remplacer la vieille gare et le chemin de fer construits par les Français en 1901, qui avaient cessé de fonctionner autour des années 2000.

Ayant moi-même pris le vieux train en 1993, certes bourré de charme pour un voyageur étranger, mais qui avait mis un jour entier pour relier Addis Abeba à Harar, près de la frontière somalienne, avec deux wagons brinquebalants, je comprends aisément l’enthousiasme des autorités face à un tel exploit technologique. Sauf que, comme rapporté par de nombreux médias, certains locaux perçoivent ce chemin de fer comme un projet des élites d’Addis Abeba. La plupart des gares sont complètement excentrées et ne contribuent pas à l’économie locale, contrairement au vieux train, qui drainait dans un chaos ébouriffant marchands, restaurateurs et hôteliers. Et si l’entreprise chinoise affirme avoir créé 20’000 emplois locaux en Ethiopie et 5’000 à Djibouti, les ex employés désormais au chômage se plaignent de bas salaires et mauvaises conditions de travail. Mais le problème principal, c’est la terre, qui appartient à l’Etat et pour laquelle les communautés expropriées, notamment Oromo, affirment ne pas avoir reçu de compensation adéquate.

L’ancienne gare de Dire Dawa

Manque de transparence, surendettement…

Le train éthiopien est un bon exemple du potentiel des projets chinois, mais aussi de leurs risques. A commencer par le manque de transparence. Il n’existe pas de données officielles sur les projets de la BRI, leur rapport coûts – bénéfices et leur impact sur les populations locales, puisque Pékin ne dévoile pas les conditions d’octroi des crédits. Ceci entraîne le surendettement de ces pays vis-à-vis de la Chine, ce qui peut créer des problèmes en termes de dépendance économique, mais aussi politique. C’est ainsi que Djibouti, qui doit à la Chine l’équivalent de 80% de son PIB ( !), abrite la première base militaire chinoise à l’étranger. «  Le couloir industriel pakistano – chinois a fait augmenter le PIB pakistanais de 2,5% », soulignait  l’ambassadeur chinois à Andermatt. Se gardant bien de mentionner qu’il a aussi fait exploser la dette pakistanaise vis-à-vis de la Chine, estimée à 19 milliards USD. Quant aux Maldives, leur dette chinoise, estimée à 1,5 milliards, représente 30% du PIB.

Les participants ont souligné que les banques multilatérales d’investissement ont élaboré des lignes directrices qui assurent une certaine durabilité sur le plan social, financier et environnemental. Bien que souvent critiquées par les ONG, celles-ci ont au moins le mérite d’exister et de créer un cadre de référence. Trop contraignant pour certains pays visiblement, puisque un haut fonctionnaire n’a pas hésité à affirmer que « dans les instances multilatérales, ce n’est pas l’argent qui manque, mais les projets viables ». Les prêts chinois seraient donc plus faciles à obtenir, mais la dépendance qu’ils peuvent entraîner a parfois des relents de néocolonialisme, avons-nous envie d’ajouter.

Car il n’y a aucun doute: ceux qui acceptent des prêts de plusieurs millions de dollars deviennent dépendants, qu’ils le veuillent ou pas. Les anciennes puissances coloniales européennes et les Etats-Unis reprochent une sorte de néocolonialisme à la stratégie de développement et d’expansion de la Chine. Reste à voir si cela aura le même effet désastreux sur les pays en développement que le colonialisme historique.

Pourtant le besoin de financements est indéniable : l’OCDE a estimé que pour financer les investissements nécessaires à réaliser les ODD, il faut 6,9 trillions de USD par an jusqu’en 2030.

impact sur l’environnement et les droits humains, corruption

L’impact des projets chinois sur les droits humains, en termes de standards de travail et de consultation des populations par exemple, est aussi significatif. Quant à l’environnement, comme dans tout projet d’infrastructure, l’impact sur l’eau, les sols, l’air, la biodiversité et le changement climatique est important – d’autant plus que beaucoup de projets portent sur le pétrole et le gaz, des secteurs qui ne contribuent pas précisément à la transition écologique prévue par les Objectifs de développement durable.

Un autre problème, accentué par le manque de transparence des prêts, est la corruption. « La mondialisation a contribué à exporter la corruption par l’investissement, a indiqué Gretta Fenner, du Basel Institute of Governance. Ce n’est pas seulement un problème de pays en développement. La BRI comporte des risques massifs de corruption et de mauvaise gouvernance, non parce qu’il s’agit d’une initiative chinoise, mais parce que ce sont des projets de grandes infrastructures qui impliquent beaucoup d’argent et un déséquilibre de pouvoir très évident entre la Chine et presque tous les autres pays.»

Pourtant certains progrès existent, à commencer par des Principes pour l’investissement vert dans la BRI et un Cadre pour la durabilité de la dette, récemment adoptés par la Chine et qui montrent une volonté de Pékin d’aller vers des investissements plus durables.

La conférence de Andermatt, © Isolda Agazzi

Que fait la Suisse ?

Dès lors, que vient faire la Suisse là-dedans ? Le protocole d’entente avec la Chine crée une plateforme où des entreprises chinoises et suisses peuvent travailler ensemble sur des projets de la BRI, avec une attention particulière à l’aspect financier et de durabilité de la dette. Un groupe de travail est en train d’être créé pour rendre la plateforme opérationnelle. Si les entreprises suisses s’impliquent, tout le monde semble s’accorder sur le fait qu’elles devraient respecter au moins certaines normes relatives aux droits humains et au respect de l’environnement.

La déclaration d’Andermatt, adoptée par les participants à la conférence, reconnaît ces beaux principes et la Suisse peut certainement  aider à les réaliser. Mais ladite déclaration vise aussi à promouvoir un environnement favorable à l’investissement privé dans les infrastructures et les partenariats publics – privés. Une intention exprimée aussi clairement dans le protocole d’entente Suisse – Chine. Toute la question est de savoir si c’est le rôle des fonds publics de soutenir les entreprises, banques et assurances suisses à l’étranger. Et si oui, comment.


Cet article a d’abord été publié par Global, le magazine d’Alliance Sud

Le vendredi, c’est transition

Photos de la rade de Genève © Isolda Agazzi

A Genève, le vendredi, des personnes de tous horizons se réunissent pour discuter de monnaie complémentaire, de l’initiative Genève 0 pub, du moratoire sur la 5G… Pour un monde en transition post-spéculation et post-carbone, qui oscille entre économie solidaire et décroissance.

Il fut un temps où le vendredi était jour de jeûne. Désormais c’est le jour où l’on réfléchit à une vie plus frugale pour respecter les limites de la planète. Du moins à Genève, où une vingtaine de personnes se retrouvent à la Maison des Associations pour les Vendredis de la transition, une initiative lancée par les Quartiers collaboratifs et Monnaie léman, en collaboration avec le Colibri, le mouvement de Pierre Rabhi, et animée notamment par Jean Rossiaud, député au Grand Conseil. C’est l’expression locale des Villes en transition – vers un monde post-carbone, post-nucléaire et post-spéculation –, un mouvement lancé en 2006 en Grande Bretagne par Rob Hopkins, devenu mondialement célèbre grâce au film Demain – et dont il existe un Demain Genève et un Après-demain.

« Nous avons quatre slogans : Il existe des solutions immédiates et concrètes au dérèglement climatique ; chacun doit faire sa part ; faisons de nos quartiers des communs et des logiciels libres ; sortons nos lémans comme une carte d’identité de la transition, nous explique l’élu Vert. L’idée est de réinventer la production, la consommation, la démocratie et la gouvernance. Nous avons lancé la monnaie locale le léman, qui est une initiative immédiate et concrète pour relocaliser la production et la consommation en les orientant vers la durabilité.»

8000 monnaies locales dans le monde, dont une quinzaine en Suisse

Il y a 8’000 monnaies locales dans le monde, dont une quinzaine en Suisse, nées pour la plupart après la crise financière de 2008. « On s’est beaucoup inspirés du Wir, une monnaie créée après la crise de 1929 par des entrepreneurs pragmatiques de Zurich et de Bâle. Ils se sont dit qu’il n’y avait pas de raison que la crise à New York, qui avait asséché les marchés financiers, se répercute en Suisse, où il y avait l’un des meilleurs appareils productifs d’Europe, des employés qualifiés et des clients pour leurs produits. Ils ont donc lancé une monnaie qui fonctionnait comme une sorte de troc multilatéral, un crédit mutualisé pour que l’argent circule localement.»

Même si elles visent à relocaliser la production et la consommation, les monnaies locales n’échappent pas à l’idée que la richesse d’un pays se mesure à la somme de ses transactions. « Les entreprises qui adoptent le léman veulent participer à la création de richesse, précise Jean Rossiaud, mais en s’orientant collectivement vers la durabilité. Plus on travaille en léman, plus on fait croître l’économie durable au détriment de l’économie gaspilleuse et spéculative. Nos entreprises désirent redonner du sens à leurs services et proposer des prix «  justes ». Aujourd’hui 550 entreprises acceptent cette monnaie dans le bassin lémanique, dont 75% à Genève. De plus en plus de communes s’y mettent aussi officiellement.

Il précise que l’objectif des Vendredi de la transition, c’est d’offrir un espace à toute personne qui a une idée de projet et veut faire quelque chose d’immédiat et concret. Il y a eu des jardins urbains, un collégien qui voulait vendre des lémans dans son collège, un projet 0 déchets dans l’éco quartier de Meyrin… L’un des succès les plus fulgurants du mouvement, c’est le moratoire sur la 5G: l’idée est née un vendredi, la Coordination genevoise pour le moratoire a été lancée le vendredi suivant, avec communiqué de presse, envoi de la lettre à toutes les communes et circulation de la pétition suisse. Dans la foulée, les cantons de Genève et Vaud viennent de décréter un moratoire sur l’installation des antennes 5G tant que l’impact sur la santé n’a pas été étudié.

Initiative Genève 0 pub validée le 17 avril 

Un autre succès majeur des Vendredis de la transition, c’est l’initiative Genève 0 pub. « L’initiative a été lancée par le Réseau d’Objection de Croissance (ROC) en janvier 2017 lorsque, suite au changement du concessionnaire de publicité, on a vu fleurir en ville des panneaux blancs qui ont été tout de suite colonisés par des mouvements populaires artistiques, nous raconte Lucas Luisoni, du ROC Genève. Au sein des Vendredis de la transition, avec d’autres organisations comme le GLIP, le Collectif Genève sans publicité et les Quartiers collaboratifs, on a mis en place un mécanisme pour aboutir à une initiative municipale afin de libérer les rues de la publicité commerciale. Celle-ci a recueilli les 4’000 signatures nécessaires. Le Conseil d’Etat a décrété que cette initiative n’était que partiellement constitutionnelle, mais nous avons fait recours auprès de la Chambre constitutionnelle et nous avons gagné. Le 17 avril, le Conseil d’Etat a définitivement déclaré l’initiative valide et il va l’envoyer au Conseil administratif de la Ville, qui décidera s’il la met en œuvre directement ou s’il la fait passer en votation populaire. »

Pour le ROC la publicité est un moteur de croissance économique qui entraîne la diminution des ressources en transformant nos désirs en besoins. Le Réseau est né en 2008 – une date charnière, qui a marqué un véritable tournant dans les réflexions sur une économie alternative. Suite à la célébration de la journée mondiale sans achats, des gens ont voulu susciter une prise de conscience sur la fièvre acheteuse « car aujourd’hui les ressources disponibles diminuent. Décroissance c’est un terme coup de poing, qui n’existe même pas en économie car on préfère parler de croissance négative. Pourtant il est urgent de réfléchir à une économie qui respecte l’environnement et ne creuse pas encore davantage l’écart entre les revenus», ajoute Lucas Luisoni.

La décroissance, surtout pour les riches

Quelle est alors la différence entre décroissance et récession ? « La décroissance c’est la reconnaissance que l’on peut vivre mieux avec moins. C’est la frugalité heureuse, dans le sens des mouvements de protection de l’environnement. » Mais peut-elle s’appliquer à tout le monde ? « J’ai travaillé au Niger, où les gens survivent avec moins de 2 USD par jour. C’est évident que dans ce pays il faut une croissance soutenue – même 6% – 7% par an ce n’est pas assez vu l’augmentation de la population. La décroissance doit commencer par les riches, que ce soit les pays riches ou les riches au sein de ceux-ci. Car l’effet de ruissellement défendu par le système capitaliste, à savoir l’idée que tôt ou tard la croissance finira par bénéficier à tout le monde, ne marche pas. »

Nous insistons : la décroissance n’entraîne-t-elle pas le chômage? « Cela dépend des mécanismes de l’emploi mis en place, répond Lucas Luisoni. Il faudrait une répartition plus équitable du travail et une réflexion sur quel travail pour quel argent. Si on achète tout sur internet pour passer plus de temps en famille, un jour nos enfants vont se retrouver à travailler toute la journée dans un hangar pour Amazon. De toute façon, avec la robotisation, il y aura une  réduction du besoin de travail. Il faudra réinventer de nouveaux emplois dans le domaine social et relationnel, ou accepter le principe du revenu de base universel, que nous avons défendu. »

Le représentant du ROC Genève en est convaincu : le discours sur la décroissance est de plus en plus audible. Il affirme que le mouvement représente 15% de la population mondiale, qui cherche des solutions dans la transition, la relocalisation de l’économie, le partage plus équitable, la réparation plutôt que l’obsolescence programmée – bref des dynamiques qui permettent d’envisager l’avenir avec moins de scepticisme. « Car on ne peut pas imaginer un monde avec un futur viable sans réfléchir à un changement radical de modèle économique. »


Cet article a été publié aussi dans Bon pour la Tête, dans le cadre d’un dossier sur la décroissance

Développement durable: la Suisse a encore du pain sur la planche

Photo: ODD 16, paix et justice © Semine Lykke

Le 17 juillet, la Suisse va présenter à l’ONU son (maigre) rapport sur la mise en œuvre de l’Agenda 2030. Dans un rapport parallèle beaucoup plus substantiel, la Plateforme Agenda 2030 de la société civile critique le manque d’ambition de la Suisse et ses lacunes en matière de développement durable.

« Pour la société civile, le rapport de la Suisse est très décevant! Il ne fait que 24 pages, alors que les directives mêmes de l’ONU en prévoient 50! », s’exclame Eva Schmassmann d’Alliance Sud, présidente de la Plateforme Agenda 2030. Ce collectif de 40 ONG issues des horizons les plus variés avait convoqué la presse à Berne pour présenter son propre rapport parallèle, beaucoup plus long et consistant que celui du  Conseil fédéral.

Entrée en vigueur en 2015, l’Agenda 2030 de l’ONU contient 17 Objectifs de développement durable (ODD), assortis de 169 sous-objectifs, qui doivent être atteints jusqu’en 2030. Il fait suite aux huit Objectifs du millénaire,  mais contrairement à ces derniers, qui visaient essentiellement la lutte contre la pauvreté dans les pays en développement, il englobe les trois dimensions de la durabilité – économique, sociale et environnementale – et s’adresse à tous les pays, aussi bien en développement qu’industrialisés. Les ODD, qui vont de la lutte contre la pauvreté à la préservation des ressources naturelles, en passant par la lutte contre les inégalités et l’avènement de sociétés pacifiques, sont universels et interdépendants car ils doivent être atteints en même temps – un pays ne peut pas choisir ceux qui lui conviennent le mieux. Ceci suppose un changement radical de paradigme – par exemple dans les modes de production et de consommation – et fait de la politique intérieure une affaire de politique extérieure, car les décisions prises en Suisse ont une influence sur les autres pays, à commencer par les plus pauvres.

Mesurer toute la politique de la Suisse à l’aune de la cohérence

« L’Agenda 2030 prévoit que le rapport national soit transparent et inclusif. Or le rapport suisse est très insuffisant par rapport à ces critères”, continue Eva Schmassmann. Pourtant la Confédération a interrogé la société civile l’année passée, ce qui a donné lieu à un rapport qui ne sera pas présenté à New York, même s’il a fini par être publié après moultes pressions. » Ce rapport exaustif a été rédigé par une quarantaine d’unités interdépartementales de la Confédération, avec la contributions des cantons, des communes et de la société civile. Mais le Conseiller fédéral Ignazio Cassis, à la tête du Département fédéral des affaires étrangères depuis novembre 2017, l’a jugé trop “de gauche” et a fait couper les parties les plus critiques.

Alliance Sud demande la création d’un bureau des ODD au sein de l’administration fédérale, doté des ressources et compétences nécessaires. Elle réclame aussi que toutes les affaires politiques soient examinées à la lumière de l’Agenda 2030, dans un souci de cohérence. » Un exemple ? L’ODD 16.4 prévoit de réduire nettement les flux financiers illicites, qui font perdre aux pays en développement 200 milliards USD par an. « Or la Suisse gère 30% des fortunes étrangères du monde. Les privilèges fiscaux qu’elle accorde aux multinationales pour les bénéfices réalisés à l’étranger posent donc problème. Dans le projet de réforme de l’imposition des entreprises, appelé Projet fiscal 17, le Conseil fédéral prévoit certes l’abolition des privilèges fiscaux actuels, mais il dit vouloir les remplacer par des mesures qui aboutiront au même effet», regrette  Eva Schmassmann.

Photo: ODD 8 © Nicki

615’000 pauvres en Suisse

Marianne Hochuli, de Caritas Suisse, met le doigt sur le premier objectif, qui prévoit l’élimination de la pauvreté, partout dans le monde. La Suisse doit aussi faire sa part. Elle est appelée à réduire d’au moins 50% le nombre de pauvres d’ici 2030 – actuellement 615’000 personnes sont touchées par la pauvreté et 1,2 millions risquent de l’être. Car « la division du travail à l’échelle mondiale entraîne la disparition des emplois les moins qualifiés, alors même que ces quinze dernières années les prestations des assurances chômage et invalidité ont tellement diminué que de nombreuses personnes doivent désormais recourir à l’aide sociale », souligne Marianne Hochuli. Caritas Suisse réclame la mise en place d’une stratégie de prévention et réduction de la pauvreté par  la Confédération, les cantons et les communes. Depuis peu, un tel programme national existe, mais en avril 2018 le Conseil fédéral a décidé de réduire drastiquement les moyens financiers à sa disposition. Elle demande aussi d’harmoniser le minimum vital pour l’ensemble de la Suisse et de garantir des opportunités de formation tout au long de la vie.

Regula Bühlmann, de l’Union syndicale suisse, dénonce un écart salarial persistant entre les hommes et les femmes – 17% en 2016 – et réclame la mise en place d’un salaire minimum harmonisé dans tout le pays – la Suisse étant l’un des 11 pays européens sur 35 à ne pas connaître une telle mesure. Quant à la protection des droits des travailleurs, « les licenciements abusifs, antisyndicaux et discriminatoires sont monnaie courante en Suisse. Les dispositions légales en matière de licenciement ne sont conformes ni au droit de l’Organisation internationale du travail (OIT), ni à la Convention européenne des droits de l’homme. » Elle demande, si possible, la régularisation des travailleurs sans papiers, comme l’a fait le canton de Genève, « un modèle pour toute la Suisse ».

Photo: ODD 15 © Jasper

Interdire les investissements dans les infrastructures nocives pour le climat

Quant à l’environnement, “le Conseil fédéral semble reconnaître lui –même que de tous les ODD, le 15 – qui vise à préserver et restaurer les écosystèmes terrestres – est le plus difficile à atteindre”, relève Stella Jegher, de Pro Natura.  La biodiversité continue à diminuer et notre empreinte climatique ne cesse d’augmenter. Alors quoi faire ? « Les déclarations  d’intention ne suffisent pas, souligne-t-elle. Les ONG ont élaboré leur propre plan d’action biodiversité suisse avec des lignes d’action et des indicateurs clairs. Quant à la politique agricole, elle doit opérer un tournant écologique.  Aucun ( !) des objectifs environnementaux fixés par le Conseil fédéral en 2008 n’a été atteint jusqu’ici. » Elle fait aussi remarquer qu’en important du bois, du papier, de l’huile de palme, du soja, de la viande, des poissons marins et de la tourbe, la Suisse porte une lourde responsabilité dans la destruction des forêts équatoriales, des tourbières et d’autres milieux naturels de grande valeur à l’extérieur de ses frontières. « Le levier le plus puissant dont dispose la Suisse pour protéger le climat est l’économie financière. Il convient de l’encadrer par des réglementations efficaces qui prohibent les investissements dans des infrastructures nocives pour le climat et l’environnement », poursuit-elle.

Le 17 juillet, la Conseillère fédérale Doris Leuthard présentera le succinct rapport de la Suisse à l’Assemblée générale à New York, avec 46 autres pays qui se sont portés volontaires. Les ONG ne pourront pas officiellement présenter le leur, mais elles vont le faire connaître.

Passer aux énergies renouvelables peut coûter à un pays très cher

Sur la base du Traité de la charte de l’énergie, des investisseurs étrangers réclament  des sommes astronomiques aux Etats qui décident de passer aux énergies renouvelables. Trois investisseurs suisses n’ont pas hésité à franchir le pas. A ce jour, la Suisse n’a fait l’objet d’aucune plainte, mais elle n’est pas à l’abri. L’extension de ce traité aux pays en développement est très risquée. 

En 2012, le géant suédois de l’énergie Vattenfalls a porté plainte contre l’Allemagne pour sa décision de sortir du nucléaire. Il réclame 4,3 milliards d’euros de dommages plus intérêts à Berlin à cause des profits perdus suite à la fermeture de deux réacteurs nucléaires. En 2009,  Vattenfalls avait déjà porté plainte contre l’Allemagne pour des restrictions environnementales imposées à l’une de ses centrales au charbon près de Hambourg.

En mai 2017, la multinationale britannique Rockhopper a porté plainte contre l’Italie qui avait refusé d’autoriser des explorations pétrolières dans la mer Adriatique. Elle réclame le paiement des 40 à 50 millions USD investis dans l’exploration des gisements pétroliers, plus les 200 à 300 millions de bénéfices hypothétiques qu’elle aurait pu engranger. En 2015, un tribunal arbitral a ordonné à la Mongolie de payer 80 millions USD à l’entreprise minière canadienne Khan Resources, suite à la décision d’Oulaan Bator d’invalider la licence d’exploitation d’une mine d’uranium, en vertu d’une nouvelle loi sur le nucléaire. La Bulgarie, quant à elle, est en train de se défendre contre trois plaintes d’investisseurs autrichiens et tchèques pour sa décision de baisser le prix de l’énergie.

Nombreux pays en développement en voie d’accession

Ce sont quelques-unes des révélations du dernier rapport de Corporate Europe Observatory et Transnational Institute, deux ONG qui dénoncent les dangers du Traité de la charte de l’énergie (TCE – Energy Charter Treaty). Un traité auquel sont parties une cinquantaine de pays d’Europe et d’Asie centrale, dont la Suisse, et en voie d’accession énormément de pays d’Afrique, Asie, Amérique latine et du Moyen-Orient. A remarquer que l’Italie a dénoncé ce traité il y a deux ans, mais comme un Etat peut être traîné en justice pendant 20 ans encore, elle risque de devoir dédommager Rockhopper quand même. Bref : « Le TCE est un outil puissant aux mains des grandes sociétés pétrolières, gazières et celles du secteur du charbon, leur permettant de dissuader les gouvernements de miser sur la transition vers les énergies propres » dénonce ledit rapport.

Des plaintes jugées dans la plus grande opacité par un tribunal arbitral composé de trois arbitres, selon le mécanisme de règlement des différends investisseurs – Etats (ISDS) et sans l’obligation de passer au préalable devant les tribunaux internes. Ce mécanisme avait suscité l’opposition massive de l’opinion publique au traité transatlantique TTIP, mais il reste largement inconnu pour le TCE, alors même que c’est le traité international sur lequel reposent le plus de plaintes : 114 plaintes connues ! Et qui a donné lieu aux dédommagements les plus élevés, à commencer par les 50 milliards USD que la Russie devrait payer à la société Yukos – en suspens pour l’instant car le jugement a été annulé, mais Yukos a fait appel. Ce alors même que la Russie avait signé l’accord, mais ne l’avait jamais ratifié. Depuis elle s’est empressée de le quitter pour de bon. A la fin 2017, les cas en suspens portaient sur 35 milliards USD – plus que le montant nécessaire chaque année à l’Afrique pour s’adapter au changement climatique.

Alpiq contre la Roumanie et deux autres plaintes d’investisseurs suisses

Les investisseurs suisses ne sont pas en reste : En 2017, DMC et autres ont porté plainte contre l’Espagne, mais on ne sait pas grand-chose car l’information n’est pas publique. En 2015, le suisse OperaFund avait aussi porté plainte contre l’Espagne, suite à une série de réformes dans le secteur des énergies renouvelables, y compris une taxe de 7% sur les revenus et une réduction des subventions aux producteurs. Dans 88% des poursuites portant sur les coupes aux subventions aux énergies renouvelables en Espagne, le plaignant est un fonds de placement ou un autre type d’investisseur financier, car le TCE a une définition très large des investisseurs, ouvrant la porte même aux investisseurs dits « boîtes aux lettres »

En 2015 Alpiq a porté plainte contre la Roumanie, après que le gouvernement ait annulé deux contrats de fourniture d’électricité passés avec l’entreprise publique Hidroelectrica, qui avait fait faillite. Alpiq, qui a toutes les peines du monde à vendre ses barrages en Suisse, n’hésite pas à réclamer à la Roumanie 100 millions d’euros de dommages et intérêts.

Si l’Espagne est le pays qui a fait l’objet du plus grand nombre de plaintes (40), suivi par l’Italie (10) – la plupart du temps pour avoir coupé les subventions aux énergies renouvelables – la Suisse, elle n’en a reçu aucune – ni sur la base de ce traité, ni sur la base d’aucun autre, d’ailleurs. Un coup de chance ou le fruit d’une politique délibérée? “La Suisse n’a pas émis de réserves particulières au TCE, donc on ne peut pas exclure à priori qu’elle fasse l’objet d’une plainte, comme n’importe quel autre Etat”, nous répond Felix Imhof du Seco (Secrétariat d’Etat à l’économie), ajoutant cependant que “la possibilité pour les Etats de modifier leur politique énergétique n’est pas remise en cause par le TCE, pour autant que certains principes généraux de droit soient respectés, comme celui de non discrimination.”

Il fait remarquer que la production et distribution d’énergie, Swissgrid [la société nationale responsable du réseau de transport de l’énergie] et les centrales nucléaires sont entre les mains de l’Etat (Confédération et cantons) ou sont régies par une législation spéciale. Il n’y a donc pas d’investissements étrangers dans les centrales nucléaires. “Une filiale d’EDF (Electricité de France) domiciliée en Suisse est, en tant qu’actionnaire d’Alpiq (25%), indirectement impliquée dans des centrales nucléaires, concède cependant Felix Imhof. Alpiq possède 40% de la centrale nucléaire de Gösgen et 32,4% de celle de Leibstadt. Dans ce cas, une plainte sur la base du Traité de la charte de l’énergie ne peut pas être exclue à priori. Mais la protection de l’investissement en droit suisse ne va pas moins loin que celle prévue par le TCE, si bien que nous assumons que d’éventuelles plaintes d’investisseurs étrangers en matière d’énergie nucléaire seraient amenées devant les tribunaux nationaux.”

En attente du jugement de la Cour européenne de justice

Il reste que le fait que la Suisse soit partie au TCE permet aux entreprises suisses d’attaquer des Etats tiers. De surcroît, l’extension de ce traité aux pays en développement est très préoccupante. Ces pays espèrent attirer des investisseurs, surtout dans les énergies renouvelables, mais ils ne sont pas toujours conscients des dangers de ce traité, car les négociations sont menées la plupart du temps par les responsables des ministères de l’Energie et non de l’investissement.

En mars 2018, la Cour européenne de justice a statué que le mécanisme de règlement des différends investisseurs – Etats (ISDS) ne s’applique pas aux disputes entre Etats de l’UE car il viole le droit européen. Le Traité sur la charte de l’énergie n’est pas mentionné, mais cela a déjà des implications sur des affaires en cours, dont Vattenfalls contre l’Allemagne, dont le jugement a été repoussé à l’année prochaine – mais il pourrait tomber plus tôt.

 

 

 

 

En marche vers la victoire de l’humanité

Photo: marche de 2005 © Ekta Parishad

L’association Jaijagat Genève est en pleine préparation de la grande marche qui, en 2020, devrait amener au moins 5’000 personnes de Delhi et d’ailleurs à Genève. Pour son inspirateur, Rajagopal, la ville lémanique est la capitale mondiale de la paix et la solidarité internationale et la (dé)marche s’inscrit pleinement dans les Objectifs de développement durable de l’ONU.

A 70 ans, l’Indien Rajagopal est un habitué des grandes marches. C’est sa façon à lui de faire bouger les choses. En 1991, il crée le mouvement Ekta Parishad, qu’on peut comparer au mouvement des sans terres au Brésil, mais avec une composante auto-éducative très forte : les victimes d’oppression, les pauvres, les sans terres, apprennent à résoudre leurs problèmes par eux-mêmes, en se formant aux méthodes de réaction non violentes. Le mouvement grandit, se fédère, est présent dans une dizaine d’Etats indiens et compte trois millions de membres – paysans, Dalits, autochtones… Pour redonner la dignité à ses membres, il organise des marches  inspirées par la marche du sel de Gandhi, qui a amorcé le mouvement vers l’indépendance de l’Inde. Les plus grandes ont lieu en 2007 et 2012, alors que le parti du Congrès est au pouvoir. Elles rassemblent jusqu’à 100’000 personnes et les autorités sont obligées de réagir, les ministres viennent rencontrer les marcheurs en  promettant des réformes agraires qui, en partie, ont été réalisées.

Photo: femmes à la manifestation de Bhopal, Inde © Ekta Parishad

Mondialisation des problèmes

Dès 2014, lorsque le gouvernement de Narendra Modi arrive au pouvoir, une bonne partie des promesses du précédent gouvernement pour améliorer la condition paysanne ne sont pas tenues. « Chaque fois qu’Ekta Parishad organisait des actions, les autorités disaient qu’elles comprenaient, mais qu’elles ne pouvaient pas faire grand-chose à cause du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale, des accords de libre-échange et d’investissement conclus avec les Etats étrangers, des contrats passés avec les multinationales et les compagnies minières…. Dès lors, les membres d’Ekta Parishad ont pris conscience de la mondialisation du problème. Ils ont décidé que la prochaine grande marche allait être mondiale et ils ont tout de suite choisi Genève comme objectif », nous explique Daniel Wermus, secrétaire du comité de Jaijagat Genève, l’association créée en mars 2018 pour préparer l’arrivée de ladite marche. « Nous n’avons pas toujours conscience à quel point Genève symbolise dans beaucoup de pays, surtout en Inde, un lieu de paix, de droits humains et de solidarité internationale. Le choix de Genève a été évident – pas New York, Bruxelles, Londres ou Paris. Ils ont eu l’idée folle d’envoyer une colonne de marcheurs sur 8’000 km, on ne sait toujours pas si ça va être possible, mais ça se prépare ! », s’exclame ce militant infatigable de la Genève internationale.

Adoption des Objectifs de développement durable en 2015

Un pas supplémentaire a été accompli en 2015, lorsque l’Onu a adopté les 17 Objectifs de développement durable (ODD). Dans la tête des organisateurs, cela a fait tilt. « J’ai dit à Rajagopal : tu devrais prendre à la lettre ces objectifs, notamment l’ODD 1 – lutte contre la pauvreté – et l’ODD 16 – questions de gouvernance : participation à la prise de décisions, dignité, justice, droits humains, lutte contre la corruption, droit d’être entendu, liberté, meilleur fonctionnement des institutions. Ce qui manque un peu, c’est les médias », regrette ce journaliste chevronné. « Depuis lors Ekta Parishad  avance quatre points forts : la non-violence et paix (ils sont en train de développer un concept d’économie non violente) ; la réduction de la pauvreté ; l’inclusion sociale et l’égalité de genres ; la durabilité écologique et le changement climatique. »

Photo: manifestation pro-Tibet sur la Place des Nations, Genève, mars 2016 © Isolda Agazzi

Genève, capitale mondiale des Objectifs de développement durable

A la suite de cette prise de conscience du levier des ODD, Ekta Parishad a décidé que les gens d’en bas iraient dire à la communauté internationale qu’ils ont des solutions pour faire appliquer les objectifs sur le terrain. Car si les gens ne s’emparent pas des objectifs, ils ne seront pas appliqués.

Daniel Wermus en est convaincu : Genève est la capitale mondiale des ODD. Pas la capitale politique au sens strict, puisqu’ils ont été adoptés à New York, par l’Assemblée générale de l’Onu, et que c’est là que les pays membres présentent leurs rapports nationaux – dont la Suisse en juillet. Mais la capitale opérationnelle et interdisciplinaire, car c’est à Genève qu’il y a la plus grande concentration d’opérations sur le terrain dans tous les domaines des ODD (normes du travail, santé, normes technologiques, etc.) et toutes les agences de l’ONU concernées par les ODD. La philosophie de ces objectifs est l’interconnexion : on ne peut atteindre l’un sans atteindre les autres. Et sur toutes les questions – changement climatique, lutte contre la pauvreté, droits du travail, etc. – il peut y avoir, dans cette ville, des interactions entre les organisations internationales et les savoirs (CERN, Graduate Institute, EPFL, etc).

Intelligence collective

« C’est un ensemble qui fait qu’ici on a une intelligence collective qu’on n’a pas ailleurs, continue-t-il. Sous l’impulsion de la Suisse, deux plateformes ont été créées pour faciliter et accélérer l’adoption de pratiques dans le sens des Objectifs de développement durable : le SDG Lab, qui met en contact les gens qui ont des solutions avec les gens qui en cherchent. Et le Geneva 2030 Ecosystem, géré par l’International Institute for Sustainable Development (IISD) et qui regroupe des centaines d’acteurs. L’intérêt est que ces deux entités travaillent ensemble, l’une au sein de l’Onu et l’autre à l’extérieur, avec une liberté de critique plus grande. »

 

Photo: Liliane de Toledo, Daniel Wermus, Rajagopal, Jill Carr Harris et Rémy Pagani à Genève en 2017 © Benjamin Joyeux

Soutien de la Ville de Genève, du Canton et au-delà

Si Ekta Parishad bénéficie de soutiens importants au niveau international, notamment européen, ils ne suffisent de loin pas à organiser une marche mondiale si ambitieuse. Au niveau local, deux motions ont été adoptées, l’une par le Conseil municipal de la Ville de Genève et l’autre par le Grand Conseil du Canton, qui demandent que les autorités soutiennent la préparation de ce projet. Rajagopal a d’ailleurs été reçu en grande pompe par les autorités genevoises en 2017.

Ensuite il faut lever des fonds pour préparer l’arrivée des marcheurs, prévue entre le 25 septembre et le 3 octobre 2020. Un grand concert va les attendre à l’arrivée et pendant une semaine il y aura des rencontres informelles et des dialogues sur la survie de l’humanité. Au niveau mondial il va y avoir de nombreux évènements liés à la marche, organisés par le Forum social mondial, le mouvement Emmaüs et beaucoup d’autres organisations de la société civile. En Inde, il faut trouver des financements pour la formation des leaders villageois qui travaillent pour la marche et des soutiens aux marcheurs eux-mêmes.

Problèmes semblables en Inde et en Europe

« Il n’y aura guère plus de quelques centaines de marcheurs venant d’Inde. Mais ce sera évidemment le tronçon emblématique.  Pour l’instant on table sur le chiffre de 5000 “pélerins” qui convergeront à Genève depuis Gibraltar, Bruxelles, Berlin, Stockholm, France, Balkans, etc), nous explique Daniel Wermus. Parallèlement et simultanément, des dizaines voire des centaines de milliers marcheront dans tous les continents pour les mêmes objectifs et enverront à Genève des “délégués” chargés d’y transmettre les propositions élaborées au sein de chaque marche. Il ne s’agit donc pas d’une problématique indienne exposée à Genève, mais bien d’une campagne mondiale menée par les victimes elles-mêmes des déséquilibres planétaires. Elle vise des problèmes qui nous concernent aussi nous en Europe: exclusion, violence, chômage, précarité, migrations, discriminations, nationalismes, trafics de femmes et d’enfants, etc. »

Top départ le 2 octobre 2019 à Delhi – 150e anniversaire de la naissance de Gandhi. Jai jagat, en hindi, veut dire victoire de l’humanité.

Demain, à Genève, la vie sera plus verte. Ailleurs aussi

Photo: la rade de Genève © Isolda Agazzi

L’engouement pour Demain Genève ne tarit pas. Le documentaire genevois, qui présente des solutions locales pour le développement durable, s’exporte en Suisse romande et fait des émules à l’étranger. Car les problématiques qu’il aborde sont universelles, que ce soit au Nord ou au Sud du monde.  

La file d’attente devant le cinéma Les Scala, à Genève, est exceptionnelle. Le film que la plupart des spectateurs sont venus voir ? Demain Genève, un documentaire qui fait salle comble depuis deux mois et avoisine les 6’000 entrées. Le temps maussade de ce jour férié et la curiosité compréhensible des spectateurs pour des images qui leur sont familières (et un sujet qui ne l’est pas forcément) n’expliquent pas tout : comme son précurseur, Demain, dont il s’inspire ouvertement, Demain Genève est un véritable phénomène de société, destiné à susciter des vocations dans d’autres villes et bien au-delà de la Suisse.

Le sujet est relativement simple : comment réaliser le développement durable, ici et maintenant? De jeunes Genevois ont  pris leur caméra pour montrer que dans leur ville aussi des solutions existent, à commencer par quelques secteurs clé : l’économie sociale et solidaire, l’agriculture de proximité, la gouvernance participative, les énergies alternatives, l’habitat durable. Faute de moyens, et bien dans l’esprit du film, ils se sont tournés tout naturellement vers les réseaux sociaux pour solliciter un financement participatif. «Nous avons rassemblé 106’000 CHF en 45 jours, c’est de la folie ! S’enthousiasme Grégory Chollet, le responsable marketing. Des apports complémentaires par des entreprises privées et des fondations nous ont permis de boucler le budget du film : 250’000 francs. » Un film tourné en un temps record : de juin 2016 à octobre 2017.

400 projets recensés à Genève

« On ne s’attendait pas à trouver autant d’initiatives à Genève ! Renchérit Gwendolyn Cano, une autre responsable de l’équipe. Au début on se demandait même si on allait avoir assez de projets pour nourrir un film, mais finalement il y en a beaucoup plus que nous imaginions. On a reçu des centaines de sollicitations et, lors du lancement de la campagne participative, il y avait 900 personnes ! L’association Demain Genève, que nous avons créée, recense à ce jour 400 initiatives dans la région – et encore, on ne les connaît pas toutes  –  et les informations pour aider les citoyens à adopter les bons gestes.»

Ces initiatives portent sur l’agriculture et l’alimentation, avec des fermes innovantes de la campagne genevoise. Le mot clé : favoriser l’agriculture bio, locale et de saison et éliminer les intermédiaires. Un concept tout droit issu du commerce équitable, dirons-nous, à ce jour utilisé dans les pays en développement, mais qui se révèle très utile sous nos latitudes aussi pour permettre à nos petits paysans de vivre décemment.

Estelle est membre de l’association AOC, qui fait partie du collectif Beaulieu, créé dans les années 2000. Lorsque la Ville de Genève a abandonné la petite zone horticole du parc Beaulieu, des habitants se sont associés pour lancer un projet social et d’agriculture urbaine.  « Le collectif regroupe une dizaine d’associations qui cultivent des plantons bio qu’elles vendent au printemps, vendent des légumes en accès libre et essaient d’entretenir des espèces de légumes et de plantes locales pour favoriser la biodiversité. On a aussi des poules locales et des abeilles et on collecte du miel. Une autre association fait pousser de l’indigo pour faire de la couleur et produit des tisanes bio. Avant il y avait même des producteurs de bière. J’habite à côté et c’est magnifique d’apprendre à cultiver des légumes et des fruits, à connaître le cycle des saisons et de voir pousser ce qu’on plante ! »

Projet d’agroécologie au Myanmar © Isolda Agazzi

Inspiré des projets de développement dans les pays du Sud

Il y a ensuite des restaurants qui, en plus des francs suisses, acceptent le Léman, une monnaie complémentaire qui ne peut être utilisée qu’entre acteurs du bassin lémanique, dans le but de promouvoir l’économie locale et de limiter la spéculation. Côté économie on trouve des entreprises sociales et solidaires qui se soucient du bien-être de leurs collaborateurs, essaient de préserver l’environnement, ou qui, comme la Banque alternative, ne financent que des projets répondant à des critères socio-environnementaux stricts. Des entreprises qui essaient autant que possible de réparer, récupérer et recycler au lieu de jeter.

Dans le secteur de l’énergie figurent des entreprises ou sociétés de conseil qui s’efforcent de consommer moins d’énergie et de promouvoir une énergie verte et locale, comme un ingénieux système de refroidissement des bâtiments grâce à l’eau du lac Léman. Les initiatives urbanistiques, quant à elles, se déclinent en coopératives et projets d’éco-quartiers avant-gardistes. Tout cela, évidemment, dans une approche participative, où les décisions se prennent ensemble et de bas en haut, tant au niveau de l’entreprise, de la communauté, du quartier que de la ville. Ce qui nous frappe c’est que, de nouveau, c’est une approche traditionnellement utilisée dans les projets de développement au Sud ! La démocratie directe suisse favorise évidemment ce genre d’approche, mais elle ne suffit pas, il faut une réelle volonté d’aller plus loin.

Approche participative au Myanmar © Isolda Agazzi

 

Première à Lausanne complète, mais les projections continuent

Dernièrement, le film a franchi les frontières du canton pour être projeté ailleurs en Suisse romande. Une avant-première est organisée le 28 avril à Lausanne, en présence de l’équipe. Les billets sont partis en quatre jours ! Elle est co-organisée par Pain pour le prochain, une ONG active dans le développement des pays du Sud. Elle y soutient la souveraineté alimentaire, la protection des semences, les droits humains, l’accès à la terre et à l’eau. « Depuis deux ans, nous essayons de promouvoir cette vision de l’économie et de l’environnement aussi en Suisse, pour donner une cohérence à notre discours, nous explique Daniel Tillmanns, le chargé de communication. Nous avons créé un laboratoire de la Transition pour susciter une réflexion sur un nouveau paradigme social et économique qui respecte le vivant. D’où notre soutien pour des initiatives de transition locale. »

Mais comment expliquer un tel engouement pour des modèles autrefois considérés comme « alternatifs » et de niche ? « Notre système dominant de consumérisme montre ses limites. Les gens veulent donner un sens à leur vie et à leur travail. Ce film illustre des initiatives concrètes et porteuses d’espoir, à la portée de tous. Il montre que tu peux donner ta petite contribution et faire partie d’un mouvement qui, un jour, va amener un véritable changement. Peut-être que ça sera une révolution… »

L’association Demain Genève a été approchée par un groupe de jeunes qui souhaitent tourner Demain Portugal. Un réalisateur libanais serait aussi intéressé… Nul doute, au niveau local la révolution du développement durable est bel et bien en marche. Aujourd’hui déjà.