Pour un Contrat social européen

Rien de pire que d’éveiller les nationalismes, les régionalismes et les particularismes locaux ou ethniques, enfouis à l’intérieur de chacun d’entre nous. A titre préventif, toute communauté politique se prévaut d’une solution de consensus a minima. C’est tout aussi rassurant que légitime. Pour autant, les conflits demeurent et peuvent, au prix d’une simple étincelle, s’embraser une nouvelle fois. Ce n’est guère souhaitable, mais malheureusement nullement exclu. Par conséquent, il faut savoir raison garder et faire preuve d’un sens aigu de la médiation.

De médiation, il en a toujours été question en Europe. Au prix de moqueries et de quelques quolibets, les fameux « compromis de Bruxelles » sont devenus légion et appartiennent désormais au quotidien de la scène politique européenne. Ils sont nécessaires, voire indispensables et correspondent aussi à la lettre et à l’esprit de la devise de l’UE. Parce que « unie dans la diversité », celle-ci est soucieuse, voire condamnée à toujours trouver des points d’équilibre, condition sine qua non pour sa survie et son avenir.

Ce qui est vrai dans la gestion de la politique européenne, l’est toutefois un peu moins dans l’esprit qui devrait l’animer. Depuis de nombreuses années, l’UE ne réfléchit plus. A l’image de sa politique économique, elle gère plus qu’elle ne génère. Pour certains, machine à subventions, pour d’autres bouc émissaire rêvé pour pallier ses propres déficits, elle semble merveilleusement bureaucratique et antidémocratique à la fois. Cible d’attaques plus ou moins fondées, elle est également responsable de l’infortune dont elle est elle-même l’objet. Pour ne pas vouloir trancher entre l’unité et la diversité, elle laisse planer un doute sur sa capacité à rassembler les Européens. Faut-il alors avoir le courage de lui rappeler qu’elle a pour nom « Union européenne » et non « Division européenne » ?

Frileuse à l’idée de résoudre la dialectique, née entre son « unité » et sa « diversité », l’Union européenne se trouve prisonnière d’une situation qu’elle a elle-même créée. Non qu’il faille plaider pour l’uniformité, mais pour une uniformisation modulée qui permette aussi de faire vaincre l’intérêt général européen. Ce dont l’Europe manque le plus, c’est d’un « Contrat social européen », garantissant sa propre légitimité politique, mais aussi la liberté de ses propres citoyens. En instaurant ce « Contrat social européen », l’Union européenne franchirait un pas décisif de son histoire. Elle donnerait enfin un sens à la citoyenneté européenne et permettrait à chacun de ses ressortissants de s’identifier aux droits et devoirs que l’Europe lui octroie et lui impose.

Idée déjà formulée en 2012 par « la Confédération européenne des syndicats », ce « Contrat social » n’a pas pour vocation d’être identique à celui voulu par ces mêmes syndicats. Il ne se résume pas à quelques revendications, au demeurant louables, mais délimite le cadre social et politique que l’Union européenne compte offrir à ses citoyens. Nouvelle compétence de l’Union, il ouvre ainsi un nouveau chantier de son action. Non complément, mais placé sur un pied d’égalité avec l’économie et l’institutionnel, il constitue la garantie indispensable de la légitimité démocratique sur le plan européen.

Quasiment laissée en jachère depuis la mainmise financière et économique sur les politiques communautaires, la citoyenneté européenne a impérativement besoin d’un nouvel élan. Celle-ci ne peut pas être traitée hors contexte et ne se réduit pas à l’adoption de quelques textes de loi ou à l’extension des droits civiques. Ce n’est donc que par l’acceptation d’un « Contrat social » qu’elle pourra véritablement s’exprimer. Si l’Europe veut que ses citoyens aient confiance en elle, à elle de prouver qu’elle peut leur donner confiance.

Elle peut le faire de deux façons. D’abord, en poussant la subsidiarité à l’extrême. C’est de loin, pour elle, la solution la plus confortable. L’Europe favorise ainsi la diversité et ne souscrit qu’un « Contrat social light » avec ses ressortissants. Dans ce cas, le local est privilégié et l’appartenance communautaire est reléguée au second rang. Puis, si l’UE va au-devant de l’événement, elle donne a contrario la priorité à son unité. En version « Contrat social hard », elle est volontariste, lance un défi à tous ses États membres et fait de leurs habitants de véritables citoyens européens. C’est plus risqué, plus courageux et nettement plus enthousiasmant. Tout simplement, beaucoup plus européen.             

 

 

   

Gilbert Casasus

Gilbert Casasus est professeur émérite en Études européennes de l’Université de Fribourg. Politologue, diplômé de l’IEP de Lyon et docteur du Geschwister- Scholl-Institut de l’Université de Munich, il est spécialiste des processus historiques et politiques en Europe.